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UNIVERSITYOF
TORONTO LIBRARY
The
Jason A.Hannah
Collection
in the History
of Médical
and Related
Sciences
puBLicAiroNs DU pji()(ini:s médical
Professeur CHARCOT
POLICLINIQUE
(888-1889
Notes de Cours de MM. BLIN, CHARCOT, Henri COLIN
ELEVES DU SERVICE
PARIS
\i;X HUIIKAIX Dr
PROGRÈS MÉDICAL
11, Hue (les (larmes, 14
E. LECRGSNIER & BABÉ
KniTKlRS
Place, (le ri"'c()li'-(l('-M(''(l('cin('.
1880
Policlinique du Mardi 23 Octobre 1888
COURS DE M. GHARCOT
i^IVIVKE: I^^I^-l^^O
PREMIÈRE LEÇON
OBJET:
1° et 2° Bâillement hystérique (bâillement naturel et bâille-
ment suggéré);
S"" Dyspnée ou mieux tachypnée hystérique;
4"* Grand tic convulsif ; Goprolalie; Troubles psychiques
concomitants.
M. Cdaroot : Messieurs, vous savez par l'expérience de l'année passée ce
qu'ont été nos leçons du mardi. EssentieUement cliniques, elles ne changeront
pas de caractère cette année. Il s'agira tantôt de leçons presque improvisées
sur des malades qui me sont encore peu connus, tantôt de leçons improvisées
dans l'acception rigoureuse du mot, concernant cette fois des malades qui, pour
la première fois, se présentent à la consultation externe et que, par conséquent
nous ne connaissons pas du tout.
Ces leçons ont surtout pour but de vous mettre vraiment en rapport avec
les difficultés de la praticjue. Je vous l'ai dit l'an passé, et je le répète actuelle-
ment avec insistance : dans les leçons très préparées à l'avance le professeur
conduit ses auditeurs dans des chemins préalablement aplanis et rendus à
dessein faciles à parcourir. Lui-même a pris le soin d'arracher les broussailles
et d'écarter les écueils qui pouvaient rendre le parcours difficile. Cette manière
de procéder qui offre incontestablement mille avantages, surtout quand il
s'agit de commençants, comporte une part d'artifice dont il convient de ne
plus user sans réserve devant des auditeurs déjà mûris par l'étude et qui sont
à la veille de devenir eux-mêmes des praticiens. Or les circonstances ont voulu
1
que ce soient justement ceux-ci surtout qui fréquentent les cliniques de la
Salpêtrière et en face d'eux je ne sens aucune crainte de me montrer hési-
tant parfois et embarrassé même, dans certains cas, à décider un diagnostic,
à proclnmer un pronostic ou à instituer un traitement.
Les choses sont souvent, dans la réalité vraie, plus difficiles qu'on ne le
croit, et il faut que vous les connaissiez telles qu'elles sont ; il faut que vous
sachiez que le domaine delà neuropathologie où l'on a fait cependant tant de
conquêtes, n'a pas encore été, il s'en faut, partout convenablement exploré
et que dans ce vaste territoire il existe toujours bien des terres inconnues.
D'ailleurs l'expérience seule pourra rendre appréciable aux nouveaux venus
les avantages de la méthode à laquelle je suis attaché ; c'est pourquoi jugeant
inutile de prolonger ces préliminaires, j'entre immédiatement en matière.
l""^ Malade
Nous allons aujourd'hui, en commençant^ procédera l'examen d'unemalade
qui est dans le service depuis six mois et dont, par conséquent, la maladie
n'a pour nous rien d'imprévu. (Une jeune fille de dix-sept ans est introduite
dans la salle du cours.)
M. Gharcot [indiquant un siège à la jeune malade): Mettez-vous là, mademoi-
selle, en face de moi.
[Aux auditeurs) : Regardez-la et tâchez de ne pas vous laisser influencer,
suggestionner ou intoxiquer, comme vous voudrez dire, par ce que vous allez
voir et entendre.
C'est un acte quelque peu imprudent, sans doute, de la part d'un professeur,
que de commencer son cours en parlant du bâillement et de présenter un cas
où le l»âillemenl est le phénomène le plus apparent. Car le bâillement est con-
tagieux, vous le savez, au premier chef et rien que d'entendre prononcer le mot
de bâillement, qui, dans les langues les plus diverses, vise à l'imitation onoma-
topéifiue de la nature, — shadigliamento (ital.); ijaicning (angl.) ; gâhnen
(allem.), — on se sent pris d'une envie de bâiller presque invincible.
Mais j'ose espérer qu'une fois prévenus, nous saurons résister, vous et moi,
aux suggestions qui nous menacent.
Pcndantque je dissertais, vous avez vu et entendu notre malade déjà bâiller
plusieurs fois ; chez elle, veuillez le remarquer, le bâillement est, en quelque
sorte, rytlimé, en ce sens qu'il se reproduit à des intervalles toujours à peu
près de même durée et assez courts^ du reste. Sous ce rapport, il s'est produit,
depuis que la malade est entrée à l'hôpital, quelques changements que je tiens
à vous faire connaître.
— 3 —
A l'origine, en effet, il y a quatre ou cinq mois, elle bâillait environ huit fois
par minutes (480 bâillements par heure, soit 7.200 en quinze heui es de veille) ;
aujourd'hui le nombre des bâillements est réduit à quatre dans le même espace
de temps, chaque bâillement occupe individuellement un temps assez long.
Autrefois chacun d'eux durait cinq ou six et même sept secondes ; aujourd'hui
ils ne durent que trois ou quatre secondes au plus. Il s'est donc produit un cer-
tain amendement à cet égard et le phénomène ne nous apparaît plus que sous
une forme atténuée. J'ajouterai que chaque bâillement se montrait double
auparavant, composé de deux bâillements élémentaires, tandis qu'aujourd'hui
il ne s'agit plus en général que d'un acte de bâillement simple. Toutes ces par-
ticularités, vous les lirez facilement sur les divers tracés, recueillis suivant la
méthode graphique, que je vous présente et qui sont relatifs à diverses
époques delà maladie (Fig. 1, 2, 3, 4 et 5).
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Fig-. 1. — Uespii'ation normale d'une hystérique très émotive. Elle est fréquente (30 par miuute).
Fiff. 2. — Loi'..
, !*«■ sept. La respiration se fait uniquement par bâillements. La plupart des
bâillements sont doubles (B). Huit bâillements par minute.
rp rjf
n^
— Ler , 15 août. Alternance de la toux (T) et des bâillements (B).
4 —
Fig. 4. — Ler , 15 oc'. Bâillements (B) séparés par des respirations à peu près régulières.
Fig. 5. — Bâillements par imitation chez une hystérique placée dans la période du somnambulisme
auprès de Ler
Ainsi vont les choses du matin au soir, sans interruption aucune, si bien que
le sommeil seul met trêve aux bâillements ; il fut un temps, vous le reconnaîtrez
sur le tracé (fig. 2), où ceux-ci étaient tellement précipités, que les respirations
normales n'avaient, pour ainsi dire, pas le temps de se produire, et que le
bâillement, par conséquent, était le seul mode de respirer que la malade eût à
son service.
Il fut un temps également où la toux, la toux nerveuse, alternait avec le bâil-
lement et l'on peut suivre sur le schémadu tracé du 15 août(fig. 3), l'alternance
en quelque sorte mathématiquement régulière de la toux et du bâillement. Au-
jourd'hui la toux a complètement cessé, et le bâillement régne seul, exclusive-
ment.
Pour ce qui est du bâillement considéré en soi, il ne diffère chez la malade,
en rien d'essentiel, du bâillement physiologique. Vous savez ce qu'est celui-ci:
ce n'est autre chose qu'une longue et profonde inspiration, presque convulsive,
pendant laquelle il se produit un écartement considérable de la mâchoire,
souvent avec flux de salive et sécrétion de larmes, — phénomènes sur lesquels
Darwin insiste particulièrement, — et suivi d'une expiration également pro-
longée et bruyante.
Physiologiquement, on assure que c'est un acte automatique nécessité par
un certain degré d'anoxémie, un besoin d'hématose des centres nerveux.
Tantôt le bâillement est simple, tantôt il est suivi ou s'accompagne de pan-
el iciilatiuns, c'est-à-dire de contractions musculaires presque générales.
Eli bien, ce n'est pas tint par l'intensité que par sa répétition presque in-
cessante que le bàillenient^, chez notre malade, s'éloigne de Tétat normal, on
— 5 —
peut même dire que chez elle les bâillements se montrent relativement mo-
dérés dans leur intensité, qu'ils ne s'accompagnent par exemple, habituelle-
ment pas de pandiculations et presque jamais — cela arrive cependant quel-
quefois — d'une sécrétion de la salive ou des larmes.
Vous avez sans doute prévu, après ce que je viens de vous dire, que nous
sommes ici dans le domaine de l'hystérie, et il n'est pas sans intérêt de relever
une fois de plus cette régularité singulière, ce rythme qui, chez notre malade,
marque le retour des bâillements : rythme et cadence, voilà un caractère propre
à nombre de phénomènes hystériques, et bien des fois j'ai saisi l'occasion de
vous le faire remarquer. Dans la chorée rythmée, en particulier, il est si
accentué qu'un maître de ballet pourrait noter et écrire les mouvements étran-
ges, souvent fort complexes, qu'exécutent les malades lorsqu'ils sont sous le
coup de leur accès. Il y a là, comme il est dit dans Hamlet, € de la méthode^
bien que ce soit de la folie ». La toux, les mugissements, les aboiements hys-
tériques se prêtent naturellement aux mêmes considérations.
Je crois bien qu'on peut affirmer que tout bâillement, se reproduisant à
des intervalles réguliers, comme cela se voit dans notre cas, est un phénomène
hystérique ; mais il ne faudrait pas croire que tout bâillement morbide quel-
conque soit nécessairement de cette nature. Ainsi, M. Féré, tout récemment,
a publié dans la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, n° 4, juillet et août
1888, un cas de bâillements occupant les intervalles des accès chez un épilep-
tique.
Je dois ajouter que le bâillement pathologique, phénomène nerveux par
excellence, n'appartient pas exclusivement à la catégorie des maladies ner-
veuses proprement dites. L'ancienne séméiologie s'attachait beaucoup aux
bâillements morbides considérés comme signes pronostiques dans les mala-
dies aiguës : ainsi, pour Rœderer, les bâillements survenant à la fin de la gros-
sesse devaient faire redouter la fièvre puerpérale ! Que dire des bâillements
chez les apoplectiques ? Bien qu'ils reproduisent, au milieu des symptômes
comateux un phénomène qui, volontiers, précède et suit le sommeil naturel, je
les croirais, en pareil cas, si j'en juge par mon expérience propre, plutôt de
mauvais augure.
A la vérité, toute cette ancienne séméiologie du bâillement me semble au-
jourd'hui bien démodée ; peut-être y aurait-il intérêt à la refaire. Pour le mo-
ment, j'ai voulu relever seulement que tout bâillement pathologique n'est pas né-
cessairement un bâillement hystérique, et, à ce propos précisément, je voudrais
signaler encore que le retour fréquent des bâillements pendant les périodes
d'amorphinisme pourrait contribuer à révéler l'existence de la pratique régu-
lière des injections de morphine chez un sujet qui, ainsi que cela arrive plus
souvent qu'on ne le pense, voudrait tromper le médecin en la tenant cachée.
Mais il est temps d'en revenir au sujet que nous avons sous les yeux. J'affirme
que le bâillement est chez elle un phénomène hystérique : cela, sans doute.
— 6 —
vous paraît déjà fort vraisemblable ; mais il nous reste encore cependant à
démontrer régulièrement qu'il en est réellement ainsi.
La question qui se présente à nous en ce moment, est celle-ci : le bâillement
est-il, chez notre malade, un symptôme solitaire ? En d'autres termes : l'hys
térie est elle, chez elle, monosymptomatique, comme j'ai coutume de la dire en-
pareil cas, c'est-à-dire marquée, révélée exclusivement par un symptôme
unique, à savoir, dans Tespèce: le bâillement? — Cela pourrait être ; pareille
chose arrive fréquemment pour la toux, l'aboiement, le hoquet, les bruits
laryno-és divers, tous phénomènes connexes au bâillement. Je dirai même que,
souvent, il paraît y avoir une sorte d'antagonisme entre les phénomènes d'hys-
térie locale, comme on les appelle quelquefois, et les phénomènes hystériques
vulgaires, tels que : hémianesthésie, ovarie, attaques convulsives, etc.
En pareil cas, il peut y avoir, parfois, pour le diagnostic, des difficultés vrai-
ment sérieuses. Cependant, même dans ces cas, la monotonie même des
accidents, leur retour systématique à des intervalles mesurés, toujours les
mêmes, l'impossibilité de les rattacher à une affection quelconque, autre que
la névrose hystérique, et bien d'autres circonstances encore qu'il serait trop
longd'énumérer, permettent presque toujours de les reconnaître pour ce qu'ils
sont.
Mais, chez notre sujet, nous ne rencontrerons même pas les difficultés aux-
quelles je viens de faire allusion car, chez elle, les phénomènes hystériques
les plus variés, les plus caractéristiques se sont, en quelque sorte, donné ren-
dez-vous, de façon à dissiper toutes les obscurités.
C'est ce qui ressortira de l'énoncé que je vais faire de ce qui me reste à
dire concernant l'histoire clinique de cette malade.
Je vous rappellerai ({uo notre jeune malade est aujourd'hui âgée de dix-sept
^ns. — Considérons d'abord les antécédents héréditaires, car, ainsi que j'ai eu
bien souvent l'occasion de le répéter, en matière de pathologie nerveuse l'ob-
servation du malade qu'on a sous les yeux ne saurait être considérée que
comme un épisode; il faut la compléter, si faire se peut, par Thistoire patho-
logique de la famille tout entière. Or, voici ce que les investigations dirigées
dans ce sens nous font reconnaître : Père inconnu ; cela est déjà quelque
chose, car il n'est pas, moralement, tout à fait normal d'abandonner un en-
fant dont on est le père ; quoi qu'il en soit, voilà tout un côté de la famille qui
échappe à notre étude. — Rien à noter, paraît-il_, chez la mère, en fait de phé-
nomènes nerveux. Il n'en est pas de même pour ce qui concerne la sœur de la
nnilade. Il est même très intéressant de relever, chez celle-ci l'existence, vers
l'àgc de dix-huit ans, d'un hoquet très tenace, de longue durée. — Hoquet
et bâillement, ce sont là, remarquez-le bien, des phénomènes de la même
série.
Los antéc«M.L'nts personnels sont plus riches : si, en effet, on remonte dans
le passj, ou peut dire ([uo les accidents nerveux d'aujourd'hui ue sont, en
— 7 —
(luelque sorte, que la ré«}(lition, sous une forme nouvelle, d'accidents anté-
rieurs.
De trois à huit ans, — elle a donc ùté fort précoce sous ce i<4>j.Mrl, — elle
a été sujette à des attaques de nerfs accompagnées de perte de connaissance.
Ces attaques se reproduisaient quelquefois presque sans cesse et sans trêve
pendant une p(h'iodo de viiigt-rjuatre heures. Kvideniment, il s'agissait là non
pas d'attaques comitiales, mais hel et hien d'attaques hystériques de la grande
forme hystéro-épilepsie.
Une affection, désignée sous le nom de chorée, a paru également vers cette
époque et elle a occupé la scène pendant trois mois.
De l'âge de neuf ans jusqu'à l'époque présente, les trouhles nerveux s'effacent
complètement. Ils ont reparu en mai dernier, sans cause spéciale apparente,
sous la forme suivante : ce fut d'abord un enrouement bientôt suivi d'une toux
sèche presque incessante pendant la veille et s'arrétant seulement pendant le
sommeil, pour reparaître le matin dès le réveil. Les nuits, du reste, étaient
fort agitées et plusieurs fois la malade s'est réveillée à terre hors de son lit.
Puis apparurent les premiers bâillements qui d'abord, alternèrent avec les
quintes de toux (Voiries figures 1, 2, 3, 4)^ et ensuite régnèrent seuls, se ré-
pétant alors environ huit fois par minute. Depuis le mois d'octobre, les choses
se sont réglées ainsi qu'il suit : quatre bâillements par minute se reproduisant
avec cette régularité sur laquelle j'ai déjà appelé votre attention.
Il n'y a pas longtemps que les phénomènes de l'attaque convulsive vulgair^î
sont venus se surajouter aux bâillements et je dois vous prévenir que je ne con-
sidère pas cette intervention de l'attaque convulsive comme marquant un
empirement dans la situation. Je vous ai déjà laissé entrevoir que la toux
comme le bâillement hystériques ne sauraient, en général, coexister avec
l'attaque ; l'un exclut l'autre jusqu'à un certain point. Et, à tout prendre, les
phénomènes de l'hystérie convulsive vulgaire, régulière, sont bien moins»
tenaces, moins inaccessibles que ne le sont, dans leur monotonie désespérante,
la toux, l'aboiement hystérique et aussi le bâille :nent. — Il s'agit là, en
somme, d'un de ces cas où il y aurait avantage, si faire se pouvait, ainsi que
Ta bien montré M. le P' Pitres, à favoriser le développement des attaques,
dans l'espoir de changer le cours des choses et de rendre la maladie^dans son
ensemble, plus accessible à l'influence des moyens thérapeutiques.
Pour le moment, les attaques, chez notre sujet, sont, en quelque sorte, à 1 étal
rudimentaire. Tout à coup la malade ressent des étouffements, il lui semble
qu'une boule lui monte du creux épigastrique à la gorge ; puis surviennent des
bourdonnements d'oreilles, des battements dans les tempes.
Il est intéressant de remarquer qu'au moment où ces phénomènes appa-
raissent, les bâillements cessent [momeiïïânément (antagonisme entre les
attaques et les bâillements). Souvent les choses ne sont pas poussées plus loin ;
cependant quelquefois il y a rigidité convulsive des membres, porte de
— 8 —
connaissance qui peut durer un quart d'heure et plus. Souvent, la malade,
après les attaques, tombe dans un profond sommeil.
Voilà certes une série d'accidents qui, au premier chef, révèlent l'hystérie.
Mais ce n'est pas tout : les stigmates permanents sont, chez notre sujet, parfai-
tement accentués et caractéristiques. Je me bornerai à en faire l'énumération
sommaire :
i'' Anesthésie cutanée très accentuée sur toute l'étendue du membre supé-
rieur droit, répandue sur le tronc en avant et en arrière, comme il est indi-
qué sur la figure n° 6 (A. B.);
Fi{,'. 6. — État de la sensibilité chez Ler (8 septembre 1888.)
2" Abolition presque absolue du goût et de l'odorat des deux côtés;
3" Diminution de la sensibilité pharyngée;
0 —
A" Dyschromatopsie du c6Ui droit : le rouge et le jaune sont seuls perçus
nettement ;
5° Enfin il existe un rétrécissement du champ visuel à peu près égal des
deux côtés ( Fig. 8 et 9).
ms
Fig-, 7. — État du champ visuel chez Ler (8 septembre 4888.)
Inutile d'insister: il est clair que les accidents divers que présente notre ma-
lade sont hystériques et que tout, chez elle, est hystérique.
Quel pronostic porter sur ce cas? — H y a des ressources: à un âge plus
avancé, chez la femme, l'hystérie accentuée est beaucoup plus tenace, plus
persistante, quelquefois incurable.
Je me réserve de vous exposer, dans une autre occasion, le traitement que,
dans un caè de ce genre, je me propose de mettre en œuvre. Actuellement, je
veux diriger votre attention sur un autre côté de la question.
2^ Malade.
Tout à rheure, je vous rappelais le fait bien connu que le Millrmmt o>t un
phénomène contagieux par excellence, alors même qu'il s'agit du bâillement
— 10 —
physiologique s'opérant en présence de gens qu'on a de bonnes raisons de
considérer comme indemnes de toute tare nerveuse.
Eh bien, je tiens à vous rendre, à présent, témoins d'une petite expérience
qui vous fera bien comprendre, j'espère, comment, dans un milieu conve-
nablement adapté, le bâillement pathologique pourrait devenir contagieux au
point de se répandre, en quelque sorte, épidémiquement.
Vis-à-vis de la malade dont je viens de vous conter l'histoire, je vais placer
un autre sujet que quelques-uns d'entre vous connaissent très certainement
comme présentant les phénomènes typiques de ce que j'appelle le grand hypno-
tisme. Avant d'entrer dans la salle_, on l'a mise, comme nous disons, en état de
somnambulisme. Nous nous assurerons qu'elle est bel et bien endormie, légi-
timement endormie en faisant apparaître chez elle le phénomène somatique qui
caractérise la période en question. Un simple frôlement d'un membre, une
f)asse faite à distance au voisinage immédiat de ce membre, suffît pour déter-
miner cette forme de contracture que nous avons désignée sous le nom de
« contracture somnambulique ». On ne saurait s'entourer de trop de garanties
dans un domaine où la simulation et l'illusion sont choses banales, et c'est pour-
quoi nous continuons et nous continuerons dans nos études, à ne nous adresser
jamais qu'aux sujets susceptibles d'entrer dans le grand hypnotisme et chez
lesquels, par conséquent, toute possibilité d'une intervention volontaire de
la part du sujet mis en expérience, peut être écartée.
Si, messieurs, pendant la démonstration qui précède, nous avons pu résister
les uns et les autres à la contagion du bâillement, — ce do^it nous pouvons
nous féliciter mutuellement, — c'est que nous avons en nous un pouvoir d'iu-
Idbilion que ne possède pas notre somnambule artificielle. Chez celle-ci le
phénomène du moi — c'est là un grand caractère de l'état psychique de ces
somnambules — est obnubilé ; tout contrôle est perdu à l'égard des impres-
sions venues du dehors et les suggestions s'imposent sans résistance. Eh bien,
vous le voyez, tandis que notre malade n** 1 continue à bâiller comme tout
à l'heure, à intervalles égaux, le n° 2, c'est-à-dire la malade somnambulisée,
fait mine de vouloir résister à la contagion, mais sa résistance est bientôt
vaincue : la voilà qui se met à bâiller, elle aussi, malgré tous ses efïorts eu
sens contraire. Ses bâillements sont plus forts, même, plus bruyants que ceux
de la malade qui lui sert de modèle ; ils sont également séparés par des dis-
tances à peu près égales. Cependant, il ne faudrait pas aller jusqu'à voir là une
imitation absolument parfaite. Il vous suffira, en effet, de jeter un coup d'œil
sur le tracé des bâillements de la somnambule recueilli par nous hier (fig. 5),
dans une expérience semblable à celle dont nous vous rendons témoins aujour-
d'hui, pour reconnaître qu'il ne concorde pas absolument, mathématiquement,
si l'on peut dire, avec les tracés relatifs à la malade n° 1. Il s'agit là d'une
imitation par approximation et non pas d'une imitation servile.
Quoi qu'il en soit, messieurs, si nous supposons, dans un couvent, dans un
— 11 —
pensionnat, un certain nombre de jeunes filles placées, par suite de circons-
tances spéciales, dans un état psychologique se rapprochant plus ou moins
de l'état mental hypnotique-somnambulique, vous comprendrez facilementque
la présence, dans un pareil milieu, d'un sujet atteint de toux, d'aboiement ou
de bâillement nerveux, puisse devenir le point de départ d'une véritable épi-
démie.
(La somnambule étant réveillée, M. Charcot fait remarquer qu'elle continue
à bâiller comme tout à l'heure.)
M. Charcot : Qu'avez-vous donc à bâiller ainsi ?
La malade : Je ne sais pas, je n'y comprends rien ; j'ai probablement très
mal dormi cette nuit.
M. CuARcoT : Elle pourrait ainsi continuer, comme le fera l'autre, le n" 1, à
bâiller toute la journée. Nous ne voulons pas la condamnera ce supplice.
Pour la délivrer, nous la plongerons comme tout à l'heure dans l'état somnam-
bulique et alors il nous sera facile, à l'aide de la suggestion, de la ramener à
l'état normal.
(Les malades n° 1 et n" 2 sortent delà salle ; une troisième malade est intro-
duite.)
3^ Malade.
Ce matin, messieurs, à la consultation externe, s'est présentée une malade
dont je vous ai déjà entretenu l'an passé {Leçons du Mardis 10' leçon, 7 fé-
vrier 1888, p. 193). Il y a un peu moins d'un an.
Il s'agit d'un cas de dyspnée hystérique. Je vous ai fait remarquer, dans ce
temps-là, que notre malade, alors âgée de vingt ans, était israélite, et je rele-
vais, à ce propos, combien,, dans la race, les accidents nerveux de tout genre,
entremêlés le plus souvent avec des symptômes arthritiques, tels que migrai-
nes, rhumatismes articulaires, eczémas, goutte, diabète, etc., se montrent
incomparablement beaucoup plus fréquents qu'ailleurs.
J'ai récemment constaté le fait une fois de plus, dans des conditions parti-
culièrement favorables à la démonstration, lors d'une petite incursion que j'ai
faite, l'an passé, au Maroc. Là, à Tétouan, près de six mille Juifs, chassés
d'Espagne il y a trois siècles, vivent depuis lors, strictement claquemurés
dans un Ghetto. Les mariages consanguins y sont la règle et, par conséquent.
les influences héréditaires accumulées, s'y développent et agissent dans toute
leur énergie. Si bien, que^ dans un court espace de temps, il m'a été permis.
- 12 —
sur une population en somme très restreinte, de reconnaître maintes fois les
nombreux méfaits des diathèses arthritique et nerveuse entrant en combinaison.
Mais c'est là un sujet sur lequel je reviendrai, je pense, avec plus de
détails quelque jour, et que j'espère alors pouvoir traiter dans les règles ; car
il s'agit ici, vous l'avez compris, d'une curieuse et instructive étude de patho-
logie comparative.
J'ai insisté autrefois, dans la Leçon à laquelle je vous prie de vous reporter,
sur les antécédents héréditaires très chargés, relevés chez notre malade ; je
n'y reviendrai pas aujourd'hui. Qu'il me suffise de vous dire ce qui s'est passé
chez elle depuis un an; d'ailleurs, en somme, les accidents d'aujourd'hui
ne diffèrent en rien d'essentiel de ce qu'ils étaient lors de la première démons-
tration.
La respiration est actuellement^ comme elle l'était alors, extrêmement pré-
cipitée ; vous pouvez le constater de visu, vous pouvez le reconnaître mieux
encore sur le tracé que je vous présente et qui a été recueilli en suivant la
méthode de Marey (Fig. 8 et 10).
Fig. 8. — Dyspnée hystérique. MsivieB Respiration extrêmement fréquente et très superficielle.
Nous comptons, à peu près, de 170 à 180 respirations par minute. Tout
cela se fait silencieusement et sans bruit, La malade ne semble pas anxieuse,
bien que les inspirations soient peu profondes ; elle ne souffre véritablement
pas et on ne constate chez elle aucune trace de cyanose, contrairement à ce
qui aurait lieu certainement s'il y avait véritablement dyspnée avec anoxémie.
Il n'y a pas d'accélération non plus du pouls (60 à 80 par minute). L'ausculta-
tion montre d'ailleurs que l'inspiration et l'expiration sont parfaitement
libres et, à part la fréquence, dénuées de toute anomalie, de telle sorte que la
dénomination de tachypnée conviendrait incontestablement beaucoup mieux
que celle de dyspnée, pour caractériser cette accélération hystérique des
mouvements respiratoires.
La précipitation des actes d'inspiration et d'expiration est d'ailleurs, chez
notre malade, un phénomène de l'état de veille, comme le sont beaucoup
d'autres symptômes hystériques du même genre : le sommeil les supprime
complètement. Dans la journée, même à l'état de veille, la tachypnée n'est pas
absolument toujours présente ; il y a des temps de répit plus ou moins longs.
Elle se montre par accès qui durent de deux à trois ou quatre heures et qui
semblent à peu près toujours inaugurés par une période prodromique mar-
quée par des symptômes qui rappellent l'aura de l'hystére convulsive. 11 semble
— la -
alors à la malade qu'elle ressent une constriction à la gor^'e, suivie de bour-
donnements d'oreille, de battements dans les tempes, et peu après se montre
l'accéb'ration des mouvements respiratoires. — L'attaque se termine souvent
par des pleurs, comme se termine Tattaque d'hystérie vulgaire, et en somme
il n'est guère douteux que l'accès dyspnéique représente, en quelque sorte, une
attaque hystérique transformée.
Dans ce cas, point de stigmates, c'est-à-dire pas d'anesthésie cutanée, pas
d'ovarie, pas de troubles sensoriels, etc. Le symptôme sur lequel j'appelle votre
attention est donc à peu près solitaire. C'est l'occasion de relever une fois de
plus la ténacité des accidents d'hystérie mon^symplomalique.W y a, en effet, près
d'un an que durent les choses, malgré qu'un traitement rationnel assez suivi
ait été mis en œuvre, et rien n'annonce qu'eiies doivent changer prochaine-
ment.
¥ Malade (Homme de 39 ans).
Un quatrième malade est introduit dans la salle, c'est un homme d'une
quarantaine d'années, d'origine polonaise, non israélite.
M. Charcot : Voici un malade qui s'est présenté à nous ilyaquelquesjours.il
est facile de reconnaître chez lui l'existence du tic convulsif de la grande espèce.
A côté du petit tic convulsif vulgaire, il faut placer le grand tic, caractérisé
par des mouvements convulsifs, complexes, quelquefois très étendus, et notre
malade offre justement un ensemble du dernier genre. Le tic convulsif passe
encore assez généralement pour une affection à laquelle il n'y a pas lieu d'atta-
cher une très grande importance ; c'est à tort, et je vous engage, toutes les fois
que vous serez consultés par un tiqueui\ de ne pas vous arrêter aux phéno-
mènes extérieurs et à y regarder d'un peu près. Vous avez toutes chances, en
poursuivant chez le sujet l'analyse dans une certaine direction, de relever un
certain nombre de phénomènes psychiques fort intéressants et dont vous n'au-
riez sans doute pas soupçonné l'existence au premier abord. C'est ce dont vous
deviendrez convaincus, chemin faisant, par l'étude du malade que j'ai appelé
devant vous.
Vous connaissez bien le tic convulsif, léger, vulgaire, comme je l'appelais
tout à l'heure; il consiste habituellement en une occlusion rapide, comme élec-
trique des paupières, souvent compliquée d'une rapide torsion de la télé vers
une des épaules, qui s'élève aussi tout à coup rapidement. Autrefois, vers l'âge
de ([uaturze ou quinze ans, notre homme n'avait (jue ce tic-là; aujourd'hui,
— 14 —
comme vous allez le reconnaître, les choses ont bien changé : elles ont con-
sidérablement empiré. Les anomalies de mouvement se sont étendues, géné-
ralisées et sont devenues énormes.
Veuillez remarquer, messieurs, que les mouvements des tiqueurs, quelque
complexes et bizarres qu'ils soient, ne sont pas toujours comme on le croit
trop souvent, déréglés, incoordonnés, contradictoires au premier chef. Ils sont,
en général, au contraire, systématisés, en ce sens qu'ils reparaissaient tou-
jours les mêmes chez un même sujet et de plus, fort souvent au moins, en
les exagérant cependant, ils reproduisent certains mouvements automatiques
d'ordre physiologique appliqués à un but. Parmi les tiqueurs, les uns semblent
vouloir expulser par une brusque expiration nasale un corps étranger engagé
dans le nez; les autres, à l'aide de ce mouvement d'occlusion brusque des pau-
pières, que vous connaissez, semblent vouloir protéger leurs yeux contre
l'invasion d'un corps étranger; un autre encore se gratte comme pour com-
battre la sensation d'une démangeaison intense, etc., etc.
Pour ce qui est de notre malade, vous le voyez par moments fléchir tout à
coup son avant-bras sur son bras et, ensuite, par un brusque mouvement
d'épaule, élever son coude vers le côté droit de la face, la tête s'inclinant
un peu en même temps du même côté, de manière à figurer l'attitude de
défense que prennent souvent les écoliers menacés de recevoir un soufflet.
Ici, vous le voyez, c'est surtout le groupe particulier de muscles innervés par
la cinquième et la sixième paire cervicales qui Jest mis en jeu, et ce même
mouvement de défense peut être produit, vous ne l'ignorez pas, par l'excitation
faradiquc d'une certaine région située au-dessus de la clavicule, correspondant
au lieu d'où émanent les deux paires susdites et qu'on désigne sous le nom Point
d'Erb. Mais le mouvement de défense en question diffère, chez notre malade,
du mouvement physiologique qu'il imite, en ce qu'il est considérablement exa-
géré, sans mesure, et surtout en ce qu'il n'est aucunement motivé par une
menace venant du dehors. La brusquerie et l'intensité du mouvement sont
tels, chez notre malade, que sa femme, d'habitude, le soir quand il se couche,
lui lie étroitement les mains à l'aide d'une corde, de façon à atténuer l'inten-
sité des mouvements de tics qui autrement le priveraient de sommeil.
La secousse du membre supérieur droit que nous venons de décrire, est sou-
vent accompagnée d'un soubresaut du membre inférieur du même côté, qui
imprime atout le corps un tressautement rappelant le mouvement de surprise
que déterminerait, par exemple, le bruit inattendu d'une explosion.
Vous voyez, sans qu'il soit nécessaire d'insister là-dessus, jusqu'à quel point
ces secousses comme électriques du tiqueur se distinguent profondément des
gesticulations lentes et permanentes des sujets atteints de la chorée de Syden-
ham. Oui, entre le tic et la chorée, il y a un abîme ; ne l'oubliez pas, car il s'agit
d'affections auxquelles on donne quelquefois, bien à tort, le même nom et dont
le pronostic cependant, est radicalement différent.
— 15 -
N'allez pas non plus rattacher, comme on le fait trop souvent, les tics à l'hys-
térie. Ce sont choses totalement différentes et il suffirait déjà pour établir une
distinction, de relever que les mouvements des tics surviennent inopinément,
à des intervalles très inégaux, et qu'on n'y constate pas, par conséquent, le
rythme et la mesure qui marquent souvent, ainsi que je le relevais il n'y a
qu'un instant, certains phénomènes hystériques.
J'en viens maintenant h la démonstration du fait auquel j'ai fait allusion
déjà en commençant ; c'est que derrière le tic se cachent, chez notre malade,
comme chez la plupart des autres du même genre, certaines perturbations
psychiques qu'il s'agit maintenant de mettre en évidence.
Vous avez pu remarquer qu'au moment où le malade est pris de son tic ner-
veux, on l'entend souvent produire un bruit laryngé : « Ah ! ah 1 ». Eh bien,
ce bruit, cette exclamation, sans signification précise, représente, en quelque
sorte à l'état de germe, une exclamation très nettement formulée celte fois et
consistant non pas seulement dans un bruit laryngé, mais bien dans l'articu-
lation d'un mot, et ce mot, messieurs, que le malade profère à haute voix d'une
façon très distincte, est, remarquez-le bien, à peu près toujours un mot gros-
sier, ordurier, ou encore un juron; dans l'espèce, chez notre malade, c'est du
mot de Cambronne qu'il s'agit : m., de.
C'est là le phénomène remarquable entre tous que M. Gilles de la Tourrette,
dans son intéressant travail sur la maladie des tics {Archives de Neurologie), a
ingénieusement désigné sous le nom de coprolalie.
Je pourrais citer plusieurs exemples où l'exclamation est encore moins simple,
moins brève que chez notre sujet d'aujourd'hui. La marquise de X..., dont
Itard a rapporté l'histoire en 1825, criait, involontairement, bien entendu, tuut
haut, très distinctement, — j'en ai été témoin plusieurs fois dansun lieu public,
— les mots suivants : « F. .tu cochon, m. .de, nom de D..u! » — Une jeune
fille âgée de quinze ans, appartenant à l'une des premières familles de la ville
de X..., jeune fille fort bien élevée, du reste, très instruite, excellente pianiste,
dont l'histoire m'a été communiquée par M. le professeur Pitres, laissait échap-
per bruyamment les mots qui suivent : «Va-t'en, imbécile, n.. de D..., f...re,
m.. de. » Quelquefois, ces mots, elle les disait tout bas, mais alors elle n'y
éprouvait pas de soulagement et il lui fallait, pour que la crise se terminât, les
exclamer à haute et intelligible voix.
Où M™* la marquise de X... et M'" X... ont-elles trouvé l'occasion d'ap-
prendre à connaître tous ces gros mots? Il est très probable que la coprolalie
n'est souvent que de l'écholalie, ce qui semble le bien établir, c'est que cette
même demoiselle X... dont il est question, changeait quelquefois ses exclama-
tions articulées, ordurières, contre une espèce d'aboiement qui imitait d'une
façon presque servile le jappement de son chien favori. Un jeune garçon russe
qui est venu récemment me consulter avec sa mère, entremêlait devant moi ses
tics convulsifs avee des cris fort singuliers paraissant exprimer la douleur. La
— 16 —
mère m'apprit que ces cris étaient l'imitation exacte de celui qu'elle avait laissé
échapper elle-même un jour devant l'enfant, au moment où elle s'était piqué
un doigt en travaillant à la machine à coudre.
Mais j'en reviens à la coprolalie et je terminerai par l'exemple d'un pauvre
petit tiqueur âgéde douze ans à peine qui fréquentait il y a quelques années
la consultation de la Salpêtrière. 11 laissait, lui aussi, sortir bruyamment,
même en pleine rue, des mots orduriers : « M.. de, cochon, m.. de. » Mal lui en
prit un jour que regardant des gamins jouer à la fossette, il ne put retenir ses
exclamations. Celles-ci lui valurent, de la part des gamins qui se croyaient
insultés, une rude et injuste correction.
Ces exemples pris sur nature suffisent déjà sans doute pour vous faire com-
prendre que la coprolalie nous conduit en plein domaine psychopathique.
Souvent, le plus souvent peut-être, — c'est ce dont vous pourrez vous con-
vaincre par la lecture d'un travail de M.Guinon, qui vient compléter à quelques
égards celui de M. Gilles de la ïourrette, — les tiqueurs, les grands tiqueurs
principalement, ainsi que je l'ai depuis longtemps fait remarquer, sont placés
sous le régime mental des idées fixes, obsédantes,, impulsives, comme vous
voudrez les appeler. Il est clair qu'ici, le trouble survenu dans le mécanisme
de l'idéation, reproduit en quelque sorte le phénomène duticconvulsif, et l'on
pourrait dire, par conséquent, que, chez ces sujets-là, le tic moteur est doublé
d'un tic d'idées.
La proposition que je viens d'émettre trouvera, comme vous allez le recon-
naître, sa justification chez notre malade. Nous allons, en effet, observer chez
lui un certain nombre de marques, on stigmates psychiques, comme M. Magnan
les appelle dans son enseignement, qui le placent dans la catégorie des dégé-
nérés, ou, autrement dit, des déséquilibrés. Je préfère l'emploi de cette der-
nière dénomination parla simple raison que fort souvent, parmi ces prétendus
dégénérés, on rencontre, à côté de certaines anomalies psychiques quelquefois
bien effacées, des qualités intellectuelles de premier ordre.
M. CuARcoT [au malade) : Voulez-vous nous parler de ce qui vous arrive lors-
qu'il s'agit pour vous de cacheter une lettre que vous venez d'écrire, ou encore
de la mettre à la poste ?
Le MAIADE : Je cachette bien la lettre, en général, je mets l'adresse et je
vais la porter à la poste. Mais lorsque je veux la mettre dans la boîte, j'hé-
site et je la retire quatre ou cinq fois de l'ouverture, avant de l'y laisser
tomber. Lorsqu'elle m'a définitivement échappé des mains, j'éprouve une
grande émotion.
M. Ciiahcot: Kh bien, vous avez compris par là de quoi il s'agit : l'ince
titude règne dans son esprit. H a des scrupules. L'adresse est-elle bien mise?
Aurait-il laissé échapper, en écrivant, quelque chose d'incorrect, de compro-
mettant?
U>iel(pu'fois il (b'chachette la lettre déjà fermée et la relit plusieurs fois
— 17 —
avant de lu cacheter (l«'finitivement. Sans doute, nous avons tous, plus ou
moins parfois, dans les mêmes circonstances, de ces doutes, de ces scrupules;
mais ils se présentent à nous à l'état d'idées faibles «pie nous refoulons faci-
lement, sans émotion. C'est rexaiï(''ration de ce plu^nomène physiologHiue,
l'émotion qui l'accompagne parfois, l'intensité de l'idée, son caractère irré-
sistible, (jui constituent l'état pathologi([ue.
M. C\\A\{COT {au mftladp) : Racontez-nous, s'il vous plaît, ce (fue vous nous avez
dit l'autre jour, relativement aux rasoirs.
Lk maladk : Kb bien, lors(pie je vois un rasoir ou un couteau, je tressaille,
j'ai peur. Il me vient à l'idée que je pourrais tuer quelqu'un ou me tuer moi-
même, et cela me cause une très grande émotion. Il en est de même lorsque je
vois un fusil, ou seulement lorsqu'il me vient à l'esprit l'idée d'un fusil. Cette
simple pensée me rend anxieux au plus liant point. Il me vient à l'idée que je
pourrais tuer quelqu'un et,jusqu'à un certain point,je ressens l'envie de le faire.
J'ai aussi une manie qui me trouble beaucoup: il me prend souvent une envie
irrésistible de battre quelqu'un, et c'est surtout à la vue d'un cocher de fiacre
que je me sens poussé à cela. Pourquoi les cochers de fiacre plutôt que les
autres, je n'en sais absolument rien.
M. GuARcoT : C'est assez, je vous remercie, vous pouvez vous retirer.
[Aux auditeurs): Vous venez d'en entendre assez, je pense, pour comprendre
que les mouvements convulsifs ne sont pas toujours, chez un tiqueur, toute sa
maladie, et que souvent derrière le tic il y a lieu de rechercher le trouble
psychique qui ne saute pas toujours aux yeux.
Or, messieurs, les troubles psychi(|ues dont il s'agit sont, dans la majorité
des cas, pour ne pas dire plus, la marque d'une tare héréditaire.
Nous avons naturellement cherché avec quelque soin si l'histoire des antécé-
dents héréditaires de notre tiqueur venait confirmer la règle. Malheureusement,
fils d'un réfugié polonais, notre malade n'a pas connu toute sa famille et il ne
peut, par conséquent, nous renseigner exactement.
Tout ce que nous pouvons en tirer, concernant le point de vue étiologique.
c'est une histoire qui pourrait bien n'être qu'une légende et que je vais vous
transmettre, néanmoins, telle qu'il me l'a donnée. Il prétend que sa mère, étant
grosse^ était au service d'un banquier qui souffrait de tics épouvantables 1 Ce
serait là, suivant lui, l'origine de sa maladie : mais le banquier tiqueur était-il
en outre coprolalique et sous le coup des idées fixes ? — Voilà, bien entendu,
ce qu'il ne saurait vous dire.
Certes, messieurs, je ne suis pas affligé de cette disposition d'esprit, peu
scientifique, selon moi, qu'on pourrait appeler le scepticisme arbitraire, mais
j'avoue que cette fois je suis presque invinciblement porté à penser que ce n'est
pas dans cette impression reçue par sa mère pendant sa grossesse qu'il faut
aller chercher la -cause de l'aflection dont souffre notre malade.
Policlinique du Mardi 30 Octobre 1888
DEUXIEME LEÇON
1®^ Malade. — Sur un môme sujet : sciatique avec déformaiion
spéciale du tronc; à la suite d'un coup reçu sur le front,
Neurasthénie et Hystérie.
2® Malade. — Chorée paralytique chez un enfant de huit ans ;
hérédité arthritique et névropathique.
1"' Malade
M. GnARCOT : Le premier malade que nous allons étudier ensemble
aujourd'hui est un homme de 33 ans, un pauvre hère s'il en fût, dénué de tout
ou peu s'en faut, même d'intelligence. En vérité, il n yapasde sa faute, maintes
fois il a essayé d'apprendre à lire, à l'école de son village d'abord, puis, plus
tard, au régiment. Il n'a jamais pu y parvenir ; vous verrez plus tard l'intérêt
qu'il y a pour nous à connaître ces détails; pour le moment, dirigeons notre
attention d'un autre côté.
Aujourd'hui, le malade se présente à nous comme atteint d'une douleur
occupant le trajet du nerf sciatique gauche, datant de cinq ans environ ; douleur,
peut-être, actuellement amoindrie, mais qui entretient encore à l'heure qu'il
est une boiterie très marquée. S'agit-il bien là d'une sciatique? c'est ce que
nous allons avoir à rechercher.
Je vais prier le malade de se déshabiller. Lorsqu'il se sera dépouillé de ses
vêtements, nous serons bien mieux placés en mesure d'observer chez lui les
caractères d'une attitude particulière du corps, d'une déformation spéciale
sur laquelle je désire appeler votre attention, parce qu'elle est très peu connue
encore, si je ne me trompe, des cliniciens, et qu'elle est suffisante, cependant,
à elle seule pour nous mettre sur la voie du diagnostic.
Je ne saurais trop vous engager. Messieurs^ surtout quand il s'agit de neuro-
3
— 20 —
pathologie, à examiner les malades nus toutes les fois que des circonstances
d'ordre moral ne s'y opposeront pas.
En réalité, Messieurs, nous autres médecins, nous devrions connaître le nu
aussi bien, mieux même que les peintres ne le connaissent. Un défaut de dessin
chez le peintre et le sculpteur c'est grave sans doute au point de vue de Tart,
1" cas.
Scialiquo gauche.
Fi" 0
Sciatiqiic g-aiiche,
(Dessins extraits d'un article sur les DéTormations de la Slaliquc, in Arch, de Neurologie
L. 15, 1888, obs. p. 12.)
— 21 —
mais en somme cela n'a pas au point de vue pratique de conséquences majeures.
Mais que diriez-vous d'un nii-decin ou d'un chirurgien, qui prendrait, ainsi
que cela arrive encore trop souvent, une saillie, un relief normal pour une
déformation pathologique ou inversement? Pardonnez-moi cotte digression qui
suffira peut-être pour faire ressortir une fois de plus la nécessité pour le méde-
cin comme pour le chirurgien, d'attacher une grande importance à l'étude
médico-chirurgicale du nu. Bientôt, je l'espère, nous serons en possession d'un
grand ouvrage orné de planches admirables, faites d'après nature, où vous
2" cas.
Fiff.lO.
Attitude tkins la Sciatiquc gauche.
Attitude dans la Sciatique gauche.
— 22 —
trouverez cette partie de notre science traitée avec tous les détails qu'elle com-
porte. C'est à M. le D"" Richer, mon chef de laboratoire, plusieurs fois
mon collaborateur, que sera dû ce monument où l'on verra, pour le plus
grand profit de tons, l'art et la science marcher de concert et se donnant la
main.
Mais il s'agit d'en revenir à notre homme ; le voilà complètement nu ; notre
salle est justement surchauffée comme le serait un atelier de peintre; nous
pouvons examiner le malade tout à loisir, sans le souci de commettre un acte
d'inhumanité. Avant de concentrer notre attention sur lui, veuillez jeter les
yeux sur les dessins que j'ai fait i>lacer devant vous; ils représentent justement
cette même déformation que je veux vous faire reconnaître chez notre homme^,
observée cette fois sur deux autres sujets atteint de la même affection (fig. 9 et
fig. 10). Cette déformation sur laquelle j'inciste actuellement et dont vous
pouvez saisir maintenant les caractères^, en consultant tour à tour les dessins
puis l'homme nu, cette déformation, dis-je, est bien remarquable, bien facile
àsaisir. Elle sauteauxyeux en quelque sorte. Elle a dû se présenter à moi, bien
des fois, car je vous assure qu'elle n'est point très rare.
Eh bien, Messieurs, il arrive que je l'ai remarquée seulement il y a deux ans,
pour la première fois, et je ne sache pas qu'avant moi elle ait été indiquée
explicitement par d'autres(l). Singulière faiblesse de nos facultés d'observation
qui fait que nous ne voyons pas les choses cependant parfaitement visibles sans
le concours d'une adaptation particulière de notre esprit. Une fois la chose vue
et bien vue, il est facile d^apprendre aux autres à la voir à leur tour. Mais le
tout est de la voir une première fois.
Yu de dos le sujet nous montre le tronc assez fortement incliné sur la
droite, l'épaule de ce côté est tombante; l'épine offre une déviation par suite
de laquelle dans la moitié inférieure elle offre une concavité regardant à
droite et inversement dans la moitié supérieure ; la main droite, le bras étant
pendant, descend beaucoup plus bas que lagauche ; à gauche le membre inférieur
est légèrement lléchi. Je vous ferai remarquer, en passant, que de ce côté, le
talon, dans la station debout est légèrement relevé, il ne porte pas sur le sol;
c'est là dans l'espèce une anomalie sur laquelle j'aurai à revenir.
Actuellement nous considérerons le sujet vu de face et nous constaterons
l.M. le profcssciu' Erh, d'Hcidelberg, dans une lettre publiée parle Neurologisches Cenlral-
blatt (.n" 24, 1888, p. 681)) nous fait eonuaîirc qu'il avait lui-môme depuis longtemps remarqué
l'allitude sp(l'ciale que prennent certains sujets atteints de sciatique, que d'ailleurs il existe,
dans la « Wiener med. Presse 1886, n"* 26 et 27, un travail sur la matière datant de 1886 'et
appartenant à M. C. Nicoladoni. Le mémoire de M. Nicoladoni est intitulé : « Ueber eine arides
ZusaminenJiançjes zwisahen hchias und Scoliose ». Un second cas du même genre se trouve
paraît-il, dans le même journal 1887, n» 39. La note de M. Nicoladoni publiée en 1886 était
restée abioluincnt ignorée do M. (liiarcot lors de sa première observation sur ce sujet,
laquelle date de septembre 1886.
— 23 —
une fois de plusTinclinaison très prononcée du tronc vers la droite, la chute
de l'épaule droite, etc., etc.
Eh bien voilà, Messieurs, une attitude spéciale incontestablement assez
frappante. J'ajouterai qu'elle offre pour nous un intérêt prati(iue très particu-
lier ; c'est qu'en effet elle paraît appartenir en propre à certaines formes d'une
affection d'ailleurs fort vulgaire puisque c'est de la sciatique qu'il s'agit. Je
ne dis pas, remarquez-le bien, qu'elle existe dans toute sciatique. Je suis même
porté à penser qu'elle ne s'y voit qu'exceptionnellement et surtout, bien que
non exclusivement, dans la forme intense. Ce que je tiens à relever, c'est que
lorsqu'elle existe vous pouvez, presque à coup sûr, affirmer qu'elle est liée à
une sciatique, à une sciatique grave, de longue durée, le plus souvent mais
non toujours, et que cette sciatique existe sur le membre opposé au coté vers
lequel a lieu l'inclinaison du tronc. L'inclinaison ayant lieu vers la droite,
dites que la sciatique occupe le membre inférieur gauche, et inversement si
l'inclinaison du tronc a lieu vers la gauche.
Bien des fois il m'est arrivé en me fondant sur la connaissance de ce genre
de déformation, d'affirmer à distance non seulementl'existence delà sciatique,
mais encore de localiser l'affection sur l'un ou l'autre côté du corps.
Pour plus de détails relatifs à ce genre de déformation, je vous engage à
consulter un mémoire de mon ancien chef de clinique M. le docteur Babinski,
où la question est traitée avec grand soin.
Ce travail a été publié dans les Archives de neurologie pour 1888.
Vous verrez là que la déformation peut être quelquefois relativement énorme
comparée à celle d'aujourd'hui et conduire l'observateur non prévenu à penser
qu'il existe quelque grave lésion vertébrale.
Quoi qu'il en soit, elle est suffisamment prononcée chez notre malade d'aujour-
d'hui pour que vous puissiez la reconnaître pour ce qu'elle est, et je suis con-
vaincu que vous avez été amenés déjà par les indications que je viens de vous
fournir à admettre qu'il s'agit chez notre homme d'une sciatique gauche.
Eh bien, actuellement il faut établir par une étude régulière qu'il en est bien
réellement ainsi. Notre malade est-il bien et dûment atteint d'une sciatique
gauche et de quel genre de sciatique est-il affecté? Voilà, je le répète, ce qu'il
convient de déterminer actuellement.
Remarquez d'abord les précautions que prend notre patient quand il s'agit
de s'asseoir. 11 ne s'assied pas sur la fesse du côté gauche, parce que cela
exaspère sa douleur, il s'assied sur la fesse droite.
Vous remarquez encore que lorsqu'il s'agit de se lever, c'est ce même mem-
bre inférieur droit qui presque exclusivement fonctionne, et en somme l'atti-
tude spéciale du corps que je signalais tout à l'heure à votre attention paraît
n'être qu'une attitude instinctive dont le but est de diminuer autant que pos-
sible le travail du membre où siège la douleur en faisant porter sur d'autres
membres le poids du corps.
— 24 —
Un autre fait encore qui frappe les yeux, c'est l'amaigrissement relatif que
présente ce môme membre inférieur gauche dans toutes ses parties, cuisse et
jambe surtout. — La différence, à cet égard, entre les deux membres, est de
plus d'un centimètre ; évidemment, d'après cela, si c'est bien d'une sciatique
qu'il s'agit, c'est d'une sciatique ancienne, ou pour le moins d'une sciatique
grave (sciatique neuritique).
Mais il sera intéressant^ je crois, d'entrer ici dans une courte digression
relative à l'histoire de la pathologie de la névralgie sciatique. Cette histoire,
veuillez le remarquer, Messieurs, contrairement à ce que quelques-uns d'entre
vous pourraient croire, n'est pas de date très ancienne.
C'est en effet seulement en 1764 que le Napolitain Gotugno, célèbre anato-
miste et clinicien, fit reconnaître qu'il fallait séparer foncièrement r« Ischias
arthrltica » de ï « Ischias nervosa » et que dans ce dernier groupe il y avait
lieu de distinguer encore 1' « Ischias nervosa antica » (névralgie crurale), de
r « Ischias postica » laquelle répond à ce que nous appelons, nous, commu-
nément aujourd'hui « la sciatique » ou « névralgie sciatique ». Il ne fallait
rien moins alors, qu'un anatomiste doublé d'un clinicien pour déterminer
exactement le siège de l'alïection douloureuse à laquelle il serait juste, comme
on l'a fait quelquefois, d'appliquer le nom de maladie de Cotugno (Dom.
Gotunii, opuscula medica. T. H, p. I. De ischiade nervosa. — Na-
poli 1827).
L'histoire clinique del'afïection dont il s'agit n'a pas après Cotugno, pendant
de longues années, sérieusement progressé. Il faut arriver jusqu'à Valleix pour
voir la question du diagnostic des névralgies s'enrichir de la notion des points
douloureux. On peut reprocher à Valleix. cependant, d'avoir, pour ainsi dire,
voulu couler dans le même moule toutes les névralgies quelque fût leur siège
sans reconnaître suffisamment ce que l'histoire clinique de chacune d'elles pos-
sède de spécial, et on peut ajouter d'inattendu pour celui qui ne voudrait
considérer dans la névralgie occupant un nerf donné que ce que l'anatomie et
la physiologie classiques de ce nerf peuvent lui apprendre.
En dehors du siège douloureux, combien de différences profondes, radi-
cales môme parfoiS; relatives à l'évolution, au pronostic, méritent d'être
signalées cliniquement entre le tic douloureux et la névralgie sciatique par
exemple^, ou encore la névralgie brachiale. Oui^, on peut l'affirmer, chaque
espèce de névralgie a son histoire naturelle à part qu'il faut apprendre à
^connaître, telle qu'elle est, et il ne suffit pas pour être renseigné sur une
« névralgie » donnée, de lui appliquer schématiquoment les caractères que les
névralgies diverses, comparées entre elles, peuvent avoir en commun.
C'est ici que l'intervention de Lasègue (1) me paraît avoir été décisive au
1. Ch. Lasègue. Considcralions sur la scialiquc, in Archiv. générales de Médecine, p. 585,
18Ù4, t. II.
— 55 —
premier chef, et bienfaisante en proclamant une fois de plus la prépondérance
légitime, et nécessaire, trop oubliée parfois cependant^ de la méthode clini-
({uc dans toutes les ([iicstions de ce genre. Il a bien fait ressortir ce qu'à ce
point de vue, la névralgie du nerf sciati(pie présente vis-à-vis des autres
espèces du groupe, de spécial, d'original même.
C'est à lui qu'on doit aussi d'avoir nettement accusé l'existence de doux for-
mes bien distinctes de l'affection : l'une relativement bénigne, queb{ue
intense et douloureuse qu'elle puisse être, c'est la névralgie proprement dite;
l'autre maligne, grave au premier chef, dans laquelle la douleur occupe le
nerf en quebpie sorte d'une façon permanente et n"y sévit plus seulement par
paroxysmes; forme lente, chronique par exemple, marquée souvent par l'ac-
compagnement de troubles trophiques de siège musculaire ou cutané et où
l'affection paraît devoir être rattachée non plus cette fois à des lésions insai-
sissables à nos moyens d'investigation mais bien à une véritable lésion orga-
nique plus ou moins profonde du nerf sciatique lui-même.
Je ne veux pas négliger de vous rappeler en passant que la distinction
nécessaire esquissée par Lasègue entre la Sciatique névralgie et la Sciatique
névrite a été rendue plus accentuée encore et plus évidente par une série
importante d'observations ad hoc qu'on doit à M. Landouzy (1).
Je ne saurais trop vous engager à prendre lecture des divers travaux que je
viens de signaler à votre attention ; vous n'en saurez jamais trop sur l'his-
toire de la sciatique car il s'agit là, ne l'oubliez pas, d'une de ces affections
vulgaires que l'on rencontre à chaque pas dans la pratique.
J'en reviens maintenantà notre cas.Ehbien, il n'est pas douteux qu'il s'agisse
là d'une sciatique grave, d'une sciatique névrite. La maladie en effet dure
depuis cinq ans déjà, ayant présenté pendant cette longue période des hauts et
des bas. La douleur aujourd'hui étant devenue à peu près permanente ; l'amai-
grissement, l'émaciation du membre, bien qu'il n'existe dans les muscles
atrophiés, actuellement du moins, aucune trace de réaction dégénérative, peut
bien être considéré comme la conséquence des troubles trophiques qui accom-
pagnent la névrite.
Enfin l'existence passée, relevée par l'observation, d'une éruption de zona
occupant le trajet du nerf douloureux plaide absolument dans le même
sens.
Voilà des circonstances qui, je pense, ne laissent planer aucun doute sur le
caractère particulier de la sciatique. En dehors de cela, tout est classique chez
notre homme et chez lui les points douloureux spontanément ou relevés com-
me tels occupent les lieux d'élection.
Ainsi, nous distinguons un point sacro-iliaque («), un point fessier [b), point
post-trochantérien (c), plusieurs points fémoraux [d, d, d), un point péréo-
1. Landouzy. De la Sciatique. Archives générales de médecine^ 1875.
26 —
néen (e), un point rotulien externe (qu'il ne faut pas confondre avec la dou-
leur du genou qui s'observe dans les maladies de l'articulation de la hanche),
enfin le point malléolaire externe [f)\ le point dorsal du pied manque sur ce
sujet.
Ajoutons encore les traits suivants : quand le malade est couché à terre sur
le dos et qu'on élève au-dessus du sol son membre gauche maintenu étendu,
N» 1. — Légende.
a. Aneslhésic.
b. Plaque hyslérogène.
Fig. 11.
N° 2. — Légende.
a. Point sacro-iliaque.
b. Point fessier.
c. Point post-trochantéricn.
d,d,d. Poirts fémoraux,
e. Point péronéen,
'. Point malléolaire externe.
AN. Anesthésie.
-- 27 -"
on lui fait ressentir à un moment donné une douleur vive entre le grand
trochanter et l'ischion, douleur qui résulte évidemment de la distension que
dîins cotte mana;uvre subit lo norlsciatique. An contraire, si l'on imprime au
malade reposant toujours à, terre un mouvement brusque d'abduction ou
d'adduction à la jointure, il n'y a pas de douleur produite et l'on ne perçoit
pas de craquements. Ce dernier caractère joint k l'absence de douleur rap-
portée au genou, à l'absence de douleur provoquée par la percussion du
grand trochanter, etc., etc., suffirait pour bien établir qu'il s'agit chez notre
malade de VJschias nervosa postica et nom de VIschias arthrilica.
L'attitude spéciale que présente notre homme et sur laquelle j'appelais votre
attention en commençant, pourrait, elle aussi, contribuer à fixer le diagnostic
dans les cas réguliers, classiques ; mais il y a à cet égard chez notre sujet, lieu
de signaler une anomalie à laquelle j'ai fait allusion déjà et que je ne veux pas
laisser passer inaperçue. Si vous voulez bien vous reporter au mémoire des
Archives de Neurologie publié parM.Babinski, vous verrez que la caractéristi-
que de l'attitude sciatique, fondée sur la comparaison des observations, connues
jusqu'alors, est la suivante : Inclinaison du tronc du côté opposé à la sciatique,
absence complète de soulèvement du pied du côté malade. Eh bien, Messieurs,
il convient d'apporter un correctif au second terme de laforniule ; en effet, ainsi
que vous pouvez le reconnaître chez notre malade d'aujourd'hui où l'existence
d'une sciatique régulière ne saurait évidemment être douteuse, le membre
inférieur gauche, coté de la sciatique, est demi fléchi et en même temps le
pied de ce même côté ne repose à terre que par la pointe, le talon restant
élevé de plusieurs centimètres au-dessus du sol ainsi que cela se voit dans cer-
tains cas de coxalgie organique ou encore de coxalgie hystérique.
Ce n'était donc pas apporter trop de soin dans l'étude du cas que de
nous efTorcer de fonder le diagnostic sur une analyse comparative régulière
et de ne pas nous en tenir à la seule considération do l'attitude qui, dans les
exemples classiques, est cependant si caractéristique. Ceci nous montre une
fois de plus qu'en pathologie il faut toujours compter sur le chapitre des ano-
malies et qu'il n'existe pas de signes absolument pathognomoniques.
Je terminerai ce qui concerne la sciatique de notre sujet, en vous faisant
connaître quelques détails complémentaires relatifs à la marche del'afrection;
et en même temps aux circonstances qui peuvent avoir contribué à faire naître
le mal.
V... des est sorti du régiment (il était dans les dragons) à l'ùge de 26 ans.
Il avait, au service, contracté la fièvre typhoïde; pas d'autres maladies à signa-
ler. Une fois libéré, il est entré dans un établissement de fours à plâtre où il
a travaillé pendant plusieurs années. \A il était exposé, le corps étant souvent
en sueur, à prendre des refroidissements, il couchait d'ailleurs à cette époque-
là dans une chambre humide où l'eau suintait des murs et, dans le même temps,
il commettait des excès alcooliques sur une grande échelle.
-^ 28 —
C'est vraisemblablement par l'action répétée et combinée des causes qui
viennent d'être énumérées que s'est déclarée la névralgie rebelle dont il souffre
aujourd'hui.
Celle-ci s'est déclarée pour ainsi dire tout à coup sous une forme en quelque
sorte suraiguë il y a cinq ans. Le séjour au lit à l'hôpital d'Argenteuil a été
absolu pendant environ cinq semaines ; au bout de huit semaines, le malade
a pu reprendre son travail ; mais il a toujours souffert depuis cette
époque et il n'a cessé de marcher en boitant. De temps en temps, il s'est pro-
duit quelques exacerbations du mal qui, cependant, n'ont pas nécessité un
nouveau séjour au lit ; mais, à un moment donné, notre malade mis dans
l'impossibilité de fournir un travail suffisant a dû quitter le four à plâtre pour
exercer la profession moins lucrative de terrassier. Et justement c'est alors
qu'il se livrait à des travaux de terrassement, qu'il devint victime d'un trauma-
tisme qui marque le début de la seconde partie de son histoire clinique.
Donc, il y a cinq mois, en déchargeant un wagon rempli de ballast, V...des
reçut sur le front un coup qui le renversa à terre et lui fit perdre immédiatement
connaissance. La durée de l'inconscience fut, paraît-il, de dix minutes environ.
Une plaie verticale, assez étendue et profonde, où l'on voit aujourd'hui la
cicatrice froncée sur la partie médiane du front, laissa couler beaucoup de
sang. Les jours suivants, il survint unpeude fièvre, et sous la plaie un abcès se
forma qui s'ouvrit spontanément.
C'est huit jours après l'accident en qu'îstion, alors que la fièvre avait cessé
complètement, que la suppuration avait cessé elle aussi, que la plaie était
en bonne voie do guérison, que se manifestèrent les premiers symptômes de
l'affection nerveuse dont notre homme souffre actuellement à un haut degré
et que je veux entreprendre d'étudier avec vous. Oui, depuis cette époque son
caractère a changé complètement et il n'a pas discontinué d'être sous le coup
de cette prostration et de ce découragement profonds dont il porte la marque
évidente, aujourd'hui encore, sur son visage et dans son attitude, ainsi que
vous n'aurez certainement pas manqué de le remarquer durant Texamen au-
quel nous venons de le soumettre à propos de la sciatique dont il souffre.
Eh bien. Messieurs, cette attitude tristC;, abandonnée si Ton peut ainsi dire,
cette impuissance absolue où il est, assure-t-il, deselivrerau moindre travail,
l'insomnie dont il souffre, les rêves épouvantables, terrifiants dont ses nuits
sont tourmentées, tout cela paraissant bien nettement à la suite etcomme con-
séquence d'un coup violent reçu sur le front, tous ces pliénoniènes, dis-je,
devaient nous guider dans la voie des recherches à faire pour arriver à établir
la caractéristique de l'afioction nouvelle, aujourd'hui surajoutée à la névrite
sciati([ue. Nous l'inteprogeons au sujet de ces rêves pénibles qui lui font re-
— 29 —
douter de chercher le sommeil. «Je vois, dit-ilsouvent, presque toutes les nuits
une main qui m'étreint la fj'orgc et qui m'étrangle ; alors je me réveille tout à
coup, plein d'effroi et je ne puis plus dormir. Souvent aussi, il me semble que
je suis près d'un précipice vers lequel je suis entrainé et où je tombe toujours
du côté gauche : autrefois, avant mon accident^, je ne révais jamais; depuis,
presque chaque nuit, je fais les rêves que je viens de vous dire.»
Nous mettons entre les mains du sujet qui ne présente aucune trace de pa-
ralysie soit dans les membres inférieurs, soit dans les membres supérieurs et
qui peut exécuter, à l'aide de ces membres, tous les mouvements qu'on lui
commande de faire, un dynamomètre.
L'instrument pressé aussi fort que possible donne 18, 20 de la main droite,
bien qu'il s'agisse d'un sujet admirablement musclé, autrefois fort vigoureux
et qui, dans les conditions normales, devraitdonner au moins 80".
Il y a donc à signaler déjà chez notre homme une véritable asthénie neuro-
musculaire. — Voici l'exposé d'une série d'autres phénomènes que notre en-
quête nous a permis de relever. 11 se plaint de souffrir constamment de la
tête qui lui paraît enserrée comme dans un casque de plomb, surtout dans la
région occipitale et en avant vers les bosses frontales. Il a de la confusion
dans l'esprit ; il ne se souvient plus ; sans doute il n'a jamais été une forte tête,
mais depuis l'accident il se trouve encore amoindri. — Il n'a plus de courage,
plus de volonté, plus de goût pour le travail et il se fatigue depuis sous l'in-
fluence des moindres efforts.
Autrefois, malgré sa boiterie déterminée par la névrite sciatique, il travail-
lait encore clopin-clopant tant bien que mal de son métier de terrassier; assez
pour gagner sa vie. Il était gai ou pour le moins il avait de l'entrain. Aujour-
d'hui il est abattu, morne, maussade, incapable de toute initiative. — Ajoutez
à ce qui précède qu'après les repas il se sent gonflé, tourmenté par le besoin
d'expulser des gaz; qu'alors, comme il dit, le sang lui monte à la figure et
qu'il devient comme engourdi, somnolent et vous aurez réuni un certain
nombre de caractères cliniques qui révèlent suffisamment chez notre malade
l'existence de la neurasthénie, comme on l'appelle, affection assez bien déter-
minée aujourd'hui symptomatiqucment, et qui paraît, enfin, définitivement
installée dans les cadres nosologiques.
Yous savez que le plus généralement la névrose neurasthénique se développe
à la suite d'excès de tout genre un peu prolongés, du surmenage intellectuel en
particulier; aussi chez les enfants est-ce une affection rare, parce que les
enfants ne se laissent pas surmener intellectuellement ou, autrement dit, ils
savent se soustraire à ce genre de surmenage.
Iln'enostpasdemêmedesadultes. Ainsi,quand ils'agit,àfàge del0,17,18ans,
de commencer une carrière libérale, de passer les examens, le baccalauréat,
par exemple, ou ceux qui sont exigés pour être admis dans une école spéciale,
alors la neurasthénie se montre fréquente et elle sévit souvent avec force et
- 30 —
ténacité. Chez notre malade, ce n'est évidemment pas de cette cause qu'il s'agit.
C'est le traumatisme, le choc nerveux qu'il faut invoquer ici, évidemment,
les circonstances du cas le démontrent suffisamment et d'ailleurs, le dévelop-
pement d'états neurasthéniques en conséquence d'un traumatisme ou simple-
ment d'un choc nerveux tend à devenir aujourd'hui de plus en plus un fait
de connaissance vulgaire.
Vous trouverez entre autres plusieurs exemples bien caractérisés de névrose
neurasthénique cérébro-spinale relatés dans le remarquable ouvrage de M. Page,
comme conséquences de collisions de chemin de fer, Railway spine, Railway
brain comme on dit encore (Voir H. P. Injuries of the spine and spinal cord
îvithout apparent mechanical lésion and ncrvous shock in their surgicaland medico
légal aspects. London 1885). Le choc nerveux, la commotion nerveuse, l'émo-
tion nécessairement à peu près inséparable d'un accident qui souvent menace
la vie, suffisent à produire la névrose en question ; l'action chirurgicale du
traumatisme, ou autrement dit la production d'une contusion^, d'une plaie,
ou encore d'une commotion cérébrale proprement dite, ne sont pas des
agents nécessaires pour faire apparaître le mal, bien qu'ils puissent contri-
buer à lui imprimer une forme grave. Mais au fond la maladie nerveuse
se montre toujours la même quelle que soit la cause provocatrice. J'insisterai
pour dire qu'une origine traumatique ne détermine par elle-même aucune
particularité nosographique qui permette de la distinguer des neurasthénies
développées sous l'intluence de toute autre cause, du surmenage intellectuel
par exemple. En d'autres termes^, en face des causes si diverses qui peuvent en
déterminer la production, l'espèce morbide : neurasthénie cérébro-spinale con-
serve en quelque sorte son indépendance, son autonomie, sa spécificité. C'est
là une doctrine que j'ai été conduit à adopter par l'étude d'un assez bon nombre
de faits, et que j'aurai, je pense, bien des fois l'occasion de justiher clinique-
ment dans le cours de ces leçons.
Mais, Messieurs, la neurasthénie n'est pas, tant s'en faut, la seule forme
neuropathique qui puisse se produire sous l'action des causes occasionnelles
dont nous parlions tout à Theure : traumatisme ou choc nerveux. On pourrait
dire, au contraire, qu'il n'est pas une seule des espèces composant la grande
famille nerveuse qui ne se soit pas montrée dans les conditions étiologiques
dont il s'agit. Telles sont les vésanies de tout genre, la paralysie agitante,
Tépilepsie, la chorée, etc., etc., et par-dessus tout l'hystérie, oui, l'hystérie et
principalement l'hystérie virile, plus commune, cela est facile à comprendre,
que ne l'est l'hystérie féminine dans ces conditions de traumatisme (^ue nous
signalions tout à Theure.
En somme donc, hystérie et neurasthénie, voilà les deux formes neuropathi-
ques qui s'oflrent le plus vulgairement à l'observation comme conséquence
des chocs nerveux avec ou sans accompagnement d'une lésion traumatique
chirurgicale.
— 31 -
Et, dans ces conditions-là : tantôt la neurasthénie règne seu^e, exclusive-
ment ; tantôt, au contraire, Thystérie est seule présente, tantôt enfin, l'une et
Tautre se montrent coexistantes, combinées en proportions diverses.
La connaissance des faits qui précèdent devait nous conduire à rechercher,
si, chez notre malade, la neurasthénie, fort apparente, n'était pas doublée de
symptômes hystériques cachés et latents, et que seule, une analyse métho-
dique poursuivie dans une certaine direction pouvait nous révéler.
Or, Messieurs, les investigations poursuivies dans ce sens ont pleinement
justifié nos prévisions. Non seulement notre sujet, en conséquence du coup
qu'il a reçu au front est devenu neurasthénique^ mais il est devenu aussi hys-
térique , cela nous sera maintenant facile à démontrer.
Nous avons procédé tout d'abord à l'examen du champ visuel. Vous n'ignorez
pas le rôle important que joue dans la symptomatologie de l'hystérie, le rétré-
MS
Fi g. 12.
cissement monoculaire ou binoculaire concentrique du champ visuel sans
accompagnement de lésion ophthalmoscopique de la rétine ou des milieux.
Sans doute ce n'est pas là un signe absolument pathognomonique de la
névrose, — il n'y a rien d'absolu dans ce genre, — mais on peut affirmer
qu'à part le cas de la lésion de la partie postérieure de la capsule interne, le
rétrécissement permanent du champ visuel ne se voit guère en dehors de l'hys-
térie. Je dis rétrécissement à Tétat permanent, parce que je n'ignore pas que
dans Vépilepsie vraie, à la suite des accès, le champ visuel présente souvent un
rétrécissement plus ou moins prononcé, lequel s'efface peu à peu progressive-
— 32 —
ment durant les quelques jours qui suivent; après quoi a lieu le retour àTétat
normal. Mais cela est un rétrécissement temporaire, remarquez-le bien, et pas
un rétrécissement permanent; je crois pouvoir affirmer qu'il en est de même
r)0ur le cas de la neurasthénie ; on peut obsers^er comme Ta fait M. Westplial,
dans cette affection-là, surtout au moment des vertiges, des rétrécissements
du champ visuel, mais alors le rétrécissement ne persiste pas, il ne s'établit
pas comme cela a lieu dans le cas de l'hystérie à l'état permanent. J'ajouterai
qu'il paraît bien démontré aujourd'hui que les rétrécissements du champ
visuel signalés dans ralcoolisme,danslesaturnisme, etc., relèvent non pas direc-
tement de la cause toxique mais bien de l'hystérie dont celle-ci provoque le
développement (hystérie toxique de quelques auteurs).
Pour ce qui est de l'hystéro-épilepsie à crises séparées, c'est-à-dire hys-
téro-épilepsie à crises mixtes d'un côté, liysteria major, et épilepsie, mal
comitial, de l'autre, coexistant chez un môme sujet, on peut affirmer que le
rétrécissement permanent, lorsqu'il existe, se rattache à la grande hystérie
hystérie épileptiforme, et nullement à l'épilepsie.
Chez notre malade, le rétrécissement concentrique, occupant les deux yeux
à peu près également, existe, porté à un haut degré (Fig. 12), à l'état de per-
manence. Cette constatation rendait, d'après ce qui précède, fort probable que
d'autres stigmates hystériques pourraient être mis en relief. J'ajouterai qu'un
accompagnement fréquent du rétrécissement concentrique du champ visuel,
lorsqu'il appartient à l'hystérie, se présente chez notre sujet; je veux parler
de la diplopie monoculaire ; cette anomalie se montre ici très accentuée dans
Tœil du côté gauche (i).
Procédons maintenant à l'énumération sommaire des autres stigmates
hystériques : il existe du côté gauche une obnubilation très prononcée, et
très nette par conséquent de l'ouïe, du goût et de l'odorat (hémianesthésies
sensorielles) ; une hémianalgésie cutanée (hémiancsthésie sensitive) de tout
le côté gauche du corps, tronc et membres. Cette hémianalgésie à la partie
postérieure du corps est plus prononcée qu'en avant et dans de certaines
parties c'est de l'hémianesthésie dans l'acception rigoureuse du mot (Voy.
Fig. H 6/s.) Par une sorte d'anomalie fort curieuse, la jambe presque tout
entière, au-dessus du creux poplité, en arrière, est sensible, ainsi que le pied,
tandis qu'en avant, ces mêmes parties sont partout analgésiques.
C'en est assez déjà, dans les conditions où nous sommes, pour caractériser,
l'hystérie. Mais il y a plus encore: l'attaque, ({uo quelques-uns considèrent
bien à tort, encore aujourd'hui, comme un syndrome nécessaire à la consti-
tution de l'hystérie, l'attaque, dis-je, est ici représentée. Sans doute il ne
s'agit pas cette fois de la grande attaque, à phases distinctes et ordonnées :
1. Voir 3\ir la polyopie monoculairo des hyMériques : Leçons sw les maladies du système
nervt^ux, t. III p. 322,
— 33 -'
i° période épileptoïde ; 2* période des grands mouvements; 3* attitudes pas-
sionnelles; cela nous ne le voyons pas chez notre malade. Mais nous en voyons
assezcepcndantpour pouvoiraffirmer que l'attaque oxisteà l'état rudimentaire,
engermc,ou si vous l'aimez mieux sous une forme fruste. Voici en effet ce que
l'on observe à gauche, en pleines régions analgésiques ; il existe au-dessus du
pli de l'aine et parallèlement à sa direction une plaque, allongée (Fig. Il bis
N" 1
Via-. 11 Ola.
N° 2
n°l,^.)ovalaire, hyperesthésique. Cette plaque est à un certain degré hj/stéro-
gène, c'est-à-dire que quand on y produit un frôlement rapide ou une pression
unpeuvive, le malade ressent quelques-uns des phénomènes de l'attaque: «Il lui
semble, — c'est d'après son naïîrécit que nous décrivons, — illui semble, dis-je,
« que quelque chose lui remonte de l'aine gauche vers le ventre, la région du
-^ 34 —
cœur où il éprouve des battements rapides, la région du cou enfin, où il res-
sent comme un étranglement. Après quoi, ses oreilles sonnent et sifflent, ses
tempes battent ; enfin la vue s'obscurcit, et il y a un instant d'inconscience. »
Vous reconnaisse/, là les phénomènes de l'aura hystérique parfaitement
caractérisés et les accidents qui la suivent représentent en quelque sorte,
mais dans la catégorie de Thystérie cette fois, le vertige épileptique,
sans accompagnement de mouvements spasmodiques. Ces attaques, ou mieux
ces rudiments d'attaque que nous venons de décrire, ne se montrent pas
uniquement en conséquence de l'excitation artificielle des zones hystérogènes ;
elles peuvent se développer spontanément.
Le malade en eff'et, depuis trois mois, a éprouvé ce qu'il appelle des syncopes,
or, les svncopes dont il s'agit, non accompagnées de mouvements convulsifs,
sont précédées de l'apparition d'une douleur dans la région hypéresthésique du
flanc o-auche et, consécutivement, de toute la série des phénomènes de l'aura
que nous décrivions tout à l'heure. Donc, il s'agit évidemment ici d'attaques
hystériques se produisant sous une forme rudimentaire, sans doute, mais
suffisamment caractérisée pour qu'il soit facile de la désigner légitimement par
son nom.
Nous voilà conduits bien loin de notre point de départ; au premier abord,
notre homme nous paraissait placé uniquement sous le coup d'une sciatique
grave, sciatique névritique avec toutes ses conséquences. Vous reconnaissez
maintenant que la situation est beaucoup plus complexe qu'elle ne paraissait
l'être, et je ne suis pas fâché de vous faire remarquer une fois de plus, combien
il importe d'examiner les malades sur toutes les faces, quand on ne veut rien
négliger.
En somme, la deuxième partie de l'histoire de notre malade est plus inté-
ressante encore peut-être que la première.
Voici, en eff'et, qu'à la suite d'un coup reçu au front, cause en apparence toute
accidentelle, une double névrose s'est produite; la neurasthénie d'un cùté,
l'hystérie de l'autre. Or, vous savez que nées dans ces conditions-là les névroses
qui nous occupent, bien qu'il s'agisse d'aff'ections sans lésions organiques
appréciables, se montrent habituellement remarquablement tenaces, etparfois
à peu près incurables.
Sans doute, une névrite sciatique datant de cinq ans et qui prive un malheu-
reux ouvrier, pour longtemps, de l'usage régulier d'un de ses membres infé-
rieurs c'est une triste chose ; mais une neurasthénie profonde compliquée
d'hystérie, qui entraînent avec elles la misère intellectuelle et morale pour
toujours peut-être, c'est incontestablement chose plus grave encore.
Tels sont les faits : il ne sera certainement pas inutile actuellement de re-
monter encore une fois dans le passé de notre malade pour rechercher s'il n'y
a pas soit dans son histoire propre, soit dans celle de sa famille, quelques cir-
constances de nature à faire comprendre la genèse, sous l'influence du choc
— 35 —
nerveux des deux névroses : hyslrrk et neurasthf'nie. S'cigit-il là d'une création
de toutes pièces, œuvre de l'ébranlement traiimatique, ou bien j-eut-on invo-
({uer la prédisposition antérieure soit héréditaire soit acquise? L'obser\'ation
va montrer que chez notre malade, raj)[)arition des névroses en question,
dans les circonstances où elles se sont produites, n'offrent rien d'inattendu,
rien d'imprévu.
1" On sait bien aujourd'liui que l'alcoolisme prédispose à Thystériefi) ; or,
le malheureux V..des, alors qu'il était employé dans un four à plâtre et qu'il
y gagnait quelque peu d'argent, dépensait presque tout à boire. Il avoue que
dans ce temps-là il buvait souvent en un jour, particulièrement le lundi,
environ 1/3 de litre d'eau-de-vie, de l'absinthe et, en outre, environ 3 litres de
vin. Jamais cependant ces doses énormes n'ont provoqué de grands accidents
toxiques ; cela se bornait à de terribles colères quand il était ivre.
Néanmoins, sous l'influence de ces excès, il s'est produit sournoisement
dans le système cérébro-spinal une modification profonde dont le trauma-
tisme un beau jour a provoqué la révélation. Voilà pour ce qui concerne le
côté relatif à la prédisposition acquise. Considérons actuellement les faits
qui concernent la prédisposition héréditaire; à cet égard, les documents
abondent et ils sont fort significatifs.
Grands parents inconnus. Son père est mort de la poitrine. Un de ses
oncles paternels, cultivateur, a eu la tète complètement dérangée pendant
trois ans : il était alors sombre, triste, et ne voulait voir personne ; laguérison
n'a pas été complète, le malade est resté « toujours un peu drôle ». Il est
mort à Gl ans. — Une cousine germaine du côté maternel (fille du frère de la
mère) tombe dans des attaques de nerfs, désignées épileptiques. — La mère
de notre malade est morte de la poitrine. Un de ses frères était épileptique ;
il tombait dans les attaques, environ tous les quinze jours; il perdait ab-
solument connaissance et écumait de la bouche. En voilà bien assez pour dé-
montrer jusqu'à quel point V..des était prédisposé antérieurement à l'acci-
dent qui a provoqué, simultanément sans doute^, la neurasthénie et l'hystérie.
ONGLE PÈRE
TABLEAU DE FAMILLE
Aliéné. Mort
DE tuberculeux
MÈRE TANTE
Morte
tuberculeuse.
Il Cousine ger-
V. . des Notre malade ; Frère du m ai ne du ma-
scialiqne malade : lî^de :
Neurasthénie Épileptique hpileptique.
Hystérie
1. Voir Charcot : Hémanesthésic hystérique et hémianesthésie toxique, leçon faite à la
Salpôlrière. (Bulletin médical^ Numéro du 25 mai 1887.)
6
— 36 —
La neurasthénie et l'hystérie associées ou isolées, telles sont, vous disais-je
tout àFheure, les névroses que font apparaître vulgairement le choc nerveux
ouïe traumatisme. Quelques auteurs cependant donnent, des affections ner-
veuses qui se manifestent dans ces conditions-là, une interprétation toute dif-
férente ; il ne s'agirait pas là, suivant eux, purement et simplement d'hystérie
ou de neurasthénie. Il y aurait en quelque sorte création d une espèce mor-
bide nouvelle, toute spéciale, à laquelle on propose d'appliquer le nom de
névrose traumatique générale pour bien rappeler son origine en quelque sorte
spécifique.
Eh bien, Messieurs, je l'ai déclaré déjà et je hj déclare aujourd'hui encore,
éclairé plus que jamais par nombre d'observations, les faits publics comme
appartenant à coite prétendue névrose essentiellement traumatique peuvent
être ramenés tous sans difficulté aucune à la neurasthénie et à l'hystérie iso-
lées ou combinées.
Qu'il s'agisse d'une collision de chemin de fer, d'un choc nerveux quelcon-
que avec ou sans traumatisme, tremblement de terre, accident de voiture, ou
au contraire du surmenage intellectuel ou génital ; de l'alcoolisme, du satur-
nisme; peu importe^ la névrose produite reste toujours essentiellement la
môme ;la cause provocatrice de Taff'ection, qu'elle soit le traumatisme ou autre
chose, ne détermine même pas, en général, dans l'appareil symptomatolo-
gique quelcjuc empreinte particulière qui permette de la reconnaître. En
d'autres termes, non seulement il n'y a pas, que je sache, de névrose générale
traumatique spéciale, mais en outre je ne vois pas que la neurasthénie et
l'hystérie d'origine traumatique se séparent par aucun caractère clinique
fondamental de celles qui ont été déterminées par d'autres causes.
En ce ([ui concerne la dernière aff'cction je pense qu'il n'est nullement légi-
time d'admettre qu'il existe toute une famille dliysféries, distinctes nosographi-
quement les unes dop autres en môme temps qu'elles sont distinctes par la
forme.
Vhystéi^ieest une et Indivisible, c'est du moins mon humble avis.
Peut-on vraiment considérer la mélancolie, l'hypochondrie, l'aboulie, les
rêves terrifiants, l'insomnie comme caractérisant psychiquement la « névrose
traumati(pic » lorsque l'on sait par maintes et maintes observations que tout
cela se rencontre nécessairement dans la neurasthénie et dans l'hystérie de
l'homme avec ou sans l'intervention quelconqr.e d'un traumatisme ; et,
pour ce qui est des hémianesthénies sensorielles cl sensitives, des rétrécis-
sements du champ visuel, des contractures, etc., etc., qui se trouvent consi-
gnés dans les observations relatives àl;i prétendue névrose, de quel droit vou-
drait-on les dépayseren(pi('lque sorte, en les distrayant du champ de l'hystérie?
Je crains bien (juc dans cette aff"aire l'étrangeté apparente du terme hyatéine,
lorsqu'on l'applique à l'homme, ne soit une des causes qui empêchent les
observateurs de voir les choses telles qu'elles sont dans leur re'alité.
— 37 —
En vérité cependant, les mots, surtout en nosographie, ne sauraient être
qu'un symbole, ils ne peuvent pas prétendre à posséder la vertu d'une défini-
tion descriptive.
Mettez-vous bien dans l'esprit — et il ne faut pas, je pense, grand effort pour
cela — qu'en soi le mot hystérie ne signifie rien, et peu à peu vous vous ha-
bituerez t\ parler d'hystérie chez l'homme sans penser le moins du monde à
r« utérus ». Ne songeons pas d'ailleurs à changer le mot contre un autre la
Neuro'paUio, de Piorry est tombée dans l'oubli; Le larassis de M. le D' de
Lachèze, malgré l'excellence des observations auxquelles ce mot sert d'étiquette,
n'a pas eu plus de succès (1). Le terme hystérie au contraire résiste depuis
bien longtemps aux injures du temps et des hommes. C'est là incontestable-
mentune marque de vitalitébien significative. Le motvivra donc et continuera
à désigner un groupe cohérent de faits nosographiquement enchaînés les
uns aux autres. Il faut en prendre son parti.
Mais je ne veux pas m'appesantir maintenant sur ces questions relatives à
la névrose traumatique ; ces questions je les ai touchées déjà bien des fois ;
vous les trouverez parfaitement exposées, au besoin, dans plusieurs articles
récemment publiés par mon ancien interne M. le docteur Guinon (2), articles
auxquels je vous renvoie.
2' Malade
(Entre une mère portant dans ses bras sa lîlle, enfant de 8 ans. Son mari
l'accompagne, ces personnes se sont présentées à la consultation, ce matin,
pour la première fois.)
M. CiiARCOT. — Vous reconnaissez immédiatement. Messieurs, que cette
enfant est atteinte de chorée, de chorée vulgaire parfaitement légitime. Les
mouvements choréiques sont très caractéristiques, pas très intenses ni très
précipités, plutôt lents. Ils occupent le cou, la face, les membres supérieurs,
le tronc.
A la petite fdlc : Comment vous appelez-vous, mon enfant?
La mère. — Elle ne peut plus parler depuis quelques jours.
1. Gazelle des Hôpitaux^ 1884.
2. G. Guinon: A propos de deux travaux récents sur l'Hystérie traumatique. Progrî's
médical T. 317. 3 novembre 1888, id. — De l'Hystérie daus ses rapports avec la chirurgie. In
Revue de Ch irurgie, numéro 11 ; 10 novembre 1888, p. 930.
— 38 —
L'enfant (Avec une grande difficulté et articulant d'une façon presque
inintelligible). — Hor...tense.
M. GuARCOT. — Tirez la langue.
{Aux auditeurs) : Vous voyez qu'elle peut encore, non sans effort toutefois,
tirer salangue hors de sa bouche ; mais elle ne peutpas l'y maintenir longtemps.
A la mère : Combien y a-t-il de temps qu'elle a ces mouvements?
La mère. — Un mois environ, monsieur ; mais cela augmente.
M. Gharcot. — Rien de bien remarquable jusqu'ici, c'est un cas vulgaire,
du moins en apparence. J'appellerai cependant votre attention sur ce fait que
pendant toute la durée de notre examen jusqu'ici, les membres inférieurs sont
restés absolument tranquilles, sans présenter aucun mouvement choréique,
lilst-ce donc que ces membres sont indemnes, non affectés de chorée? c'est bien
peu vraisemblable.
A la mère : Pourquoi portez- vous cette enfant? Elle ne peut donc pas se
tenir debout, marcher.
La mère. — Non, monsieur. Au commencement, ses jambes étaient agitées
comme le reste; mais depuis quelques jours, les mouvements y ont disparu.
Elles sont devenues tout à fait molles, flasques, inertes. L'enfant ne peut plus
du tout les mouvoir, elle ne peut plus se tenir debout ; vous [voyez, quand on
cherclie à la faire marcher ses jambes se fléchissent sous elle, s'embarrassent
l'une dans l'autre, et si on ne la soutenait pas elle tomberait à terre.
M.CiiARcoT. — Je vous le fais remarquer une fois de plus, Messieurs, les mem-
bres inférieurs sont en efï'et flasques, mous. Impossible à l'enfant de marcher
et môme de se tenir debout. Quand on l'abandonne à elle-même sans sou-
tien elle s'affaisse; en même temps, le tronc se fléchit soit en avant soit en
arrière ; la tête tombe sur la poitrine. Eh bien, Messieurs voilà chez cette
jeune choréique un incident qui mérite bien d'être signalé parce qu'il s'agit
d'un fait encore insuffisamment vulgarisé et qui pourrait, si vous n'êtes pas
prévenus, vous mettre dans l'embarras. Une paralysie est venue compliquer la
chorée, direz-vous?En réalité^ Messieurs, il ne faut pas voir là à proprement
parler une complication. Aucun trouble de la sensibilité n'existe sur ces mem-
bres inertes et fiasques, Télectrisation, j'en suis sûr, n'y montrerait aucune
modification des réactions électriques ; la paralysie s'est développée progres-
sivement, sans fièvre, et non brusquement pendant le cours d'un état fébrile.
Des mouvements choréiques ont précédé dans les membres inertes aujourd'hui
la paralysie. Ge n'est donc pas de paralysie infantile spinale, qu'il s'agit; et
immédiatement pour ne pas prolonger sans profit cette étude de diagnostic diffé-
rentiel, je vous dirai qu'il s'j!git chez cette enfant d'une forwe paralytique, de
la chorée, de la chorée molle comme on dit encore.
Les choses peuvent aller beaucoup [)lus loin qu'elles ne le sont, chez notre
petite malade ; la première fois (pie j'ai été frappé de l'existence de cette forme
de chorée, c'était en 1879, chez une jeune fille de 12 ans.
- 39 —
Les quatre membres étaient flas(jues, dans la résolution complèio, absolument
incapables de tout mouvement volontaire. Il en était de même du tronc et de
la tête : celle-ci était « tombante» et reposait sur un canapé où on avait placé
l'enfant, à la manière d'un corps inerte; pas d'aneslhésie d'ailleurs, pas de
rigidité, pas d'atrophie, les réflexes tendineux étaient absents. Je n'avais pas
encore rencontré cliose pareille^ je fus un instant dans l'embarras. Quelques
mouvements choréiques de la face, l'impossibilité de maintenir la langue hors
de la bouche, la difficulté spéciale de l'articulation me mirent bientôt sur la
voie du diagnostic. J'appris d'ailleurs que pendant plus d'un mois, les membres
aujourd'hui paralysés et aussi la tête et le tronc avaient été agités de mou-
vements choréi(pies très prononcés.
La petite malade guérit complètement au bout d'une vingtaine de jours, de sa
chorée molle, sans repasser par la période des mouvements convulsifs. Elle a
malheureusement succombé deux ans après par le fait d'une maladie orga-
nique du cœur.
C'est ainsi que la paralysie choréique se termine toujours, autant que je
sache. La guérison ici est la règle, même dans les cas où la paralysie est
complète et plus ou moins généralisée. La chorée paralytique d'ailleurs
paraît ne pas appartenir particulièrement aux cas où les mouvements gesti-
culatoires sont intenses ; on la voit survenir au moins aussi souvent, je pense^
dans les cas de chorée légère.
En somme^ vous le voyez, le pronostic de la chorée molle est généralement
favorable et il n'y a aucune raison pour que cette formule se trouve démentie
chez notre petite malade d'aujourd'hui.
Je ne saurais trop vous engager, pour en apprendre plus long sur cet
intéressant sujet de la chorée paralytique, à prendre connaissance de la thèse
inaugurale du docteur G. OUive. Cette thèse a pour titre <^ Des parah/sies chez
les choréiques » ; elle a été soutenue à Paris en 1883. C'est, je crois, la première
monographie qui ait été consacrée à l'étude particulière de cette forme de la
chorée.
Je vais essayer maintenant de compléter par quelques interrogations l'iiis-
toire clinique de notre sujet.
A la mère: Votre enfant a-t-elle souffert de rhumatisme articulaire aigu;
c'est-à-dire d'un rhumatisme articulaire avec gonflement, rougeur des articu-
lations et fièvre ?
La MÈRE. — Oui, monsieur, il y a quatre mois; cela a duré quelques se-
maines.
M. Gu ARGOT, à la mère, — Avez-vous souffert aussi, madame, de cette même
maladie ?
La mère. — Oui, monsieur, et mon mari également.
Le mari. — Oui, cela est vrai, plusieurs fois; ma mère également a eu les
doigts des mains enflés et déformés.
— 40 —
M. CnARCOT.— Voici la part de rélément arthritique dans la famille ; re-
cherchons maintenant si Fhérédité nerveuse n'est pas en cause.
S'adressant à la fois à la mère et au père : Avez-vous connu des membres
de votre famille atteints de maladies nerveuses ou ayant eu la tête dérangée?
Le père. — Ma grand'mère qui est morte à 82 ans a été longtemps atteinte de
démence. Elle avait toujours peur d'être volée: elle cachait son argent et
d'autres objets lui appartenant et ne se rappelait plus après cela où elle les
avait mis ; elle a eu un fils qui est mort vers l'âge de 40 ans, aliéné, à l'asile
de Clermont.
M. CuARCOT. — Voilà certes une révélation importante.
A la mère. — Et vous, madame, qu'avez-vous à dire ?
La mère. — Rien dans ce genre.
M. Charcot. — A quel âge avez-vous eu votre rhumatisme articulaire?
La mère. — J'ai eu deux attaques : la première à 19 ans, l'autre à 36 ans.
M. CiiARCOT. — Avez-vous eu la chorée ?
La mère. — Non, monsieur, je n'en connais pas d'autre exemple dans la
famille.
M. CiiARcoT. — Vous avez eu d'autres enfants que celle-ci; ont-ils été
malades ? dites-moi ce qu'ils ont eu.
La mère. — La petite est la 7*^ de 10 enfants ; 8 survivent. Les deux autres sont
morts dans la première enfance. Mon fils aîné est aujourd'hui âgé de 23 ans.
Il a eu plusieurs attaques de rhumatisme ; son cœur a été pris — c'est pour-
quoi on l'a dispensé du service militaire. Mon quatrième enfant qui est une
fille a eu, vers 7 ans, aussi une attaque de rhumatisme. Le cœur n'a pas été
pris, les autres n'ont rien eu.
M. GnARCOï. — Racontez-moi l'histoire du rhumatisme de la petite qui est
ici : a-t-elle eu avant d'autres maladies ?
La mère. — Oui, la rougeole à l'âge de 3 ans. Le rhumatisme s'est déclaré
il y a quatre mois ; elle est restée au lit pendant un mois, elle avait des dou-
leurs dans les cou-de-pieds surtout cl dans les genoux avec gonflements.
M. Guarcot. — Qu'est-il arrivé après ?
La mèhe. — Vers la lin de septembre, elle est tombée d'une balançoire sur la
tête et s'est fait derrière la tête une blessure superficielle qui a pas mal
saigné ; elle n'a pas perdu connaissance, mais peut-être qu'elle était déjà
malade avant l'accident, car son caractère depuis plusieurs jours était très
chani-é.
M. GiiARcoT. — Quand la chose a-t-elle commencé? Il y a un mois, dites-
vous ?
La MÈuii. — C'est dillicile à dire exactement, mais déjà le 1" octobre, elle
écrivait avec difficulté, faisait moins bien ses devoirs et n'avait plus à l'école
de récompenses comme auparavant, ce dont elle se montrait vivement affectée.
Nous avons dû la garder chez nous à partir du 10 octobre parce que les mou-
— Ai —
vemcnts étaient très forts. Kilo ne pouvait presque plus parler, laissait tout
tomber. Les jaml)es sont faibles presque depuis le commencement, mais c'est
depuis quelques jours seulement qu'elle ne peut plus s'en servir du tout, et
qu'elles sont tout ù, fait paralysées.
M. CiiARcoT.-- Allons, vous pouvez vous retirer. Tout cela guérira très bien ;
même la paralysie des membres inférieurs. Yous en avez peut-être encore
pour un mois. Ne vous tourmentez pas(l).
i. Gcllo petite malade s'est prrscntéc de nouveau à la consultation le 22 novembre. c'e3l-à-
dire ving-l-trois jours après la leçon du 30 octobre. La paralysie des jambes a disparu depuis une
huitaine de jours. L'amélioration a ensuite rapidement progressé sur toute la ligne. On
observe cependant encore quelques mouvements involontaires dans les bras, les jambes et la
lôte. La parole est redevenue distincte, peu de grimaces. Il lui est encore difficile d'écrire.
Cependant elle réussit quoique avec peine à former à peu près les premières lettres de son
nom. La force musculaire des membres inférieurs est assez prononcée ; quand elle marche on
la voit, de temps à autre, lancer follement ses jambes à droite et à gauche. Rien d'anormal au
cœur. Le traitement a consisté dans l'emploi du bromure de potassium à la dose de 3 gram r.es
par jour et des préparations ferrugineuses.
(22 novembre f388)
nip.de laSoc.de Typ.— Noizette,8, r. Canipagne-lre, Paris.
Policlinique du Mardi 6 Novembre 1888
TROISIEME LEÇON
1^' Malade. — Intoxication par le sulfure de carbone.
2""" Malade. — Hémiparaplégie spinale croisée (syndrome
de Brown-Séquard), par lésion Iraumatique de la moelle
épinière dans sa moitié latérale.
i^' Malade
M. Charcot : Vous avez sans doute, messieurs, pour la plupart du moins,
entendu parler de l'industrie du sulfure de carbone. Cette industrie comporte
d'abord la préparation du sulfure de carbone lui-même ; puis des industries
en quelque sorte subordonnées, parmi lesquelles on peut citer par exemple la
fabrication du caoutchouc vulcanisé. L'hygiène et la clinique ont à
s'occuper de ces industries en raison de certains accidents principalement
d'ordre nerveux auxquels se montrent sujets les ouvriers qui travaillent soit à la
préparation du sulfure de carbone soit au maniement de cette substance, dans
les diverses industries connexes. Le malade que vous avez sous les yeux
vous oftre justement un exemple du genre.
Il y a longtemps qu'on a signalé pour la première fois les accidents qui
peuvent survenir par le fait de l'action du sulfure de carbone et parmi les au-
teurs qui paraissent avoir les premiers reconnu ces accidents, il faut citer
Duchenne de Boulogne et Bouchardat.
Mais le premier travail approfondi sur la matière date de 1856 ; il est de
Delpech et porte le titre suivant : Mémoire sur les accidents que développent chez
les ouvriers en caoutchouc l'inhalation du sulfure de carbone en vapeur. Ce
mémoire a été lu à l'Académie de Médecine.
On peut dire que, dans l'espèce, c'est là le travail initiateur. Un nouveau
travail, dû au même auteur, est destiné à compléter les précédents et à en
7
— 44 —
asseoir les conclusions sur des bases plus solides, il date de 1863, et il est
intitulé comme suit : Nouvelles recherches sur V intoxication spéciale que déter-
mine le sulfure de carbone. Industrie du caoutchouc soufflé.
Remarquez combien cette fois le titre est significatif : il est clair que l'auteur
Toudra s'attacher à démontrer que le sulfure de carbone a pour effet de dé-
terminer chez les individus, exposés aux vapeurs qu'il dégage, une intoxication
se traduisant dans la clinique par des caractères vraiment particuliers et
qui permettront de distinguer l'affection ainsi produite, de toutes les
névroses toxiques d'un autre ordre.
Ainsi, cela n'est pas douteux pour Delpech^ c'est d'une névropathie sui
generis qu'il s'agirait ici et qui pourrait être désignée sous le nom de névrose
sulfo-carbonée. C'est dans le même sens qu'ont conclu la plupart des auteurs
qui ont suivi Delpech dans la voie qu'il a tracée. Tous s'efforcent à l'envi de
bien établir les caractères spéciaux des accidents nerveux produits par l'action
du sulfure de carbone, afin de les distinguer aussi nettement que possible de
«eux qui relèvent des intoxications saturnines, alcooliques, etc., etc. (1).
Eh bien, messieurs, nous avons justement sous les yeux un pauvre homme
chez qui l'affection nerveuse dont il souffre actuellement a été évidemment
développée — cela ressortira pleinement de l'analyse du cas — sous l'influence
de l'action du sulfure de carbone, et nous allons être mis à même par consé-
quent d'étudier l'aflection dans tous ses détails. Mais, messieurs, je crois
devoir vous en prévenir immédiatement : l'analyse clinique ne nous conduira
pas à trouver exactement ce que nous cherchons ; c'est une affection nerveuse
vulgaire, très vulgaire qu'elle va mettre en évidence et nullement une névrose
toxique spéciale ; nous serons conduits par là à nous demander si bon nombre
(jes cas — la plupart peut-être — rattachés par Delpech à la prétendue
névrose sulfo-carbonée n'appartiendraient pas purement et simplement au
domaine très étendu d'ailleurs et très vaste de cette névrose « vulgaire » à
laquelle je faisais allusion tout à l'heure.
Notre malade, donc, est un homme de soixante-trois ans, assez vigoureux
autrefois. Mais depuis quelque temps, il a beaucoup perdu de ses forces et de
son entrain.
Les accidents qui l'ont amené ici, datent cependant de six semaines ou
deux mois à peine.
Quehpies mots d'abord sur son passé. Nous n'avons pu découvrir, malgré
toutes nos recherches poussées dans cette direction aucune tare névropa-
tliique dans sa famille, qui compte prétend-il, des centenaires.
Nous avons toute raison de croire, d'un autre côté, (jue P...on, a toujours
été un homme sobre, nullement porté aux excès alcooliques ou autres, de
mœurs simples et tranquilles. Dans son enfance, il a vécu à la campagne où il
\. Voir en particulier B(ui:iet, Thèse de Paris 1885 ; Sapclier, Thèse de Paris 1885.
— 4.) —
gardait les troupeaux. Il n'a jamais appris à lire. Vous voyez que ce n'est pas
la culture intellectuelle qui l'a perdu. J«.* parlais tout à l'heure de sa sobriété:
nous avons à cet égard une garantie ; il y a longtemps qu'il travaille dans les
usines où l'on fabrique le sulfure de carbone. Or, dans cette industrie-là, sont
seuls admis et conservés, les ouvriers qui ne boivent pas. D'ailleurs, nous ne
trouvons absolument rien en lui qui puisse faire soupçonner que l'alcoolisme
soit enjeu. Exerçant auparavant la profession de terrassier, P. ..on fréquente
l'usine depuis 1872 ; mais il n'y a pas constamment travaillé. De temps en
temps, par intervalles, il est revenu — pendant le cours de ces deux dernières
années surtout — à 6on métier de terrassier. Quoi qu'il en soit, il était de nouveau
attaché à l'usine depuis plus de quatre mois et n'avait pas cessé depuis lors
d'y travailler régulièrement, lorsque le 24 septembre pendant qu'il procédait
au nettoyage d'une cuve destinée à contenir le sulfure de carbone, survint
l'accident qui l'amène aujourd'hui devant nous.
11 paraît qu'il n'est point rare de voir survenir semblables accidents, pen-
dant ce même nettoyage des cuves ou bassins à sulfure de carbone. Voici d'ail-
leurs ce qui s'est passé : tout à coup P...on, après avoir éprouvé une sensa-
tion d'étoufTement et ressenti dans le scrotum comme «une chaleur », s'affaise
sur lui-même, sans pousser le moindre cri, comme frappé d'apoplexie ; ses
camarades l'ont cru asphyxié ; ils assurent que pendant la durée de la perte
de connaissance, qui a été d'une demi-heure environ, il ne s'est pas produit
de convulsions. Enfin, il revint à lui et l'on put le ramener chez lui à pied,
tout confus, tout ébaubi. 11 est resté dans sa chambre pendant deux jours, et
durant ces jours-là, il ne sait pas trop ce qui s'est passé ; mais le troisième
jour, il ressentit dans le membre supérieur droit de forts engourdissements,
et le lendemain au réveil il y avait dans ce même membre une paralysie très
accentuée. Le même jour, le membre supérieur correspondant se prit à son
tour de la même façon, mais d'une manière beaucoup moins prononcée, car
toujours P...on a pu continuer à marcher tant bien que mal.
Ce fut alors que notre malade se présenta à la Pitié, où il fut admis le
28 septembre dans le service de M. le D'" Ilutinel, dirigé à ce moment-là par
M. le D' Marie qui eut Tobligeance de nous l'adresser quelques jours après. Eh
bien, messieurs, cette hémiplégie survenue rapidement après une attaque
apoplectiforme a été la première révélation de l'affection nerveuse dont il
s'agit de déterminer maintenant les caractères nosographiques.
Vous trouverez dans les mémoires de Delpech et dans ceux de ses succes-
seurs, plusieurs observations d'hémiplégie à début brusque ou rapide attri-
bués à l'intluence de l'intoxication sulfo-carbonée. Mais ces observations-là
datent déjà de quelques années, et aujourd'hui le neuropathologiste a le
droit de se montrer plus difficile qu'autrefois à l'égard de la description d'une
hémiplégie. Il ne suffirait pas actuellement de parler sommairement d'une
paralysie plus ou moins intense, survenue plus ou moins subitement dans un
- 46 --
ou plusieurs membres. Il s'agit encore de rechercher avec minutie la présence
d'une série de caractères cliniques concomitants de l'impuissance motrice, qui
seuls pourront permettre de déterminer nosographiquement l'afiection. Mal-
heureusement, ces détails ne se rencontrent pas, tant s'en faut, toujours dans
les observations d'hémiplégie sulfo-carbonée ; parfois cependant, les descrip-
tions en sont suffisamment explicites pour qu'il soit permis de rapprocher ces
faits anciens du fait nouveau qui s'offre à nous présentement et dont nous
allons tâcher de préciser les caractères.
Mais avant de procéder à notie démonstration, je tiens à déclarer que c'est
à l'obligeance de mon collègue des hôpitaux, M. Marie, que je dois de pouvoir
vous présenter aujourd'hui cet ir^téressant malade et, qu'en outre, la plupart
des détails que nous allons vous développer à son sujet sont empruntés à une
note que M. Marie va lire dans quelques jours à la Société médicale des Hôpi-
taux (1).
Si donc vous trouvez quelque intérêt à notre démonstration d'aujourd'hui,
veuillez ne pas oublier, je vous prie, que c'est surtout à mon collègue qu'il fau-
dra le rapporter.
Je vais prier notre malade de se lever et de faire quelques pas devant vous.
Rappelez-vous que l'hémiplégie chez lui date de six semaines déjà. Remar-
quez qu'en marcliant, notre malade traîne après lui son membre inférieur
parésié, comme s'il s'agissait d'un corps inerte, conformément à la fameuse
description de Todd, que je vous ai rappelée si souvent. Oui, remarquez-le
bien, le membre parésié ne cesse de reposer sur le sol où il traîne, le ma-
lade ne fait aucun eftort pour l'élever à chaque pas ; il n'y a pas trace d'une
esquisse de ce mouvement de circumduction qui ne manque guère d'exister
dans une hémiplégie ancienne de cause organi([ue. C'est là un détail qui n'é-
chappera pas, certainement, à ceux d'entre vous qui sont au courant déjà des
questions de ce genre et ils ne manqueront pas d'en faire leur profit.
Considérons maintenant le membre supérieur gauche : il est pendant, sans
rigidité, très affaibli, mais cependant est un peu déformé par ce fait que les
doigts sont tous rigides, étendus en masse de façon à faire un angle droit avec
la paume de la main ; il y a là vraiment contracture spasmodique, car on
éprouve une résistance élastique lorsqu'on veut mouvoir les doigts aussi bien
du côté de la llexion que du côté de l'extension. Oui, il y a ici une rigidité
spasmodique, mais certes ce n'est pas là l'attitude des doigts en crochet que
l'on observe dans les hémiplégies de cause organique suivies de contracture,
et celte circonstance déjà est bien faite pour éveiller l'attenlion du connais-
seur. La pression dynamométrique donne pour la main gauche parésiée
Il kilos, tandis qu'elle donne 60 kilos pour la droite. D'ailleurs, pas d'exalta-
1. Svlfuvede (uwbone et ni/sterie, coinm. à la Société médicale des Hôpitaux, 9 novembre
1888, Gaz. heb(loin.,2^ novembre 1S88.
— Al —
tion (les réflexes soit aux membres supérieurs, soit aux inférieuis. Nous voilà
déjà, par de certains indices, conduits à supposer que ce n'est pas ici de l'hé-
miplégie vulgaire de cause organique qu'il s'agit et cette première impression
se trouvera confirmée par tout ce qui va suivre.
Le premier fait que nous relevons maintenant, c'est que la sensibilité cuta-
Fig. 13.
Hémiplégie chez un homme intoxiqué par \o sulfure de carbone.
née est profondément atteinte sur toute l'étendue du membre supérieur para-
lysé, et également sur toute l'étendue du membre inférieur correspondant
(Fig. 13.) Vous savez que cette circonstance est fort rare dans l'hémiplégie
— 48 —
vulo'aire ; on ne la rencontre guère dans Tespècé, que lorsqu'il s'agit d'une
lésion de la partie postérieure de la capsule interne et encore dans ce cas la
sensibilité n'est à peu près jamais atteinte au degré que nous constatons
chez notre homme.
Nous relèverons de plus chez lui, un contraste remarquable entre la sensi-
bilité cutanée qui est, comme nous le disons, très profondément affectée, et
le mouvement qui lui, au contraire, n'est pas complètement aboli ; et c'est là
encore un fait qui n'appartient pas aux hémiplégies de cause organique.
Ajoutons que ce n'est pas seulement sur les membres paralysés qu'est
répandue l'anesthésie, mais encore sur toute la moitié gauche du tronc, en
avant, en arrière et sur la moitié de la tête et de la face ; que cette anesthésie
n'occupé pas uniquement la peau, qu'elle s'étend encore aux parties profon-
des. Ainsi les articulations peuvent être soumises aux mouvements de trac-
tion ou de torsion les plus énergiques sans que le malade ait notion de cê
qu'on lui fait. Il ignore aussi si l'on déplace ses membres et ne peut déter-
miner la position qu'on leur donne, ou pour le moins n'a sur ces divers points
que des notions extrêmement vagues.
A ces traits, ceux d'entre vous qui sont experts dans la matière n'ont pas
manqué de reconnaître qu'il s'agit ici d'hémiplégie hystérique. Est-ce donc
que cet homme à la barbe inculte, portant la marque d'une sénilité précoce,
affaissé, morne, prostré, serait vraiment un hystérique ? Cela ne saurait
étonner parmi vous que les nouveaux venus. Les autres savent ce qu'il en est
de l'hystérie de l'homme et sous quel aspect elle se présente à chaque pas
dans nos hôpitaux, depuis qu'on a appris à la connaître. Déjà même plusieurs
de nos auditeurs se sont demandé, sans doute, chemin faisant, s'il n'en serait
pas de même du sulfure de carbone que du saturnisme, de l'alcoolisme, voire
même du traumatisme, tous agents 'provocateurs de J'hystérie.
Ce sont là des questions qui devront nous occuper tout à l'heure. Au préa-
lable, nous devons nous appliquer encore à bien établir chez notre homme
le diagnostic hystérie.
Nous ne reviendrons pas sur les symptômes signalés jusqu'ici : hémianes-
thésie sensitive cutanée et profonde totale, parésie concomitante des membres
supérieurs et inférieurs avec perte du sens musculaire, absence de rigidité et
d'exaltation des réflexes, alors que rhémiph'gie date de plus d'un mois, etc.,
ces phénomènes sont déjà par eux-mêmes suffisamment significatifs ; mais
nous pouvons allonger la série.
Relevons en premier lieu la non-participation du facial inférieur à l'hémi-
plégie motrice, de telle sorte qu'il ne s'agit pas chez notre homme d'hémiplé-
gie proprement dite, mais bien de monoplégies associées. Après tous lesdéve-
loppements dans lesquels je suis entré l'an passé à propos de la non-partici-
pation de la face à l'hémiplégie hystérique, je crois inutile d'entrer à propos
du cas d'aujourd'hui, dans de nouveaux développements sur ce sujet. Certes,
— 49 —
il (3xiste chez notre homme une K'gère déviation de la commissure labiale
droite (côté paralysé), en bas et vers la droite; vous ne considérerez pas cette
déviation comme l'indice d'une paralysie du facial inférieur, si vous relevez
avec soin l'existence facilement appréciable chez notre sujet de petites
secousses convulsives qui soulèvent de temps en temps brusquement la lèvre
supérieure droite, et aussi de secousses du même genre qu'on voit se dessiner
par moments sur le côté droit du menton et de la lèvre inférieure.
C'est, vous l'avez compris, l'hémispasme facial et non pas la paralysie faciale
qui est ici en jeu, et cette constatation qui vient corroborer le diagnostic hys-
térie, trouve son complément lorsqu'on fait tirer la langue au malade. Cet
organe en effet prend alors cette forme de crochet à concavité dirigée vers le
côté paralysé sur laquelle j'ai maintes fois insisté dans ma description du
spasme glosso-labié des hystériques.
Chose remarquable, vous trouverez les caractères du spasme glosso-labié
en question parfaitement indiqués dans plusieurs observations d'intoxication
ms
Fig. 14.
parle sulfure de carbone, en particulier dans deux observations de M. Del-
pech. Mais, naturellement, dans ces cas, la nature hystérique du spasme n'a
pas même été soupçonnée. Au spasme glosso-labié nous devons ajouter encore
d'autres stigmates également caractéristiques en premier lieu ; il y a rétrécis-
sement permanent très prononcé du champ visuel à droite, côté de la para-
lysie motrice, tandis qu'à gauche, le champ visuel est normal.
Remarquez cette circonstance du rétrécissement portant exclusivement sur
— 50 —
l'un des yeux, l'autre restant parfaitement indemne, parce que c'est là une
circonstance relativement rare.
J'ai dit tout à l'heure rétrécissement permanent , parce que les rétrécissements
de ce genre seuls sont caractéristiques de l'hystérie dans certaines affections,
en effet, comme dans l'épilepsie par exemple : après Tattaque le même rétré-
cissement concentrique peut se présenter, — à la vérité toujours d'une façon
temporaire. Pas de dyschromatopsie, mais diplopie monoculaire très pronon-
cée; pharynx insensible; ouïe à droite très afïaiblie; goût nul du côté droit de
la langue.
Voilà toute la série des stigmates classiques qui se déroule devant nos yeux,
et après cela il n'est pas nécessaire, pour affirmer le diagnostic hystérie, de
chercher ailleurs.
\ Sans doute notre homme n'a pas d'attaques convulsives ; on ne rencontre pas
chez lui de plaques hystérogènes, hyperesthésiques. Mais vous savez que ces
phénomènes-là ne [sont nullement nécessaires à la constitution de la maladie
hystérique, et à leur défaut, nous avons relevé assez de signes caractéristiques
pour nous permettre de conclure en toute assurance.
Un mot maintenant-sur l'état mental de notre malade. Si je n'admets pas
que l'hystérie puisse être démembrée et qu'il soit permis de reconnaître autant
d'hystéries distinctes et nosographiquement séparées qu'il y a de causes capa-
bles de provoquer le développement de l'aftection, j'admets cependant natu-
rellement dans l'hystérie, espèce une et indivisible, des variétés, des [formes ;
cela est élémentaire. L'ivresse produit, par l'emploi de la même substance,
prise aux mêmes doses, des effets fort différents chez les différents sujets.
Celui-ci devient expansif et abonde en traits d'esprit qu'on ne lui connaît
pas au même degré dans les conditions ordinaires, tandis que celui-là reste
concentré, muet, abattu et stupide. On ne cesse de répéter aux cliniciens
commençants que la pneumonie de Pierre n'est pas la pneumonie de Jacques,
et cela doit être en effet pour lui matière de bréviaire. Pourquoi l'hystérie
échapperait-elle à la règle ? De fait elle n'y échappe point et, relativement au
côté psychique, j'ai fait remarquer bien des fois déjà qu'il ne faut pas s'at-
tendre à rencontrer chez l'homme, ce brio morbide, fréquent en réalité chez
la femme, mais dont quelques auteurs font, bien à tort, un caractère constant
de la névrose hystérique. Les hommes hystériques de la classe ouvrière, qui,
ainsi que le fait remarquer avec raison M. Marie, encombrent aujourd'hui les
services hospitaliers de Paris, sont à peu près toujours des gens sombres,
mélancoliques, déprimés, découragés, et justement le pauvre hère que nous
avons sous les yeux présente, ainsi que je vous l'ai fait remarquer il y a un
instant, toutes ces apparences-là. Le voilà timide, sombre, comme désemparé
et remarquez-le bieU; cette prostration ps} chique date exactement de l'acci-
dent survenu dans la cuve au sulfure de carbone. Autrefois notre homme
n'était pas gai à proprement parler, mais il supportait les choses de la vie sans
— si-
se plaindre et apportait même dans la lutte un certain entrain, \ujourdhui le
tableau s'est considérablement .issombri, le pauvre diable se trouve tout
changé ; il a la persuasion qu'il n'est bon à rien et se laisse allf-r à un décou-
ragement profond. Je me réserve de vous montrer ailleurs ([ue celles des posi-
tions d'esprit des hystériques mâles tient certainement, en partie du moins, à
ce que, chez eux, la neurasthénie se montre presque toujours associée en
proportions diverses à la névrose hystérique.
Quoi qu'il en soit, je le répète, ces conditions de dépression mentale vous les
retrouverez fréquemment chez l'homme hystérique ; chez lui également, vous
aurez l'occasion de constater en outre une tendance à subir des rêves terrifiants.
Cette tendance-là est fort prononcée chez notre malade d'aujourd'hui ; souvent,
en effet, fort souvent, presque toutes les nuits depuis l'accident de la cuve, il est
poursuivi par des loups, des lions, des animaux fantastiques et terribles ; ce
matin même il nous a conté que la nuit dernière il s'était trouvé tout à coup
entouré d'eau de tous côtés. L'eau montait,montait toujours, et allait couvrir la
montagne ou il s'était réfugié, lorsqu'il se réveilla dans un état d'anxiété des
plus pénibles. Si j'insiste une fois de plus sur les modifications psychiques fré-
quentes à observer chez l'hystérique mâle et très accentué en particulier chez
le malade d'aujourd'hui, c'est qu'on a voulu les considérer comme appartenant
à la prétendue névrose ti^aumatlque et constituant même pour elle un carac-
tère qui la séparerait de l'hystérie.
Evidemment, c'est là une erreur.
Ces mêmes caractères appartiennent bien et dûment à l'hystérie virile et ils
s'y observent non seulement lorsque la maladie relève d'un traumatisme ou
d'un choc nerveux, mais lorsqu'elle s'est développée en conséquence de
l'action d'une cause toxique, saturnine (sulfo-carbonée) ou, pour tout dire,
sous l'influence d'une cause déterminante quelcon([uc. Cet état mental parti-
culier sur lequel je viens d'ijisister n'est donc pas l'apanage^, la marque d'une
hystérie spéciale, elle peut se rencontrer dans toutes les formes de l'hystérie.
Après avoir montré que tous les accidents nerveux relevés chez notre
homme appartiennent sans exception à l'hystérie, plus ou moins mtM(''e à la
neurasthénie, irons-nous prétendre que c'est l'hystérie encore qui a été en jeu
dans toutes les observations publiées par Delpech et autres, comme exemple
d'intoxication spéciale sulfo-carbonée ? Ce serait là, je pense, généraliser
beaucoup trop vite. Sans doute, la lecture de ces observations nous révèle
à chaque instant l'existence de phénomènes qui relèvent très certainement
de la névrose hystérique ; tels sont les cas dans lesquels se trouvent signalés
expressément le spasme glosso-labié, les étouft'ements, la boule, les sensations
particulières dans. les parties sexuelles, des contractures, des anesthésies
ou des hypéresthésies, des crises enfin dont la description rappelle exaete-
inent celle des crises hystériques épileptoïdes dont plusieurs avec arc de cercle.
Evidemment, ces observations-là se rapportent à l'hystérie et il faut en con-
8
— oc-
clure, car les observations de ce groupe sont fréquentes, que dans la plu-
part des cas l'hystérie a été vue par les auteurs qui ont écrit sur l'intoxication
sulfo-carbonée, par fragments, sans être reconnue par eux pour ce qu'elle est.
L'hystérie serait donc d'après cela TafTection qui se développe le plus fréquem-
ment en conséquence de l'action des vapeurs de sulfure do carbone ; il faudra
à l'avenir pour savoir exactement ce qu'il en est, réellement examiner les
choses de plus près qu'on ne l'avait fait jusqu'ici et songer à l'hystérie. Mais,
dès aujourd'hui, on peutaffirmor que toutes les observations, passées ou fu-
tures, ne se prêteront pas à cette interprétation exclusive. En effet, parmi les
observations de Delpech et de ses successeurs il en est plusieurs où certaine-
ment ce n'est pas l'hystérie qui est enjeu. Je citerai comme exemples du genre
les cas où les malades éprouvaient dans les membres des douleurs vives et sou-
daines, en même temps qu'ils marchaient d'une façon incoordonnée.
Ces malades-là ont été considérés quelquefois comme des ataxiques (alaxie
sulfo-carbonée) ; il est l)ien plus vraisemblable qu'il s'agit ici de névrites-
périphériques analogues à celles, qu'on sait relever de diverses intoxications^
alcoolisme, béribéri, etc., etc., et que l'incoordination motrice de ces malades,
si l'on y eût regardé de près, eût présenté les caractères, non pas de la
démarche tabétique, mais bien ceux de la démarche du sfeppeur, comme nous
avons coutume de l^appeler. En tout cas bien évidemment, ces cas-là ne se
rapportent pas à l'hystérie. Car si l'hystérie est capable de simuler une foule
d'états morbides qui lui sont étrangers, il en est d'autres, contrairement à l'opi-
nion de certains, qu'elle ne saurait simuler jamais devant un observateur
attentif.
En résumé donc, il existe vraisemblablement des affections du système
nerveux relevant directement de Faction des vapeurs du sulfure de carbone
etqui mériteraient de porter le nom à." affections nerveuses sulfo-carbonécs,
11 faudra s'appliquer, à l'avenir, à décrire ces affections plus minutieuse-
ment qu'on ne l'a fait jusqu'ici, et s'attacher surtout à les bien distinguer des
symptômes hystériques qui se développent dans des circonstances analogues
et pourront sans doute parfois se trouver entremêlés avec elles. C'est ainsi
que, dans la pathologie des phénomènes nerveux saturnins et alcooliques,
il faut savoir distinguer ce qui appartient à l'hystérie provoquée par l'in-
toxication, des accidents nerveux relevant directement de l'intoxication,
et qui, lui appartenant en propre, méritent seuls de porter \q nom d'jicci-
donts nerveux toxiques.
Maintenant que notre malade s'est retiré, disons un mot sur le })ronostic et
sur le traitement. Pronostic sérieux, cela paraît être la règle dans l'hystérie
mfde des adultes. Le malade guérira difficilement s'il giuirit : en tous cas,
cela durera certainement plusieurs mois, plusieurs années [)eut-être, quoi-
qu'on fasse. Le sujet n'est pas hypnotisable. — Où va-t-on chercher que tout
le monde, les sains comme les malades, peuvent être hypnotisés ? — Donc il ne
0*1
pourra pas Ix-iiéficier dos ullets de la suggestion liy[)notuiue. Mais la sugges-
tion à l'état de veilliî pourra être efficace en ce qui' cfjncerne la paralysie, sui-
vant la méthode dont je vous ai donné les règles dans une leçon de l'an passé.
Kn dehors de cela l'hydrothérapie, les toniques, les reconstituants seront
de mise. Il va de soi enfin, qu'il conviendra (l'engager notre pauvre malade à
renoncer aux usines ou l'on fabrique le sulfure de carbone ; mieux vaudra
pour lui, si les forces lui reviennent, rei)rendre son métier de terrassier.
2^ Malade.
M. CiiARCOT : Le second malade sur lequel je viens aujourd'hui appeler votre
attention est un jeune homme nommé Ch...ey, âgé de vingt-quatre ans, exer-
çant la profession de couvreur. Il est élancé, fluet, comme vous voyez, d'une
figure plutôt agréable et d'allure quelque peu féminine.
Cependant, de très bonne heure, il a été attiré vers l'autre sexe, et c'est jus-
tement dans une affaire de femme qu'il est devenu victime de l'accident, ou
mieux de l'attentat, dont nous allons, dans un instant, reconnaître les consé-
quences encore très accentuées, malgré les atténuations ({ue le temps y a
aj)portées.
L'événement auquel je fais allusion marque dans sa vie, et il a voulu en
consacrer le souvenir sanglant par une inscription obtenue par le procédé du
tatouage, qu'on lit sur la partie supérieure et interne de son avant-bras gau-
che: «Mort aux femmesinfidèles. » G'estaux infidèles, auxinfidèles seulement que
la menace s'adresse et à cet égard par conséquent il se montre moins pessi-
miste que le grand poète qui, lui, pèche peut-être par excès de généralisation
lorsqu'il dit de la femme, quelle est perfide comme l'onde: « false like water. »
Mais ce n'est ni le cas ni le lieu d'entrer ici dans une discussion scabreuse
et j'en reviens aux circonstances de l'accident déjà signalé.
Donc, notre homme, qui alors comptait seize ans à peine, — c'était le
12 mars 1880, — il était bien jeune encore, vous l'avouerez pour courir les
femmes, — se prit une nuit de querelle avec des « Italiens » . Les agresseurs étaient-
ils bien des « Italiens », comme il le prétend ? Je l'ignore, et peu importe du
reste. Quoi qu'il en soit, Ch....ey fut frappé par derrière, et reçut dans la partie
supérieure du tronc, à la base du cou, un coup de couteau cpii parait avoir
pénétré profondément. Vous pouvez encore reconnaître parfaitement vers les
deuxième et troisième vertèbres dorsales, à un ou deux centimètres à droite
des apophyses épineuses, la cicatrice presque verticale, longue de 3 centi-
mètres environ qui marque encoi-e le lieu où l'arme est entrée.
Messieurs, vous n'ignorez sans doute pas, au moins d'une façon sommaire,
l'histoire chirurgicale des plaies de la moelle épinière qui se produisent dans
— 54 —
les conditions semblables à celles que nous venons d'indiquer à propos de
de l'accident dont notre malade a été victime. Un homme présente le tronc
incliné en avant, l'agresseur le frappe par derrière vers la partie médiane tantôt
et le plus souvent au niveau de la troisième ou la quatrième vertèbre dorsale
(cas de Miiller, cas de Jofïroy et Salmon), rarement plus bas vers la région
dorso-ombaire (cas de Viguès). L'arme pénètre entre les lames vertébrales, non
sans doute sans effraction, et, chose remarquable en raison de certaines com-
binaisons sur lesquelles je ne puis m'étendre, la moelle épinière subit, le plus
souvent, à c6 qu'il semble, une section hémilatéraie du côté opposé à celui où
l'arme a traversé la peau, quelquefois fort régulière, et qui ferait presque envie
à un expérimentateur (1).
Cas de Millier.
a. Le couteau.
b. La moelle épiuièi'C.
c. Corps vertébral.
d. Apophyse épineuse.
Fig, 15.
Cas de Millier.
Hémisection gauche de la
moelle épinière.
Chez notre homme le coup de couteau a frappé à droite de Tépine, et c'est,
ainsi que Ton en pourra juger d'après la symptomatologie qui va se dérouler
devant nous, sur la moitié latérale droite de la moelle épinière que la lésion
a porté.
Vout n'ignorez pas, très certainement^ que les lésions de ce genre sont
graves au premier chef. Je vois dans les observations du groupe que j'ai par-
courues, que les sujets ainsi frappés meurent huit jours quinze jours, au plu$.
après l'accident (2).
Or, vous voyez ([ue notre malade a eu de la chance puisqu'il a échappé à
4. Voy. W. Millier Beitraqe zur Patholog. Anatoinie mid Physiologie des Menschlicheu
MckennHirke. Leipzig. 1871. T. I, lig. 1 et 2.'
?. Voir Charcot, Leçons sur les maladies du si/slème îierveux, t. I, p. 103 et l. H. p. 132. —
Là se trouvent résumées les observations de JofTroy et Salmon et colles de Viguès.
— 55 —
ce qui parait êtio la rè^ie. Ceci et certains détails de i'<dj.st;rvation me porte
à émettre ici une hypothèse que nous essaierons de h'-gitimer tout à l'heure!
C'est que chez lui, il n'y a pas eu section hémilatérale gauche complète, mais
seulement piqûre ; l'arme avait pénétré sans doute au sein de la moitié gauche
spinale, mais seuleniont par la pointe; et si, à l'origine, les symptômes, comme
vous l'allez voir, ont été ceux qui se rapportent à une section hémilatérale,
c'est que rapidement se serait produit autour de la solution de continuité un
processus inflammatoire limité, véritable myélite transverse hémilatérale
gauche, équivalant quant à la forme paraph'gique produite, à une section
véritable. Mais, me direz-vous, dans un instant, lorscpie je vous exposerai
l'évolution des phénomènes paraplégiques, les symptômes spinaux ont été
immédiatement portés au maximum avec tous leurs caractères particuliers et
Ton peut penser qu'un procossus inflammatoire consécutif nécessite pour se
constituer un temps plus ou moins long? — Celaest vrai, mais à cette objection
je répondrai par avance que suivant une fort importante remarque de Brown-
Séquard dans ces lésions hémilatérales de la moelle épinière, une simple
piqûre portant sur une des moitiés de l'organe, équivaut, pour ce qui est des
effets immédiatement observés, à une hémisection complète ; seulement, bien
entendu, les effets de la piqûre sont en général transitoires, tandis que ceux
de la section sont permanents ; il y aurait donc lieu d'admettre que, chez notre
malade, dans les premières heures ou jours après l'accident, les symptômes
ont relevé de la seule piqûre, tandis que plus tard ils doivent être rattachés à
Thémimy élite développée consécutivement au traumatisme.
Cette même hypothèse dont nous allons tout à l'heure chercher la justifica-
tion dans l'histoire clinique de notre malade, expliquera de plus comment,
par suite de la rétrocession des phénomènes d'irritation consécutive, le
malade a pu survivre et même guérir, du moins partiellement.
Il est intéressant de recueillir de la bouche du malade des renseignements
relatifs aux premiers effets de la blessure ; il nous apprend qu'il est resté tout
d'abord pendant un temps assez long, parfaitement conscient et nous n'avons
aucune bonne raison de douter de sa sincérité ou de la fidélité de sa mémoire.
« Je ne me suis pas aperçUj,nous a-t-il dit vingt fois, que j'avais reçu un
coup de couteau dans le dos. Seulement je suis tombé tout à coup ; c'est ma
jambe gauche qui s'est dérobée sous moi. Il m'a semblé que cette jambe était
cassée, brisée, qu'elle ne m'appartenait plus. On m'a aidé à me relever et j'ai
essayé de me tenir debout. Mais ma jambe gauche s'y est refusée et je me suis
affaissé de nouveau. >
D'après ce récit donc, que nous avons toute raison de croire correct, la
paraplégie, l'hémiparaplégie motrice du moins, se serait immédiatement pro-
duite, conséquence dans notre hypothèse de la piqûre supposée.
Porté presque aussitôt après l'accident, à rHôtel-Dieu,Ch ey y fut admis
dans le service de chirurgie, dirigé par M. le professeur llichet.
— 56
C'est là seulement qu'il paraît avoir perdu conscience, et il y a dans ses sou-
venirs relatifs à cette e'poque une lacune de deux ou trois jours. — Il y aurait
eu de la fièvre pendant ces jours-là et quelques-uns de ceux qui suivirent; il a
le souvenir d'avoir entendu parler de températures montant à 41°.
Une autre particularité sur laquelle il insiste ofïre de l'intérêt parce qu'elle
semble établir, conformément à notre hypothèse, Texistence d'un processus
myélitique, qui, à un moment donné, aurait dépassé les limites de la moitié
latérale gauche de la moelle. Je veux parler d'une rétention d'urine qui
aurait duré plusieurs jours et aurait nécessité plusieurs fois l'emploi de la
sonde. Ce symptôme-là n'appartient pas àl'hémisection latérale traumatique
simple, c'est-à-dire dégagée de toute complication.
Quoi qu'il en soit, ce qui parait bien établi, c'est qu'à son réveil le membre
inférieur gauche était complètement inerte, paralysé, tandis que le membre
inférieur droit était parfaitement libre de ses mouvements, mais par contre
complètement insensible à toutes les excitations auxquelles les assistants de
la clinique le soumettait. Evidemment c'est le syndrome de Brcwn-Séquard
qu'on avait sous les yeux et le malade a entendu plusieurs fois retentir à ses
oreilles le diagnostic: hémisection latérale de la moelle épinière. Défait, aujour-
d'hui encore, il paraît fort au courant des caractères du syndrome introduit
dans la science par Brown-Séquard et l'on comprend à écouter ce qu'il en
dit, qu'il a souvent entendu disserter là-dessus des personnes compétentes.
Mais il ne sera peut-être pas inutile pour quelques-uns d'entre vous, que je
rappelle ici très sommairement ce que j'entends par Syndrome de Broirn-
Séquard. Quelques-uns disent,, remarquez-le en passant. Maladie de Brown-
Séquard au lieu de syndrome. Je préfère de beaucoup le premier terme et je
m'y attache. C'est qu'en effet il ne s'agit pas là d'une maladie autonome^ mais
seulement d'un ensemble symptomatique pouvant se rattacher à des affections
très diverses. Ainsi en dehors de l'hémisection il y a lieu de signaler parmi
les causes qui peuvent produire le syndrome, les lésions de nature très
diverse, myélite, tumeurs intra-spinales ou extra-spinales, syphilitiques ou
non, méningites caséeuses ou autres, ayant pour effet d'affecter profondément
sur un point, le tissu de la moelle épinière dans une de ses moitiés latérales
ou d'en déterminer la compression. Mais il suffira de parler de ce qui concerne
la lésion traumatique ; c'est l'espèce du reste que Brown-Séquard a surtout
considérée et ce qu'il en dit d'ailleurs peut s'appliquer, mutaiis mutaudis^ fort
aisément aux autres espèces. Chez les animaux donc, notre illustre ami a mon-
tré qu'une section hémilatérale complète de la moelle épinière déterminait
régulièrenuMit la production d'un syndrome, dont il a, sous le nom, si' je ne
me trompe, (Y hc mi paraplégie spinale avec hémianeslhésie croisée, déterminé
avec le i)lus grand soin les caractères cliniques. 11 lui a été facile ensuite de
montrer que ces caractères-là se trouvent représentés chez l'homme avec une
exactitude parfaite dans les cas où une blessure spinalejreproduit scrupu-
— 57 —
Icusemont — ce qui comme on l'a dit, n'est pas tout îi fait rare — la Ic-sion
oxpérimontalemonl; provoquée. En ([uoi consiste donc la symptomatologie
dont il s'agil? Je ne forai pour ainsi dire (|u'énumérri- et je vous renvoie pour
plus de détail aux travaux du maître. La section porte,je suppose, comme dans
notre cas, sur la moitié gauche de la moelle, et voici alors ce qu'on observe:
i4. Du cùté gauche (côté correspondant à la lésion spinale^ — plusieurs
des données qui vont suivre sont empruntées à la clinique do l'homme, pos-
térieure, sur ce point, aux études expérimentales, mais il n'est guère douteux
qu'on les retrouverait chez les animaux avec tous leurs caractères: — 1° Para-
lysie motrice complète avec flarcidité du membre inférieur, fait déjà connu
de Galien ; — ■ à un moment donné exagération des réflexes tendineux, ten-
danceà la contracture ; — 2° La peau de ce membre est hypéresthésiée, et l'hy-
péresthésie remonte plus ou moins haut sur l'abdomen ou le tronc, suivant la
hauteur de la lésion spinale : elle est limitée de ce coté par une ligne presque
horizontale; — obnubilation ou perte du sensmusculaire; — 3° Elévation rela-
tive de latempérature; — 4" Atrophie musculaire plus ou moins rapide parfois
avec réactions dégénératives ; — 5° Quelq uef ois troubles trophiques articulaires
(arthrite du genou).
B. Du coté droit (côté opposé à la section) : 1*^ Anesthésie cutanée de tout le
membre inférieur, remontant sur l'abdomen ou le tronc où elle se limite, plus
ou moins haut,par une ligne plus ou moins horizontale; — 2° Pas d'élévation de
température de ce côté ; —3'' Pas traces de paralysie motrice, pas d'atrophie,
pas d'exagération des réflexes; — -4" Quelquefois troubles trophiques cutanés,
(eschare fessière).
C. Pas de troubles vésicaux.
Tel est l'ensemble symptomatiquc lorsqu'il s'agit de cas récents ou relati-
vement récents. Naturellement nous ne devons pas nous attendre à rencontrer
tous ces symptômes chez un sujet qui a survécu, a récupéré presque intrégra-
lement — en ce qui concerne les fonctions motrices — l'usage de ses mem-
bres, et chez lequel il y a tout lieu de supposer, ainsi que nous l'avons dit en
commençant, qu'il n'y a pas eu hémisection proprement dite, mais seulement
piqûre ou peut-être même compression momentanée plus ou moins brusque.
Il est clair qu'une restitution progressive très accentuée sur certains points a
seule permis ce retour partiel mais fort remarquable cependant au fonction-
nement normal. Aussi est-ce, dans l'acception le plus rigoureuse du mot, d'une
/im/p%/e s/9i/î«/e/rî<s/e qu'il s'agit chez notre malade. Mais vous aUez être
amenés à reconnaître que V «inscription » n'est pas à l'heure qu'il est, telle-
ment efl'acée qu'il soit devenu très difficile de la « lire ».
Voici du reste le tableau analytique des phénomènes qui peuvent être
actuellement relevés chez notre sujet :
A. Côté gauchp. : 1« Il n'existe plus trace de paralysie motrice dans le mem-
bre inférieur. Celle-ci aurait été absolue complète pendant une quinzaine
— 58 —
de jours ; à partir de cette époque le malade a commencé à pouvoir remuer
progressivement les divers segments de ce membre. Au sortir de l'hôpital, six
ou huit semaines après l'accident, il boitait encore, et il a éprouvé de ce côté
une certaine gêne dans les mouvements pendant près de trois ans. Cependant
il a pu très rapidement reprendre son métier de couvreur, qu'il n'a pas cessé
depuis; — ^'' Aujourd'hui, pas d'élévation de température sur la peau de ce
membre, au contraire ce membre est relativement plus froid que l'autre ; pas
d'hypéresthésie cutanée^, pas de modification du sens musculaire. Ces symp-
tômes ont-ils existé autrefois? Nous n'avons pas de renseignements à cet égard.
3° Le réflexe rotulien est notablement exagéré ; pas de trépidation provo-
quée du pied ; — 4" Le membre gauche est remarquablement atrophié dans
toute son étendue, ce dont témoignent suffisamment les chiffres suivants : cuisse
gauche partie moyenne, 39 c. ; cuisse droite, partie moyenne, 43 c. ; jambe
gauche, partie moyenne, 26 c. ; jambe droite, partie moyenne^ 33 c. C'est
donc une atrophie très remarquable ; mais M. Vigouroux qui a examiné la
chose de près n'a pu retrouver là cependant la moindre trace de réaction de
dégénération. 11 faut donc admettre que si ici, comme je suppose que cela a
lieu d'ordinaire dans les cas de ce genre, l'atrophie a été la [conséquence
d'une propagation du processus myelitique à la colonne des cornes antérieurs
de la substance grise du côté de la lésion, il faut admettre, dis-je que cette
altération n'a pas amené la destruction complète des cellules nerveuses de la
région_, et que la restitution ad in/egrion en a été possible pour la plupart
d'entre elles.
B. Côté droit : 1° Pas de troubles du mouvement, jamaisil n'en a existé ; —
2° Réflexes tendineux normaux ; — 3° Pas de modification du sens musculaire
de ce côté, mais modification profonde de la sensibilité de la peau. A propre-
ment parler ce n'est pas l'anesthésie proprement dite qu'on y rencontre, mais
bien un trouble équivalent qui signale généralement l'existence d'une compres-
sion spinale ou d'une lésion organicpie des faisceaux postérieurs. Je veux parler
du phénomène de dysesthésie, comme je l'appelle, qui consiste principalement
en ce que le malade sent quand on le pince, quelquefois avec un retard nota-
ble, mais sans pouvoir préciser exactement le lieu où a porté l'excitation : de
plus la sensation produite diffuse en quelque sorte au-dessus et au-dessous du
point piqué on pinec'.
Enfin le froid, le chaud ou la piqûre ne sont pas reconnus comme tels mais
donnent tous également naissance à cette vibration douloureuse ou pour le
moins fort incommode dont nous parlions il n'y a qu'un instant à propos du
pincement. Je ferai remarquer en passant ([ue ce phénomène de dysesthésie,
autant qu'on sache, paraît appartenir exclusivement aux lésions organi([ues
spinales et qu'on ne le voit pas se combiner par exemple avec l'analgésie ou
l'anesthésie des hystériques.
Rien de plus simple, vous le voyez jusqu'ici, que d'interpréter à l'aide de
39 —
l'hypotlièse l'existence de ces reliquats de Vhémiparapl/'fjie spinale avec unes-
thésie croisée. Il est un point cependant sur lequel il ne faut pas glisser et qui
aura dû vous frapper, c'est que du côté du tronc la ligne qui limite l'anesthésie
dysesthésiquc ne remonte pas aussi haut, il s'en faut de beaucoup, que cela
¥\g. W,
devrait être dans les cas, comme le nôtre, où la lésion est supposée avoir
porté au niveau des troisième ou quatrième vertèbres dorsales. Ainsi dans le
cas de Millier (Fig. 16) qui pour la plupart des détails est comparable au
9
— no -
nôtre ce-tte ligne remontait jusqu'au niveau de l'aisselle tandis que chez notre
malade (V. fiQ. 17), elle passe en avant par le pli de l'aine tandis qu'en arrière
elle ne remonte pas même jusqu'à la taille.
Ilcmip/égie spéciale avcchémianesthésie croisée.
a. Côté anestliésié.
b. Côté de la paralysie ('c mouvement.
c. Cicatrice de la plaie.
Voilà sans doute une anomalie singulière, inexplicable en apparence. Mais
il importe de ne pas oublier que l'observation de Millier est relative à un cas
— (H —
récent; le malade ayant succombé au bout d'une quinzaine de jours, tandis
que chez Ch...oy l'accident' remonte à huit ans. On peut donc admettre très
légitimement ici, je pense, que ces modifications relatives à la distribution de
l'anesthésie qui à l'origine devait s'étendre par en haut jusqu'au voisinage de
l'aisselle, est une conséquence de la restitution progressive des parties lésées
de la moelle.
C'est d'ailleurs en se rétrécissant de la périphérie vers le centre qu'a dimi-
nué progressivement le champ d'anesthésie dans plusieurs cas dhémipara-
plégie spinale, résultant de la compression par pachyméningite caséeuse por-
tant sur un seul côté de la moelle, observés par M. Rosenthal et qui se sont
terminés par la guérison (1).
Eu résumé, messieurs, je ne m'arrêterai pas plus longtemps sur ce cas qui
vous offre, suivant moi, un intéressant exemple d'hérniparaplégle spinale avec
anestlv'-sie croisée, par lésion traumatique de la moelle épinière, terminé par la
guérison, guérison incomplète sans doute, mais néanmoins fort acceptable
encore telle qu'elle est.
Je m'en tiendrai, relativement à ce cas_, à ce qui précède si il ne me venait
pas à l'instant un scrupule. La raison en est que le malade en question m'a
été adressé par un de mes élèves fort versé dans la connaissance des choses
neuropathologiques, et dont je tiens les opinions en grande estime, comme un
exemple d'hystérie traumatique. Les raisons principales en faveur de cette
opinion alléguée par notre collègue, sont d'abord les anomalies que présente
actuellement chez notre homme, sur certains points, le syndrome hémipara-
plégie spinale, ainsi, par exemple^ la limite d'anesthésie du côté droit placée
trop bas pour une lésion de la moelle située au niveau de la 3^ ou ¥ vertèbre
dorsale.
Mais, déjà, par avance, nous avons répondu chemin faisant, à ces argu-
ments et relevé en particulier que la dysesthésie n'est pas autant qu'on sache^
un phénomène hystérique. Nous ne croyons pas nécessaire d'y revenir à nou-
veau.
Notre collègue suppose que tous les phénomènes d'hémiparaplégie spinale
survenus chez notre homme se sont développés chez lui par le mécanisme de
la suggestion, dans le temps où en conséquence du choc nerveux produit
par l'accideni, son état mental pouvait être comparé à celui des hypnotiques
dans la période somnambulique. Les dissertations faites autour de lui, lors-
qu'il a été porté à l'Hôtel-Dieu dans un service de chirurgie, et relatives au
syndrome de Brown-Séquard auraient été chez lui la cause de la réalisation
toute psychique de ce syndrome.
Voilà une interprétation que nous ne saurions certes pas admettre. Vous
n'ignorez pas en effet que dans les cas hystéro-traumatiques les paralysies avec
1. Gùnslige formen von Hemildsion des Uuckenmarkes. Wien 1887.
— 62 —
ou sans anesthésie qui se produisent en conséquence du choc local ne se réa-
lisent pas du premier coup, en général. Elles n'apparaissent qu'àlasuite d'une
sorte d'incubation. J'ai beaucoup insisté là-dessus et je crois devoir y insister
encore à propos du cas présent. Ce n'est pas en effet pour avoir entendu
parler des symptômes liés à Thémiparaplégie spinale que notre homme a créé
psychiquement et réalisé objectivement toute la symptomatologie : non, cela
n'est pas acceptable, car il est absolument démontré par les détails de l'ob-
servation, que chez le malade cette symptomatologie s'était déjà réalisée
immédiatement après l'accident : avant même son admission à l'Hôtel-Dieu,
Je repousse donc absolument toute ingérence de l'hystérie dans la produc-
tion du syndrome de Brown-Séquard chez notre malade_,et je rattache ce syn-
drome à la lésion traumatique delà moelle épinière. Mais je n'irai pas jus-
qu'à prétendre que notre jeune malade est tout à fait exempt de phénomènes
hystériques et je reconnais toute la valeur de quelques phénomènes relevés
par notre collègue chez notre malade en dehors de l'hémiparaplégie et qui
l'avaient conduit à supposer que celle-ci même pourrait bien, elle aussi, être
de nature hystérique.
Ch...ey dont nous avons déjà signalé l'encolure un peu féminine, et aussi
les excès vénériens et alcooliques, ne s'est pas présenté à l'hôpital dans
l'espoir d'y être débarrassé des reliquats de son hémiparaplégie. De
cela, il a pris son parti et il n'attend pas grand'chose des ressources de l'art.
Mais il avait toussé, craché du sang ; c'est pour cela qu'il est venu demander
secours ; or, un examen attentif a fait reconnaître qu'il n'existait en réalité
aucune trace de lésion pulmonaire et l'on a été conduit à admettre qu'il
s'agissait ici d'une de ces hémorragies névropathiques si communes chez les
sujets hystériques: un examen du champ visuel qui signalait un léger rétré-
cissement semblait venir à l'appui de cette idée ; enfin on ne saurait ne pas
tenir grand compte des antécédents héréditaires du sujet qui sont assez
fortement accentués : son père en effet est aliéné et il est actuellement interné
à Tasile de Ville-Evrard ; sa grand 'mère maternelle a été sujette à des atta-
ques d'hystérie.
Je ne me refuserai donc pas à admettre que l'élément hystérique soit repré-
senté chez notre homme, mais très certainement, tout n'est pas hystérique
chez lui et en particulier je crois pouvoir affirmer que le syndrome de Brown-
Séquard relève ici d'une lésion spinale organique et nullement de la lésion
toute dynamique ou fonctionnelle, en tout cas non appréciable pour nos
moyens actuels d'investigation qui paraît être le substratum des symptômes
hystériques.
•IDB. da4a Soc d« 'l'yp. - Moisei . . 8, r- C«iii|>s<ji>«- Première, l'ari»^
Policlinique du Mardi 13 Novembre 1888
QUATRIEME LEÇON
1® Attaque de sommeil hystérique;
2° Amyotrophie par lésion articulaire ;
3° Deux cas de paralysie faciale périphérique avec hérédité
nerveuse. Cas n^ 1 : père aliéné, grand-père irrégulier, etc.
Cas n'^ 2 : plusieurs cas de bégaiement et un épileptique
dans la famille ;
4^ Vertige de Ménière; forme chronique et vertiges par accès.
1"^* Malade.
M. Gharcot : La malade qui vient d'être placée sous vos yeux est suivant le
langage usité dans cet hospice, ce qu'on appelle une « dormeuse ». En effet,
cette malade dort — si cela peut toutefois s'appeler dormir — depuis le
1" novembre dernier, c'est-à-dire depuis douze jours. En réalité, elle n'a pas
depuis ce temps-là cessé de dormir, à sa manière bien entendu, nuit et jour,
sans se réveiller jamais et il y a quelque bonne raison de croire qu'elle ne se
réveillera pas de sitôt (1).
Dans le service où elle vit depuis bien longtemps on laisse aller les choses
comme elles veulent aller, sans chercher à provoquer le réveil, sachant par
expérience que dans ce cas cela serait inutile quels que fussent les moyens «pie
l'on mettrait en œuvre ; et éclairé par ce qui s'est passé déjà antérieurement
dans nombre de crises semblables^ on assiste sans anxiété, sans émotion à ce
\. L'atlaque de sommeil s'est termiaée le 29 novembre. — La malade a donc • dormi » lu-i-
dant vingt-neuf jours.
10
— 64 —
spectacle singulier avec lequel on s'est depuis longtemps familiarisé, vivant
dans la conviction bien arrêtée qu'un beau jour, tôt au tard, tout rentrera dans
l'ordre spontanément.
Ce n'est pas à la Salpêtrière qu'on en est encore à s'exclamer à la vue de
pareils faits. Ils y sont trop fréquemment rencontrés ;'et au contact de l'obser-
vation régulière ils y ont depuis longtemps perdu ce caractère de merveilleux
qu'on leur prête bien souvent encore parmi les laïques et dans les feuilles
publiques.
Vous avez compris par ce qui précède que notre « dormeuse » a déjà son his-
toire ; j'ajouterai qu'elle a une longue et fort intéressante histoire. Au fond
c'est une hystérique de la grande espèce et c'est généralement parmi ces hysté-
riques-là du reste que s'observent les attaques de sommeil.
Elle est rentrée à la Salpêtrière en 1862, il y a vingt-six ans de cela, elle
avait alors 27 ans elle en a maintenant 53. Vous trouverez tout ce
qu'il vous est intéressant de savoir sur son compte, dans l'ancienne Icono-
graphie de la Salpêtrière rédigée par MM. Regnard et Bourneville (t.III^
1879-1880, obs. XI, p. 118). Là vous apprendrez qu'Eudoxie H... est née d'une
mère épileptique (?) et d'un père alcoolique, qu'elle a commencé à avoir des
attaques vulgaires de grande hystérie à l'âge de 18 ans ; que vers cette
époque, à l'âge de 20 ans, elle a été atteinte de paraplégie hystérique com-
plète absolue qui jamais n'a guéri, et dont actuellement on peut reconnaître
les reliquats ; les membres inférieurs, en effet, vous le constatez aujourd'hui,
sont rigides, atrophiés et les muscles très certainement y ont subi des modifi-
cations organiques, depuis longtemps irréparables ; aussi la malheureuse est-
elle depuis trente-trois ans absolument confinée au lit, n'ayant jamais quitté
la division autrefois dirigée par M- Delasiauve, plus tard par Legrand
du Saule et, en ce moment, par mon excellent collègue Jules Voisin à l'obli-
geance duquel je dois de pouvoir vous la montrer aujourd'hui. — C'est
dans cet hospice même, en 1875, c'est-à-dire il y a treize ans, que les attaques
hystéro-épileptiques jusque-là classiques, ont subi en quelque sorte une
transformation et se sont changées^ — j'insiste sur les termes que j'emploie, —
se sont changées, dis-je, en attaques de sommeil. La première fois que la
malade a « dormi », son attaque de sommeil a duré quarante jours, et depuis
cette époque-là elle n'a pas cessé de dormir chaque année une ou deux fois»
pendant des périodes de un ou deux, quelque fois trois mois, rappelant ainsi,
en petit toutefois, l'histoire de la « Belle au bois dormant » qui en somme,
entre nous soit dit, n'est que l'histoire embellie par l'art, d'une hystérique
recherchée par un prince jeune et quelque peu écervelé.
J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion d'entretenir mes auditeurs de cette
malade, plus particulièrement en décembre 1883 ; les leçons que j'ai faites
alors à son sujet ont été publiées en italien par le regretté D"" Miliotti de Milan
Lezioni clinkhe dcU anno scolaftico 1883-81. MUano 188^). Voir p. 24, Attaco
— 05 —
di sonno, et 38 ancora dell attaco di sonna). La malade, lorsque je l'ai pré-
sentée dans cette occasion à la clinique, dormait déjà depuis sept jours ; elle
a continué à dormir par la suite pendant plusieurs semaines encore. J'ai fait
allusion, une fois de plus, à ce cas, dans une leçon publiée par le Bulletin
médical, le 2 décembre 1887. J'engage ceux d'entre vous qui s'intéresseraient
spécialement aux attaques de sommeil à consulter les documents que je viens
d'indiquer ; et j'en arrive à l'étude clinique régulière des phénomènes qui
s'offrent en ce moment à notre observation.
Notre malade dort donc depuis douze jours; elle a dormi plusieurs fois, je
l'ai déjà dit, pendant quarante jours et plus ; c'est donc un grand cas dans
l'espèce. Il y a mieux que cela cependant, car le sommeil de ce genre peut
durer non seulement pendant des mois, mais encore pendant des années,
ainsi que vous le verrez par la lecture d'un très intéressant travail publié dans
les Arch'wes de Neurologie pour 1888 par M. Gilles de la Tourette (n"' 43
€t 44) ; mais les petits cas, ceux dans lesquels les attaques de prétendu som-
meil durent seulement trois, quatre, huit, dix, douze jours, sont infiniment
moins rares ; c'est ainsi que, dans le service, nous n'avons pas observé moins
de cinq cas de cette catégorie dans le courant de ces deux dernières années.
Vous voyez qu'en ces matières nous ne sommes pas pris tout à fait au dépourvu
et que nous y possédons une certaine expérience ; d'autant mieux que tous les
cas du groupe se rapprochent étroitement les uns des autres aussi bien dans
l'ensemble que dans les détails, si bien qu-e ce que l'on dit de l'un, on peut
l'appliquer à l'autre, non pas toutefois sans tenir compte de quelques varia-
tions individuelles qu'on doit s'attendre à rencontrer toujours, alors même
qu'il s'agit d'un groupe morbide des plus homogènes.
Je vous ferai remarquer en premier lieu que notre malade, qui parait dor-
mir si profondément, présente cependant une rigidité marquée dans les mem-
bres supérieurs qu'elle tient demi-fléchis sur la poitrine. Cette rigidité déjà
contraste nécessairement avec la résolution qui caractérise au contraire
l'attitude des membres dans le sommeil physiologique ; mais ne vous atten-
dez pas à trouver cette rigidité chez toutes les « dormeuses ». Il en est et des
plus légitimes, chez lesquelles les membres restent parfaitement mous et
flexibles ; ce cas, même, paraît être le plus commun. Un caractère plus impor-
tant et qui se trouve parfaitement accentué chez la malade d'aujourd'hui,
c'est la vibration, les palpitations permanentes que présentent les paupières et
qui se montrent d'autant plus prononcées que vous faites plus d'efforts pour
découvrir l'œil. Evidemment cela n'appartient nullement au sommeil naturel ;
non plus que l'absence très remarquable de toute espèce de ronflement dans
une circonstance où le sommeil — ou ce qu'on appelle de ce nom — est
tellement profond que ni le bruit du tam-tam, ni l'inspiration d'ammoniaque,
ni la faradisation intense de la peau ou des muscles, des troncs nerveux eux-
mêmes, ne sont capables de produire le réveil : vous le constatez, toutes ces
— 66 —
expériences-là,quiseraient absolument décisives s'il s'agissait du vrai sommeil,
ne provoquent ici aucun changement, pas même un soubresaut, pas même
une modification, quelque légère qu'elle soit, de la physionomie. Evidem-
ment, d'après tout cela, vous l'avez compris, il ne saurait être question dans
notre cas, de sommeil naturel et il y a lieu par conséquent de faire ici un pre-
mier départ.
Je viens devons présenter notre « dormeuse» comme parfaitement impassible
devant tous les moyens vulgaires d'excitation même douloureuse, qui seraient
très certainement efficaces à unhaut degré dansle cas de sommeil naturel. Ainsi
sont les choses en réalité dans tous les cas d'attaques de sommeil que j'ai ob-
servés jusqu'ici. Mais il y a excitants et excitants, je dois vous en prévenir;
et justement, il arrive que chez certaines hystériques- dormeuses, les points
hystérogènes dont l'excitation dans l'intervalle des périodes de sommeil est
capable de faire éclater les accès convulsifs vulgaires, ou ceux-ci une fois dé-
veloppés d'en arrêter l'évolution, il arrive, dis-je, que chez ces sujets les
points en question peuvent être utilisés soit pour provoquer le sommeil lui-
même, soit au contraire pour provoquer le réveil. Les choses étaient ainsi
en particulier chez la dormeuse dont j'ai raconté l'histoire dans le ^w/Ze^/i
médical du 2 décembre 1887. Chez elle on pouvait produire le sommeil ou
au contraire y mettre un terme à volonté, le plus facilement du monde. Ce
n'est pas tout à fait le cas qui se présente chez notre malade d'aujourd'hui :
cependant vous voyez comment la compression de l'abdomen dans la région du
tlanc produi chez elle un tressautement "accompagné d'une] exclamation : Ah!
ah ! Mais à proprement parler il n'y a pes de réveil.
En somme, vous le reconnaissez, les palpitations, les vibrations des paupières,
l'absence du ronflement qui devrait accompagner un sommeil en apparence aussi
profond, l'impossibilité de produire le réveil même par l'application des plus
fortes excitations, la rigidité des membres enfin, phénomène que vous ne
devez pas toutefois vous attendre à retrouver dans tous les cas du même genre,
tout cela concourt à établir que nous ne sommes pas en présence d'unsommeM
physiologique. Et si nous y regardons encore de plus près, bien d'autres indices
encore, comme par exemple le fait d'uriner au lit, fait à peu près général chez
les « dormeuses », viendront, je pense, justifier à vos yeux, Topinion que je
professe depuis longtemps relativement aux cas de ce genre. C'est à savoir
que le prétendu sommeil n'est autre chose qu'une attaque hystérique modifiée
ou transformée^ conme vous voudrez le dire.
Voici l'indication de quelques-unes des preuves que l'on peut invoquer à
l'appui de cette manière de voir. En premier lieu l'attaque de sommeil est, dans
bon nombre de cas, précédée et suivie des phénomènes ordinaires de l'attaque
convulsive ou de ses prodromes. C'est ce qui a lieu dans la règle chez notre
malade d'aujourd'hui: au moment où elle va entrer dans son* sommeil »
elle est agitée, rit et pleure sans motif, elle a des hallucinations terrifiantes,
— 07 —
en tout semblables h celles qu'elle présentait autrefois lorsqu'elle était sous le
rép;ime des attaques convulsives hystéro-épiloptiriucs normales : les mêmes
ph(';nornènes plus accentués encore, et marqués i>ar des spasmes toniques et
des mouvements de salutation indi(iuent la fin de la crise; ainsi sontl^js choses
chez notre malade et chez beaucoup d'autres du même groupe ; il ne faudrait
pas croire cependant que cette apparition de phénomènes d'hystérie convul-
sive à la fin et au début des crises de sommeil scjit un fait général. Non, cer-
tainement cela n'est pas, et il peut arriver qu'on voie ces malades s'affais-
ser tout à coup et tomber lourdement à terre comme si elles venaient d'être
frappées d'apoplexie foudroyante. Le sommeil a commencé aussitôt et il se
prolonge désormais avec les caractères spéciaux que nous lui avons reconnus
tout à l'heure..
Combien de fois nous avons vu nos « dormeuses » entrer tout à coup dans
leur « sommeil » et se laisser choir soudain lourdement, sur le sol des cours,
pendant une promenade, au beau milieu d'une conversation.
Mais j'en reviens aux caractères qui doivent nous conduire à admettre que
le « sommeil hystérique » est en quelque sorte l'équivalent d'une série plus
ou moins prolongée d'attaques régulières. J'indiquais tout à l'heure les phé-
nomènes convulsifs ou psychiques qui souvent sont le prodrome de l'attaque
de sommeil et marquent sa terminaison. Eh bien, les mêmes phénomènes se
présentent fréquemment, en manière d'épisodes, pendant la durée même de
l'attaque de sommeil à plusieurs reprises.
C'est ainsi que vous avez vu, par intervalle, la dormeuse (jue vous avez sous
les yeux, se dresser tout à coup sur son séant, étendre les bras en avant, puis
retomber sur son lit, pour recommencer ensuite, une fois encore ou deux, ce
même mouvement, de façon à rappeler ce que, dans l'attacfue hystéro-épilep-
tique normale nous désignons sous le nom de salutations, et vous n'avez pas
oublié sans doute qu'un peu avant chacune de ces salutations on voit chez
la malade de l'écume sortir de la bouche comme pour marquer la place de
la phase épileptoïde.
La dormeuse dont je vous ai entretenu le 2 décembre 1887, s'écriait quel-
quefois, sans se réveiller: « Emile, je t'aime I » et deux fois nous l'avons vue,
toujours sans se réveiller, se dresser tout à coup, se jeter à bas du lit et courir
dans la salle en prenant des attitudes et en prononçant des paroles très signifi-
catives (période des attitudes passionnelles). Ainsi l'on peut dire que pendant
Vattaque de sommeil, les phénomènes de l'attaque convulsive se manifestent
souvent comme par lambeaux.
Enfin je ferai valoir ceci encore en faveur de la thèse que je défends : ainsi
que cela se voit fort bien'par l'histoire d'Eudoxie H..., les attaques de sommeil
sont souvent pendant des années précédées par des attaques d'hystérie con-
vulsive auxquelles elles tendent à se substituer et que définitivement, à un
moment donné, elles remplacent.
— 68 —
Mais, me direz-vous peut-être, comment expliquer, s'il est vrai comme vous
le prétendez que l'attaque de sommeil soit 1 équivalent d'une série d'attaques
convulsives hystériques, d'un état de mal hystérique en un mot, comment
expliquer que l'attaque de sommeil puisse se prolonger pendant des jours et
des mois même, sans interruption ? Eh bien, messieurs, si vous voulez vous
reporter à ce que je vous ai dit dans le temps à propos de la très longue
durée de certaines séries d^attaques hystéro-épileptiques, vous reconnaîtrez
aue l'état de mal dans les cas de ce genre, peut se prolonger pendant une et
parfois même pendant plusieurs semaines, de telle sorte qu'en somme, entre
■ces cas d'état de mal hystérique, à la vérité exceptionnels, et les cas d'attaques
•de sommeil, l'écart, du moins en ce qui concerne la durée, n'est pas aussi con-
sidérable qu'on serait tenté de le croire au premier abord. Sur ce sujet vous
consulterez peut-êtreavec intérêtuneleçonsurl'A'/a^ de mal hystérique épllepti-
forme que j'ai donnée le 9 janvier 1885 et qui a été publiée parM"° Bl. Edwards,
alors mon externe, dans la Tribune médicale (16^ volume, année 1885, p. 159.)
Consultez également sur cette même question les « Lezione cliniche » pu-
bliées par le D"" Miliotti en 1885 {Dello stato di malo istei^o-épilettico et stato
dimalo épilettico, p. 159). Vous trouverez là l'histoire très authentique d'atta-
ques hystériques en série, qui ont duré quinze jours (8.000 accès) et vingt-six
jours (avec 21.708 accès). Une malade de mon service, la nommée Habill...
est sujette à entrer de temps à autre dans ce genre d'état de mal. En décem-
bre 1885 (Voy. Bl. Edwards, loc. cit.) elle a eu deux séries d'accès : la pre-
mière qui a duré treize jours et où Ton a compté 4.506 accès, l'autre qui a
■duré quatorze jours et où l'on a compté 17.083 accès. Cette même observa-
tion recueillie par MM. Marie et Souza-Leite a été publiée dans le Progrès
médical (sept. 1885). Il est fort remarquable qu'ainsi que je l'ai démontré,
la température centrale ne s'élève pas notablement dans ces séries inter-
minables d'attaques convulsives qui presque sans cesse et sans trêve se
reproduisent en nombre presque prodigieux jour et nuit pendant un aussi long
espace de temps. — Sous ce rapport il y a encore un rapprochement à faire
entre l'attaque de sommeil et Vétat de mal hystérique, car dans celle-là comme
dans celle-ci la température reste au taux normal ou à peu près : ainsi, chez
notre malade d'aujourd'hui, elle est de 37° 2 avec un pouls de 72,80; en
même temps que la peau reste fraîche.
Vous le voyez par ce qui précède, la théorie que je soutiens trouve sa véri-
fication alors même que l'on considérera la durée des attaques et il est rendu
ainsi au moins fort vraisemblable, pour ne pas dire plus, que l'attaque de som-
meil représente une attaque ou plus exactement une série d'attaques hysté-
riques « transformées ».
Il y a cependant, entre celles-ci et celles-là, une différence que je ne vou-
drais pas passer sous silence^c'est que le « sommeil » une fois constitué s'éta-
blit pour un temps, à l'état de permanence, sans qu'il y ait de réveil, tandis
— 69 —
que dans Vétat de mal hysirro-tipllep figue, il y a de temps à autre des moments
de répit, comme des entr'aetes, pendant lesquels les convulsions et le délire
s'interrompent momentanément. Mais je ne saurais voir là un motif de dis-
tinction vraiment essentielh^, et je crois que sans forcer les faits nous pou-
vons rapprocher l'un de l'autre les deux états et les considérer comme deux
modes éciuivalents d'une même perturbation fonctionnelle.
Il ne nie reste plus grand'chose à vous dire concernant le cas d'attaque de
« sommeil » que vous avez sous les yeux et les « attaques » de sommeil consi-
dérées en général. Voici cependant l'énoncé de quelques faits sur lesquels
j'aurais le regret de ne pas insister un instant.
En premier lieu j'irai au-devant d'une question ((ue certainement vous vous
êtes tous posée pendant que je procédais à mon exposé : Comment notre ma-
lade peut-elle se nourrir pendant cette longue durée d'un sommeil profond ?
On pourrait invoquer ici, messieurs, pour certains cas, cette condition spé-
ciale de la nutrition que présentent certaines hystériques, comparables sous
ce rapport aux animaux en hibernation, et qui leur permettent de vivre pen-
dant une période de temps relativement longue sans s'alimenter, du moins
sans s'alimenter sérieusement. Mais cette condition d'après les recherches
faites dans ces derniers temps dans mon service de la Salpêtrière par MM. Gilles
de la Tourette et Cathelineau serait beaucoup plus rare qu'on ne Ta supposé
et d'ailleurs nous n'avons pas à l'invoquer dans la circonstance actuelle : en
effet notre malade se nourrit chaque jour ou pour mieux dire on la nourrit
comme on va le faire devant vous.
Entre les dents légèrement serrées, on introduit, vous le voyez, à l'aide d'une
cuiller, du lait ou tout autre aliment liquide ou semi-liquide qui, après avoir
séjourné un instant dans la bouche, est bientôt automatiquement dégluti par
la malade. Ainsi l'alimentation se fait chez elle tant bien que mal. Je dis tant
bien que mal, parce que évidemment en temps ordinaire, cette alimentation
serait relativement insuffisante.
MM. Gilles de la Tourette et Cathelineau ont en effet démontré par l'étude
méthodique de six cas de sommeil hystérique —six cas, vous le remarquerez
en passant, c'est un chiffre imposant dans l'espèce — que pendant la durée de
l'attaque le poids du corps diminue rapidement en même temps que l'on cons-
tate par l'analyse des urines une constante diminution qualitative et quanti-
tative de tous les éléments: volume, urée, phosphates, etc., etc. 11 est au
moins fort vraisemblable que chez H..., les choses se passent comme elles se
sont passées sur les six cas étudiés par MM. Gilles de la Tourette et Catheli-
neau, chez lesquels l'alimentation se faisait absolument dans les mêmes con-
ditions.
D'autres points à relever sont relatifs au diagnostic. J'ai déjà montré les
différences assez considérables qui séparent le « sommeil» de nos dormeuses
du sommeil naturel. 11 serait trop long à l'heure qu'il est de poursuivre la com-
— 70 —
paraison avec tous les autres états qui de près ou de loin ressemblent plus ou
moins au sommeil physiologique. Je me bornerai à vous montrer en quoi
l'attaque du sommeil hystérique, diffère « des sommeils » propres à certaines
formes de la névrose hypnotique ; je fais allusion ici, à ce que j'appelle le
grand hypnotisme des hystériques, seul cas dans lequel les symptômes céré-
braux particuliers qui marquent les trois états s'accompagnent de phénomènes
somatiques correspondants. Seule, la période dite léthargique de ce genre
d'hypnotisme caractérisée par l'apparence d'un sommeil profond avec résolu-
tion des membres pourrait être confondue avec l'attaque de sommeil hysté-
rique ; laquelle attaque d'ailleurs peut être provoquée parfois chez quelques
sujets, par les mêmes manœuvres (pression des globes oculaires, fixation du
regard), qui chez la majorité des autres déterminent l'apparition du grand
hypnotisme.
Mais la différence qui existe entre les deux étals peut être facilement mise
en relief, cliniquement, par la mise en jeu du phénomène de Thyperexcitabi-
lité névro-musculaire qui appartient exclusivement à la léthargie hypnotique.
La pression sur les muscles, sur les trajets nerveux, ne détermine pas
la contracture des muscles correspondants dans Tattaque de sommeil
hystérique, tandis que, dans la léthargie hypnotique, ce phénomène ne
manque jamais de se montrer au moins à un certain degré. Il est clair que
lorsque les membres seront naturellement rigides, comme dans le cas que
nous avons actuellement sous les yeux, le diagnostic se pourra faire du pre-
mier coup, car la résolution complète, absolue des membres, antérieurement
bien entendu à la pression exercée sur les muscles ou sur les troncs nerveux,
est un caractère inhérent à la léthargie hypnotique, et à ce propos je ferai
remarquer chez notre malade d'aujourd'hui un fait qui m'a été signalé par
mon collègue, M. Jules Voisin, et qui dans l'espèce, me parait constituer une
anomalie ; ce fait du moins je ne l'ai pas rencontré encore dans les aulres
cas assez nombreux de sommeil hystérique que j'ai observés jusqu'à ce jour.
Vous voyez que lorsqu'on soulève les membres supérieurs de la malade, ceux-
ci ne retombent pas et conservent au contraire la position qu'on leur a im|)ri-
mée.
Ceci rai)pelle jusqu'à un certain point ce que l'on voit dans la période cata-
leptique de l'hypnotisme. Mais entre les deux cas la différence qu'on peut rele-
ver tout au moins chez notre sujet d'aujourd'hui c'est que, contrairement à ce
qui a lieu dans la catalepsie bien formulée, les attitudes expressives imprimées
aux membres supérieurs de manière à hgurer ce qui se voit soit dans l'acte
d'envoyer un baiser,soitau contraire dans l'acte de menacer du poing, n'ont pas
pour elfet d'affecter les traits de la physionomie d'une façon correspondante. Les
traits restent immobiIes,impassibles comme vous le voyez chez notre malade et
j'ajouteiai que chez elle aussi les yeux un instant maintenus ouverts parTélô^
vation des paupières ne tardent pas à se fermer de nouveau d'eux-mêmes,
— 71 —
tandis que dans la vraie catalepsie du grand hypnotisme, cela n'aurait point
lieu. Quoi qu'il en soit il est diffi(!ile de méconnaître qu'il existe dans notre cas
certains caractères, certains traits qui jusqu'à un certain point rappellent ce
qu'on voitdans la catalepsie hypnotique et c'est là une circonstance quiméri-
tait certainement d'être relevée ; il est possible en effet qu'elle se retrouve dans
d'autres cas de sommeil hystérique lorsqu'on prendra le soin de l'y rechercher
et alors ce serait un trait d'union de plus à signaler entre la névrose hysté-
rique et le grand hypnotisme.
Vous savez comment dans ces dernierstempsM.Debove et son élève M.Achard
ont publié d'excellents travaux sur ce qu'ils appellent « l'apoplexie hystérique ».
C'est à mon avis un grand service qu'ils ont rendu aux cliniciens en faisant
bien connaître ces cas restés jusqu'à eux méconnus ou mal connus, dans les-
quels l'attaque d'hémiplégie hystérique se développe brusquement, au milieu
de symptômes qui rappellent ceux de l'apoplexie avec hémiplégie de cause
organique. Je n'entreprendrai pas de séparer cliniquement cette apoplexie
hystérique de l'attaque de sommeil, par la simple raison qu'à mon avis il
s'agit là d'un seul et même état morbide. La seule différence à ce qu'il me
semble, serait que dans les cas signalés par MM. Debove et Achard l'attaque
de sommeil à début brusque est suivie d'hémiplégie, tandis que celle-ci fait
défaut dans les autres, et à ce propos je pourrais citer comme éminemment
propre à bien établir la relation sur laquelle j'insiste actuellement, lecas d'un
hystérique (le fameux dormeur de Londres [1], que j'ai eu longtemps dans
mon service et chez lequel les attaques de sommeil marquées par tous les
caractères décrits plus haut, et dont la durée était en moyenne de six à huit
jours, était dans certains cas accompagnée d'hémiplégie gauche^ tandis que
dans d'autres cas c'était le mutisme qui occupait la scène.
Mais en voilà assez pour aujourd'hui sur le sommeil hystérique : c'est un
sujet sur lequel j'aurai certainement l'occasion de revenir quelque jour. Notre
malade, toujours dormant, va être reconduite dans son service qui est situé
peut-être à un demi-kilomètre d'ici. Elle aura donc à traverser de longues
cours et il n'est guère vraisemblable que, pendant son trajet, elle se réveille.
Il est même assez vraisemblable que je pourrai mardi prochain vous la pré-
senter à nouveau telle que vous l'avez vue aujourd'hui, et ayant, par consé-
quent, pendant huit nouveaux jours, sans cesse et sans trêve, dormi du som-
meil particulier dont nous venons de la voir dormir.
i. Le nommé Ch...ffat, dont l'histoirf est rapportée dans le 3« volume des Leçons sur les
maladies du système nerveux. — Voir l'Appendice.
11
- 72
2" Malade.
Je vais maintenant, conformément à nos habitudes, étudier avec vous quel-
ques-uns des malades qui se sont présentés ce matin même à la consul-
tation.
Le premier est une de nos anciennes connaissances. Nous Tavons traité, il
y a environ deux ans, pendant plusieurs mois dans nos salles. Il est venu nous
retrouver ces jours-ci et nous l'avons engagé à paraître devant nous, une fois
de plus^ ce matin. Ce n'est pas d'hystérie qu'il est question cette fois, mais
bien d'une affection d'un ordre tout différent.
11 s'agit, vous le reconnaissez aux reliefs que font les muscles, d'un homme
d'une vigueur peu commune, d'une sorte d'athlète.
Il est âgé de trente et un an.
Il ne procède pas de gens nerveux et jamais il n'avait été malade avant un
accident dont je parlerai dans un instant. Il a servi dans l'artillerie pendant
cinq ans sans jamais être arrêté par le moindre malaise; ce n'est pas un
alcoolique et jamais il n'a eu la syphilis. Il exerce la profession de gardien de
le paix et c'est justement dans l'exercice de sa profession ingrate qu'il a con-
tracté l'affection dont aujourd'hui encore il porte les traces.
Voici dans quelles conditions la maladie s'est produite :1e 19 novembre 1886,
vers 7 heures du soir, alors qu'il courait après un voleur, il fit une chute sur le
genou gauche. Au moment de sa chute il ne ressentit pas grande douleur, et il
put même continuer à faire son service, un peu gêné dans la marche toute-
fois, pendant près de trois quarts d'heure encore.
Examinons maintenant de près l'état actuel du malade; nous compléterons
dans un instant l'histoire des incidents qui se sont produits à la suite de cette
chute.
M. CiiARCOT [au malade) : Veuillez mettre A nu vos jambes et vos cuisses,
dépouillez-vous de votre pantalon.
Veuillez considérer. Messieurs, les choses d'un peu près : au membre infé-
rieur droit, vous le voyez (fig.l8)la musculature de la cuisse et de la jambe est
bien celle d'un atlilète, comme je vous le disais tout à l'heure et les reliefs
musculaires déjà si accusés à l'état de repos, s'exagèrent encore lorsqu'on
dit au malade de raidir ses membres autant que possible. Alors l'action des
muscles extenseurs de la jambe devient tellement puissante qu'il se produit
— 73 —
entre celle-ci et la cuisse, un angle obtus, ouvert en avant de façon à rappeler
la déformation connue sous le nom de rjenu recurvatum. Pareille chose ne se
Fig. 18. — Les membres inférieurs vus
de profil. La ligne imaginaire A, B, G,
montre l'angle obtus ouvert en avant que
font la cuisse et la jambe droites. A' ,B', G'
montre au contraire l'angle ouvert en ar-
rière que font la cuisse et la jambe gau-
ches, ainsi que la tuméfaction apparente
du genou de ce même côté.
Fig.^19. — Les membres inférieurs vus de
profil.
(Môme signification des lettres que dans le
cas précédent.)
[Croquis cVapvès nature. J. M. C.)
voit à l'état normal que chez les gens exceptionnellement vigoureux. Exami-
nons maintenant l'état du membre inférieur gauche. Le contraste est vrai-
74
ment très frappant. En efïet, ce membre dans toute son étendue, cuisse, fesse
et jambe, est très manifestement amaigri {fig.18, 19, 20,21); l'amaigrissement
^
Fig. 20. — Atrophie totale du membre
inférieur gauche.
A, Fesse. — B, Cuisse. — C, Jambe.
Fig:. 21. -- Le muscle tenseur du fascia
lata (A) est relativement conservé (1).
portant toutefois tout particulièrement sur les muscles antérieurs de la cuisse
1. Les croqul^ des fig. 18, 19, ^20, 21 ont été recueillis en janvier 1887. Aujourd'hui,
13 novembre 1888 les choses, quant à ce qui est de l'atrophie, sont restées à peu près telles
quelles ; seulement celle-ci est un peu moins prononcée.
... 75
extenseurs de la jambe. Partout les reliefs musculaires sont relativement peu
accusés, alors même que le malade fait tous ses efforts pour produire d'éner-
giques contractions.
Remarquez que, quoi qu'il fasse, ce membre reste demi-fléchi au niveau du
genou (fig. 19 B.), en même temps que la rotule se montre trùs mobile laté-
ralement, tandis qu'à droite elle est fortement fixée contre les surfaces osseuses
articulaires, dans ces mêmes conditions d'extension forcée. Voilà, je le répète,
un contraste bien remarquable dont il s'agira de faire ressortir la significa-
tion.
Mais auparavant,, je veux compléter notre description par quelques détails.
Vous voyez que le genou gauche est comme arrondi, il semble un peu tuméfié,
flasque au toucher ; on pourrait croire que la synoviale contient du liquide ;
nous nous assurons, par une palpation méthodique, qu'il n'en est rien absolu-
ment. Cette apparence tient évidemment, du moins cela nous paraît être, au
défaut d'action des muscles tenseurs de la rotule et de la capsule articu-
laire.
Veuillez remarquer encore une fois la maigreur de la fesse gauche compa-
rée à la fesse droite (fîg. 20), celle de la cuisse gauche surtout prononcée, je
le répète encore une fois, sur les muscles de l'extension (fig.l9et 20).
La différence entre les deux cuisses, après deux ans, est encore de deux cen-
timètres et demi. La différence de volume entre les deux mollets est un peu
moins prononcée, mais elle est, cependant, encore très sensible (fig.20).
Eh bien. Messieurs, après tous les détails dans lesquels nous venons d'entrer
et étant donné la connaissance de l'accident du 19 novembre 1886, on peut
en quelque sorte reconstituer, tant les phénomènes relevés sont caractéristi-
ques, l'histoire tout entière de la maladie. J'insisterai particulièrement sur les
traits suivants : atrophie musculaire d'un membre tout entier, mais manifes-
tement prédominante sur les muscles extenseurs de l'articulation sur laquelle,
lors de la chute, le choc a porté, — absence de troubles de la sensibilité.
J'ajouterai, comme détails complémentaires, l'absence, reconnue ces jours-ci
mais aussi dans les premiers temps du mal, de la réaction de dégénération et
enfin l'exagération du réflexe rotulien du côté malade, beaucoup moins accen-
tué aujourd'hui toutefois qu'elle ne l'était autrefois.
Voilà, je le répète, Ténumération de faits qui, dans leur ensemble, consti-
tuent un syndrome vraiment caractéristique. Il révèle, quand tous ces caiac-
tères se trouvent réunis, l'existence d'une atrophie musculaire de cause articu-
laire,iiuiremeni dit d'une amyotrophie consécutive à la lésion d'une jointure.
Je ne m'étendrai pas, Messieurs, sur l'histoire générale de ces amyotrophies
articulaires. C'est un sujet d'ailleurs que j'ai traité dans maintes circonstances,
en particulier dans les Leçons sur les maladies du sxjstème nerveux (t. III,
1887, p. 27 et suivantes), et plus récemment dans les Leçons du mardi de la
précédente année scolaire (p. 331). Je renvoie à ces leçons ceux qui vou-
— 76 —
(iraient approfondir la matière et je me contenterai aujourd'hui de quelques
remarques qui s'appliquent plus spécialement au malade que nous avons sous
les yeux.
L'histoire de Taffection articulaire qui^ chez notre homme, a été la cause
de tout le mal, est fort intéressante en ce sens qu'elle montre qu'une arthrite
même légère, peut chez certains sujets avoir pour effet de déterminer très
rapidement la production a'une amyotrophie très prononcée et qui longtemps
privera le malade de l'usage de ce membre. Ainsi que je le faisais remarquer
tout à l'heure, R... a pu, après sa chute, continuer, le soir,son service pendant
plus de trois quarts d'heure. 11 n'y avait pas de plaie, pas traces de contusion,,
et la nuit il souffrit à peine. Mais le lendemain matin le genou était rouge,
tuméfié, et il y avait de la fièvre. Il fallut donc garder le lit. Les choses
allèrent ainsi pendant trois jours. — Vers le quatrième jour, la fièvre ayant
cessée et la tuméfaction ainsi que la douleur s'étantconsidérablementamendées
dans le genou, le malade commença à pouvoir quitter le lit et à faire quelques
pas dans la chambre, fort gêné toutefois dans l'usage de son membre inférieur
gauche qui était « très faible ». Au bout de quinze jours, il pouvait sortir de
chez lui et se rendre à l'hôpital de la Pitié, près duquel il demeure, pour y
prendre des consultations.
Le genou dans ce temps-là était encore un peu gonflé mais non douloureux,,
assure-t-il, et la gêne qu'il éprouvait pour marcher, il l'attribuait non à la
douleur mais à la faiblesse du membre.
C'est six semaines après l'accident qu'il se présenta pour la première fois à
la Salpêtrière où il fut admis : à cette époque, l'arthrite avait complètement
disparu, sans laisser de traces; mais l'atrophie du membre tout entier, pré-
dominant toutefois, comme c'est la règle en pareil cas, sur la région anté-
rieure de la cuisse, était poussée déjà au plus haut degré. Toute trace de
douleur était disparue dans le genou et cependant l'impuissance motrice
dans le membre gauche tout entier, surtout en ce qui concerne les mouve-
ments d'extension de la jambe, était fort prononcée.
C'est évidemment d'une paralysie amyotrophique qu'il s'agissait ici et cette
amyotrophie développée en conséquence de l'affection articulaire s'était
accusée bien rapidement, puisque au bout de six semaines elle était considé-
rable. 11 est clair qu'au milieu d'un pareil concours de circonstances, la théorie
([ui voudrait rattacher les amyotrophies de ce genre à l'influence de l'inaction
prolongée des muscles ne mérite même pas d'être discutée, puisqu'en somme
l'inaction totale n'a pas duré plus de quatre ou cinq jours. De même, on ne saurait
admettre que ces amyotrophies soient la consé(|ucnce d'une propagation aux
muscles d'un processus inflammatoire, car dans notre cas l'arthrite, en somme,
a été fort peu de chose ; d'ailleurs, il serait bien difficile d'expliquer une
extension aussi rapide d'un processus intlammaloire à toute l'étendue d'un
membre et sa prédominance très marquée sur les muscles antérieures de la
— 77 —
cuisse. Seule, la théorie imaginée par Vulpian, que j'ai depuis longtemps
adoptée et soutenue, me paraît applicable â rinter[>rétation de toute la série
de faits que nous venons d'exposer. Elle consiste, vous le savez, à admettre que
sous l'influence de l'affection de la jointure, les nerfs articulaires centri-
pètes, irrités à leurs extrémités périphériques, transmettent l'irritation jusqu'à
la substance grise spinale, et plus précisément aux grandes cellules nerveuses
des cornes antérieures : d'où l'amyotrophie consécutive {y o\y Leçons du Mardi,
1887-1888,p.335).Pour avoir soutenu cette théorie un confrère allemand m accu-
sait ces jours-ci de « mysticisme ». Voilà une accusation faite pour me rendre
rêveur, car je ne vois pas bien ce qu'il peut y avoir de « mystique >> dans une
théorie fondée sur des analogies anatomiques et physiologi<[ues. D'ailleurs,
quoi qu'il en puisse être, la théorie en question paraît être aujourd'huifondée
autrement que sur des analogies et sur des vraisemblances puisque, ainsi que
M. Klippel l'a fait voir (Société anatomique, novembre 1887 et janvier 1888) la
lésion supposée des cellules des cornes antérieures a pu se trouver réalisée et
démontrée dans un cas par un examen nécroscopique attentif.
Il est d'autres enseignements encore fournis par notre cas. Voyez comment
les amyotrophies de cause articulaire sont tenaces et durables, alors même que
la cause provocative a été vraiment minime. Voilà deux ans que^la maladie a
commencé et chez notre homme elle laisse subsister des traces profondes; l'atro-
phie est,vous l'avez vu,considérable encore et les mouvements du membre sont,
à l'heure qu'il est, toujours fort gênés; c'est au point qu'il est impossible au
malade de courir. Voilà qui est fait pour surprendre, lorsque l'on songe que.
dans la règle, ce genre d'atrophie musculaire ne s'accompagne pas de la
réaction de dégénération; là, en général, toutes les réactions persistent, elles
sont seulement affaiblies parallèlement. Eh bien, malgré tout cela, je le ré-
pète, les amyotrophies en question sont fort rebelles. Je puis en parler en
connaissance de cause car j'ai sur ce sujet quelque expérience et je puis
citer en particulier le cas d'un employé de télégraphe qui a fait l'objet d'une
de mes leçons cliniques (T. III, 2° leçon). Chez ce malade qui, lui aussi, avait
été frappé d'une amyotrophie d'un membre inférieur en conséquence d'un
léger traumatisme du genou, la guérison,dérmitive depuis, n'a pu être obtenue
qu'au bout de plusieurs années. Et n'allez pas croire ([ue la longue persistance de
l'amyotrophie et de la faiblesse du membre, soit chez notre sergent de ville la
conséquence de quelque négligence dans le traitement. Ce serait une erreur
profonde; le traitement électrique méthodique a été, chez lui, commencé dès
son entrée à la Salpêtrière, il y a deux ans, c'est-à-dire de bonne heure, et il
n'a pas cessé d'être continué depuis lors, régulièrement, sans grands inter-
valles, le malade, depuis sa sortie de l'hospice ayant continé de se rendre à
peu près tous les deux jours au service électro-thérapique annexé à la cli-
nique.
La situation, sans doute, s'améliore peu à peu, progressivement; mais
— 78 -
combien il reste à faire encore, pour obtenir^ si toutefois elle est possible,
une restitution absolument complète.
La morale de tout ceci, Messieurs, c'est que nous ne devons pas, en pré-
sence d'une amyotrophie articulaire, alors même qu'elle a été déterminée par
une lésion banale, porter un pronostic trop favorable.
La maladie sera longue, à peu près nécessairement quoi qu'on fasse, et il
n'est pas certain qu'on doive toujours la voir disparaître complètement sans
laisser de traces.
3« ET 4® Malades
On introduit une petite fille âgée de douze ans accompagnée de sa mère ;
elle est atteinte d'une paralysie faciale complète du côté gauche (paralysie
périphérique); l'œil gauche ne peut pas se fermer complètement. Cette para-
lysie date de dix-huit jours^ on s'en est aperçu un soir que l'enfant revenait
de l'école. En même temps que la distorsion des traits de la face il y avait au
début quelques douleurs derrière l'oreille gauche (1).
M. Charcot : Vous connaissez nos idées relativement à la paralysie faciale
dite afrigore. Souvent l'impression du froid, quand elle a réellement existé,
ne peut être considérée que comme une cause occasionnelle.
Il ne faut jamais négliger, quand il s'agit de paralysie faciale dite rhuma-
tismale,ainsi que M-NeumanuTabien montré, — si l'on veut se rendre vraiment
compte de la situation, — de rechercher s'il n'existe pas quelque tare ner-
veuse dans la famille.
Or, voici quels sont chez cette jeune fille les antécédents de famille révélés
par sa mère.
Son père a été il y a trois ans renferme comme aliéné, à l'asile de Vaucluse
où il est resté deux ans et demi. Son grand-père paternel qui a mené une vie
1. L'examen électrique a donné les rcâultats suivants le 10 novembre 1888: forme légère de
la réaction de dCgénéresccnce. — Pronostic, quant à la dui'ée, un mois environ. — « R.Vigou-
roux. »
- l'J —
très iiTéj'ulièie, est mort paralysé d'un côté du corps. — Sa mère est ner-
veuse, très impressionnable ; la ^^'and'mère maternelle a été paralysée du côté
droit du corps et, parait-il, Jiphasique à l'âge de 4H ans. — Un oncle maternel
a été paralysé (?) à l'âge de 9 ans ; il est mort de la poitrine à l'âge de 30 ans.
Voilà les antécédents qui certainement viennent plaider fortement en faveur
de la thèse soutenue par M. Neumann (1).
M. CriARCOT : ... C'en est assez sur ce cas. Voici qu'on nous amène un second
exemple de paralysie faciale périphérique, autant ({ue j'en puis juger par un
examen très superficiel. — Mais voyez, on ne saurait s'y tromper! la commis-
sure labiale est tombante vers la droite et l'œil droit ne se ferme point.
Au moindre jeu de physionomie, on remarque que du côté droit les traits du
visage restent absolument immobiles.
[Au malade) : Quel âge avez-vous ?
Le malade (en bégayant fortement) : Vingt-huit ans.
M. CnARCOT : Depuis quand avez-vous cette paralysie ?
Le malade : Depuis onze jours.
M. Charcoï : Avez-vous ressenti un peu avant une impression de froid ?
Le malade : Je ne m'en suis pas aperçu, mais j'ai été consulter un médecin
qui m'a dit que ce devait être l'effet d'un courant d'air.
M. Ciiarcot : Eh bien, vous le voyez, Messieurs, voilà une étiologie imposée
par le médecin !
(Au malade) : Avez-vous souffert du côté de l'oreille ou de la face, ces
jours-ci ?
Le malade : Non, monsieur, absolument pas ; je n'ai rien senti du tuut. Je
me suis aperçu que j'avais la face tournée en me réveillant le matin. J'avais
dormi comme de coutume.
M. CuARCOT : Le pronostic de la paralysie, comme durée, ne pourra être
.fourni, vous le savez, que par un examen électricpie que nous aurons à pra-
tiquer.
(Au malade) : Vous avez toujours bégayé comme vous le faites ?
Lemalade : Oui, monsieur, c'est chez nous une maladie de famille. Mon père
est bègue, mon grand-père paternel l'était également.
M. CiiARcoï : Voilà, remarquez-le bien, Messieurs_,une révélation inattendue,
fort intéressante.
Le bégaiement en effet figure dans la famille neuropathologique et y occupe
un rang distingué.
1. Voir, à ce sujet, dans un nouveau travail de M. Neumann : De la prédisposition nerveuse
dans V étiologie de la paralysie faciale dite * à frigore » {Union médicale, 15 novembre et
!«' décembre 1888). Voir aussi Leçons du mardi 1887-88. La table.
— 80 —
Voilà donc un cas qui, comme le précédent, vient confirmer nos idées rela-
tives à l'étiologie de la paralysie faciale dite à frigore. Mais pénétrons plus
avant et peut-être aurons-nous à relever encore dans la famille quelque chose
d'important.
[Au malade) : Y a-t-il dans votre famille quelque cas de maladie nerveuse-
autre que le bégaiement? le bégaiement en somme est plutôt une infirmité
qu'une maladie.
Je malade : J'ai eu un frère, mort maintenant, qui a été traité à Bicêtre dans
le service de M. Bourneville. C'était un enfant arriéré et il avait des attaques-
convulsives.
M. CuARCOT [aux auditeurs) : Eh bien, Messieurs, qu'en pensez-vous ? Voilà
deux cas de paralysie faciale périphérique pris au hasard ; ne sont-ils pas au
point de vue de l'hérédité nerveuse suffisamment significatifs ?
5* Malade.
On introduit dans la salle un homme de 54 ans exerçant la profession de
forgeron.
M. Charcoï [au malade) : Pourquoi venez-vous nous consulter ?
Le malade : C'est que je me sens souvent menacé do tomber du côté gauche.
M. CiiARCOT : Avez-vous des bourdonnements d'oreille, et de quel côté?
Le malade : Oui, monsieur, du côté gauche et de ce côté-là je n'entends pas
très bien. — (On constate en effet, sommairement, à l'aide d'une montre, que
l'ouïe, du côté de l'oreille gauche, est fortement obnubilée.)
M. GiiARCOT : Avez-vous remarqué que les bourdonnements de votre oreille
soient plus forts au moment où vous êtes menacé de tomber à gauche ?
Le malade : Oui, quand j'ai le vertige, cela me prend par un mal de cœur et
par un bourdonnement dans les oreilles.
M. Gharcot : Êtes-vous jamais tombé par le fait de votre vertige?
Le malade : Non, je ne suis jamais tombé; j'ai toujours pu me retenir.
M. CiiARcoT : Mais vous êtes sérieusement menacé dt, tomber?
Le malade : Si je n'avais pas une canne, je serais exposé à tomber à gauche.
— 81 —
M. CuAHCOT : Je vois que vous avez non seulement une canne, mais encore
un parapluie. Il vous faut donc un double appui pour marcher dans les rues?
Le malade : Oh! monsieur, je ne puis pas marcher dans les rues : je suis
toujours comme si j'étais pris de boisson, je titube; je n'ose pas sortir seul.
M. CiiARcoT : Votre étourdissement est donc permanent, incessant?
Le malade : Oui, monsieur,à peu près, seulement par moment j'jii des étour-
dissements plus forts, avec crainte d'être précipité du cùté gauche, et c'est
alors que j'ai des envies de vomir.
M. CnAHCoT : Vomissez-vous alors quelquefois?
Le malade : Non, je ne vomis pas, mais j'ai bien mal au cœur.
M. CiiARCOT : A quoi ressemble le bruit que vous avez dans les oreilles?
Le malade : C'est une espèce de bourdonnement; on dirait un oiseau qui
vole, cela augmente quand je tourne brusquement le tête, soit à gauche, soit
à droite, cela augmente aussi quand je vais avoir un grand vertige.
M. Charcot : Et la nuit, quand vous êtes au lit, qu'est-ce qui vous arrive?
Le malade : J'ai souvent des vertiges, il me semble que je suis en mer, et
quelquefois les croisées me paraissent monter au plafond.
M. CiiARCOT : Avez-vous donc été en mer par un gros temps?
Le malade : Oui, monsieur, j'ai fait la campagne de Crimée.
M. Charcot : Vous n'avez jamais perdu connaissance au moment de ces
vertiges?
Le malade : Non, monsieur, jamais; j'ai toujours dans ces moments-là la
tête à moi.
M. Charcot : Avez-vous eu des douleurs d'oreille, des écoulements?
Le malade : Non, monsieur, jamais.
M. Charcot : Depuis quand avez-vous ces vertiges?
Le malade : Depuis six semaines seulement. J'oubliais de vous dire, mon-
sieur, qu'au commencement de ma maladie, la première fois que j'ai eu le
vertige, j'étais en chemin de fer et alors j'ai vomi.
M. Charcot : Avez-vous été traité déjà?
Le malade : Oui, monsieur, on m'a dit que j'étais atteint d'anémie céré-
brale et l'on m'a fait prendre beaucoup d'iodure et de bromure. Ça ne m'a
rien fait du tout.
M. Charcot : Je le crois bien. J'ai tenu_, Messieurs, à faire parler ce malade
devant vous, longuement, parce qu'il explique parfaitement son atïaire.
Le diagnostic, certes, après ce colloque, ne vous paraîtra pas difficile. Il
s'agit du vertige ab aure lœsa se présentant non seulement sous la foi me
d'accès séparés, mais encore sous celle du vertige permanent sur laquelle j'ai
appelé l'attention.
Il reste cependant encore, avant de fixer complètement ce diagnostic et de
procéder au traitement, à rechercher s'il ne s'agit pas ici, comme cela a lieu
dans certains cas, d'une accumulation cérumineuse dans le conduit externe.
— b2 —
refoulant la membrane du tympan. Si cela était, il suffirait probablement
d'enlever le bouchon pour mettre un terme aux accidents nerveux. Si, au con-
4:raire, le point de départ des accidents est soit dans l'oreille moyenne, soit
dans l'oreille interne, peu importe en ce qui concerne les phénomènes verti-
gineux, le traitement sera toujours le même : le malade prendra pendant deux
ou trois séries de quinze jours ou trois semaines, séparées par des intervalles
Kie huit ou dix jours, le sulfate de quinine à la dose de 0,60, 0,80 à 1 gramme
par jour. La cessation des sensations vertigineuses à la suite de ce traitement
sera, si j'en juge d'après une expérience déjà longue, un résultat sur lequel vous
pouvez compter presque nécessairement. Je vous ferai remarquer seulement
que le vertige chronique résiste en général beaucoup plus à l'action de la
médication que ne le fait le vertige par accès.
J'ai eu bien des fois l'occasion Tan passé de vous parler du vertige de Mé-
nière et de son traitement par le sulfate de quinine. Si je reviens sur ce sujet
fréquemment et avec insistance, c'est que je suis amené à constater à chaque
instant, que les notions qui s'y rattachent n'ont pas encore pénétré suffisam-
ment dans la clinique. J'ai eu, en effet, Messieurs, plusieurs fois l'occasion de
vous faire remarquer qu'aujourd'hui encore des praticiens même distingués
rapportent souvent soit à la congestion ou à l'anémie cérébrale, soit encore au
vertige gastrique, ce qui appartient réellement au vertige ab aure lœsa.
u D. oc .u so:. d* Typ. • r^oiinT. ., (, r. C*n>|>«}r.e->'iciniiie. I'«t».
Policlinique du Mardi 20 Novembre 1888
CINQUIÈME LEÇON
l*"" Malade. — Cas complexe : paralysie spinale infantile, para-
plégie alcoolique, attaques hystéro-épileptiques.
2% 'i% et 4^ Malades. — Paralysie faciale périphérifjue.
1^' Malade.
I
Messieurs, je vais faire comparaître, dans le l»ut de l'étudier avec vous
médicalement, un sujet fort singulier, fort original et qui, au point de vue
clinique, ofïre un cas complexe assez difficile à débrouiller. Raison de plus
pour nous y attacher.
Nous l'avons depuis quelque temps sous notre direction dans cet hospice et
nous l'avons examiné plusieurs fois déjà avec intérêt. Il n'y a donc rien, chez
lui, qui soit tout à fait imprévu pour nous et nous pourrons par conséquent
entrer à son propos dans des détails circonstanciés. Sommairement, avant de
procéder à l'analyse, je tiens à vous le présenter comme un bizarre, un toqué ;
c'est, on tout cas, dans la catégorie faubourienne, un type parisien assez réussi,
et qui mérite à tous égards qu'on s'y arrête.
(Le malade est introduit.)
M. Charcot. — Veuillez remarquer, messieurs, tout d'abord sa démarche
et prêter attention au bruit qu'il fait lorsqu'à chaque pas ses pieds viennent
successivement frapper le parquet. Ceux d'entre vous qui ne sont pas tout à
fait neufs dans la matière, ont immédiatement reconnu qu'il s'agit ici de la
démarche du sfeppt'wr, ainsi que j'ai proposé de la dénommer (Voir Leçons
du mardi, leçon du 27 mars 1888) ; vous savez ce qu'on entend par là.
Steppeur vient du mot anglais slepper signifiant cheval qui a de l'action.
Or, une des particularités du steppeur, c'est que dans la progression il
fléchit ses cuisses à l'excès et élève ses pieds démesurément. Vous voyez ce
13
— 84 —
caractère se produire chez notre homme : à chaque pas il fléchit plus que cela
ne se fait dans la marche physiologique la cuisse sur l'abdomen, et la jambe
sur la cuisse, de façon à soulever les pieds anormalement au-dessus du sol ;
mais ceux-ci sont flasques dans l'articulation tibio-tarsienne par suite de la
paralysie des extenseurs et il en résulte que, en retombant sur le sol, chacun
d'eux fait entendre deux bruits successifs, d'abord un bruit « de pointe », puis
un bruit de « talon », le second bruit plus fort que le premier : tic, toc, tic,
toc. Ceci contraste singulièrement avec la démarche classique du tabétique
qui, à chaque pas, lance en avant sa jambe étendue et frappé du talon le sol,
en produisant un bruit unique.
Ainsi que je le rappelais tout à l'heure, les gens qui marchent en steppant
ont généralement une paralysie plus ou moins prononcée des extenseurs des
pieds, et c'est justement à cette circonstance qu'est dû si je ne me trompe,
pour la majeure partie du moins, le phénomène du steppage.
Chez notre homme vous constatez aisément, lorsqu'il est assis, cette para-
lysie et vous remarquez qu'elle est absolue à gauche, tandis qu'à droite elle
reste incomplète. Là le pied est ballant absolument dans l'articulation tibio-
tarsienne et le sujet est impuissant à en opérer la flexion dorsale, tandis qu'à
droite ce mouvement est possible et en même temps le pied se porte dans
Vadduction ; mais nous reviendrons sur ces détails dans un instant.
Eh bien, messieurs, ce fait de l'existence de la démarche du steppeur a dû
déjà, chez quelques-uns d'entre vous, éveiller certaines idées relatives au
diagnostic. Cette démarche, certes, n'est point spéciale à un seul état morbide ;
on peut dire que c'est un complexus, un syndrome si vous voulez, commun à
plusieurs espèces nosographiques.
Mais vous allez voir, i)ar Ténumération (|ue nous allons en faire que, même
en dehors des particularités relatives à la marche, ces afl'ections ont bien des
traits en commun. Ainsi le s^e;?pa^e peut se voir dans l'intoxication satur-
nine, bien qu'il y soit un fait exceptionnel, la paralysie en pareil cas portant
principalement et dans la règle à peu près exclusivement sur les extenseurs
du poignet.
Il peut être un des symptômes des paraplégies arsenicales ainsi que nous
l'avons pu constater récemment chez un sujet qui nous a été adressé par
MM. Brouardel et Marie.
On l'observe encore très communément dans le béribéri sec ; souvent nous
l'avons constaté en pareil cas chez des sujets venant du Brésil et aussi chez
quelques personnes européennes ayant résidé à Panama, à l'occasion des tra-
vaux du percement de l'isthme.
Mais dans le cas ({ue nous avons sous les yeux il est facih^ (réliminer toutes
ces causes là, et à la suite d'un interrogatoire même très sommaire, il de-
vient, du premier coup, éminemment vraisemblable que la cause à invoquer,
c'est l'alcoolisme.
— 85 —
Eh bien, messieurs, l'examen plus attentif auquel nous allons procéder
n'aura pas pour résultat de démentir nos prévisions. C'est bien d'un steppage
conséquence d'une paraplégie alcoolique ([u'il est question ici : cela ne sera
pas, je pense, très difficile à démontrer.
Toutes ces afïections toxiques qui peuvent produire la démarche du step-
peur, ofïront, je le disais tout à l'heure, des traits communs.
Elles paraissent toutes anatomiquement caractérisées par une lésion des nerfs
périphéri(iues, — névrite périphérique des auteurs — et par des lésions dégé-
nératives des muscles correspondants; ces lésions entraînent après elles tout
un ensemble symptomatique dont la raison physiologique n'est pas en général
très difficile à déterminer. Ce sont, par exemple, l'atrophie musculaire avec
réaction de dégénération plus ou moins prononcée ; l'absence ou l'aflaiblis-
sement des réflexes rotuliens, quand, bien entendu, il s'agit des membres
inférieurs ; enfin des troubles de la sensibilité manifestés spontanément ou
provoqués seulement par certaines manœuvres, qui n'appartiennent pas à
tous les cas du groupe, car il y a très certainement des paraplégies par névrite
périphérique sans anesthésie et sans douleur.
Tous les symptômes plus haut signalés, y compris les troubles de sensibi-
lité, se retrouvent au plus haut degré dans la paralysie alcoolique qui peut
être considérée comme un type du genre, et qui, du reste, est celle que nous
devons nous attendre à rencontrer surtout lorsqu'il s'agit d'un malade step-
peur qui vient nous consulter à l'hôpital.
Nous avons prie le malade de mettre à nu ses membres inférieurs et nous
pourrons maintenant procéder à un examen détaillé de ses muscles.
Voici ce que cet examen permet de constater. Les deux jambes et les deux
cuisses sont considérablement atrophiées. A gauche cette atrophie est plus
prononcée qu'à droite.
Gauche Droite
Ciiconférenco de la jambe à 10 centimètres au-dessous
de la rotule. 24 c. 29 c.
Circonférence de la cuisse à 15 centimètres au-dessus de
la rotule. 31 c. 29 c
Circonférence de la cuisse au niveau de la racine du
membre. 14 c. 43 c.
Les deux pieds sont tombants, ballants dans l'articulation tibio-tarsienne
mais cela est beaucoup plus prononcé à gauche qu'à droite.
Les deux membres inférieurs, surtout aux jambes et aux genoux, sont froids
au toucher, surtout à gauche. C'est pourquoi le malade entoure habituelle-
ment la jambe et le pied de ce côté d'un matelas d'ouate recouvert d'une
bande roulée. Cet appareil est destiné d'ailleurs non seulement à réchaufî'er
le membre, mais encore à maintenir le pied, qui autrement serait ballant,
- 86 —
fléchi à angle droit sur la jambe : disposition qui a pour effet de rendre pour
ce membre l'acte de la marche moins difficile.
Là, dans ce même membre, les troubles vasomoteurs sont beaucoup plus
prononcés que partout ailleurs : en effet il suffit que le membre inférieur de
ce côté soit, dans la station assise resté pendant durant quelques minutes,
pour qu'il prenne une teinte d'un rouge violacé qui, de l'extrémité du pied,
s'étend jusqu'au niveau du genou.
Nous parlerons plus tard de l'anesthésie cutanée qui se montre sur la
jambe et le pied gauches ; je me borne à signaler pour le moment qu'au niveau
des mollets la pression exercée sur les muscles est douloureuse, douloureuse
également est la percussion des tendons rotuliens.
Les réflexes tendineux, comme du reste les réflexes cutanés, sont abolis.
Nous donnons maintenant l'indication plus détaillée des principaux mus-
cles atrophiés.
A gauche, presque tous les muscles de la jambe sont atrophiés. Les exten-
seurs plus encore que les fléchisseurs. A la cuisse, le triceps est très atrophié
(Une partie seule du vaste interne est conservée). Cependant de ce coté le
malade peut étendre la jambe sur la cuisse et opposer, dans l'attitude fléchie,
une certaine résistance, grâce à cette circonstance que le tenseur du fascia
lata est conservé.
A rfroz7e, le jambier antérieur est complètement atrophié. L'extenseur est
bien conservé au contraire et en conséquence rextcnsion du pied est en partie
possible ; mais dans ce mouvement-là, l'axe du pied est porté en dehors. Les
muscles du mollet sont en partie conservés, surtout le jumeau interne. A la
cuisse le triceps est aussi atrophié qu'à gauche : le vaste interne seul est con-
servé en partie mais ici le tenseur du fascia lata est complètement atrophié,
ce qui fait que l'extension de la jambe sur la cuisse est complètement impossible.
Aux deux cuisses les adducteurs et les fléchisseurs (muscles postérieurs)
sont bien conservés. Aux fesses les moyen et petit fessier sont un peu atro-
phiés, surtout à droite.
Il y a chez le sujet une ensellure lombaire assez prononcée.
Nous signalons en dernier lieu les principaux résultats, fournis par l'explo-
ration électrique : A la jambe gauche, tous les muscles sont inexcitables,
tant par le courant galvanique (lue par le courant galvanique et le courant
faradique. Seul, le long péronicr de ce côté présente uhc contraction faible
et encore par l'action de très forts courants. A ia cuisse gauche, le droit
antérieuret le vaste externe sont inexcitables. Le vaste interne est excitable
dans sa partie inférieure : son excitabilité est seulemer.t diminuée sans
inversion de la formule.
Ala jambe droite, le jambier antérieur est inexcitable par les deux cou-
rants: dans les jumeaux, excitabilité un peu diminuée sans inversion. Les
autres muscles, extenseurs des orteils, etc., sont normaux. A la cuisse droite,
— 87 —
le droit antérieur, le vaste externe, le tenseur du lasda Inta sont compi«He-
ment incxcital)ies, les autres muscles, adducteurs et fléchisseurs, de même que
à gauche sont normaux.
A part cor laines particularités que nous aurons à rchner dans un inslant
parce qu'elles icndcint à établir qu'il ne s';i,^itpas ici d'une forme pure et qu'il
existe une complication que nous devons déjçager, rien dans l'exposé qui pré-
cède ne vient directement à rencontre de l'hypothèse d'une [)aralysie alcoo-
lique. Toutefois, pour bien apprécier la situation, il faut avoir dans l'esprit
qu'à l'heure qu'il est nous n'avons pas sous les 3'cux un processus en pleine
activité, mais bien le résultat d'un processus éteint, c'est-à-dire d'un reliquat
de maladie.
L'histoire de l'évolution du cas que nous devons exposer maintenant
nous apprend en effet ce qui suit. Il fut un temps où l'impuissance motrice
des membres inférieurs a été absolument complète.
Il y a eu plusieurs périodes de relèvement et de rechutes successives, enfin
la guérison relative est devenue à un moment donné permanente. Les pre-
miers sympt(unes de la paralysie actuelle paraissent remonter à sept ou huit
ans. L'atrophie des membres s'était dès l'origine rapidement accentuée.
La démarche du steppeur était déjà manifeste en 1882. Pendant toute la
période d'activité du mal, un certain nombre de symptômes caractc-ristiques
qui aujourd'hui ont disparu, étaient fort accentués.
C'est ainsi qu'alors le niîilade souffrait surtout dans les jambes de douleurs
vives et rapides rappelant jusqu'à un certain point par leur description celles
des tabétiques ; en même temps il ressentait des picotements, des coups
d'épingles d'une façon pres([uc permanente, tout cela l'empêchait habituelle-
ment de dormir. Alors la peau des jambes et des pieds était peu sensible aux
piqûres, mais on ne pouvait presser les tendons et les muscles, des jambes
surtout, sans provoquer une vive douleur. Enfin les jambes et les pieds étaient
chauds, œdématiés, tuméfiés. Joints aux modifications des réactions électri-
ques, à la perte des réflexes rotuliens que nous avons pu constater, ces
symptômes suffiraient en quelque sorte, à établir cliniquement, dans les con-
ditions où nous sommes, l'existence de la paralysie alcoolique.
Pour ne pas entrer à propos des caractères clini(£ues de cette espè<;é de
paralysie, dans une description en règle, je vous prierai de vous reporter à la
leçon que j'ai donnée sur ce sujet, l'an passé (6 mars 1888).
J'ai hâte maintenant de vous montrer que l'étude des antécédents du nui-
lade et en particulier de ses habitudes de vie ne contrediront en rien nos
assertions ; vous verrez qu'au contraire, elle viendra la confirmer de la façon
la plus éclatante.
Je procéderai dans ce but, à l'exposé de quelques points de l'histoire des
antécédents de notre malade. C'est un gaiçon d'environ 27 ans, né à Paris,
au premier abord d'assez chétive apparence ; mais il affirme qu'il a pu autre-
— 88 —
fois clans une rude profession, déployer une grande force. Je me réserve de
vous parler un peu plus tard de sa famille considérée au point de vue de l'hé-
rédité nerveuse : pour le moment je me borne à relever que son père âgé de
57 ans est un ivrogne fiefTé, batailleur, emporté, colère ; que sa mère boit
aussi un peu et qu'il en est de même d'une de ses sœurs qu'il va voir assez
souvent le dimanche et avec laquelle il s'est grisé plusieurs fois : « Il n'y a pas
de mal, dit-il, à boire en famille. »
Rien d'étonnant qu'avec de pareils exemples sous les yeux il ait été enclin
lui aussi, à abuser des boissons alcooliques; il n'y a point manqué, en eftet,
et souvent, surtout dans une certaine période de sa vie, ses excès ont été véri-
tablement énormes ; voici dans quelles circonstances : il a commencé à boire
à Tàge de 14 ans alors (ju'il faisait son apprentissage chez un cordonnier.
« C'était un excellent patron, dit-il, mais il buvait ferme ; et quand il y avait
quelque bonne noce à faire il m'emmenait toujours avec lui. > Aucun chan-
gement notable cependant ne s'est produit dans sa santé jusqu'à l'époque où
il est entré comme garçon de jour dans le lavoir de la rue de Charenton. Je
ne vous dirai pas tout au long ce qu'est à Paris, un lavoir, et ce que sont au
point de vue des mœurs les personnes qui les fréquentent. Vous le savez du
reste très probablement par la lecture que vous n'avez pas manqué de faire
du très intéressant roman de M. Zola : L'Assommoir.
Quoiqu'il en soit, au lavoir de Charenton comme dans les autres sans
doute, le travail commence le matin de très bonne heure. Le « garçon de
jour » doit aider à porter le linge dont les blanchisseuses arrivent chargées.
C'est un rude lal)our, paraît-il, car il s'agit souvent de lourds fardeaux. Il
faut de temps en temps relever le courage du garçon et les pourboires abon-
dent, destinés à stimuler son zèle : ainsi il est conduit à boire beaucoup et
souvent.
Puis il y a encore, dans le travail, les temps de repos nécessaire, pendant
lesquels après manger se font les causeries, les épanchements autour du
comptoir, nouvelle occasion de boire : le vin, le rhum, l'eau-de-vie circulent
alors tour à tour. Mais déjà on a pris l'absinthe et l'usage de cette substance
en particulier paraît être très répandu au lavoir de la rue de Charenton ; on
en peut juger du reste par une chanson qui y est fort à la mode. Je crois
intéressant d'en détacher quelques fragments communiqués par notre malade
qui la sait par cœur pour l'avoir bien souvent chantée « en société >. Cela
s'appelle : La Mitsn aux ynix vprfs.
1*"^ COUPLKT
Voyez cet homme à la face blémie,
Dont In regard s('ml)lc à jamais éteint;
l*.ir lii l)()isson il uhrè;4;i' sa vie :
Cet homiiif, ami, est son propre assassin.
— S9 —
J)'iin vort poison s'.'ibrouvrint avec ra/^i;,
Poison mautlit «{uo lui verse Saltiii
Boire toujours : voilà son seul courage,
Courage affreux qui conduit à néant.
RKFRAIN
Amis, c'est la muse aux yeux verts
Fuyez devant ses folles étreintes,
Sachez que son nom c'est l'absinthe
Et que ses baisers sont pervers,
Car son amour était ma plainte (sic)
Fuyez tous la Muse aux yeux verts!...
Etc., etc.
C'en est assez : il y en a comme cela trois ou quatre couplets.
Ne Yoilà-t-il pas une brave et bonne chanson, bien intentionnée, bien
morale! Mais hélas, les meilleurs conseils, alors même qu'ils sont présentés
sous la forme poétique et renforcés par le concours du rythme musical, ne
sont pas toujours suivis comme ils mériteraient de l'être. Notre pauvre
garçon de lavoir, en particuliei', malgré ces excellents préceptes quïl a si
souvent proclamés lui-même en chantant, n'en a pas moins continué à cul-
tiver avec un amour effréné, non seulement la Muse « aux yeux verts > mais
encore toutes les autres muses de même famille, dont les yeux sont d'autres
couleurs.
Par le fait, divers symptômes de l'alcoolisme grave n'ont pas tardé à se
manifester successivement chez lui.
Voici on effet ce que nous apprennent à cet égard les détails de l'observa-
tion :
Eq 1880, à l'âge de 20 ans, surviennent dans les membres inférieurs, les
douleurs, les picotements, les crampes, surtout nocturnes, dont il a été ques-
tion déjà. En même temps ces membres s'affaiblissent et bientôt les choses en
viennent à ce point que Br..ot était devenu incapable de traîner la voiture du
lavoir, ou de porter de lourdes charges. Néanmoins, il a continué à travailler
jusqu'en 1882. A cette époque laparésie des membres inférieurs s'étant accen-
tuée de façon à constituer une véritable paraplégie, le malade dut entrer une
première fois à la Salpêtrière dans le service dirigé alors par M. Luys (11 y
est resté du 18 juin au 18 août). Là il est demeuré pendant près d'un mois à
peu près complètement confiné au lit. Les douleurs à la pression étaient
vives, ainsi que les douleurs nocturnes; la tuméfaction des pieds et des jambes
s'accentuait, etc., etc. En même temps le malade souffrait le matin de pituites,
la nuit ses rêves étaient tourmentés par la vision d'animaux tels que rats,
serpents, etc., etc.
La privation des boissons alcooliques, rintervention de rélectrisation
— 90 —
faradique, l'usage des bains sulfureux amenèrent assez rapidement une amé-
lioration très notable.
Les douleurs cessèrent, Timpuissance motrice disparut en grande partie et
à partir du 18 août 188:2 le malade put reprendre son travail qu'il ne quitta
plus qu'en 1887. Mais les jamlx'S étaient toujours faibles, et la démarche du
steppcur depuis longtemps accusée n'a désormais jamais cessé d'exister. Il
fallut renoncer aux travaux très fatigants et se contenter dans le lavoir d'une
position moins lucrative que celle qu'il avait autrefois. Il passait la nuit à
surveiller les machines. Néanmoins les habitudes alcooliques ne firent pas
trêve.
Il but de nouveau trop et trop'souvent et bientôt apparurent de nouveau
divers accidents qu'il est naturel de rapporter à l'abus des boissons alcooliques.
On note pendant cette période qui s'étend jusqu'en 1887, date de l'entrée à
l'hôpital Laënnec, les faits pathologiques suivants : nombreux oublis : une
fois il a failli faire sauter la chaudière du lavoir pour avoir oublié de la
remplir d'eau ; véritables absences qui duraient })arfois plusieurs heures et
même plus encore, pendant lesquelles il ne se rendait pas compte de ce qu'il
faisait et commettait des actes dont, au moment du retour aux conditions
normales, il n'avait pas gardé le souvenir.
Plusieurs fois, sous cette influence, il a disparu pendant quelques jours de
la maison où il habite et l'on a dû aller le réclamer à la Préfecture ; il ne
sait dire ce qu'il a fait pendant ce temps-là. Une fois, il a jeté sa montre dans
une bouche d'égout, et il ne peut expliquer par aucune raison cet acte stu-
pide.
Les douleurs dans les jambes et les cuisses, les pituites, les insomnies, les
rêves terrifiants avaient reparu.
L'afTaiblissement des membres inférieurs s'était montré à nouveau, sans
s'accompagner, cependant, comme dans le temps, d'une paralysie complète ;
et, par l'accumulation de toutes ces circonstances, le travail étant devenu
absolument impossible, B... dut demander une fois de plus à entrer à
l'hôpital.
11 fut, nous l'avons dit, admis à Laënnec dans le service de M. le professeur
Damaschino le 29 mars 1887 ; ily resta jusqu'au 25 janvier 1888. Il y a lieu
de signaler pendant ce long séjour divers accès délirants qui tou5 ont été
rapportés à l'alcoolisme et dont l'un n'a pas duré moins de huit jours ; pen-
diint cet accès le malade très bruyant dut être maintenu au lit par la cami-
sole de force. Il était quelque temps auparavant devenu complètement épris
d'une jeune infirmière du service qu'il avait résolu d'épouser mais qui lui fut
refusée pai- sa famille.
Le chagrin qu'il en éprouva fut, paraît-il profond, et c'est à la suite de liba-
tions auxquelles il se serait livré en manière de consolation que serait sur-
venu l'accès délirant dont il vient d'être question.
— 91 —
H
Telle est la part, et vous voyez qu'elle est large, des phénomènes qui peu-
vent être rapportés à l'alcoolisme, dans le cas de notre homme. Mais ainsi
({ue je vous l'ai annoncé, il s'agit chez lui d'un cas complexe et nous devons
nous attacher à mettre en lumière actuellement les autres éléments qui le
constituent.
En premier lieu je rappellerai ce que j'ai dit au moment où je décrivais la
paraplégie alcoolique de notie homme.
« Il ne s'agit pas ici, vous disais-je, d'une forme pure : il y a une compli-
cation que nous devrons dégager. » De quelle complication s'agit-il donc ? Eh
bien, messieurs, nous croyons pouvoir affirmer, en nous fondant sur This-
toire des premières périodes de la vie de notre malade qu'il a été frappé do
très bonne heure, vers l'âge de dix mois, d'une paralysie spinale infantile de
forme paraplégique développée à la suite de « convulsions ». Cette paralysie
a été la cause que de tous temps à partir de l'âge de trois ans, époque tardive
à laquelle l'enfant a commencé à pouvoir marcher, les membres inférieurs
sont toujours restés grêles et faibles.
De fait, chez B..., avec une vigueur presque athlétique du Ivonr et des
membres supérieurs, la démarche a de tout temps été anormale, un peu
claudicante. « Il n'était pas solide sur ses jambes, il ne pouvait rester long-
t(inq:)s deijout et lorsqu'il marchait, princii)alement lors«iu'il courait, il tombait
fi'équemment à terre sur les genoux. »
Aux reliquats de cette paralysie infantile sont donc venus se surajouter les
phénomènes liés à l'intoxication alcoolique, c'est celle-ci qui, à un moment
donné, a déterminé une impuissance motrice complète à peu près également
répartie sur toute l'étendue des muscles des membres inlériGurs mais pré-
dominant toutefois, comme c'est la règle, sur les extenseurs des pieds ; puis
à l'époque de la période régressive, le phénomène du pied tombant ainsi que
la démarche du steppeur ({ui s'y rattache.
Mais aujourd'hui encore, on peut, si je ne me trompe, à côté des lésions
qui relèvent de la paralysie alcoolique, discerner celles qui constituent les
derniers vestiges de la paraplégie spinale infantile de date antérieure. C'est à
cette dernière ([ue nous croyons devoir rattacher, en particulier, l'inégale
répartition de la paralysie et de l'atrophie dégénérative des muscles des
membres inférieurs. C'est ainsi qu'aux deux cuisses le droit antérieur, le vaste
externe, une partie du vaste interne étaient on peut le dire détruits; le tenseur
— 92 —
du fascîa lata est bien conservé à gauche, tandis qu'à droite il n'existe plus —
à la jambe gauche tous les muscles sont pris, extenseurs et fléchisseurs ; seul
le long péronier est en partie épargné — à la jambe droite, enfin, parmi les
extenseurs, le jambier antérieur est complètement détruit tandis que l'ex-
tenseur commun est très bien conservé. Sur cette même jambe, les muscles
fléchisseurs du pied sont détruits en partie seulement.
Cette inégale répartition des affections musculaires est chose vulgaire dans
la paralysie infantile, tandis que, dans la paralysie alcoolique^ ces lésions
sont à peu près uniformément répandues dans toute l'étendue des membres ;
sauf en ce qui concerne leur prédominance symétrique sur les muscles de la
flexion dorsale des pieds.
Ainsi, je le répète, il ne nous paraît pas impossible de reconnaître chez
notre homme, même aujourd'hui, ce qui appartient à la lésion des cornes
antérieures spinales, et ce qui est la conséquence de la névrite périphérique
alcoolique.
Etant donné donc Texistence passée d'une paralysie infantile spinale dont
les vestiges sont encore parfaitement reconnaissables, il nous paraît intéressant
do recliercher actuellement si nous ne trouvons pas, dans les antécédents de
famille de notre homme, quelques particularités dignes d'êtres relevées en
tant qu'elles seraient conformes à une opinion que je professe depuis long-
temps : c'est à savoir que la paralysie infantile spinale serait, au même titre
que l'ataxie locomotrice, la paralysie générale, l'épilepsie, l'hystérie, etc.,
un membre de la famille neuropathologique, ou autrement dit une mala-
die de diathèse nerveuse.
Voici autant, qu'il a pu être reconstitué d'après les souvenirs du malade
son « pedigree ».
A. Père âgé de 57 ans, mécanicien ajusteur. C'est un ivrogne et nous
l'avons déjà présenté comme tel. Il est fils naturel — pas de maladies
nerveuses bien déterminées ; mais il est emporté, colère, et dans la maison
les scènes d'ivrognerie sont fréquentes.
B. Mère, 53 ans, bien portante elle est, elle aussi, un peu portée à la bois-
son ; mais ce n'est pas à proprement parler une ivrognesse. Elle a trois
sœurs, également bien portantes, et trois frères. L'un de ceux-ci est un délin-
quant. Il a été, paraît-il, arrêté dans le bois de Yincennes commettant un
attentat à la pudeur. Il est resté douze mois k Sainte-Pélagie. Un autre frère
exerce la profession de marchand de vins; il est très colère, excentrique, il ne
peut rester en place ; il change à chaque instant le siège de son établissement.
Du mariage de A et ^ sont nés quatorze enfants. Six d'entre eux sont morts
(le « convulsions »; Br... notre malade, est le septième ; on sait que lui aussi a
eu des « convulsions » et qu'il a été frappé de paralysie infantile.
Nous avons mentionné déjà que l'une de ses sœurs, plus jeune que lui^ se
livre volontiers à la boisson, et qu'il s'est plusieurs fois enivré avec elle.
— 93 —
En coiisulLant cet urbre généalogique, nous ne relevons chez les antécé-
dents aucune maladie nerveuse typique, de parfait développement : seuls,
peut-être, l'oncle délinquant et l'autre oncle marchand de vins voyageur
pourront-ils être considérés comme des dégénérés, des déséquilibrés.
Mais on voit dans la famille, un peu partout, régner le vice divrognerie.
C'est ici le cas de rappeler que l'usage exagéré des boissons alcooliques peut
chez celui qui abuse, supposé vierge de toute tare héréditaire, créer de toutes
pièces en quelque sorte, en outre des accidents à proprement parler toxiques,
la diathèse nerveuse qui pourra ou non se traduire déjà chez lui par une
forme névropathique nosographiquement bien déterminée; que, une fois con-
tituée, cette diathèse nerveuse artificiellement produite pourra se transmettre
aux descendants, par voie d'hérédité, et faire naître chez eux, par le concours
de circonstances provocatrices appropriées, tantôt Tune, tantôt l'autre des
espèces morbides dont l'ensemble constitue ce que nous appelons la famille
neuropathique. Tout ce que nous avançons là repose sur nombre défaits clini-
ques en ce qui concerne i'inOuence de l'alcool ; on peut en dire autant relati-
vementau saturnisme ainsi qu'en témoignent, entre autres, les faits signalésdans
une intéressante note de M. Roques [Dégénérescences héréditaires produites
par Vintoxiration saturnine lente. Société de Biologie, 1872, t. IV, p. 243).
Enfin le surmenage intellectuel, surtout lorsqu'il est accompagné d'excès
physiques, peut lui aussi, cela est bien connu, créer chez un individu resté
jusque-là non taré une prédisposition nerveuse qui pourra, suivant les lois de
l'hérédité se transmettre aux descendants.
Il n'est pas jusqu'aux états passionnels transitoires existant au moment de
la conception chez les géniteurs qui n'aient pu être accusés d'avoir sur la
nature de l'être procréé une influence décisive.
Les arguments abondent dans le domaine de la fantaisie en faveur de cette
thèse. Ainsi, toutes les tribulations qu'il n'avait cessé d'éprouver depuis le
jour où il avait été jeté « sur notre sale planète », Tristram Shandy en
accusait son père qui, dans un moment solennel, s'était malencontreuse-
ment laissé impressionner par l'idée « qu'il avait oublié de remonter
son horloge ». — « Pouj-quoi, s'écrie le bâtard Edmond dans le
/^oi Zear, nous injurient-ils toujours en nous jetant à la face ces mots de
vilenie et de bâtardise? Ne puisons-nous pas dans la lascive impétuosité de
la nature furtivement satisfaite plus de vigueur et de fougue qu'il n'en faut
pour procréer, dans un lit maussade^ insipide et fatigué, toute une tribu de
coquins légitimes engendrés entre deux sommes ! » (Scène II).
Il ne s'agit là, en vérité, que de prévisions géniales ; mais on ne saurait
guère méconnaître que celles-ci trouvent un appui dans les faits tirés du
domaine de l'observation régulière. Je me bornerai à vous rappeler à ce pro-
pos l'observation bien connue de M. le professeur Quatrefages, relative à une
famille de quatre enfants dont un seul^ conçu alors que le père était en état
— u —
d'ivresse, était demi-idiot et presque sourd, tandis que les trois autres, nés
dans d'autres conditions, étaient parfaitement intelligents (1).
Nous pourrions signaler également des faits du même genre relevant de la
pathologie expérimentale ; c'est ainsi que MM. Mairet et Combemale rappor-
tent dans un travail présenté récemment à T/Xcadémie des sciences (2) qu'une
chienne ayant été alcoolisée par l'absinthe de débit, il survint dans sa descen-
dance au deuxième degré, chez un des produits un pied bot avec atrophie de
plusieurs orteils et une gueule de loup ; chez un second produit, un atrophie
du train postérieur.
C'en est assez sur ce point. II est temps d'en revenir à notre malade; lui n'est
pas un « Edmond » ; c'est, paraît-il, un enfant parfaitement légitime ; aussi
n'avons-nous pas à nous étonner de voir l'alcoolisme du père retentir sur lui
septième enfant, sous la forme de paralysie infantile spinale, alors que six de
ses frères et sœurs avaient déjà succombé en bas âge à la suite de convul-
sions.
III
Nous venons de reconnaître, dans l'histoire pathologique de B...ot l'exis-
tence de deux périodes successives : l'une, la première, marquée par la pro-
duction de la paralysie spinale infantile ; l'autre, la seconde en date, par
celle de la paraplégie alcoolique et de divers autres phénomènes toxiques du
môme ordre.
Il est dans cette histoire une troisième phase qu'il nous reste à étudier
maintenant, et dont le début apparent a été signalé par le développement de
crises convulsives à retour fréquent. Ces crises se sont pour la première fois
montrées il y a près de deux ans pendant le séjour à l'hùpital Laënnec ; elles
subsistent encore, dans toute leur intensité. 11 paraît au moins fort vraisem-
blable que l'afïection à laquelle elles appartiennent et dont elles constituent
la manifestation la plus saisissante, a été déterminée en conséquence d'une
vive contiariété, on pourrait même dire d'un vrai chagrin. A ce propos, pour
bien établir la situation, il nous paraît nécessaire, désormais, de mettre en
lumière chez notre malade tout un côté de son caractère et de ses mœurs que
jusqu'ici nous avons laissé dans l'ombre. A cet égard, après ce que nous
vous en avons dit précédemment vous pourriez le considérer peut-être exclu-
sivement comme un être grossier et crapuleux, ne parlant guère que l'argot
1, Voir: Hibot. L'hérédité psychologique, p. 251.
2. Iniluence déqénérative de l'alcool sur la descendance^ 5 mars 1888.
— iio —
(;t la langue verte. Ce serait une erreur, messieurs, et aussi une injustice. Il y
a quelcjoe chose de tout cela en lui, bien certainement, et plus qu'il n'en fau-
drait, in.iis il y a aussi autre chose. lî... sans doute, n'a f)as été un [)arfait
écolier, l;nit s'en faut ; il ne songeait dans ce temps-là qu'au jeu ; cT-tait dans
l'acception rigoureuse du mot un mauvais élève, un cancre fort indiscipliné,
très batailleur, et, en somme, au sortir de l'école, savait-ii à peine lire et
écrire !
Plus tard, par un retour singulier, il s'est rattrapé à cet égard en fréquen-
tant régulièrement et avec quelque zèle, lorsqu'il était apprenti, les cours du
soir. Actuellement il écrit non sans orthographe et non sans quelque préten-
tion à l'élégance du style.
Il fait même des vers dans lesquels, sans doute, la mesure laisse souvent
fort à désirer, mais où l'idée poétique n'est pas toujours absente. C'est le
genre erotique qu'il cultive surtout ; mais dans les vers comme dans la prose
c'est plutôt la quintessence qu'il vise et non les bassesses. Les arrangements
de sa toilette sont conformes à son langage; ses infirmités ne le découragent
pas : il est coquet et porte habituellement une brillante cravate rouge en même
temps que ses cheveux, très pommadés, sont disposés, comme il le dit « à la
Capoul » ; c'est donc un élégant, dans son genre, et il se vante d'avoir^gràce à
ses avantages, fait au lavoir^ où on le désigne sous le nom caractéristique de
« Don Juan », de nombreuses conquêtes.
Peut-être, à cet égard, fait-il le fanfaron ; toujours est-il que pendant long-
temps il n'avait recherché que les amours légères ; tandis qu'un beau jour, il
s"est laissé prendre à l'amour sérieux. De fait, à Laënnec il s'est amouraché
d'une jeune infirmière qu'il voulait épouser à tout prix, et c'est justement à la
suite du chagrin causé par le refus formel des parents de la jeune fille que
sont survenus les accidents nerveux variés qu'il nous reste maintenant à décrire.
Et d'abord relevons que pour réagir contre les effets dépressifs du chagrin
B... a plus d'une fois alors cherché les consolations dans l'abus des boissons
alcooliques, dont il s'était pendant quelque temps tenu éloigné, si bien qu'il
fut pris à cette époque d'un accès de delirium tremens ; mais les attaques con-
vulsives qui se sont, comme nous l'avons dit, pour la première fois manifestées
vers le môme temps sont-elles, elles aussi, au môme titre que le delirium
tremens, de nature toxique ?
A cet égard, messieurs, je me rattache absolu:iient à l'opinion professée par
M. Magnan (1).
Il n'existe pas suivant moi d'épilepsie à proprement parler alcoolique.
Oui, sans doute, l'épilepsie existe souvent chez un alcoolique ou dans sa
descendance_, mais la cause toxique joue uniquement ici le rôle d'un agent
\. Magnan. Influence de V alcoolisme sur les maladies mentales. Genève, 4878.
— 96 —
pi'OYocateur qui met en jeu une prédisposition spéciale antérieure, ou qui
encore, dans certains cas, crée la diathèse nerveuse d'où pourra naître, par
le concours de circonstances appropriées, l'affection convulsive.
Il n'en est pas tout à fait de même, vous le savez, de l'absinthisme ; l'ab-
sinthe, ainsi que l'a encore bien montré M. Magnan, est un convulsivant ; il y
a en réalité une affection épileptiforme qui mérite vraiment de porter le nom
d'absinthique, mais ces convulsions-là ne survivent pas à l'abus de la boisson
toxique, elles cessent en même temps que lui. Ce n'est donc pas de cela qu'il
s'agit dans notre cas où les attaques persistent telles quelles, se reproduisant
comme par le passé, environ trois fois par mois, bien que le malade^, très
surveillé depuis son entrée à la Salpêtrière, ne puisse plus se procurer d'ab-
sinthe.
D'ailleurs maintes fois nous avons été témoin de ces attaques et nous pou-
vons affirmer qu'elles portent avec elles des caractères cliniques tellement
précis qu'on ne saurait hésiter un instant, lorsqu'on les a vu évoluer, à leur
attribuer le nom (|ui leur convient. Voici en effet ce que nous trouvons noté
dans les observations ad hoc : le malade prévoit qu'il va avoir son attaque ;
le premier signe précurseur est une douleur vive qu'il ressent dans le côté
droit du tronc, au niveau de la région liépatique et qu'il décrit comme un
sentiment de brûlure. De là part \xïi9,aura ascendante qui monte vers le cou et
y produit une sensation d'étranglement, puis vers la tête où surviennent des
bourdonnements d'oreilles et des battements dans les tempes, une obnu-
bilation de Ja vue, symptômes qui bientôt sont suivis de perte de connais-
sance.
Les accidents convulsifs se développent alors successivement suivant des
règles aujourd'hui bien connues: d'abord c'est une phase marquée par des
convulsions épileptiformes, ici peu accentuées ; puis se dessinent tour à tour
les grands mouvements de salutaticu et l'attitude en arc de cercle; enfin c'est
le tour des attitudes passionnelles, des cris, des hurlements : alors on l'entend
proférer de temps à autre le nom de Maria ! Maria ! c'est le roman de l'hôpital
Lacnnec qui se déroule devant les yeux de son esprit, la série se termine de
la sorte, mais elle peut se reproduire un certain nombre de fois, sans temps
d'arrêt, de façon à tenir la scène pendant une durée de plusieurs heures.
Vous avez compris, sans qu'il soit nécessaire d'y insister qu'il s'agit là
d'une attaque de grande hijstêrie (Hysleria major : hystéro-épilepsie à crises
mixtes) parfaitement caractérisée et ne différant (juc sur un point de colles
que nous avons si fréquemment l'occasion d'observer chez la femme, dans cet
hospice. Ce point est relatif à l'extrême violence des cris et des mouvements
convulsifs chez l'Iiomme. Trois ou quatre hommes ne sont pas de trop puur
maintenir B... «{uand il est pris de ses attaques et le lif de fer sur lequel on
est obligé de l'attacher à été plusieurs fois brisé en mille pièces.
Notre malade est donc un hystérique^ cela n'est pas douteux et la recherche
— 97 —
des stigmates chez lui va donner plus de poids encore à notre assertion.
{Fig. 22). Il existe sur la tête, le tronc, les membres, une hémianalL'f'sie
^ o
Fig-. 22. — 1. Anestliésic complète.
2. Diminution do la sensibilité. — 3. Plaques hysiérogvnes.
gauche très nettement accusée, une anesthésie presque absolue sur la jambe
et le pied gauches. Les troubles sensoriels sont de leur coté très-bien carac-
térisés : goiU diminué sur le coté gauche delà langue ; odorat obnubilé égale-
ment à gauche ; ouïe allectée à gauche; enfin on observe sur l'œil gauche'tous
-^ 98
les caractères de l'amaurose hystérique complète, la vision de Toeil droit ne
présentant aucune anomalie appréciable.
Yoici d'ailleurs quelques détails plus circonstanciés relevés par M. Parinaud
à propos de l'examen oculaire de notre malade {Fig. 23). L'examen de l'œil
D
Cxt ■«)
■j. .\a> '.u
G
Fig. 23.
droit fait constater un champ visuel absolument normal. Pas de dischroma-
topsie, pas depolyopie monoculaire. Le champ visuel du rouge est, comme
dans l'état normal, moins étendu que celui du bleu.
L'œil gauche présente au contraire une amaurose complète ; on peut s'en
assurer en approchant vivement un doigt de l'œil gauche, le réflexe du cligne-
ment n'a pas lieu. En outre le malade ne présente pas de ce côté les modifi-
cations pupillaires relatives à l'accommodation aux distances. Point d'anes-
thésie cornéenne ou conjonctivale.
Lorsque, les deux yeux étant ouverts, on fait regjirder au malade un carré
de papier blanc, il ne voit qu'une image, laquelle disparaît si Ton ferme l'œil
droit ; par contre si Ton place devant ce dernier œil un prisme donnant une
déviation de l'image de 10 centimètres environ, le malade voit deux carrés de
papier bl;mc, au lieu d'un ; si Fou interpose dans cette même expérience un
verre coloré devant un des deux yeux, le malade voit une image colorée et une
image blanche et les positions respectives de ces images, varient suivant la
direction du prisi)ie.Si,au lieu de placer le prisme devant VwW droit, on le place
devant l'œil gauche amaurotique, le malade ne voit qu'une seule image. Ainsi
l'œil gauche, amaurotique dans la vision monoculaire, fonctionne normalement
lorsqu'il s'agit de la vision binoculaire. Cesfaits singuliers mais qui, plusieurs
— 99 —
fois, déjà, ont été observés dans des circonstances analogues, avec un con-
cours de précautions qui mettent à l'abri de toute erreur, peuvent-ils être
interprétésen admettant pour la vision monoculaire et pour la vision binoculaire
deux centres distints? Je laisserai pour le moment la question sans solution,
car il s'agit seulement pour nous actuellement de bien montrer que notre
sujet présente réellement un ensemble fort caractéristique de symptômes hys-
tériques; à cet égard, vous le voyez, les preuves abondent, et il paraît inutile
de pousser plus avant.
Je ne veux pas oublier de mentionner cependent encore, avant de clore
cette énumération, l'existence d'une plaque hypéresthésiquehystérogène dont
il a été déjà question du reste plus haut, située sur le tronc dans la région
hépatique, et celle d'une plaque de même nature occupant le scrotum du
côté gauche, avec participation du testicule correspondant.
Tels sont les trois grands éléments pathologiques que l'analyse clinique
nous conduit à distinguer chez notre malade.
Vous avez bien compris qu'il ne faut pas voir là autant d'épisodes sans
connexion mutuelle et réunis par le seul hasard sur un même sujet. Les lois
d'une logique implacable régnent, au contraire, dans toute cette histoire.
L'alcoolisme du père a retenti sur le fils sous la forme de la paralysie
infantile spinale. Les abus du lils, dont le père encore est au moins en partie
responsable, ont déterminé chez celui-là la paraplégie alcoolique et préparé
le développement de Taffection hystérique que des causes morales ont, à un
moment donné, fait éclater. L'influence des abus alcooliques sur le déve-
loppement de l'hystérie, surtout chez l'homme, est, on le sait aujourd'hui un
fait de connaissance vulgaire et pour ne pas entrer actuellement, sur ce
sujet, dans de longs développements, je vous renverrai à une leçon que j'ai
faite il y a deux ans et que vous trouverez insérée dans le BuWdin inrcUcal
du 25 mai 1887 [Hémianesthésie hyslérique et héimanesthés'ies toxiques).
11 ne nous reste plus, messieurs, pour en finir, qu'à envisager les questions
relatives au pronostic et au traitement. C'est l'hystérie qui aujourd'hui est
ici l'affection dominante vraiment active ; les lésions de la paralysie infan-
tile spinale, aggravées un moment par celles qu'a produites l'intoxication
alcoolique ne constituent plus guère que des infirmités incurables, derniers
vestiges de maladies éteintes.
Que pourrons-nous faire en faveur de notre malade? C'est toujours cliose
fort sérieuse que l'existence d'une hystéro-épilepsie développée dans les con-
ditions où il se trouve. Personne ne veut plus l'employer à cause de ses crises
nerveuses fréquentes et d'ailleurs terribles, et aussi à cause de son état mental
qui le rend irrégulier et oublieux.
C'est ici le lieu de rappeler que les affections nerveuses d'ordre dyna-
mique, sans lésions appréciables, ne sont pas, tant s'en faut, toujours moins
durables, moins tenaces que ne le sont les maladies dites organiques.
— 100 —
Telle est en particulier l'hystérie de l'homme, surtout celle de l'homme
adulte, et pour ce qui est spécialement du sujet que nous avons sous les yeux,
je ne pense pas qu'il puisse reprendre son travail assez sérieusement pour
subvenir à son existence, avant plusieurs mois, plusieurs années peut-être.
Sans doute, la cessation des abus alcooliques, par la stricte observation des
règles de l'hôpital, a eu pour effet de produire en lui quelques amendements
auxquels ont contribué, d'un autre côté, l'emploi des pratiques hydrothéra-
piqucs et l'usage des toniques ; mais nous n'entrevoyons pas encore une
solution définitive quelque peu prochaine (1). Les attaques chez lui, bien
qu'un peu moins fréquentes que par le passé, persistent toujours et aussi les
stigmates. Le mieux, je crois, sera d'obtenir son admission à l'hospice de
Bicêtre, ou à l'abri de la misère et des tristes préoccupations et privations
qu'elle entraîne avec elle, il pourra pendant un temps suffisamment prolongé,
suivre le traitement qui lui convient. Finir par Bicêtre ! Hélas, pauvre « Don
Juan » I
2« Malade
Trois malades atteints de paralysie faciale périphérique sont introduits.
M. CnARCOT. — Le premier de ces trois malades dont nous allons nous occu-
per un instant est un garçon de 15 ans que nous vous avons présenté déjà le
mardi 18 juin dernier (Voir Leçons du mardi, 1887-88, p. 463) comme un
exemple de paralysie faciale douloureuse. En eff'et, le dimanche 3 juin il
avait, le soir, ressenti une douleur dans la profondeur de l'oreille externe
droite et en même temps un agacement des dents du même côté. Déjà, ce
soir-là, il ne pouvait plus fermer son œil droit complètement. Le lendemain
la bouche était de travers et la paralysie faciale était absolue. L'application
du froid dans ce cas parait avoir contribué à provoquer l'apparition de la
paralysie ; mais on pouvait recueillir dans les antécédents personnels et
héréditaires du malade les preuves d'une prédisposition nerveuse accentuée.
Lui-même est névropathe ; dans l'enfance il a eu des con>ulsions ; la nuit il
parle, s'agite, gesticule.
1. Comme cela arrive dans la plupart des cas de grande hystérie chez l'homme rhypnolisa-
tion (lima ce cas n'a pas rU' praticable.
-- 101 —
Sa mère est une môlnncolique, une anxieuse; elle tombe de temps en temps,
sans cause ai)[)i(kialjle, dans dos accôs de tristesse qui durent plusieurs
semaines, plusieurs mois.
Je crois devoir reproduire ici les paroles par lesquelles je terminais les
considérations présentées à propos de ce malade dans la leçon du ISjuin 18S8:
« Chez notre malade, les douleurs de l'oreille et des dents n'ont pas é'té
intenses; elles paraissent s'être développées presque en même temps, peut-
être en même temps que la paralysie et elles nVjnt pas surv^écu longtemps à
son début; d'après cela, conformément aux conclusions de M. Testaz, la
paralysie devrait être considérée comme bénigne, facilement guérissable.
Eh bien, messieurs, cela ne paraît pas être tout à fait le cas chez notre
malade, car l'exploration électrique pratiquée il y a quatre jours a fait recon-
naître chez lui une réaction de dégénération prononcée.
« De plus, quand à l'aide du marteau de Skoda, on percute les muscles
du côté paralysé, on les voit agités de secousses fibrillaires qui révèlent en
général, une modification organique assez prononcée des faisceaux muscu-
laires. Notre cas donc, à n'en pas douter, n'appartient pas à la catégorie
bénigne : il est vraisemblable, au contraire, que notre jeune client en aura
pour longtemps. >^
11 n'est pas sans intérêt de constater aujourd'hui ce qui est advenu chez
notre jeune malade, qui n'a pas cessé d'être soumis au traitement électrique
méthodique depuis le 20 juin, c'est-à-dire depuis 5 mois environ. Nous cons-
tatons aujourd'hui un amendement très remarquable. La plupart des mouve-
ments volontaires ont reparu dans le domaine du facial paralysé ; il peut
fermer parfaitement l'œil, faire contracter normalement les divers muscles
de la joue et des lèvres ; l'excitabilité électrique cependant est encore en
défaut. En somme les choses ont été plus vite ({ue nous ne l'avions pensé
en nous fondant sur V électro-pronostic : nous pouvons espérer que sous peu la
guérison sera complète. A ce propos je crois devoir relever ce qui suit:
Rien de mieux établi pour l'immense majorité des cas que la classification
établie par M. le professeur Erb, des paralysies faciales en forme légère,
moyenne, et grave^, classification fondée sur l'électro-diagnostic qui, dans l'es-
pèce, pourrait être appelé l'électro-pronostic. Mais il ne fautpas oublier que les
règles établies par M. Erb, fondées incontestablement sur un nombre consi-
dérable de bonnes observations, comportent cependant quelques exceptions
([ue relevait l'autre jour M. le D*" Neumann dans un travail publié par V Union
médicale (15 novembre 1888). On peut voir des cas de paralysie faciale qui,
[)araissant, au point de vue des réactions électriques, comporter un pronostic
grave, guérissent cependant rapidement, tandis que des paralysies dites bé-
nignes, d'après les réactions électriques, peuvent exceptionnellement persister
pendant longtemps.
M. Dejerine a signalé un cas de ce genre (Société de Biologie, 9 août 1884),
— 102 —
dans lequel Tautopsie a fait reconnaître dans le nerf facial l'intégrité de la
grande majorité des tubes nerveux.
« Nous avons eu l'occasion, dit M. Neumann, d'observer des hémiplégies de
la face dans lesquelles les résultats fournis par l'examen électrique ne s^ac-
cordaient en aucune façon avec l'intensité et la durée de la maladie ; et nous
avons vu des paralysies faciales, ne s'accompagnant d'aucun changement dans
les réactions électriques, persister pendant des mois entiers et ne se terminer
que par une guérison incomplète. »
Ces cas qui paraissent échapper aux règles posées par M. le professeur Erb
doivent être certainement fort exceptionnels. Ils suffisent cependant à montrer
une fois de plus qu'il reste encore quelque chose à faire sur ce chapitre de la
paralysie faciale qu'on pourrait croire à peu près complètement épuisé.
3e ET 4^ Malades
Il s'agit ici de deux cas de paralysie faciale périphérique de date récente.
Le premier concerne un homme d'une trentaine d'années qui, il y a
huit jours a souffert d'un coryza avec mal de tête et en même temps de dou-
leurs derrière l'oreille du côté droit. La paralysie faciale a paru deux jours
après. Impossibilité de fermer l'œil droit, joue droite flasque et immobile.
La réaction électriciuc indique une forme légère. Il a été impossible de
trouver clans les antécédents héréditaires du malade la moindre trace d'une
tare nerveuse.
Le second mahide, âgé de 18 ans. est également atteint de paralysie
faciale depuis une huitaine de jours; c'est de la forme non douloureuse qu'il
s'agit. Il s'en est aperçu le matin au réveil : il ne se rappelle pas avoir été
soumis à l'action du froid. La recherche des antécédents nerveux dans la
famille ou chez le sujet lui-même est restée sans résultat. La paralysie est
très accentuée dans tout le côté gauche de la face : front, orbiculaire de l'œil,
muscles de la joue.
Cependant il s'agirait, d'après les indications fournies par l'étude des
réactions électriques, d'une forme légère.
ai), data ni»o> d* Tfp. - rtointr. ,8, r. Canipa|{ii« rrcmiAro. l'an*.
Policlinique du Mardi 27 Novembre 1888
SIXIÈME LEÇON
1° Chorée aiguë grave chez un jeune homme de 18 ans. —
Antécédents nerveux héréditaires très accentués. — Rhuma-
tisme articulaire aigu dans les antécédents personnels.
2*^ c( Secousses » servant de prodromes aux accès chez une
jeune épileptique de 15 ans. — Rétrécissement du champ
visuel après les accès.
3^ Hystérie chez un saturnin âgé de 28 ans.
1"" Malade.
Messieurs,
Je vais faire placer sous vos yeux un cas de chorée aiguë grave, menaçant
au premier chef au point de vue du pronostic. La mort peut s'en suivre, en
effet, dans un bref délai, et je crains beaucoup, je vous l'avoue, que ces tristes
prévisions ne se réalisent. Je vous ferai remarquer en passant, messieurs, que
depuis l'installation dans cet hospice de la consultation externe et du service
de clinique, notre matériel d'observations, en ce qui concerne la chorée, est
devenu fort riche.
Chaque année, en effet, nous sommes consultés par une soixantaine de
choréiques des deux sexes et de tous les âges ; de fait nous en avons observé
plus de cent cinquante, dans le courant des trois dernières années dont une
quinzaine environ ont été admis dans les salles. — Cette remarque est des-
tinée à vous montrer que sijjparfois nos opinions ditTèrent sur certains
points relatifs à cette affection de celles professées par quelques auteurs auto-
risés, nos assertions contradictoires ne sont pas fondées uniquement sur des
16
— 104 —
vues de l'esprit; elles s'appuient au contraire, à peu près toujours, sur un
nombre suffisant d'observations originales.
Vous comprendrez également par là comment nous avons été plusieurs fois
mis en mesure, depuis cette époque, d'observer dans ce genre un certain nom-
bre de cas rares, exceptionnels.
Un malade est introduit sur une civière.
M. Charcot : Yoici notre malade^, nous allons l'examiner très rapidement ; sa
situation ne nous permet pas de le laisser longtemps sous vos yeux.
Je vous Tai annoncé comme un choréique ; au premier abord vous pourriez
ne m'en pas croire tant sont faibles et rares actuellement chez lui les gesticu-
lations.
Il en étaittoLit autrement il y a vingt-quatre heures à peine ; alors les mouve-
ments choréiques étaient quant à lagénéralisation, à la persistance et à l'inten-
sité, poussés au plus haut degré, subsistant nuit et jour, sans cesse ni sans trêve.
Voici d'ailleurs l'histoire clinique de la maladie telle qu'elle s'est déroulée
depuis son début jusqu'à ce jour.
Les premiers mouvements involontaires ont paru dans les bras et dans la
tête vers le 5 novembre, c'est-à-dire il y a environ vingt-deux jours ; quinze
jours auparavant, s'étaient montrées des douleurs articulaires avec gonflement
occupant les deux cous-de-pied et qui ne durèrent que quelques jours; c'était
une réapparition fort atténuée d'un rhumatisme articulaire beaucoup plus
intense, plus généralisé qui avait sévi au mois de janvier et sur lequel je
reviendrai ultérieurement. Je me borner?! à relever en ce moment que cette
attaque de rhumatisme a laissé, après elle, une lésion de l'endocarde marquée
actuellement par un souffle assez rude siégeant à la pointe du cœur, au pre-
mier temps.
Les grands mouvements choréiques se sont manifestés d'abord sur le mem-
bre supérieur gauche ; deux ou trois jours après ils ont gagné le membre
inférieur du même côté et la face enfin; une semaine après, le côté droit a été
pris à son tour.
Le malade est venu à la consultation de l'hospice pour la première fois le
mardi 13 novembre ; les mouvements choréiques étaient, cette fois-là encore,
d'intensité moyenne; ils s'étendaient, comme on Ta dit, aux quatre membres et
à la face avec prédominance à gauche. La parole était déjà assez difficile; pas
de fièvre ; souffle vers la pointe du cœur. La seconde visite qu'il nous a faite
date du 16 novembre, trois jours après la première. Les accidents nerveux
s'étaient rapidement aggravés : le malade est ce jour-là, énormément agité sur
la chaise où il se tient assis ; ses grimaces, ses gestes sont des plus désordon-
nés ; soudain il lance ses bras de chaque côté du tronc, croise ses jambes
avec un grand luxe de mouvements ; il parle très diflicilement, en changeant
sans transition le tonde sa voix et en chantonnant. Si on lui dit de se lever, il
le fait brusquement et, une fois debout, il sautille tantôt sur une jambe, tantôt
— 105 —
sur l'autre, inclinant son corps d'un côté, puis de l'autre. Les mouvements
anormaux sonttoujours plus intenses du côté gauche que du côté droit. Chose
intéressante à noter, parce qu'on a v(ju1u en faire un caractère propre à certai-
nes choses prétendues spéciales, à l'occasion des mouvements volontaires, les
gesticulations s'atténuent, et même parfois cessent momentanément tout k fait :
ainsi, il peut porter un verre à sa bouche, de la main droite surtout, sans répan-
dre le contenu. Toutefois il lui est impossiJjle d'écrire. Sommeil agité. Le tiai-
tement jusqu'ici a consisté dans l'emploi du bromure (4 à 5 gr.) et hydrate de
de chloral (2 à 3 gr. par jour.)
Nouvelle présentation du malade le 19 novembre.
Empiremcnt très accentué de tous les symptômes : le malade ne dort pour
ainsi dire plus depuis deux nuits. Les gesticulations des membres et du tronc
sont de plus en plus étendues. La situation évidemment devient sérieuse et
sur la demande de sa mère le malade est admis dans les salles de la Clinique.
1-es difficultés qui se sont produites un instant après son admission sont, en
ce qui concerne son état mental, une véritable révélation : Il fait dans la cour
de l'hospice tout en gesticulant à l'extrême, une scène des plus bruyantes.
Il prétend qu'il ne peut supporter l'odeur de la salle, qu'il ne saurait rester
avec des gens d'aussi basse extraction que ceux qui s'y trouvent^, etc., etc. Enfin
on parvient à le calmer un peu et il consent à se coucher (Bromure de pot.,
6 gr., hydrate de chloral, 4 gr.)
Mardi 20 novembre. — Le malade n'a pas dormi de la nuit ; il s'est montré
très agité ; il se livre continuellement soit au lit, soit sur le fauteuil où il s'as-
sied, à des gestes de grande étendue. Il projette sa tête violemment de côté et
d'autre et en frappe les oreilles du fauteuil ou l'oreiller du lit. Il fait les
grimaces les plus insensées, croise et décroise constamment ses jambes ; plie
le tronc en avant et peu après le renverse brusquement en arrière ; il glisse
incessamment sur le fauteuil où il est assis de façon que sa tête repose bientôt
sur le siège et qu'on est à chaque instant obligé de le redresser ; au lit, même
tendance à toujours descendre. On s'aperçoit que les coudes, le creux poplité
commencent à rougir en conséquence des violents frottements auxquels ils
sont incessamment soumis.
Sans doute il est de règle que dans îa chorée,même la plus bénigne, il y ait
à constater quelque perturbation mentale. Mais, désormais, chez notre malade,
les troubles de ce genre dépassent évidemment les limites ordinaires c'est
ainsi qu'il prétend avec assurance, être persécuté par les malades du service ;
tous ceux qui ont aidé à le maintenir dans son lit ou dans son fauteuil l'ont,
assure-t-il, cruellement brutalisé; on l'accuse sans cesse, dit-il, d'avoir eu la
syphilis; le soir du même jour il nous affirmait qu'on lui avait coupé le «scro-
tum ». Par moments il semble reconnaître que tout cela est faux et nous dit :
« Mais est-ce que je rêve? » La température s'élève à 39° ; le pouls est à 120,
régulier. (Bromure de sodium, G gr. ; chloral, 6 gr. ; extrait thébaï(iue,0 gr. 05.)
— 106 —
Mercredi 21 novembre. — Cette nuit, il a dormi en deux fois près de trois heu-
res. Ce matin néanmoins il est à peu près aussi agité qu'hier ; les gesticulations
sont tout aussi étendues. C'est à peine s'il peut aujourd'hui articuler un mot
distinctement. Les rougeurs dues au frottement s'étendent maintenant à la face
postérieure et interne des bras. On n'a pu le laisser hors du lit, sur son fau-
teuil, qu'une heure ce matin. De même que les jours précédents, il ne peut
avaler, et encore difficilement, que des aliments liquides. Même traitement.
Température rectale de 38° 4 matin, 38° 8, le soir.
Jeudi 22 novembre. — lia à peine dormi une heure cette nuit. Toujours extrê-
mement agité. Les gesticulations sont des plus intenses. Il n'a pu quitter
un instant le lit où il rend les urines involontairement. Impossible d'émettre
le moindre bruit articulé ; aussi, est-il fort difficile de se rendre compte exac-
tement de son état mental. Toujours est-il qu'il paraît comprendre les ques-
tions qu'on lui adresse ; sur la demande qu'on lui en fait, il essaie de tirer sa
langue, mais il n'y réussit pas et parvient seulement à ouvrir la bouche. La
langue n'est point sèche. Même traitement. Température rectale : matin 38° 6,
soir 38° 8.
Vendredi 23 novembre. — Bien qu'il n'ait pris qu'environ 2 grammes de chlo-
ral,il a dormi toute la nuit. Les mouvements choréiqucs sont moins étendus et
plus lents qu'hier. Il y a donc à quelques égards une apparence d'amendement ;
mais, s'agit-il d'une amélioration sérieuse ? on n'ose l'espérer. Le malade
est, en réaHté, très prostré, très amaigri, les yeux enfoncés. Les lèvres sont
sèches, couvertes d'enduits ; la langue cependant reste humide.
On a eu raison ce matin, quant au pronostic, de se tenir sur la réserve, car
le soir, bien qu'on ne puisse découvrir l'existence d'une complication viscé-
rale quelconque, la température s'élève brusquement à 40° ; le pouls est à 120,
régulier.
Samedi 2^novembre. — Le malade n'a pas paru agité cette nuit : mais son
état ce matin n'en est pas plus rassurant pour cela : sans doute les mouvements
anormaux des membres ainsi que les grimaces sont moins étendus moins fré-
quents. 11 se borne à grincer des dents, à élever les sourcils brusquement pour
les abaisser ensuite, à tourner les yeux presque convulsivement de tous côtés ;
mais le faciès est légèrement cyanose, amaigri. La température est à 40° 3, -le
soir elle se maintient à 40°. Pouls très fréquent : près de 140 par minute et un
peu après à 120 seulement; arythmie très prononcée ; le souffle vers la pointe
du cœur ne s'est pas modihé.
En outre de la solution de Fowler et de la teinture de Mars prescrites hier,
on a administré aujourd'hui 0 gr. 75 de digitale. Poudre de viande, potion de
Todd.
Dimanche 25 novembre. — Sommeil très agité lanuit ; il crie, délire, appelle
sa mère. Toujours grincements de dents, mouvements divers de la face; les gesti-
culations sont encore atténuées. Il ne parait pas reconnaître les gens qui l'en-
- 107 --
tourent. Quoi qu'il on soit, la tempôrature a notablement baissé : le matin, elle
est à 39" le soir à 38" G. S'ai,Mt-iI là d'une défervescence do bon aloi : C'est bien
peu vraisemblable. Le pouls ralenti est tantôt à 00", tantôt à 80% presque régu-
lier : on suspend la digitale et Ton se borne aux toniques.
Lundi 26 novembre. — Même état qu'hier. Il avale difficilement, somnolence,
avec cris inarticulés do temps à autre ; les mouvements dans les membres ont
presque complètement disparu. Température 38", pouls 130, 120.
Mois de q
Novembne
Pouls. T.
180- 4r
16D_40^
140.53'
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■■■BBIBBBIIII
Voici enfin l'état dans lequel nous le trouvons aujourd'hui mardi 27. —
Veuillez bien remarquer tous les détails que je vais relever chemin faisant
dans le cours de notre examen.
Le tracé du pouls est ( ) schématique, le pouls variant d'un instant à l'autre.
— 108 —
Ce qui frappe tout d'abord, avec le mutisme absolu du sujet et Texpression
de torpeur de ses traits, c'est l'absence à peu près complète de mouvements
involontaires : que sont devenues ces grandes gesticulations de ces jours pas-
sés ? Elles ne sont plus représentées actuellement que par de légères secousses
des membres tant supérieurs qu'inférieurs, visibles surtout lorsque ceux-ci
sont maintenus soulevés par la main de l'observateur et qui rappellent la des-
cription des soubresauts détendons des fièvres graves.
Serait-ce donc qu'il s'agit ici de cette forme paralytique de la chorée dont
je vous montrais l'autre jour un exemple ? Hélas ! non, il n'y a là qu'une
apparence trompeuse; la chorée molle paraît être généralement bénigne, tandis
que, actuellement, le cas est évidemment sérieux. Je relèverai particulièrement,
comme indices tristement significatifs, la teinte cyanosée générale des tégu-
ments et surtout des extrémités et du nez ; la maigreur extrême du sujet sur-
venue très rapidement, bien que l'alimentation ait pu être continuée tant
bien que mal ; la langue est sèche, le ventre creusé en bateau, comme rata-
tiné, etc., etc.
Le malade peut être ramené dans les salles : (Le malade est porté hors de
de la salle), le voilà parti, nous pourrons parler de lui plus librement. Eh
bien, messieurs, je vous dirai franchement, maintenant qu'il ne peut plus
nous entendre^ que je ne suis nullement rassuré sur son compte. L'amaigris-
sement rapide, la teinte cyanosée, la stupeur et jusqu'à la presque complète
cessation dos mouvements qu'on pourrait, dans d'autres circonstances, con-
sidérer comme un événement favorable^, tout cela ne nous dit rien de bon ; et,
bien que depuis hier, la température centrale ne se soit pas élevée au-dessus
de 38°8, je redoute fort, quoi que nous puissions faire, une terminaison fatale
dans un bref délai.
Oui messieurs, pour tout dire en un mot^, je crains qu'il ne s'agisse ici
d'une chorée mortelle. Est-ce donc que la chorée, cette affection que j'ai eu
l'occasion fréquente de vous présenter comme généralement bénigne, puisse
en réalité se terminer quelquefois par la mort? Eh bien, oui, cela peut arriver
dans certains cas, et justement je veux^ un instant, attirer votre attention sur
les faits de ce genre.
Messieurs, il sera légitime, je pense, avec Lendet (Mémoire sur les chorées
sans complications, terminées parla mort. Arch. de Méd. 1853, 2*^ série) et avec
le D"" Sturges [Cliorea as a fatal disease. — On chorea, p. 17:2. London 1881), de
distinguer dans l'espèce deux ordres de cas tout à fait différents : Ceux dans
lesquels on meurt pendant la chorée en conséquence de quelque complication
organique telle que pneumonie, endocardite, etc.; ceux dans lesquels, au con-
traire, on meurt sans complication de C3 genre, par le fait même de la chorée
si Ton peut ainsi parler.
Ce sont les cas du dernier groupe qui devront nous occuper exclusivement,
car à mon avis, messieurs, si la terminaison par la mort a lieu chez notre pau-
I
— 100 —
vre garçon, commo je le redoute, ce ne sera pas, ainsi que je l'exposerai tout
à l'heure dans le détail par suite d'une complication viscérale, cardiaque, pul-
monaire ; en outre, mais bien en conséquence d'un processus particulier dont
la raison physiologique ne nous est pas encore connue. Mais avant d"<m venir
à la discussion de ces points, il ne sera peut-être pas inutile de relever, en
passant, qu'en tous cas, quelle qu'on soit la cause, qu'il y ait ou non complica-
tion viscérale imllammatoire, la terminaison par la mort, dans la chorée, est
chose vraiment rai'(3. Ainsi au rapport de M. Sturges. en prenant les registres
de Guy*s hospital pour 30 ans, Hughes a trouvé seulement 11 cas de chorée
avec issue fatale; le D' Dickinson, à Saint-Georges hospital, pour une période
de 31 ans, 16 cas; à l'hôpital des Enfants malades, dans une période de 15 ans,
on n'en a pas compté plus de 6 cas.
Il y a tout lieu de croire d'ailleurs, bien que le départ à cet égard n'ait pas
été fait régulièrement, que la chorée mortelle par elle-même est plus rare que
la chorée mortelle par complication.
Mais j'en reviens à notre cas, qui, je le répète, représente un exemple de la
première catégorie, c'est-à-dire un cas de chorée mortelle sans complication.
La question à examiner est celle-ci. Comment, dans quelles circonstances
meurt-on dans la chorée par la chorée ? Là-dessus, on le comprend, nous ne
pouvons rien savoir qui ne soit fondé sur l'observation comparative d'un cer-
tain nombre de faits du groupe. Or la comparaison de ces faits apprend ce
qui suit : Il ne paraît pas et je m'appuie ici sur les chiffres rassemblés par
M. Sturges qu'avant l'âge de 7 ou 8 ans, et même jusqu'à 12 ans, on meure de
la chorée sans complication; s'il y a quelques exceptions à cette règle, ce
serait chez les filles qu'elles auraient été observées.
Après l'âge de 12 ou 14 ans, il se produit dans l'histoire clinique de
la chorée une évolution fort remarquable, car alors, en effet, on peut voir
survenir, contrairement à ce qui est la règle aux époques antérieures, des cas
graves ; soit que la maladie en vienne à s'éterniser à l'état chronique (chorée
chronique) soit qu'elle conduise,, dans la forme aiguë, plus ou moins rapide-
ment et sans le concours d'une complication organique viscérale, à la termi-
naison fatale.
C'est donc, en résumé, chez l'adolescent, chez l'adulte, et, aussi chez le
vieillard ainsi que je l'ai plusieurs fois observé, qu'on peut redouter de voir
survenir la mort dans la chorée non compliquée. Ainsi, en d'autres termes,
chez l'enfant, au-dessous do 12 ans par exemple, quelle que soit l'intensité,
souvent effroyable des convulsions choréiques, tant qu'il n'y a pas interven-
tion de quelque complication viscérale redoutable par elle-même, l'issue fatale
n'est pas à prévoir. Vous voyez, par contraste d'après ce qui a été dit plus
haut, qu'il n'en est pas tout à fait de même lorsque la chorée survient à un âge
plus avancé. Alors si la chorée se montre quelque peu intense, si même aucune
complication alarmante n'est survenue^ soyez attentifs, sachez vous tenir pru-
— 110 -
déminent sur la réserve, en ce qui concerne le pronostic ; le cas peut tout à
coup se montrer grave.
Nous venons de recueillir là, chemin faisant, un renseignement évidemment
de grande importance. C'est à savoir que chez l'adolescent et l'adulte, la cho-
rée aiguë peut par elle-même, exceptionnellement il est vrai, devenir une
maladie fort sérieuse. Nous devons nous appliquer à rechercher maintenant si,
étant donné Texistence de la chorée aiguë chez un adulte, il n'est pas cer-
taines circonstances, qui, dans un cas particulier, puissent conduire à prévoir
le danger. Parmi ces circonstances fâcheuses de nature à assombrir le pronos-
tic de la chorée chez l'adulte^ onpeut au premier chef citer l'état de grossesse.
C'est à juste titre que la chorée de la grossesse porte en clinique un renom
fâcheux, non pas qu'il s'agisse là d'une chorée spéciale liée intimement à la
grossesse, M. le Prof. Jaccoud a parfaitement montré' que c'est dans ces cas-
là, la chorée vulgaire qui est en jeu, aggravée par les conditions de la gros-
sesse.(Clinique de la Charité p. 476). Les deux seuls cas de chorée mortelle
qui se sont produits dans mon service à la Salpêtrière, dans le cours des trois
dernières années, sont relatifs à des femmes grosses.
La première était une fille de' 19 ans dont l'histoire a été rapportée par
M. Guinon, mon interne, d'abord, dànsla. France médicale (n° 7, 19 janvier 1886).
Cette fille nous parait avoir succombé à la chorée, par la cliorée. Les phleg-
mons suppures qui s'étaient produits dans les membres en conséquence des
mouvements désordonnés, et les vestiges d'endocardite ancienne relevés chez
elle lors de l'autopsie, ne nous ont pas paru expliquer à eux seuls la terminai-
son fatale, l^e deuxième cas est plus récent : il est relatif à une femme mariée
âgée de 20 ans, enceinte de deux mois environ à l'époque où la chorée
a débuté. Les mouvements étaient désordonnés au plus haut degré : On n^a pu
découvrir cliniquement aucune complication viscérale.
La mort est survenue dix jours à peine après le début de la maladie convul-
sive ; on avait constaté un peu avant une température vaginale de
41 degrés : Malheureusement l'autopsie a été refusée.
Il ne paraît pas que l'existence antérieure du rhumatisme articulaire chez
l'adulte atteint de chorée ait une influence très marquée sur la production
des accidents qui conduisent à la terminaison fatale, dans les cas qui nous
occupent. Toujours est-il qu'on peut voir la chorée survenir chez l'adulte
dans des circonstances où il n'existe aucune trace d'une endocardite présente
ou passée. Sur dix cas concernant des choréiques morts pendant la chorée re-
levé par M. Dickenson, on en compte trois chez lesquels l'endocarde ne pré-
sentait aucune trace de végétations. Sur trois cas du même genre, rassemblés
par M. Peacock, les végétations faisaient défaut dans un cas. J'emprunte ces
chiflres à l'intéressant ouvrage déjà cité de M. Sturges (1).
1. Tout récemment M. le D»" E. Powell, de NoUingham, décrivait deux cas de chorée aiguë
— 111 —
Il n'en est certainement pas (le môme de rinfliionce des émotions plus ou
moins profondes, de la peur, ayant pu présider au développement de la chorée_
Les choiées des adultes ([ui doivent se terminer par la mort reconnaissent
souvent les causes susdites. Elles se font remarquer habituellement, anté-
rieurement à l'apparition des mouvements choréiformes, comme aussi pendant
le cours de TafTection, par des troubles psychiques plus profonds que cela n'a
lieu d'ordinaire, par une exaltation mentale poussée au plus haut degré, ou
encore de vériialdes troubles vésaniques.
On pourrait formuler ces résultats de l'observation clinique en disant que
ce sont, chez l'adulte, les chorées émotionnelles qui surtout se montrent graves
et j'ajouterai que, dans ces cas-là, une recherche attentive des antécédents de
famille conduirait, vraisemblablement presque toujours, à la r('vélation de
tares nerveuses des plus signiticatives. Nous verrons dans un instant que juste-
ment, ces conditions-là existent d'une façon très accentuée dans l'hérédité de
notre malade.
Autre ({ucstion : Quels sont, étant donnée la chorée chez un adulte, les
signes prochains propres à indiquer que les choses prennent une mauvaise
tournure? On doit, à ce sujet, rappeler en premier lieu que, généralement, la
chorée grave chez l'adulte se fait remarquer par des mouvements d'une inten-
sité extrême; ce n'est pas là une circonstance absolument nécessaire, mais
c'est certainement le cas habituel. « On a peine à contenir les malades... Ils
brisent les liens dont on les entoure, se roulent en bas de leur lit... etc., etc.
Puis subitement, disent MM. Rilliet et Barthez », la violence des contractions
diminue pour faire place à des soubresauts de tendons.
Incontestablement voilà qui est bien dit, et cet abaissement soudain de la
violence des gesticulations choréiques, est certainement, dans ces conditions-
là un symptôme de fort mauvais augure. Quelques traits devront être ajoutés
pour compléter le tableau :
En premier lieu, ramaigrissement rapide du malade, la teinte cyanosée des
téguments, la cessation brusque d'un délire plus ou moins bruyant remplacé
désormais par de la stupeur; la sécheresse de la langue, etc., etc. ; et enfin,
par-dessus tout, l'élévation de la température centrale qui, brusquement, dans
l'espace de quelques heures, dépasse 38*^, 39° et s'élève jusqu'à 40" 41". Voilà,
je crois, l'un des éléments nécessaires du complexus morbide de fâcheux
augure sur lequel j'attire spécialement votre attention et qui ne me parait pas
avoir été suflisamment mis en relief par les auteurs. Je l'ai rencontré pour
ma part dans tous les cas de chorée mortelle sans complication, au nombre de
qui se sont terminés par la morl. Ils sont relatifs à un garçon de dix-neuf ans et à une femme
de vingt ans. Le garçon présentait à l'autopsie des végétations sur le bord de la valvule mitrale
chez la jeune femme morte « d'épuisement » cinq jours après son entrée à l'hôpital, l'autopiic
est restée négative {Semaine médicale, Lettres d'Angleterre, par le D' Keser, 9 janvier 1889).
17
— 112 —
cinq, qu'il m'a été donné d'observer, et je crois bien que son existence a égale-
ment été constatée constamment par tous les observateurs qui ont pris la
peine de le rechercher.
Mais, medirez-vous, votre cas d'aujourd'hui fait exception à la règle, sous
ce rapport, car si la température s'est, chez votre malade, élevée rapidement
à un moment donné, et elle a atteint un jour près de 40°3; bientôt après,
vraisemblablement sous l'influence de la médication mise en œuvre (tein-
ture de digitale), elle s'est abaissée très notablement ; peut-être, ajouterez-
vous, vous laissez-vous trop vivement impressionner par les autres symptô-
mes, à savoir la cessation des gesticulations, le délire, l'amaigrissement, le
fac-ies cyanose, etc., etc. Tout cela p(îut-èlru est réparable. Eh bien. Messieurs,
vous direz tout ce que vous voudrez : je dois vous Tavouer, Félat de notre
pauvre malade ne m'inspire aucune confiance et je redoute fort, je le répète
encore une fois, qu'il ne succombe dans un bref délai. Son cas me remet en
mémoire ce qui m'est arrivé souvent chez les vieillards affaiblis de cet hospice
atteints de pneumonie lobaire, alors que, dans les premiers temps de mon
exercice, je m'efTorçais, peut-être un peu naïvement, d'enrayer la marche si
habituellement fatale de la maladie, par l'emploi des agents antipyré-
tiques, en particulier de la digitale.
Nous obtenions ainsi assez facilement des courbes thermiques superbes et
qui ne différaient en rien d'essentiel des courbes relatives aux cas terminés par
la guérison. Mais, hélas! les autres symptômes ne marchaient point de pair,
et les malades succombaient, à la vérité, en pleine défervescence. Il faut tenir
compte de ces défervescences de « mauvais aloi » et je crains bien que notre
sujet n'offre un nouvel exemple du genre.
Quel est donc le mécanisme suivant lequel se produit la terminaison fatale
dans ces cas de chorée des adultes aboutissant à la mort? Là-dessus, je n'ai
pas de bien grands éclaircissements à vous donner; tout ce qu'on peut dire,
c'est qu'aucune lésion organique grossière n'explique ces terminaisons-là.
Ainsi, chez notre malade, s'il succombe comme je le redoute, il n'y aura cer-
tainement pas lieu d'invoquer l'influence de la lésion mi traie dont l'ausculta-
tion nous a fait reconnaître l'existence; cette lésion date de loin, elle repré-
sente le résidu d'un processus éteint. Elle n'est pas l'expression d'une maladie
en pleine activité et qu'on pourrait incriminer comme étant la cause de tous
les désordres. J'ajouterai que nulle part ailleurs nous ne rencontrons dans
ces organes de signes d'une lésion quelconciue appréciable i)ar nos moyens
d'investigation clinique. La plupart des auteurs qui se sont occupés de la
question, ont fait des remarques analogues et plusieurs d'entre eux ont pro-
posé de rapporter la cause de la mort à une modification générale de l'orga-
nisme, et en particulier du système nerveux, résullant du surmenage, de
l'épuisement causés par l'excessive intensité des gesticulations choréiformes.
Sans doute il y a souvent quelque chose de cela dans la chorée mortelle; mais
— H.'i —
je forai remarquer que l'intensité des mouvements n'est pas une condition
ahsoliiniont nf'cessaire à la produetion de la ohorée grave et quo_, d'un aiili»'
côté, chez l'enfant au-dessous de huit à dix ans, ainsi rpie nous l'avons fait
remar([uer plus haut, les chorécsles [)lus intenses quant aux mouvements, si
elles ne sont pas compliquées de lésions viscérales, évoluent le plus souvent
sans tourner à mal. Dans l'impossibilité où je suis de vous dire queh|ue chose
d'un peu précis sur ce sujet, je me bornerai à vousproposerune comjjaraison,
sans me faire d'illusion bien entendu sur la valeur des arguments f(jn(h''s sur
la seule analogie ; voilà du reste, de quoi il s'agit : il y a un rapprochement à
établir, si je ne me trompe, entre la chorée mortelle et ce qui arrive chez les
épileptiques dans les conditions dites de Vî'tat de mol ; ici les accès convulsifs
deviennent nombreux et ils s'enchainent de façon à constituer une série à peu
près ininterrompue. La température s'est élevée rapidement à 38° 5, 39'*, 40"
et au delà, et elle ne s'abaisse guère, alors que les convulsions ont cessé ou
se sont considérablement affaiblies, le malade restant toutefois dans le coma
Le danger est alors imminent, et si le malade succombe, ce qui est, hélas ! bien
fréquent, l'autopsie ne révèle dans les organes aucune altération appréciable
par nos moyens actuels d'investigation, qu'on puisse incriminer. C'est donc
en pareil cas de la mort par Vépilepsie qu'il s'agit bien réellement et non pas
de la mort déterminée chez un épileptique par l'intervention d'ime com[»li-
cation viscérale. 11 y a certainement de l'analogie entre ces cas relatifs à
Vétat (/e ma/ épileptique et ceux qu'on pourrait grouper peut-être sous le nom
(ï (Hat de mal choréique; et cette analogie-là, j'ai tenu à la faire ressortir, i)arce
qu'elle conduira peut-être quelque jour à trouver une interprétation légitime
des phénomènes communs, qui pour le moment nous échappe.
Mais en voilà assez pour aujourd'hui sur cette question des « chorées sans
complication terminées par la mort ». C'est un sujet sur lequel j'aurai malheu-
reusement, sans doute, l'occasion de revenir très prochainement à propos de
notre pauvre malade.
J'en viens maintenant à compléter son histoire clinique antérieure aux phé-
nomènes actuels, par quelques détails fort intéressants, concernant sori passé
et son hérédité.
Maladif pendant son enfance, A... el a eu au cou, vers l'âge de 2 ans, des
ganglions scrofuleux suppures dont il porte les traces. Sa santé s'était ensuite
passablement amendée et il était devenu assez fort. Depuis deux ans il travail-
lait dans une pharmacie comme élève.
Depuis le mois de février 1888, il a souffert de plusieurs attaques de rhu-
matisme articulaire aigu de moyenne intensité durant chaque fois de huit à
quinze jours ; elles ont sévi surtout en juin, juillet et août, et c'est alors que
s'est déveloi)pée, suivant toute apparence l'endocardite dont il porte les traces.
A partir de février, avant même le développement des accès de rhumatisme
articulaire, son caractère était notablement changé ; il était devenu ner-
— 114 —
veux, irascible, se contrariant pour un rien ; au mois de mai, à la suite d'une
observation sans importance de la part de son patron, il avait, par un coup
de tête, quitté la pharmacie où il travaillait habituellement.
Ces changements de caractère s'étaient accentués surtout après le 13 mars,
époque où il fut soumis à une assez violente émotion : Il fut attaqué un soir
en rentrant chez lui par deux individus qui après l'avoir renversé, lui prirent
sa montre et son porte-monnaie, sans le frapper toutefois.
Le début de la chorée remonte, ainsi que nous l'avons dit, au commence-
ment de novembre, vers le 5 environ. Une quinzaine auparavant, il avait été
repris pendant quelques jours de douleurs articulaires, avec gonflement dans
les deux cous-de-pied. Mais je le répète, c'est le 5 novembre seulement que
les mouvements choréiques ont commencé à s'accuser nettement.
Vous le voyez, messieurs, le rhumatisme articulaire joue, chez notre malade
un rôle assez important. On le voit sévir à plusieurs reprises avant le déve-
loppement de la chorée et quelques médecins, après constatation de l'aff'ection
articulaire, désigneront le cas sous le nom de chorée rhumatismale et croieront
peut-être avoir tout dit ; mais n'avez vous pas manqué de le remarquer,
messieurs, qu'il y a chez notre homme autre chose encore qui mérite bien
d'être relevé, c'est à savoir l'élément névropathique, lequel se révélera dans
tout son jour par l'étude des antécédents de famille. Messieurs, c'est cet élé-
ment-là qui, dans le drame morbide, me paraît devoir occuper sur la scène la
place prépondérante.
A^ous connaissez certainement mon opinion relativement à la chorée dite
rhumatismale : Je me suis plusieurs fois exprimé, je pense, très nettement, à ce
sujet. A mon avis, permettez-moi de vous le rappeler en deux mots ; il n'y a pas
de chorée méritant d'être appelée. rhumatismale dans l'acception rigoureuse
du mot : eu d'autres termes, je ne crois pas que la chorée puisse jamais être
considérée comme un « équivalent » dans les centres nerveux, de l'affection
articulaire, ou des affections viscérales de la « fièvre rhumatismale » ; il me
parait bien que l'opinion contre laquelle je m'élève est le résultat d'une illu-
sion. La chorée et le rhumatisme articulaire coexistent sous^ent soit chez un
même sujet, soit dans la famille, cela n'est nullement douteux; mais la co'in-
cidence fréquente, l'alternance même de deux affections ne suffit nullement à
montrer qu'elles sont identiques et de même nature ; tout au plus cela peut-il
faire penser qu'il y a entre elles une certaine affinité dont il reste à recherclier
la raison d'être. Or la coïncidence dont il s'agit, bien que réellement très vul-
gaire dans le cas de la chorée, ne lui appartient certes pas en propre. On pour-
rait la signaler, bien que moins accentuée sans doute, mais très commune
encore, dans toutes les autres névroses à peu près sans exception ; ainsi dans
l'hystérie, dans le mal comitial, dans la paralysie agitante, dans la maladie
de Basedowe danslesvésanies, etc., etc. Cela saute aux yeux lorsque, cessant
de concentrer toute son attention sur un champ limité, le clinicien prend
— llo —
« du recul » à rimitaiion du peintre qui veut envisager le tableau non plus
dans les détails mais dans rensemblc. C'est en somme par un procédé d'obser-
vation analogue qu'on a pu se convaincre, que la diatbèse artbriti(pje, dont le
rhumatisme articulaire est un des représentants les plus communs, les plus
vulgaires et la diath«'.'se nerveuse s'associent volontiers l'une avec l'autre ]»our
cn'or, en clinique, les combinaisons les plus variées, sans qu'on jiuisse dire
qu'il y ait jamais entre elles cependant une véritable promiscuité. La coexis-
tence très fréquente, mais nullement nécessaire, tant s'en faut, de la chorée
et du rhumatisme est un exemple très frappant de cette association des deux
diathèscs; mais, je le répète, ce n'est pas un exemple unique dans son genre
et il n'est pas à proprement parler un seul des membres de la grande famille
neuropathologique où cette association-là ne puisse être signalée.
Quoi qu'il en soit, à mon avis, ce n'est pas à titre de chorée associée au
rhumatisme articulaire que l'affection, chez notre infortuné malade, s'accom-
pagne de symptômes graves ; car l'on sait que le pronostic dans la chorée des
rhumatisants,, en dehors des complications viscérales, n'est pas plus fâcheux
que dans celle qui se développe sans ce concours du rhumatisme. C'est donc
ailleurs, je pense, qu'il faut chercher la raison des accidents graves observés
dans notre cas; déjà, tout à l'heure, nous avions été conduits à incriminer
l'élément névropathique. Il me semble que cette accusation, appuyée déjà
sur la connaissance des antécédents personnels du sujet, va se trouver mieux
justifiée encore, par l'étude que nous allons faire des antécédents héréditaires.
TABLEAU SYNOPTIQUE DES ANTÉCÉDENTS DE FAMILLE DE A... EL
COTÉ PATERNEL COTÉ MATERNEL
Grand-père Grand'mère Grand-père
Il s^est PENDU cinq S'est suicidé en se 0
ans après le suicide jetant par la fenêtre,
de sa femme.
Le père du malade
Suicide
S'est noyé volontairement dans le canal St-
Martin. — C'était un exalté. Il commettait de
nombreux excès alcoolique, d'absinthe sur-
tout. Il avait été atteint de chorée à l'âge de
9 ans.
Grand'mère
Attaques de nerfs à
l'âge de 43 ans.
La mère du malade
Hémopbjsies nerveuses (?) supplémentaire
des époques, il y a douze ans.
l**" enfant né à 7 mois.
2 autres enfants morts
en bas âge.
Le 4e enfant. A.. . el
Gabriel, notre malade,
né le 13 avril 1871
(après le siège , ner-
veux e.xalté, CHORÉE
grave.
— Ji6 —
Entrons dans quelques détails nécessaires pour bien faire ressortir tout ce
qu'il y a d'intéressant pour nous, dans l'évolution de cet arbre généalogique.
Le père du malade exerçait la profession de peintre sur porcelaine ; or, L?
peintre sur porcelaine à Paris tient à la fois, généralement, de l'ouvrier et de
l'artiste. Education souvent incomplète : assez d'éducation et d'instruc-
tion pour se faire illusion et croire qu'on peut juger de tout en
dernier ressort; pas assez cependant pour bien juger; d'ailleurs lui était un
exalté; il a été plusieurs fois compromis dans les affaires de l'Internationale,
puis dans celle de la Commune et il a dû ,en 1871, fuir en Angleterre où il est
resté jusqu'en 1878. Assez sobre jusqu'en 1871, il s'est mis, à partir de cette
époque, àboire à l'excès ; il buvait d'habitude jusqu'à sept ou huit verres d'ab-
sinthe par jour.
En 1886, après avoir perdu, par son inconduite, une place qu'il avait au
Mont- de-Piété et qui le faisait vivre, il est allé se jeter dans le canal Saint-
Martin où il s'est noyé.
On nous apprend qu'à l'âge de neuf ans il avait été atteint d'une chorée qui
aurait duré pendant près de dix-huit mois ; c'est vraisemblablement d'une
chorée à rechutes subintrantes et non pas d'une chorée chronique qu'il a dû
s'agir à cet âge. Quoiqu'il en soit, l'afTection serait survenue chez lui à la suite
de l'émotion vive qu'il aurait éprouvée en trouvant son père pendudanslacave de
la maison. Déjà, quelques années auparavant, sa mère s'était également sui-
cidée en se jetant par une fenêtre.
Voilà pour ce qui concerne le côté paternel ; vous voyez que de ce cùté-là
l'hérédité est fort chargée : trois suicides! Gela est très signiticatif. Le côté
maternel n'est pas non plus indemne de tares nerveuses. La grand'mère du
malade a en effet souffert d'attaques de nerfs et sa mère a été affectée d"hémop-
tisie, qu'on a été conduit à considérer comme étant d'origine névropathique.
Il n'est pas inutile de relever que notre sujet est comme on dit : «un Enfant
du Siège » et qu'il est le dernier de quatre enfants dont les trois premiers
sont morts en bas âge.
Avec une telle hérédité, on comprend aisément qu'A...el ait toujours été
un sujet nerveux, singulier, bizarre, irritable et qu'à la suite de l'émotion vio-
lente qu'il a éprouvée lorsqu'il a été attaqué une nuit par des voleurs, il soit
devenu plus déséquilibré encore, presque vésanique. On comprend ainsi d'un
autre côté que, développée sur un tel terrain, la chorée ait pu prendre^
presque dès l'origine, les allures d'une affection grave, et s'accompagner d'acci-
dents de fâcheuse apparence qui nous font redouter pour bientôt une termi-
naison fatale.
*i
- 117
2^ Malade.
Le second sujet dont je veux vous parler maintenant est une jeune opilep-
tique âgée de 15 ans qui est entrée dans le service depuis quelques se-
maines seulement. Nous en Scivons assez sur son compte p(jur puuvoii" v(jus
dire que ce qui doit nous intéresser dans son cas est ce qui suit: i" Il y a ii
observer chez elle un phénomène qui n'est pas très vulgaire, et que je dési-
gnerai avec M. Reynolds sous le nom de « secousses iuterpai'oxt/sjnales » de
l'épilepsie {interparoxysmal slarts). 2'' Elle présente en outre, après les accès,
un rétrécissement concentrique temporaire, ou passager, comme vous voudrez
dire, du champ visuel.
Voici d'abord quelques détails concernant les antécédents tant personnels
qu'héréditaires de notre malade ; relativement au second puint nous n'avons
pu recueillir rien de bien précis.
L'enfant est orpheline ; elle a perdu son père et sa mère alors qu'elle était
encore très petite. Cependant sa grand'mère, qui l'a élevée, affirme que tous
les membres de la famille « étaient excessivement nerveux, aussi nerveux que
possible » ; on n'a jamais pu en savoir plus long.
Pour ce qui est de l'enfant elle-même, elle n'avait jamais, paraît-il, été ma-
lade lorsque, à 7 ans, elle fut un soir épouvantée par un gros chien qui se
jeta sur elle en grondant sans toutefois lui faire le moindre mal. C'est peu de
temps après cet événement que serait survenue la première crise comitiale et
par la suite les accès ont eu une tendance marquée à se répéter environ tous
les huit jours. C'est bien du mal comitial qu'il s'agit dans ce cas. En elTet sou-
vent il y a pendant l'accès, morsure de la langue et urines inyolontain's,
faits vraiment exceptionnels dans l'hystérie, même dans l'hystérie épilepti-
forme (hystéro-épilepsie). Les accès sont le plus souvent nocturnes, ils sont
marqués par une perte deconnaissance absolue et immédiate et le stertor de
la fin est assez prononcé.
En 1887, la petite, ayant été placée à l'hôpital des Enfants malades, a été
traitée par le bromure; sous l'influence de cette médication, les crises qui au-
paravant, comme j.e Fai dit il y a un instant, se montraient tous les huit jours,
n'ont plus paru qu'une fois par mois, pendant toute la durée du traitement.
Cette influence marquée de l'action du ])romure fournit un caractère que,
pour le diagnostic, on pourrait utiliser, dans certains cas difficiles, je crois
— 118 -
en effet pouvoir affirmer Topinion que jamais la fréquence des crises n'est
sérieusement modifiée par l'emploi du bromure, même aux doses les plus
élevées, quand il s'agit de l'hystérie, tandis que, au contraire, dansl'épilepsie,
l'influence modératrice du médicament se fait toujours reconnaître au moins
à un certain degré — Du reste l'enfant, examinée avec soin, ne présente
aucune trace d'ovarie, d'analgésie ou d'anesthésie soit sensitive, soit senso-
rielle, à Fexception de ce qui concerne la vision, mais c'est là un point sur
lequel on reviendra tout à l'heure, d'une façon particulière.
Je vous disais que l'accès n'était, chez notre jeune malade, précédé par
aucune sensation d'aura et cela est vrai ; mais elle ressent cependant, dans la
règle, des avertissements, des prodromes, annonçant presque à coup sûr que
la crise est plus ou moins imminente, qu'elle éclatera dans uu bref délai; et
justement ce qui constitue les « avertissemcuts » dont il s'agit, ce sont les
« secousses » sur lesquelles je vais actuellement vous dire un mot.
Voici en quoi elles consistent, chez notre malade. Ce sont de brusques
mouvements cloniques qui_, le sujet étant assis, les mains reposant sur le
genou, élèvent tout à coup les membres supérieurs à 10 ou 12 centimètres au-
dessus du plan de repos, puis ces membres retombent inertes presque aussitôt,
pour être de nouveau soulevés par une ou plusieurs secousses. Lorsqu'elle
est debout, ces secousses, qui rappellent les mouvements analogues produits
sous l'influence d'une émotion brusque, d'une surprise déterminée je suppose
par une détonation inattendue, ces secousses, dis-je, sont assez intenses pour
faire « qu'elle laisse tomber ce qu'elle tient dans les mains ». Les secousses
surviennent pour ainsi dire par accès très souvent répétés pendant la durée
des trois ou quatre jours qui précèdent l'accès comitial; d'abord discrètes le
premier jour, elles se rapprochent de façon à devenir enfin presque inces-
santes, et c'est alors que l'accès éclate. Il est remarquable que ces secousses
sont toujours antérieures à l'accès, jamais postérieures; il est remarquable
aussi qu'elles se sont manifestées dès les premières attaques et que jamais
celles-ci ne paraissent sans en avoir été précédées. Elles ne sont marquées
par aucune sensation pénible : elles ne s'accompagnent pas de crampes, en
particulier.^ Elles ne se montrent habituellement pas la nuit.
Messieurs, parmi les auteurs qui ont écrit sur l'épilepsie, il en est peu qui
n'aient pas mentionné les « secousses » dont il s'agit et que quelques-uns
d'entre eux désignent sous les noms de « commotions prémonitoires (Herpin)
« d'épilcpsie parcellaire » (Burlureaux, Dict. df DeclifunOrc, etc). Mais c'est
surtout au D*" Reynolds, de Londres, qu'on doit une étude régulière du sujet.
(Epilepsy, London 1881, p. 63, clonic., spasm., star). Ces secousses, qui doi-
vent ètie distinguées des crampes et du tremblement qui quelquefois se pro-
duisent dans les mêmes circonstances, occupent les membres supérieurs, ou
les membres inférieurs ou parfois les deux en même temps ; on les voit en
outre se produire aussi chez quelques individus dans les muscles extenseurs
— 119 —
du tronc, plus rarement dans ceux de la face et du cou. Dans certains cas, à
peine visibles à Tœil tant elles sont légères, elles sont d'autrefois tellement
puissantes (pio le; malade peut, ôtic renversé à ton*! avec un cri produit par
■nn action l)rus([uc des muscles respirateurs. Cela arrivait cIk.'Z un jeune
homme de 20 ans observé par M. Reynolds et j'ai vu la même chose surve-
nir fréquemment chez une malade de mon service à la Salpêtrière.
Qnobpie intenses qu'elles soient d'ailleurs, les secousses ne sont à peu près
jamais accompagnées de perte de connaissance, ce qui les distinj^ue de la
plupart des formes diverses du petit mal.
Je suis étonné que M. Reynolds considère les secousses dans l'épilepsie
comme chose vulgaire ; cela ne répond pas à ce que j'observe dans mon ser-
vice spécial, surtout composé de femmes (1) ; la vérité est qu'elles y sont
plutôt rares.
Un des principaux points qui donnent de l'intérêt à la connaissance de ce
phénomène, c'est qu'on l'observe non seulement, une fois l'épilepsie d(''clarée,
comme prodrome immédiat de Taccès, mais encore souvent pendant plusieurs
mois avant que celle-ci n'ait paru, autrement dit, dans la période précomi-
tiale. Les secousses peuvent permettre alors, on le comprend, de prévoir à
longue échéance la venue du mal et aussi de prendre des mesures en consé-
quence.
L'autre fait à considérer chez notre jeune épileptique, c'est, ainsi que je
vous l'ai dit, l'existence plusieurs fois constatée chez elle, d'un rétrécisse-
ment concentrique et temporaire du champ visuel survenant après chaque
accès. On a fait remar(|uer dans ces derniers temps qu'à la suite des attaques
d'épilepsie proprement dite, il n'est pas très rare devoir le champ visuel subir
un rétrécissement concentrique et régulier comparable au rétrécissement
des hystériques. La seule différence apparente est que chez les hystériques le
rétrécissement est permanent, tandis que dans l'épilepsie, il est essentielle-
ment temporaire. On doit à MM. Oppenheim et Thomsen d'avoir appelé
l'attention sur cet ordre de faits.
Un élève du professeur Mierzeewski, de Saint-Pétersbourg, le D"" Finkelstein,
a repris le sujet et il a insisté sur ce point que, dans l'épilepsie, le rétrécisse-
ment du champ visuel est toujours transitoire, jamais permanent.
Dans la grande majorité des cas, le rétrécissement, dans l'épilepsie, suit les
attaques, mais il peut arriver, comme Ta montré* M. Heinemann (Virchow,
Archiv. Bd 102. H 3. 1886) par une observation, que, par exception, le
rétrécissement en question précède l'accès, à titre d'aura et cesse après lui.
Chez notre jeune malade, les choses rentrent dans le cadre vulgaire et c'est
à la suite de l'accès que le rétrécissement se montre le plus prononcé.
1. Le service de la Clinique, à la Salpêtiière comprend environ IGO épileptiques femmes,
non aliénées, considérées comme incurables.
18
— 120 —
Les jours suivants, le cercle s'élargit progressivement; mais le retour à
l'état normal se fait attendre plus de quatre ou cinq jours, ainsi que vous pou-
D a
Nas <j
ion luo'
,Ext
Fig'. 25. —Champ visueljde D..., vue deux jours après l'accès,
D G
Fig. 26. — Champ visuel de D.... vue 9 jours après l'aecès.
Retour presque complet à l'état normal.
vez le reconnaître sur les schémas que je vous présente (fig. 25 et 20). Si bien que
lorsque les attaques se reproduisent i\ de courtes distances, tous les six ou
121 —
huit jours par exemple, on pourrait dire que chez la malade le létrécissement
est un phénomène en quehjue sorte permanent. Dans le but de bien établir
que dans le cas de notre malade, où il s'af^it d'é[)ilepsie et non d'hystérie, le
rétrécissement du champ visuel n'est pas un phénomène permanent, il ne
sera pas sans intérêt de cliercher à éloigner les accès les uns des autres; nous
pourrons y parvenir je pense par l'emploi du bromure de potassium donné à
dose suffisante, 3, 4, 5, grammes en 24 heures, administré d 'une façon con-
tinue. L'écart des accès qui s'en suivra à coup sûr nous permettra, je pense,
de constater, plus aisément que nous ne l'avons pu faire jusqu'ici, le retour à
l'état normal des limites du champ visuel. Nous reviendrons quelque jour sur
ce cas pour vous faire part de ce qui sera advenu après l'expérience que nous
allons mettre en œuvre.
3' Malade.
Le dernier malade que je vous présenterai aujourd'hui est un nouvel exem-
ple de ces cas aujourd'hui devenus presque vulgaires sur lesquels M. Debove
a, le premier je crois, appelé l'attention et dans lesquels on voit l'hystérie sur-
venir chez l'homme à la suite de l'intoxication saturnine (Ij.jll vous sera facile
de reconnaître par la description du malade que chez lui l'hystérie provoquée
par le saturnisme ne diffère en rien d'essentiel de ce qu'elle serait si son
apparition avait été déterminée par tout autre cause telle que l'alcoolisme
par exemple, ou l'action du sulfure de carbone ainsi que je le relevais l'autre
jour, etc., etc., ou encore, soit une émotion morale, soit un traumatisme.
L'hystérie est une, je le répète une fois de plus, et quelle que soit la cause
occasionnelle qui la fait paraître, elle reste toujours la même foncièrement,
partout où elle se présente, sans subir dans sa constitution nosographique de
modifications radicales.
Voici le cas : il s'agit, comme vous le voyez, d'un homme de 28 ans assez
I.Voii- la leçon sur Yhc'mianesthésie hystérique et les hémianesthésies toxiques. In Bulletin
médical, 25 mai 1887
— 122 —
vigoureux ; nous ne rencontrons pas chez lui d'antécédents héréditaires qui
méritent d'être gnalés. Il faut dire que la ligne maternelle lui est fort mal
connue et pour ce qui est des antécédents personnels, ils n'offrent également
I
Fig. 27. — A. Points livalerogèacs.
B. Analhésie cutanée.
G. Analgésie.
rien d'intéressant pour nous. Après avoir servi pendant vingt-huit mois dans
l'armée, il a été réformée pour myopie avec choroïdile chronique ; après cela
il a travaillé comme homme d'équipe au chemin do fer de l'Est pendant sept
mois ; plus tard il a fait le métier de ploml)icr pendant plus de deux ans, après
I
— 123 —
quoi il est entré à Tours dans une fabrique de minium où il a été employé au
« blutage ». C'est là que, pour la première fois, il a souflert à plusieurs
reprises de coliques de plomb.
Quelques jours après la cessation de sa dernière colique pour laquelle il a
été soigné à rhûpital de Tours, c'est-à-dire en septembre 1888, il a commencé
à s'apercevoir un matin au réveil que sa main gauche était le siège de four-
millements et que le membre supérieur de ce côté tout entier était devenu
faible, pesant et lourd ; en même temps, à plusieurs reprises, il avait ressenti
une tendance à défaillir qui l'avait, dans la rue, obligé à s'appuyer contre le
mur et qui avait été précédée toujours par une sensation de constriction à la
gorge, des sifflements d'oreilles, des battements dans les tempes, etc. Tels ont
été les premiers symptômes relatifs à la maladie nerveuse que nous avons à
considérer actuellement. Celle-ci n'a fait depuis que s'accentuer de plus en
plus et c'est en raison de l'impossibilité où elle le met de travailler pour
vivre qu'il est venu nous consulter le 19 octobre 1888.
Voici en quelques mots l'état actuel du malade : teinte jaunâtre et pâle des
téguments ; liséré saturnin très net.
Les troubles permanents de la sensibilité sont disposés comme vous pou-
vez le reconnaître sur le schéma que je vous présente : Anesthésie cutanée
absolue sur le membre supérieur gauche, se terminant en <k gigot » du côté du
tronc ; sur la main, il y a seulement analgésie; analgésie de toute la moitié
gauche du tronc et de la face. En avant, l'analgésie du tronc s'arrête au-des-
sous de l'hypocondre gauche, tandis qu'en arrière elle comprend la fesse. Le
membre inférieur gauche est indemne de troubles de la sensibilité, tandis
qu'à droite^ au contraire, ceux-ci occupent la cuisse et les deux tiers supé-
rieurs de la jambe gauche ; disposition croisée du reste fort singulière et cer-
tainement peu commune.
Plusieurs points ou plaques hystérogènes: l'une d'elles, la principale,
occupe l'aine et une partie du flanc gauche ; quand on presse sur ce point, on
détermine les phénomènes de l'aura, qui d'autres fois se produisent sponta-
nément, ainsi que nous l'avons indiqué déjà.
Un autre point hypéresthésique possédant à peu près les mêmes propriétés
que le précédent siège sur le testicule gauche ; un troisième occupe la limite
inférieure du tiers supérieur du mollet droit ; un quatrième enfin se trouve sur
la partie médiane de l'épine, un peu au-dessus de la région lombaire.
Double rétrécissement concentrique du champ visuel plus prononcé à
gauche qu'à droite (fig 28 ) ; diplopie monoculaire, pas de dyschromatopsie.
L'odorat et l'ouïe ne paraissent pas sensiblement modifiés. Le goût au con-
traire est à peu près aboli des deux côtés.
Revenons actuellement sur ce qui est relatif au membre supérieur gauche :
de ce côté;, il n'y a pas, à proprement parler paralysie mais seulement
parésie.
— 124 —
Le dynamomètre pressé par la main gauche donne 25, tandis que pour la
main droite il donne 80. — Aucune participation à la parésie, soit du membre
inférieur, soit de la face. Remarquez que sur le membre parésié, les troubles
de la sensibilité, déjà très prononcés en ce qui concerne la peau, sont pour
le moins tout aussi accentués en ce qui concerne la sensibilité profonde; ainsi
partout excepté à la main où le malade conserve quelques notions des mouve-
ments imprimés aux doigts ou au poignet, le sens musculaire est complè-
D
G
ExI à\
^0 Nas 90
30 Exl
Fig. 28.
temcnt aboli et l'on peut tordre, distendre les articulations du coude et de
l'épaule avec violence sans produire la moindre sensation. Il y a là un con-
traste entre les troubles de la sensibilité et ceux des mouvements, fort remar-
quable assurément, et qui paraît appartenir aux seules paralysies hystériques;
non pas qu'on le rencontre, bien entendu, dans tous les cas de ce genre, mais
parcequ'on ne le trouve jamais, que je sache, en dehors de ces cas-là.
En voilà assez pour bien établir chez notre malade, l'existence de Thystérie
classique.
Rien n'y manque, anesthésies sensitives et scnsoreilles^ points hystéro-
gènes, etc.. constituant des stigmates permanents, monoplégied'un caractère
spécial ; et, pour ce qui est de l'atta(pu\ si elle ne s'accuse pas sous une forme
très ac(:entuéc, elle est représentée cci)endant par Vaio'o, dune façon très
caractéristique.
Un mot, en terminant, sur les modifications qui se sont produites dans le
carnctère chez notre homme, depuis qu'il est devenu hystérique. Autrefois
gai, plein d'entrain, il est devenu maintenant triste, apathique sans courage.
Il recherche la solitude, fuit la société des camarades. Il s'émotionne facile-
ment et pleure parfois sans motif. Les nuits sont tourmentées par des rêves
terriliants (pii le réveillent en sursaut: 11 se croit sur un toit ou sur un
chemin bordé d'un précipice, et à chaciue instant il se sent menacé de tomber
du côté du gauche. Il croit qu'à la suite de sa chute imaginaire il perd un
instant connaissance. En tous cas, il se réveille avec des sifflements dans les
oreilleSjdes battements dans les tempes, le serrement bien connu de lui, de
la gorge. De cela suit que l'on est porté a supposer que les cauchemars
en question sont liés jusqu'à un certain point au développement de Yaïu^a
provoquée elle-même, peut-être au moins en certains cas, par la pression des
zones hystérogènes déterminée inconsciemment par le malade durant son
sommeil.
Peu importe du reste, pour le moment, que, pour ce qui concerne le dernier
point, il en soit ainsi ou autrement. J'ai voulu surtout relever les modifications
psychiques très accentuées, observées chez notre malade, afin de montrer une
fois de plus que ces modifications-là n'appartiennent pas, ainsi que quelques
auteurs l'ont prétendu, aux seules hystéries déterminées par un traumatisme.
IMP. NOIZETTE, 8, KUK CAMPAGNE-PREMIKRE, PARIS.
Policlinique du Mardi 4 Décembre 1888
SEPTIEME LEÇON
1° Relation de Tautopsie du sujet atteint de chorée présenté
dans la dernière leçon.
2'' Cas de chorée vulgaire chez une jeune fille âgée de 12 ans.
Hérédité nerveuse et antécédents personnels névropalhiques
très chargés.
3° Cas d'hystéro-neurasthénie survenue à la suite d'une
collision de trains chez un employé de chemin de fer âgé de
56 ans.
4*" Deux cas de paralysie infantile spinale présentant qut^l-
ques anomalies.
M. CiiARCOT : Coiiformument aux sombres prévisions dont je vous faisais
part mardi dernier, notre pauvre malade atteint de chorée aiguë a succombé
dans la nuit du 27 au 28 novembre^, c'est-à-dire dans la nuit même du jour où
il avait été présenté à la leçon. — Voici comment les choses se sont passées.
La nuit du 2G au 27 avait été relativenu'ut calme ; mais la stupeur, ainsi
que je vous l'ai fait remarquer au moment de la leçon, était portée à un haut
degré ; la langue était sèche : les mouvements choréiques, atténués d'une
façon remarquable, n'étaient plus représentés que par des espèces de soubre-
sauts des tendons. N'oubliez pas cette teinte bleuâtre des téguments et cet
amaigrissement énorme sur lequel j'appelai votre attention.
Dans la journée du 27, l'état persiste tel quel, sans modification très marquée.
Le soir, môme prostration, même stupeur; langue toujours sèche, déglutition
difficile. Le pouls qui, ce niatin, éiait à 120-130, ne donm^ plu> maintenant
(pie 80, mais la température (jui était à 38, s'est élevée ;i 38,8. La mort a eu
lieu à 5 heures du matin.
19
— 1218 — ■
Je crois intéressant de vous faire connaître les résultats de Tautopsie qui
a été pratiquée vingt-huit heures après la mort. Je me bornerai à extraire du
protocole, les détails qui nous intéressent particulièrement.
Cadavre très amaigri. Pas d'eschares au sacrum. Rigidité cadavérique très
prononcée ; elle l'était déjà sept heures après la mort.
Cm«e ; pas de pachyméningite ; l'arachnoïde et la pie-mère ne sont ni épais-
sies ni opalescentes ; la seule altération à signaler ici est l'adhérence en plu-
sieurs points de la pie-mère à Técorce cérébrale des hémisphères, si bien que
sur certains endroits on ne peut détacher cette membrane sans entraîner un
peu de la couche la plus superficielle de la substance corticale. C'est là la
Fi^,'. 29.
seule altération qu'il ait été permis de constater, à part un certain degré de
congestion de l'écorce des hémisphères. Rien à noter du cùté dos ventricules,
non plus que sur les coupes nombreuses pratitiuécs dans les i)aitios centrjdes
du cerveau. Rien du coté du cervelet ni du bulltc :1a moelk' épiniùre, à l'œil
nu ne [)résente aucune trace d'altération.
Muscles des membres : Ils sont durs et présentent une teinte noirâtre.
— j2y —
Cœw : kucune trace de péricardite. Le cœur est un peu auguienté de volume,
principalement le ventricule fçauche. Celui-ci pèse 270 grammes.
Ses cavités cimticniicnt, snrt(Mit à druil»' des (-aillols [i()iiàtn;s, évidemment
formés pendant l'agonie.
La valvule mitrale saim; sur sa face venti'iculairc, [jiM-scnte tout h- long de
sonbordlibre.sur la face auriculjiire, une couronne non inL(Mrom[)U<; de i)eti-
tes végétations verru([ueuses, très nombreuses, déjà anciennes très certaine-
ment, dures, tapissantle bord libre de la valvulesur une hauteurde iii'A milli-
mètres.Pas de dépôts fibrineux sur ces végétations; aucune d'elles n'est ulcé-
rée, déchirée, et l'on est conduit à la suite d'un examen attentif à affirmer
qu'aucune parcelle ne s'en est détachée pour former une embolie.
La valvule mitrale reste souple d'ailleurs, dans toutes ses parties et le rétré-
cissement pendant la vie était certainement fort peu prononcé. Aucune alté-ra-
tion à signaler sur les autres valvules et orifices.
Poumons et plèvres sains.
Foie de forme, de couleur et de volume normaux. Il pèse 1.400 grammes.
Rate normale 110 grammes ;
Reins : pas d'altération.
Ainsi, en résumé, à part les quelques adhérences de la pie-mère à l'écorce
cérébrale signalées sur certains points des hémisphères cérébraux, sans loca-
lisation déterminée, les résultats de l'autopsie sont purement négatifs et
viennent à l'appui de l'opinion émise par nous mardi dernier à propos de la
nature des accidents devant entraîner, suivant nous, l'issue fatale. Bien évidem-
ment, ces accidents-là ne relevaient pas d'une lésion organique appréciable
par nos moyens d'investigation, et, à cet égard, le rapprochement que nous
avons proposé d'établir entre l'état de mal épileptique et l'état de mal choréi-
que se trouve justifié.
— 130 —
l^f Malade
Je vous présente actuellement une jeune fille ùgée de 12 ans, atteinte de cho-
réevulgaire;le début s'est tait le 14 novembre ; vous voyez que les mouvements
choréiques, qui d'ailleurs ne sont pas fort intenses, sont accusés particulière-
ment du côté gauche, ils sont cependant très appréciables aussi à droite.
Je vous ferai remarquer en passant que les gesticulations s'atténuent un peu
à l'occasion des mouvement intentionnels ; ainsi, lorsqu'il s'agit de porter à la
bouche un verre ou une cuillère. Ce phénomène n'est donc pas Tapanage,
comme quelques-uns paraissent l'avoir supposé, des chorées chroniques.
Rien au cœur. On assure que cette jeune fille n'a jamais souffert de rhuma-
tisme articulaire aigu.
Voilà donc un cas fort banal incontestablement, en ce qui concerne l'expres-
sion symptomatiqueet je ne vous l'eusse point i)résenté s'il ne devait pas nous
fournir cependant un certain enseignement à propos de notre pauvre choréi-
que de 19 ans. Je faisais ressortir fautre jour qu'à mon avis l'hérédité ner-
veuse jouait dans l'étiologie de la chorée un rôle beaucoup plus important
qu'on ne l'avait jusqu'ici supposé. Sans doute le rhumatisme articulaire aigu
figure souvent dans l'arbre généalogique des choréiques comme il figure dans
leurs antécédents héréditaires ; mais les maladies nerveuses n'y font pas
défaut non plus, et bien des fois même elles y régnent d'une façon prédomi-
nante ; tel est en particulier le cas de la jeune malade que nous avons sous
les yeux.
Voici d'abord ce qui est relatif chez elle aux antécédents personnels.
Depuis fàge de 6 ans, cette enfant s'est montrée sujette à des crises de colère,
à des sortes d'accès de rage et de méchanceté tels que ses parents ont dû de-
mander,lorsqu'elle avait att(>int 8 ans, son admission à Sainte-Anne. Après sa
sortie de cet asile, elle s'est montrée moins difficile à vivre, mais parfois
encore fort emportée.
Elle est extrêmement peureuse; elle regarde à plusieurs reprises sous son
lit, tous les soirs avant de se coucher. Elle a des idées fixes, des manies qui
font qu'elle reste des iieures entières à s'habiller, à se peigner. Pas de troubles
de la sensibilité générale ou spéciale ; pas de rétrécissement du champ visuel.
Rêves fréquents la nuit, surtout depuis le début de la chorée, lesquels portent
prcscpie toujours sur une petite sœur morte récemment de lu rougeole. C'est
— \:n —
rémotion éprouvée à l'occasion de celte mort qui parait avoir du reste provo-
qué chez notre jeune malade le développement de l'aflection.
Ajoutons en passant les traits suivants qui la marquent du sceau de la
« dégénération pliysi(pie ». Face asymétrique; front plus lias à droite qu'à
gauche; nez dévié vers la droite; tout le côté droit de la face et du crâne est
plus petit que les parties correspondantes du cùté gauche.
La bosse pariétale droite est i)lus proéminente ({uc la gauche et située [ilus
en arrière.
Actuellement, je vais mettre sous vos yeux \e pedigree de notre jeune malade
et vous allez reconnaître jusqu'à quel point il est chargé de tares nerveuses.
COTÉ PATERNEL COTÉ MATERNEL
Mi:riE, 38 ans.
Plusieurs alteinlcs de manie
puerpérale à la suite de ses
dernières ijrossesses.
Un frère du père esl mort Pî:rk, 45 ans.
aliéné à l'âge de 30 ans. j^icn de nerveux, pas de
Une cousine germaine du rhumatisme,
père est « un peu folle » et a
des attaques de nerfs.
8 enfants dont 3 morts en bas âge.
Une des sœurs de la malade, âgée de 10 ans, a eu plusieurs attaques de rhumatisme arti-
culaire.
Notre malade, âgée de 12 ans, choréiquc ; — a des idées fixes, des terreurs morbides, des
accès de colère et de rage, etc.
Voilà un exposé qui certes n'a pas besoin de commentaires.
2« Malade
Je saisis avec empressement l'occasion qui s'offre d'étudier avec vous un
cas relatif à la prétendue névrose spéciale qui serait produite par les colli-
sions de chemin de fer et que l'on désigne quelquefois sous le nom de Railwaij-
Sp'mr ou Railway-Braïn. Plusieurs fois déjà je vous ai exposé roi)inion que je
professe, relativement à la nature de ces cas. Il n'est point, vous ai-je dit et
répété, une seule des aflections nerveuses dontl'ensemble forme ce que j'appelle
ia famille neuropathologique qui ne puisse apparaître comme conséquence du
— 132 —
schock nerveux ressenti dans un accident de chemin de fer. A savoir: paralysie
aiïitante, épilepsie, vésanie, sclérose en plaques, etc., etc.
Mais, dans la règle, c'est la neurasthénie et l'hystérie, soit isolées soit com-
binées l'une avec l'autre en proportions diverses, qui s'offrent en pareille
occurrence compliqués ou non de lésions organiques. On pourrait dire, si je
ne me trompe, que dans ces conditions un peu spéciales des collisions de
trains, s'il y a production d'une afTection nerveuse purement dynamique, c'est-
à-dire ne relevant pas d'une lésion matérielle appréciable, cette afïection-là
consistera dans la majorité des cas, — normalement si l'on peut ainsi parler,
— dans la combinaison de deux névroses parfaitement autonomes, d'ailleurs
indépendantes l'une de l'autre nosographiquement, mais qui semblent avoir
Tune pour l'autre une grande affinité et coexistent en conséquence très vul-
gairement chez un même sujet. J'ai nommé la neurasthénie d'une part et
l'hystérie de l'autre.
Le sujet que vous avez sous les yeux offre ainsi que vous le verrez un exemple
de ce genre. Il ne représente pas, sans doute, dans l'espèce, un fait de première
gravité; les accidents nerveux dont souffre notre homme se montrent cepen-
dant chez lui sous une forme assez accentuée, assez typique, pour devenir
l'objet d'une analyse clinique.
M. V...lois est âgé de cinquante-six ans. Il est employé au chemin de fer du
Nord. Il y exerce depuis longtemps la fonction de chef de train. C'est, vous le
voyez, un homme d'apparence robuste, trapu, — râblé comme on dit quel«iue-
fois, — aux traits énergiques.
Autrefois il était vaillant, actif, plein d'entrain, pas du tout émotif. Tout
cela a changé depuis le mois d'août, c'est-à-dire depuis cinq mois, époque où
a eu lieu l'accident que je vous dirai tout à l'heure. Avant d'en venir là, Usera
bon d'insister un peu plus sur les antécédents de notre malade.
L'étude des antécédents de famille ne fournit aucun renseignement intéres-
sant. Père mort d'un cancer du larynx à Tâge de 56 ans ; la mère n'a jamais
souffert de maladies nerveuses : réponses également négatives en ce qui con-
cerne les autres parents. Ainsi, ni la diathèse nerveuse, ni la diathèse arthriti-
que, autant qu'il le sache du moins, ne se trouvent représentées dans la
famille. Il n'en est pas tout à fait de même en ce qui le concerne personnellement.
S'il est vrai qu'antérieurement à l'accident il n'a jamais soulfert d'une affec-
tion nerveuse quelconque, il faut relever que, par contre, il a éprouvé deux
accès de goutte parfaitement caractérisée et siégeant au lieu d'élection ; le pre-
mier accès il y aun an, en décembre 1887 ayant duré quinze jours, l'autre à
peu près de même durée, vers le milieu de juillet 1888.
Au malade : Vous n'avez jamais eu lagravelle, des coliques néphrétiques?
Le malade : Non, monsieur.
M. Charcol : Je remarque en passant qu'il ne présente pas de concrétions
tofacées sur les oreilles.
*- 133 -
Au malade : Vous avez eu la goutte deux fois? Où siégeaient la douleur et le
gonflement.
Le malade : Oui, monsieur, chaqne fois elle a duré de dix à quinze jours,
Le gonflement était sur les deux orteils. — (11 désigne les articulations méta-
tarso phalangiennes des gros orteils.)
M. Charcot : A quelle époque la douleur était-elle surtout vive ; la nuit ou
le jour?
Le malade : Oh ! monsieur, c'était la nuit ; je ne pouvais jamais dormir: cela
s'apaisait le matin, dans le jour. J'ai eu aussi plus tard une éruption sur la
jambe gauche qu'on a appelée un eczéma variqueux.
M. Charcot : AllonS;, bien certainement c'est de la goutte qu'il s'est agi dans
ces deux accès, il n'y a pas à s'y tromper.
Au malade : Avant cet accès de goutte, vous n'avez jamais été malade?
Le malade : Non, monsieur, jamais je n'avais connu la maladie.
M. Charcot: Vous avez servi?
Le malade: Oui, j'ai été aux chasseurs d'Afrique. J'ai fait la guerre d'Italie;
j'étais à Magenta, à Palestro, à Solférino. J'ai pris part aussi à plusieurs com-
bats en Afrique, mais c'était presque insigniflant.
M. Charcot : Il est attaché à la compagnie du chemin de fer du Nord, depuis
1871, comme chef de train. 11 n'avait, — j'y insiste, — depuis cette époque
jamais été arrêté dans son travail, lorsque le 17 août dernier, alors qu'il con-
duisait un train de marchandises, le fourgon dans lequel il se trouvait, fut, à
l'occasion d'une manœuvre de gare, renversé par une locomotive qui le croi-
sait perpendiculairement et littéralement broyé, paraît-il, en mille pièces.
li ne saurait trop dire ce qui s'est passé en ce moment-là ; ce qu'il en
raconte il le tient des assistants. Il lui semble cependant, mais il n'en est pas
bien sûr, qu'au moment de l'accident il aurait entendu un cri de détresse par-
tant de l'autre train ! « Oh ! ça y est. » Toujours est-il qu'il fut relevé, sans
connaissance, au milieu des débris du fourgon écrasé. La collision avait eu
lieu à Villeneuve-Saint-Georges ; il fallut environ une demi-heure pour le
transporter à la gare de Paris d'abord, puis à l'hôpital de Lariboisière, et,
pendant tout ce temps, il est resté inconscient.
Il n'est peut-être pas hors de propos de relever ici cette amnésie relative
aux circonstances de l'accident. Elle est à peu près la règle dans les grands
shocks nerveux et même dans certains cas de ce genre on peut observer ce
phénomène remarquable de l'amnésie rétrograde que M. le professeur Azam
de Bordeaux a bien étudié (1) dans ces derniers temps.
Dans ces cas, le malade a perdu non seulement le souvenir de ce qui s'est
passé depuis le moment de l'accident, jusqu'à son retour à la connaissance,
i. Troubles intelloctiiels provoqués par les traumatismes cérébraux. Arch. géi.de Médecine
1881, février, p. 129.
»- 134 — *!
Inais encore le souvenir de ce qui s'est passé pendant une période de tetripâ,
plus ou moins longue, antérieurement à raccident.
Et à ce sujet, permettez-moi d'entrer dans une courte digression pour vous
dire quelques mois d'un de ces faits d'amnésie rétrograde dout j'ai été directe-
ment le témoin. Le 23 mai 1883 vers 9 heures, le matin — alors que je me ren-
dais comme de coutume en voiture à la Salpêtrière, — sur le boulevard Saint-
Germain, non loin de l'église Saint-Bernard, une femme qui traversait le bou-
levard et était parvenue sur la partie de la chaussée qui est pavée de bois,
n'entendit ni le bruit de la voilure ni les cris de mon cocher et fut renversée
par mes chevaux. La voiture continua à rouler, quoi qu'on fît pour l'arrêter,
pendant quelques instants encore et heureusement la pauvre crrature, pen-
dant tout ce temps fut épargnée par les chevaux qui passèrent de chaque côté
d'elle sans la piétiner sérieusement, puis par les quatre roues de la voiture
qui ne la touchèrent point. Elle fut immédiatement transportée chez une cré-
mière du voisinage où je la suivis.
Elle était sans connaissance, pâle, dans la résolution, et portait au-dessus
du sourcil gauche une plaie verticale, de 1 centimètre de longueur à peine,
peu profonde, avec léger thrombus, et qui saignait médiocrement. Elle reprit
connaissance peut-être trois minutes après l'accident. Alors je la fis se tenir
debout et je constatai que, à part la petite plaie ci-dessus décrite, elle ne pré-
sentait heureusement aucune lésion traumatique de quelque importance. Une
fois debout, elle commença à répondre ù. mes questions et d'un air fort étonné
faisant signe qu'elle ne comprenait rien à la situation, elle nous fit connaître
qu'elle ne se rappelait nullement avoir été renversée par une voiture, ni
même avoir traversé le boulevard, ignorant pourquoi elle était sortie. On lui
demanda son nom ; elle ne put le trouver qu'au bout de quelques instants et
quaud on lui demanda où elle demeurait, il lui fut impossible de le dire. Sur
ces entrefaites, se présenta un monsieur qui nous dit qu'elle était sa bonne,
qu'elle demeurait dans le voisinage. Elle reconnut parfaitement son maître
mais il ne lui fut pas possible de dire l'adresse de la maison où il^demeure. Cette
femme parlait d'ailleurs très facilement, avec une certaine volubilité môme,
sans le moindre embarras dans Tarticulution des mots.
C'est vous dire, messieurs, que vous ne devrez jamais donner créance sans
réserve aux récits que vous font volontiers les malades lorsque vous les inter-
rogez sur les circonftanccs de l'accident dont ils ont été victimes. Ces circons-
tances, dans la règle, ils ne les connaissent que pour les avoir entendu narrer
par les assistants, et j'ajouterai même que souvent, il se crée à ce propos
dans leur esprit une sorte de légende, à laquelle ils accordent volontiers la
confiance la plus absolue et qu'ils s'habituent à raconter naïvement, sincère-
ment, comme si (;lle représeiilait la réalité même. Tel a ('lé le cas d'un pauvre
diable dont j'ai raconté l'histoire dans le troisième volume de mes Leçons sitr les
maladies du système nerveux. (Appendice, p. 441 et suiv.) Il avait été renversé
— 135 --
par une voiture et, contrairement à la réalité, il était poursuivi jusque dans
ses rêves par la persuasion que les roues lui avaient passé sur le corps. Plu-
sieurs fois, dans son sommeil troul)lé on Ta entendu s'écrier : « Arrêtez 1 ne
fouettez pas le cheval, il va m'écraser! ali! la voiture me passe sur le c<jrp3. »
Et cette môme doctrine, pendant la veille il la soutenait encore avec l'ardeur
que communi([ue une conviction profonde et il se fâchait « tout rouge » quand
on faisait mine d'en contester la valeur.
Mais il est temps d'en revenir à notre chef de train. — Une fois à Lariboi-
sière il reprit connaissance et on reconnut là qu'il ne présentait aucune bles-
sure sérieuse; il portait des contusions sur diverses parties du corps, le côté
droit du thorax, les genoux, la tête; voilà tout. Il put quitter l'hôpital au bout
de quatre jours et se rendit chez lui où il garda le lit pendant une vingtaine
de jours à cause d'une angioleucite qui s'était développée sur toute l'étendue
de l'un des membres inférieurs. 11 affirme que pendant ces vingt-cinq jours
qui ont suivi Taccident, il ne ressentit, — à part les douleurs liées aux contu-
sions, — aucun malaise nerveux, et lorsque guéri de son angioleucite, il
quitta son lit, il croyait bien en être quitte, je ne dirai pas pour la peur, puis-
qu'il n'avait pas eu peur, du moins consciemment, mais pour toutes les petites
misères qu'il avait traversées sans encombre. De fait, il se sentait fort dispos
et se préparait en conséquence à reprendre très-sérieusement son travail.
C'est alors qu'il s'aperçoit pour la première fois que tout son être a subi
une modification profonde. Il lui semble qu'il a perdu une partie de ses forces
physiques, mais cela l'inquiète peu d'abord ; il est convaincu qu'il les repren-
dra par l'action : ce qui l'inquiète, ce qui le trouble profondément c'est que
dans la gare où il s'est rendu plusieurs fois, à titre d'essai, les coups de sifflet
le font tressauter et l'agacent d'une façon épouvantable. Quand passe un train
en marche, il ne peut voir tourner les roues des wagons sans être pris d'un
vertige qui l'affole. Il lui semble qu'il est attiré vers le train qui devra l'écra-
ser. Et il ne s'agit pas là d'une émotion relative seulement aux choses du che-
min de fer, car ces mêmes vertiges, ces mêmes tressautements, ces mêmes
malaises indescriptibles, ces mêmes terreurs il les éprouve dans la rue lors-
qu'il voit passer une voiture, lorsqu'un cocher fait claquer son fouet. A plu-
sieurs reprises, il retourne à la gare pour s'aguerrir, comme il dit, mais
toutes ses tentatives sont inutiles ; elles restent sans effet et il acquiert ainsi
la triste conviction qu'il lui sera impossible pendant longtemps de reprendre
son service.
Il s'aperçoit bien vite que son caractère est changé ; il est sans cesse
envahi par des idées tristes ; il est devenu émotif, au plus haut degré. Lui,
l'ancien soldat qui plusieurs fois a pris part à des combats et qui plus tard
s'est trouvé comme chef de train mêlé à des accidents de chemin de for,
dont quelques-uns fort graves, il pleure aux plus futiles motifs. 11 n'ose pUis
traverser seuj les rues, il s'y sent étourdi, il craint d'être écrasé par les voi-
20
— 136 —
tures, troublé qu'il est par les moindres incidents, les moindres bruits. Il a,
dit-il, la tête vide ; il n'a plus de mémoire ou pour le moins il a la mémoire
très lente. S'il veut penser à quelque chose, combiner quelques idées, dis-
poser quelque projet dans son esprit, il se sent bientôt la tête fatiguée. Si
pour se distraire il prend un journal, à peine en a-t-il lu quelques lignes
qu'il est obligé de le quitter. C'est qu'alors il éprouve dans les régions fron-
tales et occipitales, à la nuque, un sentiment de constriction, de pesanteur
souvent très pénible. Cette sensation ne le quitte jamais complètement mais
elle s'aggrave très manifestement toues les fois qu'il se produit un acte intel-
lectuel un peu prolongé, quel qu'il soit. A ces derniers traits vous reconnaissez
les caractères de cette Céphalée neurasthénique dont je vous ai entretenu bien
des fois déjà et qui se développe si fréquemment, vous le savez, d'une façon
progressive, en conséquence du surmenage intellectuel, de l'anxiété produite
par les affaires, d'un chagrin enfin.
Ici ce ne sont pas des efforts d'intelligence ou des chagrins qui ont été en j eu ;
le mal s'est produit en conséquence d'un shock nerveux, d'un ébranlement
soudain et il est intéressant de voir le même résultat déterminé par le fait
de causes aussi différentes en apparence.
Ainsi, de parles symptômes céphaliques, voilà notre sujet nettement cons-
titué comme neurasthénique : Céphalée spéciale, amnésie, vertiges, aboulie,
tristesse, émotivité, etc., etc., rien d'essentiel n'y manque. Nous avons
cependant encore à ajouter les traits suivants : Les nuits sont mauvaises^ elles
^ont habituellement tourmentées par des rêves pénibles, quelquefois terri-
fiants. Ces rêves ne sont pas relatifs aux détails de l'accident dont du reste il
n'a pas été témoin, témoin conscient du moins ; ils ne portent même pas,
chose assez curieuse du reste, sur des accidents de chemin de fer, dont il a dA
cependant entendre parler bien souvent ; non, il rêve de batailles, il se revoit
à Palestro, à Magenta, en Afrique. Une des nuits précédentes, il a rêvé que
des voleurs s'étaient introduits dans sa maison.
Vous n'ignorez pas que les troubles nerveux qui constituent la neurasthénie
cérébro-spinale ont souvent un retentissement sur les viscères et en particu-
lier sur l'estomac ; alors se produit une forme de dyspepsie à laquelle convient
le nom de neurasthénique. Les choses sont ainsi en réalité chez notre malade.
Bien qu'il ait conservé l'appétit, le matin sa bouche est souvent mauvaise,
amère, pâteuse ; à peine aux repas les aliments sont-ils introduits dans l'esto-
mac que celui-ci se gonfle, se ballonne, et peu après se produisent des gaz
dont l'expulsion est pénible. « Le sang,» pendant et peu après le repas,monte
à la figure. On ressent de la fatigue, du malaise un besoin impérieux de dor-
mir. Gela, chez notre malade contraste singulièrement avec ce qui existait
autrefois : quoique goutteux, il n'avait « jamais senti son estomac » et il
est bien établi que la dyspepsie en question ne date que du jour où les symp-
tômes de neurasthénie céphalique ont commencé à s'accentuer.
-^ 137 -
Parmi les autres symptômes neurasthéniques qui me paraissent devoir
être signales encore à propos du cas, je relèverai d'abord un affaiblissement
D a
i< N<i>
FJg. 30.
D
0 Nâs .
Fig:. 31.
génital très prononcé et développé en quelque sorte tout à coup : puis, en
dernier lieu une diminution très marquée de la force de pression dynamomé-
trique. Ainsi tandis qu'un homme vigoureux de son espèce, et tel qu'il l'était,
aïitrefois devrait donner par exemple 80'' de la main droite^ il ne donne lui
que 28*', 30° au plus. Il reste, vous le voyez, bien au-dessous de la normale."
Réflexes rotuliens conservés, plutôt un peu taibles.
Nous n'avons considéré encore, jusqu'ici, messieurs, qu'un des coté» du
tableau.
Ainsi que je Tai déclaré en commençant, Thystérie se trouve chez notre
sujet combinée àla neurasthénie. C'est là une assertion qu'il s'agit maintenant
de justifier. Eh bien ! je relèverai en premier lieu que chez V...lois, il eiiste à
l'état permanentunrétrécissement concentrique du champ visuel, peu prononcé
dans les circonstances ordinaires (fig.30), plus marqué au contraire à la suite
de ce qu'il appelle ses attaques (fig. 31), ses étourdissements, sa syncope.
D'ailleurs pas d'autres troubles de la sensibilité, pas d'autres stigmates, pas
d'anesthésie, pas de lésion du goût, de rodorat,etc.,etc. Maisun rétrécissement
concentrique permanent du champ visuel, comme marque hystérique, c'est
déjà quelque chose, car, quoi qu'on en dise, pareil symptôme ne se voit guère,
à part un ou deux cas de lésion organique auj ourd'hui passablement déterminées,
en dehors de l'hystérie. Il n'appartient pas en tout cas, je crois pouvoir
l'alTirmer en me fondant sur de nombreuses observations, il n'appartient pas,
dis-je, à la neurasthénie non compliquée. Mais il y a plus, l'attaque hystéri-
que est ici représentée nettement sipon sous la forme convulsive, du moins
sous la forme non moins typique d'un vertige avec perte de connaissance pré-
cédé de l'évolution des phénomènes caractéristiques del^aïu^a. «Les bruits qui
éclatent dans la rue_, un cri, un coup de fouet, me font, dit-il, venirmesattaques ;
alors j'éprouve des étoufîements au cou, je ressens des bourdonnements dans
les oreilles, des battements dans les tempes ; peu après ma vue se trouble, je
chancelle et je suis menacé de perdre connaissance ;je suis obligé de m'appuyer
à un mur. Quelquefois même j'ai perdu réellement connaissance pendant
(pielques secondes ; cela m'est arrivé, dit-il, en particulier, l'autre jour
rue Lafayette à la suite de l'émotion que j'ai éprouvée en voyant tomber un
cheval. Il m'a été impossible de rentrer chez moi sans l'aide d'un ami qui
m'accompagnait. »En voilà suffisamment, je crois, pour justifier le diagnostic
hystéro-neurasthénie que nous vous proposons d'admettre pour caractériser
ce cas cliniquement.
Peut-être pourriez-vous penser, messieurs, que les désordres produits par
le shock nerveux chez un homme robuste, exerçant les fonctions de chef de
train, devront difTérer sur quelques points de ceux déterminés dans des cir-
constances analogues chez un homme cultivé, vivant surtout des clioses de
l'esprit, chez un médecin par exemple. Si vous pouviez le croire, messieurs,
je serais en mesure devons détromper en vous citant l'exemple d'un de mes
amis, docteur en médecine, qui, à la suite d'un accident de chemin de fer (col-
lision de trains), dont il a été la victime en Angleterre, a présenté des symp-
tômofe tout à fait comparables, par les traits fondamentaux du moins, à ceux
— 139 —
que nous venons de décrire et a été, en conséquence, placé pendant plus de
deux ans dans Timpossibiliié absolue d'exercer sa profession. Il ne faudrait
pas croire non plus que, symptomatolofriquoment, rhystéro-neuraslhénie
développée dans une collision de trains (Railway Brain) diflero en rien d'es-
sentiel de celle qui se développe ea conséquence d'autres causes ; ce serait là
encore une erreur, messieurs, dans laquelle vous ne devez pas tomber. M. le
D"" Mathieu (1) a bien fait voir, àpropos d'un cas qu'il m'a communiqué et que
j'ai présenté à la clinique de l'an passé (leçons du mardi ; Policlinique 1887-
1888, sixième leçon, p. 62) comment la combinaison hystéra-neurasthénique,se
présentant avec tous les caractères que nous lui avons reconnus chez notre
traumatisé, peut se développer en dehors de toute action traumalique, de
tout shock nervPAix, chez un employé de chemin de fer, agent à la vérité
d'un service actif (voyages de Paris à la frontière jour et nuit), et prédisposé
aux affections nerveuses par son hérédité. Mais, même chez les agents qui
ne voyagent pas, chez les employés de bureau, comme d'ailleurs dans toutes
les conditions vulgaires du surmenage intellectuel, la névrose complexe sur
laquelle j'appelle votre attention peut se montrer revêtue parfois de tous ces
attributs caractéristiques, bien que dans ces conditions-là, ce soit plutôt en
général, la neurasthénie simple dégagée de toute complication qui s'observe.
. Mais en voilà assez pour le moment sur ces questions que je reprendrai
certainement par la suite avec plus de détails. Je terminerai aujourd'hui j)ar
quelques mots relatifs au pronostic; eh bien, le pronostic me paraît sérieux,
non pas en ce qui concerne la vie bien entendu, elle n'est nullement mena-
cée : mais en ce sens qu'il me paraît douteux que notre malade puisse jamais
reprendre son service. Voilà près de six mois qu'il se traite régulièrement par
l'emploi des toniques, des bromures, de l'électricité statique, de l'hydrothéra-
pie. Il a obtenu sans doute un peu d'amélioration, il dort moins mal. mange
avec plus d'appétit; mais tous les symptômes, tant hystériques ((ue neuraslh(*-
niques, persistent chez lui à un certain degré et la dernière expérience dyua-
mométrique a donné seulement 14 pour la main droite et 50 pour la main
gauche. Hien n'est plus tenace quelquefois, vous le voyez, que ces affections
nerveuses purement dynamiques cependant, et mieux eut valu * pour moi »,
dit le malade, « une jambe cassée ».«Je vois bien, ajoute-t-il,que jamais je ne
pourrai rentrer dans la compagnie puisque, comme au premier jour, je suis
émotif, vertigineux, sans volonté et sans force. Le moindre bruit me fait tres-
saillir : Paris m'est insupportable. Je veux absolument me soustraire à tout ce
bruit qui s'y fait : j'ai pris la résolution de demander ma retraite et d'aller
vivre à la campagne, de façon à ne plus rien entendre de tout cela. »
Entre nous, messieurs, je crois qu'il est dans le vrai et je l'engage à suivre
son idée.
1. Neui asthénie et hystérie combinées. Le Progrès médical, 1888, t. VIII, 6™« série, p. 5S.
140
3" ET 4' Malades
(Deux jeunes malades, Tun âgé de 12 ans, l'autre de 20 ans, sont introduits
dans la salle de cours).
Les deux jeunes sujets qui viennent d'être placés sous vos yeux, sont
l'un et l'autre atteints à divers degrés de l'affection assez bien connue aujour-
d'hui que l'on désigne assez vulgairement, d'après Duchene de Boulogne,
du nom de paralysie spinale de V enfance (1). Immédiatement, ceux d'entre
vous qui sont au courant des questions qui se rattachent à ce sujet, si je leur
annonce qu'il n'y a pas longtemps que les malades ont été frappés, recon-
naîtront qu'il s'agit de cas anormaux. De nos deux malades en effet, l'un est
âgé de 12 ans et l'autre a atteint sa vingtième année ; vous n'ignorez pas que
la paralysie infantile^ comme on l'appelle encore sans autre adjectif, pour
plus de brièveté, ne survient dans la règle que de 1 an à 3 ans ; après 5 ans
les cas sont déjà rares : après 10 ans ils sont tout à faits exceptionnels. Cette
anomalie relative à l'âge auquel la maladie s'est développée ne sera pas la
seule que nous aurons à relever chez nos malades et c'est là justement ce qui
fera leur intérêt. C'est que, messieurs, si en pathologie descriptive nous
recherchons surtout les cas typiques, il n'en est pas tout à fait de même dans
la clinique où ce sont principalement les cas anormaux par quelque côté
qui s'oflrent à notre observation et qu'il nous faut analyser et débrouiller.
Or, pour mieux faire ressortir ce qu'il y a d'intéressant à relever dans nos
deux cas, je crois qu'il ne sera pas inutile de vous présenter au préalable un
aperçu sommaire de l'histoire symptomatologique de la paralysie infantile
considérée dans sa forme classique. Je crois même qu'il conviendra, en vue
même du but à atteindre, de faire appel un instant aux connaissances ana-
tomo-pathologiques, aujourd'hui à peu près décidément fixées que nous pos-
sédons sur la matière.
En réalité, ainsi que je l'ai fait remarquer, il y a longtemps {Leçons sur les
maladies du système nerveux, i. Il, p. 103, — octte leçon date de juillet 1870),
la paralysie infantile peut être considérée, pour le commençant qu'on vou-
drait initier â la connaissance des maladies organiques du centre nerveux et
de la moelle épinière en particulier, comme une maladie d'étude.
i. Synonymes : Téphromyélite ou Poliomyélite antérieure aip:uf. — Cornual myelilis^ etc.
Défait, dans un cas de raffection dontil s'agit, se trouvent réalisées en quel-
que sorte les conditions d'une expérience instituée sur le vivant dans le but
d'éclairer certains projjlèmes, autrement bien difficiles à résoudre, de la phy-
siologie pathologique spinale.
Il s'agit, je suppose, de déterminer les effets que produisent les lésions des-
tructives limitées étroitement aux cornes antérieures de la substance grise
centrale de la moelle ; il serait bien difficile, pour ne pas dire plus, il faut
l'avouer, d'aller détruire chez les animaux, ces seules cornes antérieures, sans
Fig, 32.— Croupe de la moelle faite dans la région lombaire. — A. Corne antérieure gauche
saine, — a, noyau ganglionnaire sain. — B. Corne antérieure droite, — b. noyau ganglion-
naire médian dont les cellules sont détruites et qui est représenté par un petit foyer de sclé-
rose. (Extrait des Maladies du système nerveux, t. II. Œuvres complètes de J. M. Charcot),
intéresser sérieusement la reste de l'organe (1). C'est un problème devant
lequel reculerait sans doute l'expérimentateur le plus hakile, s'il lui fallait
le prendre au pied delà lettre. Eh bien, ce problème-là, la maladie nous
1. Les expériences de M. Prévost de Genève répondent cependant en grande partie à cet
idéal.
— 142 —
permet de le résoudre. Dans nombre de cas, les lésions qu'on rencontre
dans la moelle épinière, chez les sujets qui ont été atteints de paralysie
infantile spinale peuvent se montrer étroitsment limitées non seulement
à la substance grise centrale, mais encore plus explicitement, aux seules
cornes antérieures de substance grise, tantôt aux deux, tantôt seulement à
Tune d'entre elles ; j'ajouterai, que même dans les cornes antérieures, ainsi
que cela se voit bien lorsqu'il s'agit de la région lombaire, la lésion peut
ne pas se montrer uniformément répandue sur toute l'étendue de la corne,,
et aftecter au contraire exclusivement, tantôt l'un tantôt l'autre des trois
groupes ou amas cellulaires de la région.
On peut même supposer, — quelle que soit la théorie adoptée, — qu'à
l'origine tout au moins, le processus morbide concentre son action dans le
voisinage des cellules motrices des cornes antérieures et peut-être primitive-
ment dans ces cellules elles-mêmes, et de là se répand par diffusion, non
seulement dans les diverses parties de la substance grise centrale, mais encore
quelquefois dans la substance blanche, avec ou sans participation des ménin-
ges. Cest là évidemment au point de vue de la physiologie pathologique le
nœud de la situation. Voici en effet dans une des cornes antérieures de sub-
stance grise un ou plusieurs groupes de cellules motrices qui ont été détruits.
La conséquence nécessaire de cette destruction sera l'alDsorption, plus ou
moins rapide, du cylindre axile d'un nombre plus ou moins considérable de
nerfs moteurs correspondants, par suite l'atrophie consécutive des muscles ]
ou partie de muscle auxquels ces nerfs moteurs se rendent. ■
Mais il ne s'agit pas ici seulement de modifications anatomiqucs plus ou ■
moins profondes ou étendues; il y a lieu de relever les modifications fonction-
nelles qui répondent à ces altérations, et se développent en quelque façon
parallèlement à elles, car précisément ce sont ces troubles fonctionnels qui
constituent à proprement parler la symptomatologie de la paralysie infantile
spinale.
Au processus morbide qui rapidement, au milieu d'un appareil fébrile plus
ou moins accentué, envahit la région des cellules nerveuses motrices des cornes
antérieures et en détruit un certain nombre, répond une paralysie motrice
plus ou moins complète du membre ou des membres rattachés anatomique-
ment et physiologiquement au foyer spinal ; cette paralysie est souvent dès
l'origine absolue, complète, marquée par une flaccidité considérable des par-
tics; en ellet, par suite de la destruction des centres de l'arc diastaltique, tous
les réflexes spinaux, y compris celui qui détermine le tonus musculaire, et y
compris aussi les réflexes tendineux, cessent rapidement d'exister. Cependant
il n'y a i)as à observer, — à moins d'anomalies méritant une étude à part, —
de troubles de la sensibilité soit objectifs soit subjectifs dans les membres
aflectés ; la seule lésion des cornes antérieures ne les comportant i)as: fait du
reste déjà reconnu depuis longtemps expérimentalement par les expériences
— 143 —
(le Brown-Sequard et autres, et confirmé par l'histoire même de la paralysie
infantile, Pas de troubles vésicaux, du moins dans la ivgl(*, de tr<jijbles tro-
phiques cutani'îs ou sous-cutanés pouvant survenir comme conséquence de la
pression exercée sur les parties, et, en particuii< r, pas d'escarres à la région
sacrée.
Conformément, à peu de chose près, à ce qui se voit dans les cas de section
expérimentale des nerfs moteurs, d'importantes modifications des réactions
électriques se font reconnaître dès le quatrième ou cinquième jour sur les
muscles le plus profondément affectés et l'on peut en suivre alors les progrès
jour par jour. Dès les premiers jours le mal est fait: bientôt survient une
période de réparation pendant laquelle les éléments nerveux et musculaires
qui n'ont été que molestés, sans être décidément compromis, reviennent pro-
gressivement àFétat normal. Sur les membres qui ont été frappés de paralysie il
en est un ou deux qui se dégagent en grande [)artie ; si un seul membre a
été affecté, un ou plusieurs muscles ou groupes de muscles reviendront sur
ce membre à l'état normal. En général, cette période de réparation, de
reconstitution évolue en trois ou quatre mois ; au bout de six mois, et
à plus forte raison au bout d'un an, il n'y a presque plus rien à attendre
du traitement le mieux conduit, le plus méthodique^ quelques exceptions
à cette règle pourraient cependant être citées. Il est éminemment rare en
tout cas, que survienne une guérison absolument complète ; même dans les
exemples les plus légers^ dans ceux où l'altération spinale est le plus limitée
en même temps et le moins profonde, quelques muscles ou groupes de mus-
cles resteront en général définitivement, à tout jamais condamnés. De ce côté
encore, toutefois,, il y a le chapitre des exceptions et Ton peut citer dans ce
groupe les observations de Kennedy, celle de Frey comme des exemples fort
rares du reste, d'une paralysie infantile spinale terminée par une vraie guérison.
J'ai eu l'occasion, pour mon compte, d'observer dans le temps un fait de ce
genre, dans lequel la paralysie absolue, complète de l'un des membres infé-
rieurs, subitement développée au milieu d'un appareil fébrile à la vérité
modéré, chez un enfant de 4 ans, — et reproduisant d'ailleurs toute la
symptomatologie de la téphro-my élite antérieure aiguë, — a disparu au bout
de quatre ou cinq jours sans laisser de traces. N'allez donc pas constamment,
en présence d'un cas de paralysie spinale infantile, annoncer la perte totale et
nécessaire de quelques-unes, au moins, des fonctions motrices des membres
affectés; attendez, avant de rien décréter, que quelques jours se soient écoulés
et que le moment soit venu où Télectro-diagnostic qui, dans l'espèce, pourrait
être dit électro-pronostic, vous met en mesure de prononcer en dernier
ressort.
Au bout de quatre ou cinq mois, le processus morbide agressif est depuis
longtemps éteint, et le processus de rétrocession s'est lui-même arrêté. C'est
alors qu'est constituée la période des infirmités. Le membre aftecté, considé-
21
— 144 -
rablement atrophié, amaigri, s'il s'agit d'un enfant, s'arrête dans son déve-
loppement. La peau y devient habituellement froide, violacée,' couverte d'une
sueur gluante ; il s'y produit des rétractions par prédominance d'action des
muscles les moins altérés lesquelles conduisent aux membres inférieurs, à la
production des pieds-bots (pieds bots paralytiques) etc. Les récidives ne sont
pas à craindre, cependant il ne faut jamais oublier qu'à la paralysie infantile
de date ancienne correspond nécessairement une lésion scléreuse et cica-
tricielle de la substance grise spinale, lésion indélébile désormais, toujours
présente et que nous avons plusieurs fois retrouvée de la façon la plus réelle
chez des sujets, qui frappés à l'âge d'élection, avaient atteint parla suite un
âge très avancé. C'est là sans doute la raison qui fait que quelquefois chez des
sujets devenus infirmes par le fait de la paralysie infantile, on voit plus ou
moins tardivement se développer à titre de complications, ou mieux d'afiec-
tions secondaires, diverses lésions médullaires et en particulier une forme
d'amyotrophie spinale progressive: mais c'est là un sujet dont je me réserve
de vous entretenir dans une autre occasion.
Dans l'esquisse qui précède destinée seulement à vous rappeler les grands
traits de l'évolution normale, si vous voulez, de la paralysie infantile con-
sidérée dans son type vulgaire, j'en ai dit assez, je pense, pour que nous
soyons actuellement mis en mesure de faire ressortir convenablement les
particularités intéressantes des deux cas qui vont passer sous vos yeux.
Mais avant d'en arriver là je voudrais, en passant, saisir l'occasion de toucher
à un point fort peu discuté encore, relatif à l'étiologie de l'affection qui nous
occupe. J'ai été conduit par l'étude des antécédents héréditaires des sujets
frappés de paralysie infantile, à penser que la maladie dont il s'agit, repré-
sente un des membres de la grande famille neuropathologique; quelques-uns
des documents sur lesquels s'appuie mon opinion ont été consignés dans la
thèse fort intéressante de M. le D'" Déjerine (1). Je me bornerai ici à relever
quelques tableaux de famille qui me paraissent significatifs.
Voici d'abord l'histoire de la descendance d'un paralytique général (Voir le
tableau ci-dessous) :
Grand-père paternel
Paralysie générale progressive
Pkre
Sain
Mkre
Saine
Deux enfants ;
1° Fille frappée de paralysie infantile à Tâge 2* Fille frappée de paralysie infantile à l'âge
de 18 mois. de 3 ans 1/2.
i. Uhéredité dans les maladies du système nerveux. 1886, p. 204.
— 145 —
Je n3lèverai à ce propos que plusieurs foi? j'jii vu la paralysie générale pro-
gressive survenir chez des sujets qui dans l'enfance avaient été atteints de
paralysie infantile. Le cas auquel est relative la figure 5 empruntée au 2' vo-
lume de nos Leçons sur les maladies du système nerveux (t. II, fig. 5, 8,
p. ISl), offre précisément un exemple de ce genre.
Un second tableau montrerait la paralysie infantile survenant chez le des-
cendant d'une grand'tante aliénée.
Un troisième enlin,em[)runtéàlathèsedeM. Déjerine, montrerait la maladie
frappant lo fils d'un paralytique général qui comptait dans sa famille plu-
sieurs aliénés, une hystérique et deux sourds-muets.
Je pourrais multiplier ces exemples ; je me bornerai pour le moment à
exposer un dernier tableau qui me paraît être fort instructif.
COTE PATERNEL
Sœur du père
Scrofule
Cousin germain
Épileptique, aliéné
Père
Épileptique
1" Fils
M étallophobie
Agé de 10 à 12 ans ne pou-
vait toucher un objet de cui-
vre, surtout s'il était sale, sans
éprouver une sensation de
dégoût se traduisant par des
crachottemcnts.
COTÉ MATERNEL
Grand'mère
Plusieurs accès de mélan-
colie.
Mère
Tuberculeuse
2« Fils
Kleptomane
a. Vers l'âge de 10 à 12 ans,
ramassait tous les objets mé-
talliques qu'il pouvait s'appro-
prier et les accumulait dans
une cachette.
b. Vers Tàge de 60 ans ; un
accès de mélancolie à l'occa-
sion d'uije maladie aiguë.
II
Sa femme issue d'une fa-
mille goutteuse est goutteuse
elle-même (goutte régulière
occupant les gros orteils).
Un fils frappé à l'âge de
4 ans d'une paralysie infan-
tile spinale typique.
Ces faits tendent évidemment à faire reconnaître la paralysie infantile
comme une maladie d'hérédité nerveuse. Mais je ne puis vous laisser ignorer
— 146 —
que, par contre, certaines observations sembleraient contredire formellement
cette opinion. C'est ainsi que tout récemment, dans le Lyon mrdkal (jan-
vier 1888), M. le D"" Gordier publiait treize observations de paralysie infantile
développée dans l'espace de deux mois seulement (juin et juillet 1885), dans
une population qui ne dépasse pas 1.500 âmes. De là à conclure que la pa-
ralysie infantile est une maladie infectieuse, peut-être contagieuse, la voie
est facile aujourd'hui, et toute tracée. On ne saurait s'y engager cependant
Fig. 33. — Coupe de la moelle ù la région cervicale tUins un cas de paralysie infantile du
nnembre supérieur droit. — Pièce recueillie à la Salpêtrière chez une femme morte de paralysie
générale à l'âge de 50 ans.
sans quelque réserve, car en somme cette très curieuse histoire d'une petite
e'pidémie de paralysie spinale infantile, constitue encore, à l'heure qu'il est,
un épisode absolument isolé.
J'en viens à l'étude de nos deux malades; le premier est, comme vous le
voyez, un gros et beau gaiçon d'apparence vigoureuse; il est âgé de 11 ans.
Il a été admis à la Salpêtrière le 17 octobre 1888. Il appartient à une famille
de paysans normands, malins et retors, dont nous n'avons pas pu tirer grand'
chose relativement aux antécédents héréditaires. Nous avons appris cependant
ce qui suit, et ce sont là incontestablement des aveux intéressants. Un de ses
oncles maternels est un goutteux émérite ; un autre oncle, du cùté paternel
cette fois, est faible d'esprit, presque idiot ; le père est un homme excitable,
très emporté, il se met très souvent dans d'afïreuses colères pendant lesquelles
il ne sait plus ce qu'il fait!
— 147 —
L'enfant a une sœur morte en Jjas âge qui était née avec une sorte de
paralysie d'un des membres supérieurs, probablement d'une paralysie obsté-
tricale.
Lui, n'avait jamais été malade et raiï'ection dont il souiïre aujourd'hui est
attribuée, à tort ou à raison, par tous les siens, aux fatigues qu'il s'est donné
à Toccasion de la fête du 15 aont. Quoi qu'il en soit, voilà ce qui s'est passé :
Le 16 août, reniant a mal à la Léte, il a de l'inappétence ; il souffre un peu
des « reins », ce qu'on attribue aux exercices gymnastiques qu'il avait faits la
veille et qui consistaient surtout à renverser le tronc en arrière. Sur la partie
douloureuse des reins, d'ailleurs, la mère aurait remarqué la présence d'une
tache bleuâtre^ d'une ecchymose? Le malade est resté au lit toute la journée.
Le lendemain il, allant mieux, il est sorti; le 18, continuation du mieux ; il a
pu aller communier. Le 19, le mal de tête reparaît vers le soir ; l'enfant a des
courbatures dans les membres, il va se coucher de très bonne heure.
La nuit du 19 au 20 a été fort agitée, il y a eu du délire^ une lièvre vive et
le lendemain matin lors d'une accalmie, le malade voulant aller aux cabinets,
sentit son membre inférieur droit fléchir sous lui et tomba sur le parquet.
La fièvre dura trois ou quatre jours encore, et c'est alors que commencèrent
à se produire dans le membre paralysé des douleurs extrêmement vives
paraît-il, et qui ont occupé à peu près le trajet du nerf sciatique à la fesse et
sur la partie postérieure delà cuisse; la région surtout douloureuse est encore
aujourd'hui marquée par les traces de nombreuses pointes de feu qui ont été
appliquées à plusieurs reprises. L'enfant se souvient parfaitement que ces
douleurs qu'il qualifie d'atroces, revenaient par accès surtout nocturnes ;
l'accès durait environ dix minutes, elles ont persisté pendant quinze jours en
tout. Depuis longtemps, il n'y a plus sur ces régions de douleurs spontanées;
mais même encore aujourd'hui,trois mois etdemi après le début del'aff'ection, il
existe une certaine sensibilité à la pression sur le trajet du sciatique (1) entre
le trochanter et l'ischion. L'existence de cette douleur méritait certainement
d'être signalée, messieurs, parce que, dans l'espèce, elle constitue une ano-
malie. Dans la règle, en effet, ainsi que je le faisais remarquer en commen-
çant;, la paralysie infantile paraît évoluer sans s'accompagner de phénomènes
douloureux, autant qu'on en puisse juger, toutefois, chez les très jeunes
enfants qui ne rendent pas compte de ce qu'ils éprouvent.
Le fait est que ces douleurs qui précèdent quelquelois de quelques jours le
début delà paralysie, et quipersistent parfois cinq ou six mois après, ainsi que
l'a vu M. Seeligmuller, paraissent être relativement plus fréquentes, lorsque la
maladie frappe les adolescents ou les adultes. Elles seraient dues en tout cas à
i. On ô veille dans le .membre paralysé un peu de douleui' par la pression snr les points sui-
vants : 1° Au niveau de la sortie du sciatique au-dessous de l'échancrure ; 2" A la base du triangle
de Scarpa et au niveau de l'émergence du nerf crural ; 3» Un peu au-dessous du creux poplité.
- 148 -
l'extension du foyer, originellement limité dans la corne antérieure, aux
régions postérieures de la substance grise, et peut-être même, dans certains cas,
à l'invasion des méninges et des racines postérieures des nerfs. C'est sans doute
dans des conditions analogues que se produiraient les hypéreslhésies, ou au
contraire^ les anesthésies plus ou moins durables, observées dans certains cas
et dont il n'existe d'ailleurs pas de traces chez notre petit malade.
A part ce fait de la présence, à un moment donné, d'une vive douleur
occupant une partie du membre paralysé, il n'y a plus rien que de normal à
signaler chez notre jeune malade, si ce n'est toutefois sur un point que je
relèverai tout à l'heure.
La paralysie, à l'origine, ainsi qu'on l'a dit, était complète dans le membre
inférieur droit où elle occupait à la fois les muscles qui meuvent la hanche,
ceux qui meuvent le genou, ceux enfin qui meuvent l'articulation tibio-tar-
sienne; aucune autre partie du corps n'a été touchée: mais chose remar-
quable, et c'est là justement le point que je signalais plus haut, presque tous
les muscles qui ont été frappés, l'ont été du premier coup, au plus haut degré,
de telle sorte que l'on pourrait dire qu'il n'y a pas eu, à proprement parler,
contrairementàlarègle,depériode de rétrocession. Seuls, quelques mouvements
d'abduction, d'adduction et de circumduction sont redevenus possibles à la
hanche vers la troisième semaine. Mais la reconstitution n'a pas été plus loin ;
partout ailleurs l'impuissance motrice est restée complète, absolue. Le membre
est aujourd'hui flasque, atrophié (1), les réflexes cutanés et tendineux font
complètement défaut, la peau du membre est froide, livide surtout à la jambe
et au pied et couverte d'une sueur gluante. Le pied présente un léger équi-
nisme.
Pour ce qui est des réactions électriques, elles sont absolument nulles dans
tous les muscles de la cuisse, de la jambe et du pied et après trois mois
de tentatives thérapeutiques appropriées, il n'y a plus guère d'espoir de
voir se produire quelque retour favorable. La période d'infirmité est donc
définitivement constituée.
Notre second malade est un garçon âgé aujourd'hui de 21 ans et qui a été
admis dans nos salles il y a environ deux ans.
Il était âgé de 19 ans quand il a été frappé de la maladie dont il s'agit. Nous
ne lui connaissons pas d'antécédents héréditaires dignes d'être signalés ; il
raconte seulement que son père est éminemment irascible, violent même. Lui
exerçait la profession de coupeur en souliers.
Jamais il n'avait été malade et il était en état de santé parfaite, lorsque le
4 septembre 1886, sans avoir subi l'intluence d'aucune cause occasionnelle
1. 11 y a entre les parties correspondantes des deux membres inférieurs des différences de
un centime Ire environ.
— w.) -
appréciable, un vcndiodi dans la jouriii'e, il ressentit des frisso.is, un peu de
fièvre et secoucha. Le lendemain, au réveil, on constate la paralysie corni)l«'te
(lu membre inférieur gauche dans sa totalité. Le surlendemain matin, la
fièvre contiini;int toujours^ bien (pi'à un degré modéré, le membre inférieur
gauche a été pris à son tour. Lnfin, le quatrième jour, la fièvre paraît-il était
toml)éc et néanmoins, ce jour-là, la i)aialysie s'est étendue au membre su-
périeur droit. Aucune trace de douleurs. Mais, par contre^ une paralysie
vésicale dont il n'existe plus la moindre trace s'est produite dès Torigine et a
exigé l'emploi du cathéter pendant six jours ; fait anormal dans l'espèce vous
le savez et qui paraît être relativement moins rare lorsque la paralysie spinale
frappe les adultes.
La période de rétrocession a commencé au bout de 15 jours ; malheureuse-
ment, le membre supérieur droit : l'épaule, le coude d'abord, puis la main,
s'est seul dégagé.
Rien de semblable ne s'est fait sentir dans les membres inférieurs qui,
depuis l'origine, n'ont pas récupéré un seul mouvement soit dans les hanches,
soit dans les autres articulations.
Inutile de dire l'état dans lequel se trouvent les membres inférieurs pa-
ralysés près de deux ans après le début; flaccidité, algidité des membres,
absence des réflexes de tout genre, rien n'y manque et pour ce qui est de
l'exploration électrique, elle amontré aux cuisses l'existence d'une réaction
de dégénérescence très nette et complète, pour la plupart des muscles. Les
muscles de la jambe ne répondent plus aux excitations.
Ici encore nous avons sous les yeux un cas d'infirmité indélébile.
1M1\ NOlZlîTTE, 8, RUK CAMPAGNE-fREMllvRE, PARIS.
i
Policlinique du Mardi 11 Décembre 1888
HUITIEME LEÇON
l'^ Malade. — Cas complexe. — Alaxie locomotrice et
hystérie.
2^ Malade. — Cas complexe. — Hystérie et sclérose en
plaques.
(A propos de ces deux cas, on fait ressortir l'importance pour le diagnostic
de l'étude des troubles oculaires.)
3^ Malade. — Chorée molle chez un enfant de 12 ans. —
Hérédité nerveuse.
M. CiiARCOT : Je voudrais, à propos du cas qui va vous être présenté, rele-
ver une fois de plus ce grand fait nosologique, que même, et peut-être surtout
en pathologie nerveuse, les espèces ou types morbides, offrent, dans la com-
binaison de leurs caractères cliniques une véritable fixité, une originalité
réelle qui permettra à peu près toujours, de les reconnaître, ou de les séparer
par Fanalyse, alors même que plusieurs de ces espèces coexisteraient sur un
même individu où elles peuvent former des complexus très variés. La doc-
trine que nous voudrions faire prévaloir en pareille matière est, vous le savez
par ce que nous avons dit maintes fois sur ce sujet, que les complexus noso-
logiques dont il s'agit ne représentent pas en réalité des formes hybrides,
produits variables et instables, d'un mélange^ d'une fusion intime, mais plu-
tôt le résultat d'une association, d'une juxtaposition dans laquelle chacun des
composants conserve son autonomie. Et, à ce propos, je vous ferai remar-
quer, messieurs^, qu'il est fort heureux, en pratique, que les choses soient
réellement ainsi ; car autrement, comment le clinicien pourrait-il apprendre
jamais à s'orienter, au milieu de groupes symptomatiques innombrables
n'offrant pas de cohésion mutuelle, et toujours prêts au changement, à la mé-
tamorphose ? Je compte d'ailleurs, messieurs, m'attacher désormais dans
22
~ 152 —
nos leçons à l'étude de ces cas complexes espérant y trouver l'occasion de
vous bien convaincre que le déterminisme règne dans le domaine des asso-
ciations d'espèces morbides, tout aussi bien que partout ailleurs en patho-
logie.
L'examen de notre malade d'aujourd'hui nous permettra aussi de vous
montrer l'importance fondamentale, —mille fois proclamée déjà du reste et à
juste titre, — des études d'ophthalmologie méthodique pour Télucidation d'un
très grand nombre de problèmes attenant à la pathologie nerveuse, surtout
en ce qui concerne le diagnostic et le pronostic.
V' Malade.
{Une malade est introduite dans la salle de cours.) Il s'agit^ vous le voyez
d'une femme déjà âgée ; elle a 58 ans ; elle exerce depuis très longtemps la
profession de domestique ; elle va nous faire ' connaître elle-même en répon-
dant aux questions que je vais lui adresser devant vous, les principales
phases de sa maladie.
A la malade : Veuillez nous parler, je vous prie des premières douleurs que
vous avez éprouvées.
La malade : Vous voulez parler de 1876 ?
M. Charcot : C'est cela même ; vous aviez alors 4G ans je crois ?
La malade : Oui monsieur ; c'est le commencement de mon mal ; j'ai eu
alors d'atroces douleurs dans le dos ; cela est venu tout d'un coup, un beau
jour je ne sais pourquoi ; mon dos était sensible partout comme si j'avais ou
un vésicatoire à vil" : on ne pouvait me touclicr même légèrement, même et
surtout en frôlant, sans provoquer une douleur afireuse.
M. Charcot : Peut être même que là une forte pression eût été moins dou-
loureuse que le frôlement ?
La malade : Je ne saurais vous dire, monsieur ; mais c'était comme une cein-
ture de feu qui m'enveloppait et j'avais bien peur (pi'on ne me touchât.
M. Charcot : Dans quelle partie du dos siégeait cette douleur ? y avait-il des
élancements suivis de calme^ ou était-ce tout à fait continu ?
La malade : Je ne puis préciser ; la douleur, il me semble, était i)artout dans
— 153 —
le dos. 11 y avait dos élancements c'est vrai ; mais jamais d'inten^alles de
repos ; cela brûlait toujours affreusement nuit et jour.
M. r/ia/To^ .-Remarquez, messi(!urs, cette rachialgie avec hypéresthésie
extrême, n'admettant i)as le moindre frôlement, donnant ii la malade l'idée
d'un vésicatoire à vif. Voilà un phénomène qui ne se voit guère, ainsi que je
vous l'ai fait remarquer souvent, que dans deux affections en apparence fort
éloign('CS l'une de l'autre, à savoir Tataxie locomotrice et l'hystérie. S'agit-il
ici de l'une ou de l'autre ? Avant de rien décider laissons parler les faits.
A In malade : Combien de temps cette douleur a-t-elle duré ?
La malade : Quatre jours, monsieur, après cela la grande douleur s'est
apaisée ; mais pendant bien longtemps encore, je prenais toutes les précau-
tions possibles pour qu'on ne me touchât pas le dos. Quand on ne me touchait pas
je ne souffrais plus beaucoup, mais quand on me touchait le dos, mrme
légèrement, c'était affreux. Gela a duré encore ainsi pendant quelques jours ;
durant ce temps-là, je me tenais raide, toute d'une pièce, afin de ne pas mou-
voir mon dos ; couchée dans mon lit c'était la même chose : je me tenais raide
et, je me tournais d'une pièce afin de ne pas frotter mon dos sur le lit ou le
heurter.
Quelques jours après, le mal a un peu changé ; il me semblait que j'avais
une ceinture qui me serrait le corps et j'ai toujoursgardé depuis .plus ou moins, ce
sentiment de constriction. Il existe toujours un peu et augmente, de temps en
temps, par moments.
M. C/mrco^; Veuillez remarquer,messieurs, cette « installation définitive »
des douleurs en ceinture : cela est fort significatif dans l'espèce. Vous allez
voir maintenant les divers symptômes de la maladie dont il s'agit dans ce
cas, apparaître successivement non pas tout à fait dans l'ordre classique, mais
avec une allure cependant suffisamment caractéristique ; et d'ailleurs
la plupart des épisodes qui vont se dérouler l'un après Pautre devant vous
chronologiquement, même si vous les considérez individuellement, sans tenir
compte de leur relation mutuelle, vous apparaîtront avec une physionomie
assez spécifique pour que vous soyez en mesure bientôt de formuler dans
votre esprit le diagnostic.
Je me suis assuré, messieurs, qu'avant cette douleur du dos dont elle vient
de nous donner la description, Une s'était produit chez elle aucun symptôme
qui mérite d'être relevé pour le moment. C'est donc l'invasion de cette
rachialgie épouvantable, dont elle conserve encore le souvenir poignant, et
dont la durée n'a pas dépassé quatre jours, qui a marqué le début de l'affec-
tion.
A la malade : Parlez-nous de ce qui s'est passé après la douleur du dos.
La malade : Quelques jours après, j'ai commencé à ressentir d'affreuses
douleurs pareilles à celles que j'avais eues dans le dos, dans les pieds et les
jambes d'abord, puis dans les bras et les mains, et un peu partout.
— 154 —
M. Charcot : Voyons, ne mêlons pas tout, procédons par ordre; parlez-moi
d'abord des douleurs des jambes, puisqu'elles sont les premières en date,
voulez-vous nous dire quel genre de douleur c'était ; les éprouvez-vous
encore aujourd'hui quelquefois, ces douleurs ?
Lamalade : Non, monsieur, je ne les ai pas aujourd'hui, mais je les ai res-
senties encore il y a deux ou trois jours.
M. Charcot : Eh bien ! c'est cela que je veux dire : vous les avez encore de
temps en temps ; elles sont pareilles à ce qu'elles étaient autrefois ?
La malade : Oui, monsieur, tout à fait.
M. Charcot : Par conséquent, vous les connaissez bien et vous pourrez nous
les décrire ?
La malade : Ohl monsieur, ce sont des douleurs tout à fait pareilles à celles
que j'ai eues dans le dos. Il me semblait que dans les pieds, dans les jambes,
dans les cuisses, on me donnait par-ci par-là, des coups de couteau ; ou bien
j 'avais les jambes traversées par des lames de feu ; cela me partait dans les
genoux, dans les doigts de pieds, quelquefois dans les talons et aussi dans les
mollets et dans les cuisses. Quelquefois il me semble que les douleurs se
rejoignent.
M. Charcot : Vous m'avez dit que ces douleurs, vous les ressentiez encore
aujourd'hui ; naturellement, il y a des temps où vous ne les sentez pas. Donc
elles reviennent par accès de temps en temps ; combien de temps durent les
accès de douleurs ?
La malade : Monsieur cela dure habituellement pendant quatre ou cinq
jours,, jour et nuit, surtout la nuit ; il y a maintenant douze ans que cela
dure.
M. Charcot : Sont-elles aussi fortes maintenant qu'autrefois ?
Z.« ma/ac?^ ; Oui, monsieur, à peu près; il n'y a pas longtemps, je suis
restée huit jours sans dormir, à cause des douleurs.
M. Charcot : Et les coups de couteaux, sur le point où vous les avez res-
sentis, la peau devient-elle très sensible, douloureuse au moindre frôlement?
La malade : Monsieur, c'est tout à fait la même chose que ce que j'ai
éprouvé dans le dos. Quand les douleurs sont apaisées, la peau devient extrê-
mement sensible;, je ne puis pas y toucher et même quand je n'y touche pas
je soufîre encore d'un sentiment de brûlure. Il me semble que mes jambes
sont dans un brasier.
M. (liarcot : Vous êtes sure qu'il y a des intervalles parfaitement libres
pendant lesquels vous ne soutirez pas du tout?
La malade : Oui monsieur, certainement : ainsi aujourd'hui je me sens par-
faitement bien ; je n'éprouve aucune espèce de douleur; mais elle reviennent
tous les dix, douze ou quinze jours, sans grande rép^ularité, depuis douze
ans.
M. Charcot : Veuillez retenir ceci, messieurs : les douleurs ressenties
— loo
autrefois dans le dos, elle les a éprouvées un pou plus tard dans les membres
inférieurs où elles se sont montrées avec les mêmes caractères, mais sous
forme de crises qui n'ont pas cessé de se reproduire depuis, de temps à autre.
Ce sontlàdéjà des faits fort significatifs et trèscertainement plusieurs d'entre
vous ont deviné de quoi il s'agit. Mais poussons plus avant.
A la malade : Vous nous avez dit tout à l'heure que les douleurs des mem-
bres inférieurs ont plus tard envahi les avant-bras et les mains ?
La malade: Ouï, monsieur, mais cela s'est fait bien longtemps après, au
bout de quatre ou cinq ans, peut-être.
M, Charcoi : Pouvez-vous nous dire précisément, où les douleurs siègent
dans les mains; d'abord, existent-elles dans les deux mains?
La malade : Oui^ dans les deux mains, mais jamais dans les deux à la fois.
M. Charcot : Et comment sont les douleurs dans les mains ? sont-elles aussi
fortes que dans les jambes? montrez exactement où elles siègent.
La malade montre l'extrémité inférieure du bord cubital de l'avant-bras,
l'éminence hypothénar et le petit doigt. — Voilà, dit-elle, où je les ressens,
mais là, elles ne sont pas aussi vives que lorsque je les ai dans les jambes ;
du reste, ce sont aussi de grands élancements.
M. Charcot : Ressentez-vous habituellement un engourdissement dans les
deux derniers doigts des mains?
La malade: Oui, monsieur, mais non constamment, je les ressens seule-
ment de temps à autre.
M. r/mrco^; J'ai eu bien des fois l'occasion d'appeler votre attention sur
ces engourdissements, sur ces douleurs fulgurantes, localisés dans le domaine
cubital, occupant le plus souvent symétriquement les deux mains, mais pou-
vant, pendant longtemps, se montrer d'un seul côté, sur une seule main. Cela
peut constituer, en somme, un incident morbide presque caractérisque et
fort important à relever, dans certains cas par exemple, où les douleurs ful-
gurantes ne se sont pas montrées encore dans les cuisses, les pieds ni les jam-
bes. Il est possible, en effet, que ces douleurs fulgurantes du domaine cubi-
tal précèdent de plusieurs années celles qui, dans la règle ordinaire, appa-
raissent dès le début dans les membres inférieurs. Vous comprendrez par là
que l'existence précoce des douleurs cubitales associées à quelques autres
symptômes de la série, tels que la diplopie par exemple ou la parésie vésicale,
puisse permettre de fixer le diagnostic à une époque où la maladie en est
encore à ses premiers commencements. Il y a bien longtemps, messieurs, que
je me suis efforcé d'appeler l'attention sur cet ordre de faits ; mes premières
études à cet égard remontent en effet à l'année 1872. {Maladies du système ner-
veux, t. 11,1° 2° 3^ et ¥ leçons.) Mais nous allons rencontrer maintenant, dans
l'histoire de notre malade, un autre syndrome souvent précoce et également
fort caractérisque que j'ai décrit dans ces mêmes leçons, auxquelles je viens
de faire allusion et que j'avais signalé d'ailleurs, dès 1868_, dans la thèse d'un
— 156 —
de mes élèves, M. Dubois. Ce syndrome a fait, chez notre malade, son appari-
tion en 1882, il y a six ans de cela, six ans après celle des douleurs fulgurantes.
A la malade : Contez-nous l'histoire de ces vomissements dont vous m'avez
parlé bien des fois.
La malade : Monsieur_, je vous l'ai dit, ce sont les douleurs des membres qui
déterminent ces vomissements. Quand j'ai ces douleurs, je vomis ; je ne
vomis pas quand je n'ai pas de douleurs.
M. Çharcot: Est-ce des douleurs dans le dos ou dans les jambes dont vous
parlez ?
La malade : Je n'ai plus souvent de douleurs dans le dos, bien que mon dos
soit encore souvent sensible au moindre attouchement ; mais c'est des dou-
leurs des jambes dont je parle ; ce sont ces douleurs qui souvent occasionnent
mes vomissements.
M. Chaixot : Elle veut dire que l'apparition des vomissements coïncide avec
celle des crises de douleurs fulgurantes dans les membres.
Je ne vous ferai pas l'injure, messieurs, de suspendre plus longtemps le
diagnostic ; tous vous avez compris, depuis longtemps déjà certainement, que
c'est Tataxie locomotrice progressive qui est en jeu ici ; et les vomissements
par accès dont, en ce moment, nous parle notre malade ne sont pas autre
chose que les fameuses « crises gastriques » qui, ainsi que je l'ai fait remar-
quer, il y a quinze ou seize ans, figurent souvent, dans la période aujourd'hui
dite préataxique, parmi les symptômes les plus précoces.
A la malade : Souffrez-vous dans l'estomac quand vous vomissez ? qu'est-ce
que vous vomissez ?
La malade :^e vomis de l'eau et des glaires : rien ne peut arrêter les vomis-
sements, cela dure de une heure à dix ou douze heures. Je ne peux rien
prendre pendant ce temps-là: je vomis tout. Mais quand c'est fini, j'ai pres-
que aussitôt après l'idée de manger. Dans l'estomac, je ne souffre que des
efforts que je fais ; c'est dans les membres que j'ai des douleurs.
M. Charcot : Est-ce que vous avez souvent ces crises de vomissements ?
Lm malade: ie les ai maintenant beaucoup plus rarement qu'autrefois et
elles sont beaucoup moins fortes que dans le temps. Autrefois, elles me reve-
naient presque régulièrement tous les trois ou quatre mois.
M. Charcot : Remarquez, messieurs, cette sorte de périodicité des crises gas-
triques; elle est quelquefois très frappante et pourrait déjà par elle-même,
dans certains cas, contribuer au diagnostic. Mais je n'insisterai pas plus lon-
guement sur l'histoire de ces crises gastriques : c est un sujet qui mérite une
étude toute spéciale et sur lequel nous aurons, sans doute, l'occasion, quelque
jour, de nous arrélei avec insistance.
Je continue la série de nos investigations. Nous savons désormais dans
quelledirection celles-ci doivent être dirigées. Nous en avons fini, sans doute,
avec ceux des symptômes initiaux dont la malade, en évoquant ses souvenirs,
— 157 —
peut nous rendre compte actuellement, ainsi que je vous le ferai reconnaître
dans un instant. La période préataxique est close. L'incoordination motrice
est devenue manifesta dans les membres inférieurs ; peut-élni nous sera-t-il
donné de déterminer, approximativement, répucpic k la(iuelle elle a commencé
à se manifester.
A la maladfi : Daimia quand avez-vous remarqué qu'il vous était devenu diffi-
cile de niiircher ?
La malade : il y a quatre ans que j'ai commencé à m'apercevoir que je ne
pouvais pas bien marcher dans l'obscurité ; même le jour, dans ce temps-là
il m'était difficile de descendre un escalier ; j'éprouvais alors comme un sen-
timent de vertige qui me faisait craindre d'être précipitée dans le vide. De
temps en temps mes jambes fléchissent tout à coup, même sans douleurs^ au
niveau du jarret et je suis menacée de tomber par terre.
M.Charcot : C'est là vous le savez, ce que quelques auteurs anglais appellent
du nom de « giving ivaij of tfie legs ». Nous l'appelons, nous, * l'effondrement
des jambes ».
A la malade: Voulez-vous vous lever, s'il vous plaît^ et vous tenir un instant
debout ? Fermez les yeux tout à coup : vous le voyez, les yeux fermés,la malade
oscille et menace de choir; c'est là ce qu'on appelle le signe de Romberg.
M. Charcot prie la malade de marcher ; elle fait quelques pas devant l'au-
ditoire.
— La démarche, remarquez-le bien, ne répond pas au type classique ; la
malade ne progresse pas en lançant ses pieds en avant, ceux-ci retombant
avec bruit sur le sol à chaque pas, elle marche au contraire à petits pas et
comme en titubant. Il reste beaucoup à faire sur les variétés de la démarche tabé-
tique. Les infractions à la règle sont chose fréquente en pareil cas ; elles n'ont
pas encore été l'objet d'une analyse minutieuse. Vous remarquerez, en outre
qu'ici, presque à chaque pas, il y a une esquisse du dérobement des jambes
dont je parlais tout à l'heure (giving way of the legs), de telle sorte qu il
semble à chaque instant que la malade va s'affaisser sur elle-même ; cela
imprime à la démarche une allure sautillante qui n'est point chose vulgaire.
La malade étant assise de nouveau, on constate que les réflexes rotuliens
sont absents et que la forée de résistance des diverses parties des membres
inférieurs aux divers mouvements qu'on veut leur imprimer, n'est pas nota-
blement diminuée.
A la malade : Vous urinez, je crois^ difficilement; depuis quand?
La malade : Depuis trois ou quatre ans peut-être, je suis forcée de pousser
pour uriner et l'urine ne sort que par saccades. J'ai aussi depuis ce temps-là
une grande constipation. Il m'est arrivé quelquefois d'uriner dans mon lit.
M. Charcot: 11 me reste, pour terminer cette énumération des symptômes
tabétiques, à vous faire connaître les résultats qu'a donnés chez notre malade
l'examen des fonctions oculaires. En premier lieu, on relève que les pupilles
— 158 —
sont inégales et qu'elles sont à peine affectées quand on les soumet à une vive
lumière, ainsi que quand l'œil est placé dans l'obscurité. Les pupilles se
contractent au contraire comme dans les conditions normales, dans l'acte
d'accommodation pour une courte distance. (Signe d'Argyll Robertson). Voici
donc, de ce côté, un nouveau symptôme tabétiquc, d'ailleurs fort vulgaire «'ans
l'espèce.
Je vais maintenant insister sur un détail dont nous a fait part la malade et
dont il était fort intéressant de vérifier l'exactitude : elle nous assure qu'il y a
trois ou quatre ans, dans un hôpital où elle a été admise comme ataxiquo,
alors qu'elle s'était plainte, que, depuis plusieurs mois, la vision avait
baissé remarquablement dans l'œil droit, un médecin avait déclaré à la suite
d'un examen ophthalmologique attentif, qu'elle était atteinte d'une atrophie
du nerf optique de ce côté. Rien de plus naturel, rien de moins imprévu,
incontestablement^ que l'existence d'une atrophie progressive du nerf optique
dans le tabès. Il y avait lieu de s'étonner seulement qu'après cinq ans, l'autre
œil ne fût pas affecté à son tour. Car, dans l'immense majorité des cas, l'atro-
phie progressive des nerfs optiques dans le tabès, aboutissant en dernier
terme à la cécité, marche plus rapidement que cela.
Quoiqu'il en soit, procédant à l'examen ophtalrnoscopique de l'œil incri-
miné chez notre malade, — cet examen a été fait par M. le D' Parinaud, —
nous n'avons pas été peu étonnés de reconnaître que dans cet œil-là comme
dans l'autre, du reste, la papille était parfaitement normale. Il y avait donc
eu, dans le temps, erreur dans le diagnostic.
Par contre, procédant méthodiquement et sans parti pris à l'examen des
diverses fonctions visuelles, voici quel a été^ chez notre sujet, le résultat de
l'examen :
l** Il existe une diminution réelle, mais assez peu prononcée de l'acuité
visuelle du côté droit. Mais celle-ci n'est pas la conséquence d'une lésion
atrophique du nerf optique correspondant, puisque, ainsi que nous l'avons dit,
Paspectde la papille de ce côté présente les caractères de l'état normal.
2° Les pupilles sont inégales, le réflexe lumineux y fait défaut tandis que les
réflexes de la convergence persistent (Signe d'Argyll Robertson). Voilà cette
fois un phénomène tabétique déjà signalé plus haut d'ailleurs.
3° Dyschromatopsie dans les deux yeux pour le vert et pour le bleu, la
malade au contraire perçoit le rouge parfaitement.
Ceci n'est pas, remarquez-le bien, un pliénoniène tabétique ; les malades
atteints d'amaurose tabétique, lorsqu'ils deviennent achromatopsiques, per-
dent la notion du vert et celle du rouge : le jaune et le bleu sont perçus en
général pendant fort longtemps encore alors que déjà la perception des doux
premières couleurs a cessé d'exister. D'après les nombreuses observations que
— 159 —
nous avons été à même de faire à la Salpêtrière sur une grande échelle, depuis
[)lusieurs années, M. Parinaud et moi, ce n'est guère (jue dans l'hystérie qu'on
voit la notion du rou,i'(! persistei" seule, colle des autres couleurs îiyant disparu.
Y aurait-il donc, chez notre malade, complication d'hystérie?
4° L'examen campinnHiifiue fournit à cet (îgai-d des résultats à peu près dé-
cisifs. 11 existe chez notre malade un rétrécissement du champ visuel portant
sur les deux yeux, régulièrement concentri([ue, plus prononcé à droite qu'à
gauche (Fig. 34.) Ceci encore est un symptôme liystériijue presque univoque
D
G
?o Nas 9oj
Fiy. 34.-5 décembre 1888.
pour peu qu'il soit bien établi. Nous nous sommes plusieurs fois assuré qu'il
s'agit, dans notre cas, d'un rétrécissement permanent ; on sait que dans l'am-
blyopie tabétique liée à l'atrophie progressive des nerfs optiques, il y a aussi
rétrécissement du champ visuel, mais c'est d'un rétrécissement inégal, à bords
dentelés qu'il s'agit alors etnond'unrétrécissementrégulièrement concentrique.
La présence d'un élément hystérique chez notre malade n'est donc guère
douteuse.
5° Elle est encore démontrée par le fait suivant : il y a dans les deux yeux
diplopie monoculaire, en môme temps que macropsie. Vous connaissez la va-
leur diagnostique de ces faits-là établie parles recherches de M. Parinaud (i).
Le résultat de ces investigations ophthalmologiques nous a donc conduit
1. 11 exisLe en outre, chez celle malade une paralysie conjuguée des muscles oculaires dans
les mouvements vers la droite, avec diplopie homonyme. C'est encore un symptôme qu'il n'est
pas rare de rencontrer dans rhystéric.
'2:\
~ 160 —^
au résultat important que voici : — Tout n'est pas tabétique chez notre malade;
l'hystérie est là, présente, il s'agit de lui accorder dans le complexus morbide,
la part qui lui revient légitimement.
La voie des investigations cliniques était désormais toute tracée.
L'examen de la sensibilité cutanée a fait constater la présence d'une hémia-
nalgésie droite (Fig.3r)).Le goût du côté droit de la langue esta peu près com-
Fii
})lètemcnt aboli. Ovarie des deux côtés, surtout prononcée à droite.
En remontant dans le passé, on apprend que M...guon a commencé en
18S^, c'est-à-dire cinq ans après l'apparition des douleurs fulgurantes tabéti-
tiques, a éprouver ce qu'elle appelle ses crises nerveuses. Ces crises ont persisté
jusqu'à ce jour.
— 161 —
Voi(;i lîi description qu'elle on donne : c'est d'abord un certain malaise dont
elle ne se rend pas bien com[)te, mais où domine un sentiment de tristesse ;
puis surviennent des battements intenses au creux épigastrique d'où part
bientôt la sensation de « quebiue chose» qui monte dans la gorge et « l'étran-
gle ». Des cris, des sanglots, l'émission de larmes abondantes terminent la
scène. Pas de perte de connaissance ; pas de mouvements convulsifs dans les
membres. Ces crises, autrefois, revenaient tous les mois environ. Elles se
sont dans ces derniers temps rapprochées sans changer de caractère.
Lorsque, en dehors des crises, on exerce une pression surla région ovarienne
droite, la malade ressent ces mêmes battements épigastriques, cette même
sensation d'un corps étranger remontant vers la gorge, qu'elle décrit à propos
de ses crises spontanées.
Voilà une description qui certes n'a pas besoin de commentaires : elle
ne permet pas, en tout cas, de confondre les crises en question avec les
attaques épileptiformes qui se montrent parfois dans le tabès.
« Ataxie locomotrice et hystérie » : c'est une combinaison qui d'ailleurs
n'est pas inattendue pour vous ; je vous l'ai signalée plusieurs fois déjà Tan
passé dans nos Leçons du mardi ( Voir leçon du 12 juin 1888). Yulpian l'avait
relevée d'ailleurs d'une façon expresse dans ses Leçons de 1879. « L'hystérie,
dit-il, (p. 246) me paraît exercer une influence sur la production de l'ataxie
locomotrice progressive. Il n'est pas très rare effectivement, de constater que
des femmes atteintes d'ataxie ont été auparavant, pendant des années, tour-
mentées par tous les accidents de l'hystérie^ par des accidents convulsifs entre
autres. » Il faut ajouter que dans bien des cas aussi, c'est l'ataxie locomo-
trice qui prend les devants et précède l'apparition de l'hystérie. Est-ce à dire
que, dans cette complication d'événements, il faut admettre que la maladie
nerveuse, ataxie ou hystérie, qui se montre la première en date, joue vis-à-
vis de l'autre le rôle d'agent provocateur ? (1).
Evidemment, il est possible qu'il en soit ainsi dans un certain nombre de
cas: mais il ne faut pas oublier d'un autre côté que les deux affections, ataxie
et hystérie, représentent deux membres de la même famille nosographi({ue,
et qu'il est tout naturel par conséquent qu'elles se montrent coexistantes sur
un terrain particulièrement favorable à l'éclosion de semences de ce genre.
Evidemment il y aurait en pareille circonstance plus qu'une coïncidence for-
tuite ; mais les deux maladies, bien que développées en raison de conditions
communes, n'en évolueraient pas moins individuellement, chacune pour son
compte, sans s'influencer beaucoup mutuellement.
Avant d'en finir avec cette malade, il me reste encore à relever quelques
pomts (pii ne sauraient passer inaperçus. Veuillez remarquer, tout d'abord,
1. Voir G. Gui non : Les agenls provocateurs de l'hystérie. Thèse de Paris, 188*.\ p. 219 et suiv.
— 162 —
qu'il s'agit chez elle d'un cas d'hystérie tardive, sénile même, pourrait-on dire,
car on ne saurait guère invoquer ici l'influence provocatrice de la ménopause.
Les premiers symptômes d'hystérie, en effet, ont paru àlage de cinquante-
deux ans ei déjà à cette époque les règles avaient disparu complètement
depuis quatre ans. Il y a bien eu,vers cette époque-là, explosion de quelques
accidents nerveux, tels que, étourdissements, nausées, bouffées de chaleur
alternant ave€ des frissonnements ; mais ce sont là des accidents vulgaires et
qui peuvent se manifester sans accompagnement d'aucune tendance hystérique.
L'hystérie, faut-il ajouter, s'est développée chez notre malade en dehors de
toute intervention connue, d'une cause provocatrice quelconque ; les symp-
tômes tabétiques, lorsqu'elle s'est produite, continuant leur marche progres-
sive sans exaspération notable. Pas de causes morales, pas de chagrins, pas
de chutes, pas de traumatismes. A la vérité, les marques d'une prédisposition
accentuée ne font pas défaut dans l'histoire des antécédents personnels de
notre malade et c'est une circonstance à faire valoir dans l'étiologie de
l'ataxie locomotrice aussi bien que dans celle de l'hystérie. M. ..gnon a été
très faible, très délicate dans son enfance. Elle a uriné au lit jusqu'à l'âge de
seize ans; elle s'est toute sa vie montrée émotive à l'excès, elle fond en larmes
à l'occasion de la moindre contrariété, quand elle entend un morceau de
musique funèbre où lorsqu'elle voit passer un enterrement ou encore lors-
qu'elle assiste à la communion d'une jeune fille, etc. Pour ce qui est des anté-
cédents héréditaires, les chemins pour la recherche sont absolument coupés
de ce côté-là. M. ..gnon, en effet, est un enfant de l'hospice de Yalognes ; elle
n'a jamais connu ni son père ni sa mère. Il est vrai que cette qualité d'être
issue de « parents inconnus » équivaut presque nécessairement au privilège
de l'hérédité nerveuse.
2« Malade.
La seconde malade qui va nous occuper n'est paè sans présenter de nom-
breuses analogies avec la précédente. Il s'agit en effet, là encore, d'une com-
binaison de l'hystérie avec une affection organique bulbo-spinale, à savoir la
sclérose en placpies. Seulement ici, c'est l'hystérie quiparaitau premier abord
dominer la situation et masquer l'autre élément nosographique. Une fois de
ldus,r;malyse de notre cas pourra servir à mettre en évidence le rôle éminent
— lorî
I
que peut jouer l'examen opiilhalmoscopique, méthodiquement conduit dans
Télucidation de problèmes diaguosticiues souvent fort complexes et, autrement,
bien difficiles à déljrouiller.
Avant d'entrer en inatière je crois utile de vous rappeler, dans un aperçu
sommaire, en les comparant les uns aux autres, ce pie sont les divers symp-
tômes oculaires qui contribuent h caractériser nosographiquement l'hystérie
d'un côté^ l'ataxie locomotrice et la sclérose en plaques, de l'autre ; notre
tâche se trouvera, je pense, singulièrement facilitée par l'examen du tableau
synopti(jue que j'ai placé sous vos yeux.
TABLEAU SYNOPTIQUE DES SYMPTOMES OCULAIRES
DANS LE TABES, LA SCLÉROSE EN PLAQUES ET l'hVSTÉRIR
a. Appareil moteur de
œil.
ï
Troubles pupillaires.
Image oplhalmoscopiquc
de la papille.
Troubles fonctionnels
consécutifs à l'affection du
nerf optique ou à celle des
centres visuels.
Tabès (Ataxie locomo-
trice). — Paralysie par lé-
sion d'an nerf moteur de
l'œil (noyau bulbaire ou
nerf périphérique). Diplo-
pie consécutive.
Signe de Vincent, Coingt
et Argyll Robertson: Insen-
sibilité à la lumière, conser-
vation du réflexe pour
l'accommodation.
Atrophie nacrée de la
papille (Atrophie tabétique).
1» Rétrécissement con-
centrique, inégal du champ
visuel.
2» Achromatopsie et dys-
chromatopsie tabétiques.
Elle porte sur le vert et le
rouge d'abord. Le jaune et
le bleu conservés jusqu'au
dernier terme.
3° Cécité fatalement pro-
gressive et portant sur les
ieux yeux.
Sclérose en plaques :
1° Paralysies dans les
mouvements associés des
yeux, néccssaii-ement bino-
culaires et de cause cen-
trale, — diplopie spéciale
consécutive.
2'' Nystaymus.
— Dans quelques cas
Myosis sthcnique.
2*^ cas. -4. Simple déco-
loration de la papille.
B. Névrite optique et atro-
phie blanche consécutive.
(Cas d'Eulenbourg, de
Gnauk).
1° Répondant au cas A :
Amblyopie ou cécité tem-
poraires.
2° Répondant au cas B :
Rétrécissement inégal et
achromatc'psie comme dans
l'ataxie.
Amblyopie et cécité du-
rables, non fatalement pro-
gressives.
IlYSTÉriiE :
1° Quelquefois paralysies
associées,
2» Spasmes des paupières.
3" Diplopie monoculaire,
micropsie et macropsie
(Parinaud).
0. 0.
U. 0.
1* Rétrécissement régu-
lièrement concentrique por-
tant sur un seul œil ou sur
les deux.
2° Dyshromatopsie repré-
sentée par un simple rétré-
cissement du champ ' isuel
pour les couleurs.
Assez souvent la notion
du rouge persiste seule,
colle de toutes les autres
couleurs ayant disparu.
3" Amblyopie ou cécité
transitoires.
— 164 —
Ce sont, vous Tavez compris, les symptômes oculaires de la sclérose en pla-
ques qu'il s'agit particulièrement de mettre en relief à propos de notre cas,
en les comparant à ceux qui appartiennent à l'hystérie. Mais il ne sera peut-
être pas inutile, pour mieux fixer votre attention, d'accuser des contrastes en
faisant figurer dans cette comparaison les symptômes oculaires tabétiques. 11
ne saurait être question ici, remarquez-le bien^ que d'une esquisse à traits
rapides et non d'une étude régulière. Un des troubles oculaires classiques
dans la sclérose en plaques, en tant qu'il s'agit des fonctions musculaires de
l'œil, c'est le nystagmus. Or, vous savez que ce symptôme ne se voit guère
dans le tabès, si ce n'est dans certains cas rares, vraiment exceptionnels, étant
mise à part, bien entendu, l'ataxie dite héréditaire (maladie de Friedreich)
dans laquelle, au contraire, le nystagmus est fréquent; mais vous n'ignorez
pas que cette dernière maladie est, nosographiquement, nettement séparée de
l'ataxie locomotrice progressive.
La diplopie, dans l'ataxie est, dans la règle, la conséquence de la paralysie
d'un des muscles moteurs de l'œil; dans la sclérose en plaques, au contraire,
elle est surtout liée à une paralysie des mouvements associés des deux yeux.
Une diplopie de même origine se voit assez souvent dans l'hystérie; mais dans
celle-ci, c'est plus particulièrement la diplopie monoculaire qu'on observe et
il importe de remarquer que ce symptôme-là n'appartient ni à l'ataxie ni à la
sclérose en plaques.
Le signe d'Argyll Robertson appartient exclusivement à l'ataxie. Rien de
semblable dans l'hystérie, non plus que dans la sclérose en plaques où l'on
observe par contre quelquefois un myosis spasmodique, myosis qui peut
s'exagérer encore^ quelque prononcé qu'il soit déjà, sous l'action des rayons
lumineux (Parinaud). Les symptômes hystériques ne reconnaissent pas, vous
le savez, de lésions organiques appréciables: c'est une loi qui s'applique aussi
bien, dans l'hystérie, aux symptômes oculaires qu'à tous les autres. De fait, il
n'y a pas de lésion du fond de l'œil, appréciable à l'examen ophthalmosco-
pique dans l'amblyopie ou dans l'amaurose hystériques.
Il est est tout autrement dans l'amaurose tabétique. C'est alors qu'on observe
cette image ophthalmoscopique, si spéciale, si caractéristique en général,
qu'on désigne quelquefois sous le nom de papille nacrée, atrophie nacrée de
la papille, papille tabétique. L'aspect papillaire est différent dans la
forme vulgaire, essentiellement transitoire de l'amaurose liée à la sclérose en
pla([ues. L'ophthalmoscope, en pareil cas, ne montre qu'une légère décolora-
tion de la papille. Il n'en est plus de même lorsque par exception, — cette
exception a été plusieurs fois signalée, en particulier par M. Eulonbourg et
par M. Gnauck, — il n'en est pas de même, dis-je, lorsque l'amaurose, dans la
sclérose en placiues, est la consé([uence d'une névrite optique. Alors, même
quand la lésion du nerf en est arrivée à la période atrophique,il est générale-
ment facile encore de distinguer la papille d'un hiaiir mat, aux bords nébu-
— ic^:^ —
leuxqui marque la névrite opti(iue, de la papille nacrée aux liunJs nets et tran-
chés qui distingue la forme tabétifjue. N'oubliez pas le i)ronostic fatal qui
s'attache à la constatation de l'existence d'une papille tabétiqne; l'amblyopie
qui en est Taccompagnement symptomatique marche, quoiqu'on fasse, néces-
sairement à la cécité complète, absolue, et de cette cécité-là, on ne sort jamais.
11 n'en est pas tout à fait de même des troubles visuels liés à la névrite r)ptir[ue
dans la sclérose en plaques. Sans doute, trop souvent ils aboutissent eux aussi
à la cécité permanente, irréparable, mais c'est là une triste conséquence qui
n'est pas aussi fatalement inévitable que dans le cas du tabès. Il peut y avoir,
cette fois, des atermoiements ou mieux encore des retours plus ou moins
prononcés vers l'état normal et peut-être le médecin n'estil pas aussi complè-
tement désarmé.
L'examen campimétrique et la recherche de l'état de la vision pour les cou-
leurs peuvent eux aussi fournir, dans la catégorie qui vous occupe, de pré-
cieux éléments de diagnostic. Le rétrécissement régulier et concentrique du
champ visuel de l'hystérie contraste évidemment d'une manière frappante
avec le rétrécissement inégal qui se voit dans l'atrophie tabétique et aussi
dans les périodes avancées de l'atrophie par névrite optique. Il faut ajouter
que l'achromatopsie qui se lie aux deux dernières affections du nerf optique
n'est pas la même, si l'on peutainsi parler, que colle qui se voit dans l'hystérie.
Dans cette dernière, en effet, il est fréquent de voir la notion du rouge survivre
seule alors que celle des autres couleurs est complètement effacée; tandis que
dans les deux premiers cas c'est nécessairement la notion du rouge et celle du
bleu qui persistent^ après que la notion du vert et ensuite celle du rouge ont
successivement disparu. Tels sont, messieurs, les quelques faits que je tenais
à vous rappeler avant d'entrer dans l'exposé de notre cas. Vous êtes ainsi, je
l'espèrC;, placés en mesure d'apprécier comme il convient l'intérêt des détails
cliniques qui vont, chemin faisant, se dérouler devant vous.
Il s'agit d'une jeune femme de vingt et un ans, grande, élancée, comme
vous le voyez, et en apparence bien constituée. Les antécédents héréditaires
signalent plutôt l'influence arthritique; son père est atteint de la gravelle : elle
a un oncle maternel qui souffre de la goutte. La névropathie toutefois ne fait
pas défaut dans son arbre généalogique, car sa mère, morte de phtisie pul-
monaire, était sujette à des crises nerveuses, sans perte de connaissance.
Les antécédents personnels ne sont pas sans intérêt. Les tendances névropa-
thiques de notre malade se manifestent de bonne heure : étant i)elite,elle était
sujette à de violentes crises de colère ; à la moindre contrariété, à la moindre
réprimande, elle se roulait à terre en criant, en agitant ses membres d'une
façon désordonnée. Souvent, pour la calmer, on était obligé de lui projeter de
l'eau sur la figure ou de lui faire prendre du sirop d'éther. Ces crises, avec
l'âge, ont disparu pour faire place, en quelque sorte, à de véritables crises
— 166 ^-
hystériques. Elle avait aussi autrefois des tics nerveux consistant en mouve-
ments brusques des muscles de la face et du cou, lesquels tics ont également
disparu.
C'est à l'âge de dix-huit ans qu'ont commencé à paraître les crises hystéri-
ques bien formulées. D'abord relativement légères et rares, elles ont pris, en
septembre 1887, une plus grande intensité et se sont montrées fréquentes. La
menstruation, jusque-là normale, s'est arrêtée, à cette époque. Après avoir
séjourné à l'Hôtel-Dieu pendant quelques mois, la malade a été admise à la
Salpêlrière en mars 1888, dans le service de la Clinique. Il s'agit chez elle d'at-
taques de grande hystérie avecles phases classiques et bien marquées, à savoir :
aura régulière puis arc de cercle et grands mouvements, — la phase épilep-
toïde fait défaut — et, enfin, attitudes passionnelles. La durée des séries de
crises ne s'étend pas au delà d'une demi-heure, trois quarts d'heure. Elles se
reproduisent habituellement trois ou quatre fois la semaine.
La recherche des stigmates a fait reconnaître l'existence d'une double
ovarie et d'une hémianesthésie cutanée gauche vulgaire avec anosmie gauche
(voir le schéman"3G) (l).Mais appliquée à l'étude des fonctions oculaires, elle
devait révéler toute une série de faits inattendus et conduire ainsi à démasquer
l'afTection organique, qui jusque-là s'était tenue dissimulée derrière les mani-
festations hystériques. Et d'abord, dans cet examen, s'offre en i)remier lieu
un nystagmus parfaitement caractérisé qui suffit pour donner l'éveil et
nous engage à entreprendre une étude approfondie des fonctions oculaires.
Le regard vague, incertain qui frappe lorsqu'on examine la physionomie de
la malade avec quelque attention, tient à l'existence d'un certain degré de
parésie des mouvements associés de l'œil, laquelle parésie entraine avec elle
de la diplopie. La diplopie par parésie des mouvements associés est un
symptôme qui peut se voir dans l'hystérie; mais lorsque les choses vont
jusqu'à produire le « vague », l'incertitude du regard, c'est très vraisem-
blablement de la sclérose en plaques qu'il s'agit.
Les réflexes pupillaires sont normaux : pas de myosis spasmodique, pas
traces du signe d'Argyll-Robertson. Polyopie monoculaire : c'est là incontesta-
blement, dans les conditions où on l'observe chez notre malade, un symp-
tôme hystérique.
Décoloration atrophique de la pupille, par névrite optique dans les deux
yeux : voilà certes qui n'est pas hystérique.
Nous serions donc en présence d'un de ces cas de sclérose en i)laques peu
nombreux encore (cas d"Eulenbourg et de Gnauk) où la sclérose multilocu-
laire des centres nerveux s'accompagne de névrite optique.
1. An MUMiib-c sii])t'noui' Kauche, l'aneslhésio cutanée est coinpliqiit'e d*aiio>lhrisio profonde.
La malade a perdu, les yeux lernu^s, la notion de la posLlon imprimée à ce membre ou à ses
divers segmentsi.
— 167 —
A cette révélation fournie par l'examen ophthalmoscopique correspondent
les faits suivants: a Rétrécissement très prononcé du cliamp visuel, dans les
deux yeux, mais rétrécissement inégal, limité par des bords dentelés, rappe-
lant ce qu'on voit dans Tataxie. Il ne saurait donc être question ici^ vous le
Pig. 36.
voyez, de ce rétrécissement concentrique et régulier qui, dans l'hystérie à
stigmates, constitue en quelque sorte un symptôme banal ; />, Acuité visuelle
dans l'œil droit 1/4, à gauche 1/6 (voir le schéma n° 37). Les résultats précé-
dents ont été obtenus dans un examen fait le 28 mars 1888.
Ces jours-ci, 5 décembre 1888, un nouvel examen a montré ce qui suit
(Voir le schéma n° 38) :
24
— 168
Le rétrécissement du champ visuel est beaucoup plus prononcé, surtout à
droite, qu'il ne l'était il y a dix mois. L'acuité visuelle, elle aussi, a faibli
D G
90 Nai soi
Pig-. 37. -
D
Le champ visuel pour le rouj^e.
— pour le bleu.
G
Fig. 38. — mm m, m , <m =z Lo cliamp visuel pour le rouge.
considérablement puisqu'elle n'est plus représentée que par 1/30" à droite,
l/'iO" à gauche. On note que depuis le mois de mars la malade a eu, à plu-
sieurs reprises, des phases d'amaurose plus ou moins absolue : ainsi le ven-
— 100 —
(Ircdi '.\0 novembre, oll<; a été prise presque su hitenient d'une cécité compléle
f[ui l'a foreée de rester aliter; ce jour- là : le leude-nutin matin, elle ne distiri-
guitit (jue diflicilemeiit les objets. Ces symptômes avai<.'nt é'té accompagnés (;t
suivis d'une forte céphalalgie. Ces phases d'empirement temporaire de i'am-
blyopie sont-elle's le fait de l'hystérie ou de la sclérose multiloculaire ? cela
me parait difficile à d(''cid(;r: eu tout cns, il y a là un contraste Happant avec
les allures fatalement progressives de Taniaurose tabétique.
Il me reste à vous parler de bi dyschromatopsie qui, dans ce cas particulier
a présenté des particularités dignes d'être notées.
No/e du 2S mars. — H y a dans les deux yeux achromat(jj)sie p(jur tout(i>
les couleurs, à l'exception du bleu et du rouge, et, chose remarquable, con-
formément à ce qui se voit très vulgairement dans l'hystérie, surtout chez la
femme, le cercle de la vision pour le rouge est plus étendu que celui de la
vision [)onr le bleu. On sent là, si l'on peut ainsi parler, l'influence de
l'hystérie et cette influence, on peut le dire, se maintient jusqu'à la dernière
limite, car dans l'examen du 5 décembre, rachromatoi)sie étant devenue
complète pour l'œil droit, on note que le rouge est désormais la seule couleur
qui soit perçue par l'œil gauche.
Voici donc sur un même sujet un nnUange, une intrication, si vous vcjulez,
évidemment fort remarquable, de symptômes oculaires dont les uns appar-
tiennent à l'hystérie, les autres à la sclérose en plaques.
Mais vous venez de voir que si ces divers symptômes se montrent entrenuM^s
ils ne sont point confondus cependant et qu'il est permis par l'analyse clinique
de faire la part de chacun des deux groupes.
Quoi qu'il en soit, Messieurs, il importe de le rappeler encore une fois, c'est
la découverte des symptômes oculaires que vous savez qui nous a amené a
reconnaître que, derrière l'hystérie se cachait, chez P...et, la sclérose
multiloculaire des centres nerveux. L'examen de revision du complexus que
nous avons dû entreprendre, à la suite de cette révélation, n'a fait qu'établir
plus solidement encore l'existence de l'afTection organique cérébro-spinale
dont il s'agit.
C'est ainsi que nous avons été conduit à mettre en valeur dans l'examen de
notre malade toute une série de phénomènes- qui autrement seraient restés dans
l'ombre. A l'âge de 18 ans, c'est-à-dire antérieurement au développement des
symptômes hystériques, P. . . et avait constaté déjà que sa vue faiblissait , et (pie la
lecture lui devenait difficile: « à chaque instant, elle perdait la ligne > ; il lui
semblait que « les lettres dansaient » par moments de droite à gauche, et de
gauche à droite. — De temps en temps, elle était prise de diplopie. — Peu de
temps après, la démarche devient titubante ; elbî marche t comme une femme
prise de boisson ». De 18 à ^0 ans^, la difiîculté de la marche a été beaucoup
plus prononcée qu'elle ne l'est actuellement. P... et était alors obligée de se
— 170 —
tenir aux meubles. Plusieurs fois elle a eu des vertiges et une fois, elle est
tombée, etc., elle a été un instant inconsciente (1). Vers la même époque, elle
a éprouvé dans la main gauche un tremblement qui se manifestait lorsqu'elle
voulait porter un verre ou une cuiller à sa bouche.
Quelques-uns de ces symptômesqui ré vêlent la sclérose multiloculairesesont
notablement amendés, depuis que l'hystérie s'est développée et semble avoir
pris le dessus. Cependant, en outre du nystagmus et des divers phénomènes
oculaires dont il a été question plus haut, on peut relever encore aujour-
d'hui une démarche titubante, moins accentuée à la vérité qu'autrefois, et le
tremblement intentionnel très manifeste dans le membre supérieur gauche.
Les réflexes tendineux rotuliens et ceux de l'avant-bras sont exagérés; il n'y a
pas, aux membres inférieurs, de trépidation spinale provoquée.
Bien qu'elle soit une affection organique, ces amendements temporaires de
divers symptômes ne sont pas rares, tants'en faut, dans la sclérose en plaques,
et ils constituent même jusqu'à un certain point un des caractères cliniques
de la maladie. Ils peuvent se produire, vous le savez, — car c'est un point sur
lequel j'ai, dans mes leçons^ l'habitude d'insister, — ils peuvent se produire
à plusieurs reprises dans le cours de Taflection, surtout lorsqu'elle est encore
de date récente: j'ai vu, par exemple, en pareil cas, la paraplégie spasmo-
dique s'amender et disparaître même complètement deux ou trois fois avant
de s'établir d'une façon définitive. Combien de fois ne vous ai-je pas fait recon-
naître que le tremblement intentionnel des extrémités supérieures, après
avoir été très prononcé pendant de longs mois, s'efTace temporairement quel-
quefois pour réapparaître un jour ou l'autre. Ces allures singulières, en tant
qu'il s'agit d'une afléction caractérisée anatomiquement par des lésions
organiques relativement grossières, la rapprochent en quelque sorte clini-
quement de l'hystérie, maladie mobile par excellence, du moins dans bon
nombre de cas, et justement l'analogie que nous signalons ici a pu souvent
rendre le diagnostic fort embarrassant. Mais ce n'est pas tout: ainsi que je
l'ai maintes et maintes fois fait ressortir, il y a entre les deux affections une
sorte d'affinité qui fait qu'on les rencontre très vulgairement combinées l'une
avec l'autre dans des proportions et dans des relations diverses chez un même
sujet. Incontestablement, d'après ce que j'ai vu du moins, lasclérose en plaques
est de toutes les affections organiques des centres nerveux celle qui se com-
bine le plus souvent à l'hystérie (2), et dans cette association, c'est tantôt la
1. A la suite de cette chute, en se relevant, elle était deveuue tout à (ait sourde des deux
oreilles ; elle percevait seulement un bourdonnement continu et un sifflement aigu qui s'est
aiïaibli en môme tcuips que l'ouïe tendait îi se r(''tablir. LV-xamen par M. le U"" Gellé, fait il y a
quelques semaines, a donné ce qui suit : Affection purement nerveuse. Aucune lésion organi-
que,conservation du réllexe binauriculaire et de la motilité normale des appareils de transmis-
sion.Montre h 45 à droite, à 20 h. gauche DV =0 par faiblesse. Réflexes intacts.
2. Yoiv Lcçans du muxli 1888-89. Leçon du 1 1 décembre \%^^,
— m -
première, tantôt la seconde qui ouvre la marche. Rien souvent, j'ai vu les
symptômes propres à la scle'rose nnitiloculaire se dé^a.i^er en (jueUpie sorte au
milieu de symptômes iiystéro-épileptiques préalablement établis de longue
date, et vous voyez par contre, dans le cas qui nous occupe, la sclérose en
pla([ues ouvrirla marche et céder le pas, au moins pour un temps, à Tliystérie.
Voilà certes une association morbide dont le souvenir mérite d'être gravé
dans votre espiit et dont la connaissance dans la pratique vous épargnera bien
des mécomptes.
3' Malade,
On introduit dans la salle du cours un petit garçon d'environ douze ans ; il
est accompagné par sa mère qui le tient sur ses genoux et par un de ses
oncles.
M. Charcot. — On me signale ce cas comme un exemple de chorée molle.
Nous allons voir. — En effet, il s'agit bien de chorée, et de chorée vul-
gaire ; mais les mouvements choréiques sont remarquables par leur lenteur.
11 y a dans les membres, au tronc, au cou, un affaiblissement musculaire plus
prononcé que de coutume: la tête est tombante sur la poitrine ; la station est
fort difficile et la marche impossible. L'enfant ne peut parler. Il éprouve une
grande difficulté à tirer la langue. — Je vous ferai remarquer que les rétlexes
rotuliens sont abolis ; — rien à l'auscultation du cœur.
M. CiiARCOT {A la laère). — Quand a-t-il commencé à s'agiter?
La mère. — Monsieur, il y a trois ou quatre mois ; il y a trois semaines il a
failli être écrasé par une voiture et c'est depuis cette époque qu'il est devenu
comme paralysé. Avant cela, il faisait bien plus de grimaces, mais aujour-
d'hui, vous le voyez, il ne peut plus se tenir.
M. XMkV.ç.oi [Aux auditeur s). — Je vous ai bien des fois parlé deschoréesmolles
et je vous ai fait remarquer que la paralysie véritablement choréique ne paraît
pas avoir de gravité.
(A la mère) : Cet enfant dort-il ?
La mère. — Très peu, monsieur; — ses nuits sont fort agitées et il est
devenu triste, indolent, depuis qu'il a ses mouvements.
— 17^2 —
M. Charcot. — A-t-il eu des rhumatismes articulaires; a-t-il souffert dans
les jointures ?
Lamèhk. — Non, monsieur, il n'a jamais été malade auparavant; il n'a
jamais souffert dans les jointures.
M. CnARCOT (A la mère). — Connaissez-vous bien votre famille et celle de votre
mari? Connaissez-vous quelqu'un de vos parents qui ait souffert de quelque
affection nerveuse, de la goutte, du rhumatisme ?
La mèke. — Ma mère, monsieur, a eu la chorée à l'âge de douze ans; elle a
été toute sa vie triste, taciturne.
M. Cmarcot. — C'est tout ?
La mkrk. — Oui, monsieur, de mon côté. — Vous connaissez son père. — Il
a été atteint à ^7 ans d'ataxie locomotrice. — C'est vous qui l'avez soigné :
Voici l'ordonnance que vous lui avez donnée. Il est mort à 43 ans, au
mois de sepiombre dernier, des suites de ce que Ton a appelé une méningite.
Il déraisonnait. Il ne savait plus ce qu'il disait.
M. CriARcoï. — S'est-il agi là d'une combinaison de paralysie générale i)ro-
grcssive avec l'ataxie? C'est on ne peut plus probable.
(A l'oncle du malade) : C'était votre frère. Vous devez bien connaître sa
famille : y avez-vous connu des malades ?
L'oncle. — Un autre de mes frères âgé de quarante-cinq ans, bien portant, a
eu, à plusieurs reprises, des douleurs dans diverses jointures sans être jamais
obligé de garder le lit. Notre mère était l'humatisante : elle avait les doigts
tout déformés, tout tordus.
M. Charcot. — Tout cela, Messieurs, est singulièrement significatif. Je vous
fais remarquer, une fois de plus (1), puisque l'occasions'en présente, comment
dans l'arbre généalogique de cet enfant, la diathèse nerveuse occupe une
large place à côté de l'arthritisme.
1. \o\r Polirlini(/îie ISS8~S9, 2*= lefM3n, p. 47,
IMP. NOIZICTIK. 8. nVV. CAMl'AtlNK-l'KKMlDUK, PARIS.
Policlinique du Mardi 18 Décembre 1888
NEUVIEME LEÇON
1^^ Malade. — Femme de 47 ans. Autrefois paraplégie par
mal de Pott; la guérison date de vingt ans. — A Tépoque
de la ménopause apparition d'accidents hystériques^ simu-
lant un retour du mal vertébral et de la paraplégie.
2° Malade. — Simulation hystérique du mal de Pott chez
un garçon âgé de 24 ans.
1'" Malade.
Vous avez devant les yeux une vieille connaissance à nous. Il y a plus de
vingt ans, en effet, que j'ai donné des soins, pour la première fois à cette
malade, dans cet hospice même, dont, depuis lors, elle n'estjamais sortie. C'était
en 1869 ; elle avait été admise à la Salpêtrière comme atteinte de paraplégie
consécutive au mal de Pott et son cas avait été considéré comme incura-
ble. De fait, j'ai connu cette malade complètement paralysée des mem-
bres inférieurset, en conséquence, rigoureusement confinée aulit pendant plus
d'un an. L'issue du cas a montré que le verdict d'incurabilité prononcé con-
tre elle était beaucoup trop sévère. Elle a guéri en effet dumal de Pott, comme
on guérit de ce mal, c'est-à-dire conservant pour toujours la gibbosité carac-
téristique ; mais, pour ce qui est de la paraplégie, elle a disparu sans laisser
de traces, du moins en apparence. Toujours est-il que, depuis 1870,1a malade
se tient debout sans fatigue, marche aisément, fait même de longues courses
en dehors de la maison ; elle est occupée chez un employé de l'hospice
comme domestique et nous savons qu'elle n'a cessé, jusque dans ces derniers
temps, de remplir avec zèle et exactitude ses fonctions.
Voici, du reste, l'histoire des phénomènes pathologiques qui ont été relevés
25
— 176 —
chez notre malade, dans les antécédents d'abord, puis dans le temps où elle
a commencé à souffrir du mal de Pott, enfin en 1869, époque à laquelle elle aété
soumise, pour la première fois à notre observation dans l'infirmerie de l'hos-
pice.
Rien de fort remarquable à noter dans les antécédents héréditaires : père,
mort à 52 ans, d'une maladie du cœur ; mère morte « hydropique » ; deux
sœurs bien portantes.
Originaire de la Manche, elle est venue à Paris en 1864 et elle a servi comme
domestique ; elle avait alors 23 ans. Elle n'avait, dans son pays, jamais eu de
maladies graves, elle n'était point nerveuse, elle n'avait jamais eu d'attaques
de nerfs ; elle se plaignait seulement de temps en temps de migraines.
Quelques semaines après son arrivée à Paris, elle devint souffrante^
au point d'être obligée d'entrer à l'hôpital ; elle était pâle et se plaignait
de palpitations de cœur intenses. Il y avait un peu d'œdème aux membres,
inférieurs ; <^ chloro-anémie très accentuée », tel est le diagnostic qu'elle a
alors entendu prononcer autour d'elle.
Pendant son séjour à la Charité, elle contracta une fièvre typhoïde qui pa-
rait avoir été assez sérieuse et qui l'a tenue au lit pendant environ deux mois.
A partir de cette époque, elle n'a plus cessé pendant longtemps d'être ma-
lade ; elle put reprendre son travail cependant, et le continuer jusqu'en 1866
mais elle se sentait toujours fatiguée et était devenue très sujette aux « bron-
chites. »
C'est en 1866 que se sont montrés les premiers symptômes du mal de Pott.
Douleurs vives dans le dos, dans les reins, autour de la ceinture puis, incurva-
tion lente de la colonne vertébrale au niveau delà région dorso-lombaire,
enfin affaiblissement des membres inférieurs, augmentant progressivement et
aboutissant, au dernier terme, à une impuissance très prononcée.
La malade dut, en conséquence, demander de nouveau son admission à
l'hôpital. Elle séjourna d'abord à Saint-Antoine dans le service de Lorrain jus-
qu'en 1867, puis de nouveau à la Charité, en 1868, dans le service de Pidoux ;
c'est de là qu'elle fut, en 1869, envoyée à la Salpêtrière comme incurable.
A cette époque, la paraplégie était complète, ainsi que nous l'avons dit déjà:
c'était, suivantlarègle enpareilcas, d'une paraplégie spasmodique qu'ils'agis-
sait. La trépidation par redressement de la pointe du pied (ce qu'on appelle
aujourd'hui le phénomène du piod) était entre autres très marquée (1) ; pas
de troubles marqués de la sensibilité dans les membres inférieurs. De temps
en temps, il s'était produit un peu de rétention d'urine. Les douleurs en cein-
I
i. Il n'est |);is question dans l'observa 'ion du iliènoinènc du i,''onou, lequel, dans ce temps
là, n'était point connu, mais il n'est g-uèi-o douteux que, s'il eùl l'-lé mis eu jeu, le réilexc l'oîu-
lien se fût inonlrô exagéré.
— 177 —
ture,bien qu'arneiid(';es d'une façon g»inéralo dans lo?dernierstemps, reparais-
saient de temps à autre.
Le traitement mis en œuvrera consisté surtout dans l'application répr-tôo cinq
ou six fois, à des intervalles de trois semaines on un mois, de petites pointes de
feu, sur les divers points del'incurvation spinale. Soit parle fait du traitement,
soit par toute autre influence, les symptômes de paraplé^'ie commencèrent
bientôt à s'amender progressivement, en même temps du reste que la rétention
d'urine et que les douleurs thoraciques. En juillet 1870, la malade était sur
pied, et, en août, la guérison étant considérée comme complète ou à peu près,
elle quittait l'infirmerie pour aller occuper d'abord une place dans un dor-
toir de femmes valides, puis pour entrer un peu plus tard au sersice d'un
employé de l'hospice. Elle en était quitte pour la gibbosité qu'elle porte encore
aujourd'hui. Elle était, comme je l'ai dit en commençant, restée absolument
confinée au lit pendant plus d'un an. Les premiers débuts de la paraplégie
remontaient alors à près de trois années.
Ici commence, messieurs, la seconde partie de l'histoire de notre sujet. Elle
s'étend de 1870 à l'époque actuelle.
Depuis 1870, donc. Rose B...ot — c'estainsi qu'elle se nomme — marche libre-
ment dans les cours de la maison, qui sont fort grandes comme vous savez, pour
y remplir son office de servante ; elle sort même souvent de l'hospice pour faire
dans Paris de longues courses. Plusieurs fois, par exemple, elle s'est rendue à
pied de la Salpetrière aux Ternes ce qui représente vous l'avouerez une bonne
course. Et, messieurs, pendant cette longue période de dix- neuf années, il n'y
acuà observer rien d'anormal dans sa démarche. Je puis le garantir, ayantsaisi
maintes fois pendant cette longue période de temps, presque chaque année une
fois, l'occasion de présenter B...otà la leçon clinique comme un exemple de
paraplégie par mal de Pott suivi de guérison. Point de raideur, appréciable à
l'œil^ dans les membres inférieurs qui se séparent aisément l'un de l'autre et
ne tendent pas à rester accolés : pas de frottements des pieds sur le sol à cha-
que pas ; pas de tendance à se dresser sur la pointe des pieds, comme cela se
voit dans un grand nombre des cas de paraplégie spasmodique, etc., etc.
Comment comprendre qu'une paraplégie spasmodique évidemment causée
parla compression lente de la moelle épinière, compression qui nécessaire-
ment, autant qu'on sache, a produit dans le cordon nerveux, au niveau du point
comprimé, les lésions de la myélite transverse, comment comprendre, dis-je,
qu'une paraplégie de ce genre datant de trois ans, et, ayant persisté au plus
haut degré pendant une période d'une année puisse guérir ainsi sans laisser de
traces apparentes? C'est là un point sur lequel je me réserve de revenir dans
un instant. Dans le moment, je m'empresse de relever immédiatement,
messieurs, que cette intégrité, qu'on pourrait croire absolue, des membres infé-
rieurs n'est en somme qu'une apparence trompeuse. Oui, la paraplégie spasmo-
dique persiste en quelque sorte à l'état rudimentaire chez ces malades qui parais-
— 178 —
sent bien complètement guéries de la compression spinale par mal de Pott. Cette
paraplégie latente^ si l'on peut ainsi parler, peut en effet, comme cela s'est
vu chez B. ..ot,ne se manifester, par aucune anomalie dans la démarche et se
révéler cependant à l'aide de certaines explorations propres à mettre en lu-
mière des indices significatifs. C'est ainsi que constamment, chez B...ot, toutes
les fois que, depuis vingt ans, j'en ai fait l'objet d'u-ne démonstration, j'ai
constaté l'existence dans les deux membres inférieurs d'une trépidation par
redressement de la pointe du pied (phénomène du pied) assez prononcée et
depuis que j'ai appris à connaître le signe de Westphal, une exaltation très
manifeste de la secousse produite dans la jambe par la percussion des tendons
rotuliens. Cesphénomènes persistent d'ailleurs, tels que je les ai vus jusqu'ici,
aujourd'hui encore. Ainsi vous constatez chez notre malade la trépidation
assez marquée produite par le redressement de la pointe du pied, mais vous
remarquez surtout comment chaque percussion du tendon rotulien est suivie
de trois ou quatre secousses brusques d'extension de la jambe, et si les per-
cussions sont répétées rapidement un certain nombre de fois, vous voyez,
à un moment donnée la jambe rester étendue sur le genou qui devient
pour un temps rigide, le membre entrant ainsi en état de contracture spas-
modique.
Eh bien, messieurs, je dis pour l'avoir maintes fois cliniquement reconnu
que lorsque les choses sont ainsi, quel que soit du reste le genre de l'affection
spinale dont il s'agisse (1), la paraplégie spasmodique existe réellement^ en
puissance, à l'état d'opportunité, comme l'a dit M. Brissaud et qu'il suffira
souvent d'une cause excitatrice, en apparence fortuite, pour faire que la rigidité
permanente se réalise définitivement sous une forme plus ou moins accentuée.
Combien de fois, en effet, n'ai-je pas vu « la contracture latente » des membres
inférieurs devenir rapidement contracture «effective», à la suite d'une chute sur
le membre prédisposé, sous l'influence d'une irritation cutanée en apparence
banale de ce membre telle que l'application d'un vésicatoire, ou encore en
conséquence d'une faradisation intempestive, de la percussion produite par
une douche lancée à jet plein, ou enfin par le fait de l'intervention de la stry-
chnine donnée à contretemps.
Ainsi, messieurs, les sujets qui paraissent guéris d'une paraplégie par
compression ne sauraient jouir en réalité le plus souvent peut-être, malgré
toute l'apparence contraire, que d'une sécurité précaire : mille circonstances
contingentes les menacent, qui peuvent, à un moment donné, changer le
tableau en déterminant le retour de l'impuissance motrice. De toutes ces
éventualités il est bon, je pense, que le malade soit prévenu, afin qu'il ap-
prenne à les éviter, et a fortiori, il importe que le médecin ne les ignore
\. La niê.iuî reiuarquc s'applique aux cas d'héiniplégie de cause ct'^rébralc.
— 179 —
point. C'est là, du reste, un sujet sur lequel j'ai plusieurs fois appelé l'atten-
tion dans mes Leçons sur Irs localisalinns dans 1rs maUidics du cerveau et de la
moelle rpinlère (Varis, 1870, 1880; voir en particulier pp. .'JiO et suivantes).
Vous consulterez également avec fruit sur ce même sujet, un travail de
M. Ch. Féré inséré dans le quatrième volume des Archives de I\eurologie
(Paris 1882 p. (il).
Ce n'est pas uniquement, messieurs, en vue de relever les faits qui précèdent
quelque intéressants qu'ils soient, que je vous présente aujourd'hui notre
malade.
J'ai voulu surtout appeler votre attention sur des accidents survenus chez
elle récemment; lesquels accidents ont pu faire craindre une récidive du mal
vertébral et consécutivement, un retour de la compression spinale. Ainsi, ce
processus morbide, éteint depuis près de 20 ans, se serait réveillé dans ces
derniers temps, et rendu manifeste par un nouveau retour agressif. Voici
d'ailleurs, ce qui s'est passé. B ot qui, je le répète, pendant de longues
années, n'avait dû s'arrêter, dans son service de domestique, que pour des
indispositions tout à fait indépendantes de la maladie spinale, est venu nous
trouver ces jours-ci se plaignant de douleurs vives dans le dos, autour de la
base de la poitrine; douleurs comparables, disait-elle, à celles dont elle avait
souffert autrefois ; et, en même temps, elle avait senti ses jambos s'affaiblir et
devenir raides comme dans l'ancien temps, au point que la marche lui était
devenue très difficile. J'avoue qu'au premier abord, à entendre ce récit,
notre impression avait été plutôt défavorable et nous nous sentions disposés
à partager entièrement les craintes de la malade. Un examen plus attentif
devait bientôt nous rendre plus réservés, et c'est justement l'exposé des motifs
qui ont dissipé en grande partie nos craintes, que je tiens à vous faire con-
naître à présent.
Mais avant d'en arriver à ce point, je crois utile de vous remettre en mé-
moire quelques détails relatifs à la physiologie pathologique et à la sympto-
matologie de la compression lente de la moelle épinière dans le mal de Pott.
Chose remarquable, bien que ce soit là une maladie éminemment vulgaire,
on est resté bien longtemps sans s'entendre sur le mécanisme suivant lequel
la moelle est affectée dans le mal de Pott. On sait comment dans une disser-
tation inaugurale fort remarquable, un de mes anciens internes, le regretté
Michaud, a puissamment contribué à combler ce desideratum (1).
Avant lui, on admettait en général sommairement, que la paraplégie résulte
en pareil cas de la courbure exagérée,, souvent anguleuse que présente le
1. Voit' Churcot. Leçons sur les malades du système nerveux. T. II p. 03. Delà compression
lente de la moelle épiaii^re.
— 180 —
canal rachidien lorsqu'une ou plusieurs vertèbres se sont affaissées sur elles-
mêmes. Mais, ainsi que Boyer et Louis l'avaient constaté, la paraplégie peut
disparaître, alors que la courbure persiste au même degré. En second lieu, la
paraplégie par mal de Pott s'observe parfois sans qu'il y ait la moindre trace
de déformation de la colonne vertébrale ; enfin, et ceci constitue un troisième
argument contre l'opinion autrefois courante, on sait — c'est un point sur
lequel Cruvcilhier a insisté, — que le rachis peut offrir les déformations les
plus extraordinaires, sans que la moelle soit intéressée.
Il paraît établi, actuellement, que dans un certain nombre de casla présence
d'un abcès intrarachidien, qui déplace d'avant en arrière les méninges et la
moelle, — les rapprochant ainsi de la partie postérieure du canal osseux, —
est une des causes de la compression spinale et partant, de la paraplégie.
Ce genre de refoulement n'est pas une simple vue de l'esprit fondée sur des
considérations purement théoriques ; il s'appuie, dit le professeur Lanne-
longue dans un livre excellent dont je vous conseille la lecture attentive, il
s'appuiC;, dis-je, sur des faits cliniques probants (1). La plupart des chirur-
giens, en effet, ont observé parfois qu'après l'ouverture d'un abcès par con-
gestion dans le mal de Pott, la paralysie des membres inférieurs qui existait
auparavantdisparaissail.il semble bien que, dans ces cas, la seule explica-
tion qui rende compte des phénomènes observés est celle qui vient d'être
donnée.
Sans doute, c'est ainsi que les choses se passent dans un certain nombre de
cas. Mais, d'après les recherches poursuivies en commun avecMichaud, voici
quel serait, suivant nous, le mécanisme le plus habituel de la compression
spinale. La substance caséeuse, de provenance osseuse, repousse le ligament
vertébral antérieur, le distend, l'ulcère sur un point, et vient enfin se mettre au
contact de la dure-mère; de telle sorte que celle-ci, par le fait d'une véritable
contagion, devient à son tour le siège d'une végétation tuberculeuse. Il se
produit là une sorte de pacliyméningite spécifique (Pachyméningite externe
tuberculeuse) dont le mode d'évolution a été minutieusement étudié par
Michaud. Ce sont bien les lamelles externes de la dure-mère qui, ici, sur un
point, végètent et j)rolifèrent, car la partie moyenne et la face interne restent
souvent tout à fait indemnes.
Les produits de l'infiammation spécifique ainsi provoquée conservent une
certaine cohésion et constituent sur la face externe de la dure-mère une espèce
de champignon plus ou moins volumineux à base plus ou moins étendue
qui est, en réalité, l'agent de la compression. Cette végétation caséo-tuber-
culcupc tend à s'étendre de proche en proche à la surface de la dure-mère,
mais rarement le champignon qu'elle constitue forme un anneau complet, de
1. TuberculDsc vertébrale. Leçons faites ;\ la Faculté de médecine. Paris, 1888, p. iU).
— 181 —
telle sorte que la moelle ne paraît en général comprimée que sur une partie
de la face antérieure.
Fig. 39. — Pachyméning-ite caséeusc dans le mal de Pott. — a face cxteruo de la diire-mèi-c
b la dui'c-inèrc étant Incliée, on en \olt la face inlcrae ; c. c. c. champignon ca»éo-tiiber-
rulcux.
Il y a lieu de remarquer en passant que les racines nerveuses, dans leur
trajet à travers des parties aussi altérées de la dure-mère, deviennent néces-
sairement le siège de lésions plus ou moins profondes. Ces lésions se tra-
duisent pendant la vie par des symptômes que nous avons proposé d'appeler
pspudo-ncvralgiqiies, mais qui seraient plus convenablement désignés peut-
^ 182 —
être par le terme plus général de symptômes radiculaires proposé par
M. Gowers (1).
Tel est, pensons-nous, le mode le plus commun de compression spinale
dans le mal de Pott (2). Que devient, en pareil cas, le tissu de la moelle au
niveau du point comprimé ? Nos observations nous ont conduit à reconnaître
qu'à la longue se produisaient nécessairement sur ce point les lésions de la
myélite transverse (3) avec toutes leurs conséquences, relatives à la formation
des dégénérations fasciculées ascendantes ei descendantes.
Il est remarquable, messieurs, que des lésions aussi profondes, — celles de
la dure-mère aussi bien que celles de la moelle ne sont pas, tant s'en faut,
placées au-dessus des ressources de la nature et de lart. Le champignon
pachyméningé peut s'affaisser, se dessécher en quelque sorte, et n'être plus
représenté sur la dure-mère que par une surface rugueuse, et pour ce qui est
de la moelle au point comprimé, elle peut retrouver l'intégrité de ses fonctions
alors même qu'elle n'a récupéré sa structure que d'une façon fort imparfaite.
Cela est établi par un certain nombre d'observations dans lesquelles, après avoir
duré une ou plusieurs années, la paralysie par mal de Pott a guéri cependant
sans laisser d'autres traces que cette exagération persistante des réflexes
rotulicns sur laquelle je viens d'appeler votre attention à propos de notre
malade. Dans un cas de ce genre, observé avec Michaud, cas relatif à une
femme de la Salpétrière qui avait succombé aux suites d'une coxalgie, alors
que la paraplégie par mal de Pott était guérie depuis plus de deux ans, la
moelle, au niveau du point où avait eu lieu la compression, présentait les
altérations suivantes : sur la hauteur d'un demi-centimètre environ elle n'était
pas plus grosse que le tuyau d'une plume d'oie et correspondait sur une coupe
durcie au tiers environ de la surface de section d'une moelle normale exa-
minée dans la même région ; sa consistance était ferme, sa couleur grisâtre ;
en un mot, la moelle en ce point offrait toutes les apparences de la sclérose
la plus avancée.
Au sein des tractus fibreux denses et épais qui communiquaient à ce tronçon
i. Dis. of l/ie nervous System. T. I, p. 246. Compression of the spinal Cord. London, 1886.
2, Suivant M. le D''Lannelongue,le refoulement de la moelle et des méninges peut être produit
par le développement de fongosités dans la dii-ection du canal. Un certain nomb''e d autopsies,
dit-il, fournissent des preuves à l'appui de cette maniiM'c de voir; on trouve des fongosités dans
le canal vertébral, la dure-mère étant intacte, la moelle l'étant écralement, et n'accusant que des
lésions attribuables à une compression médiate et non tuberculeuse. 11 ne s'agit plus alors de
pachyméningite engainante et compressive, mais d'une compression médullaire produite à tra-
vers la dure-mére par une masse fongueuse. (Loc. cit. p. III.)
3. Suivant MM. Kahler (Prag. Med. Woch. 1883, n»" 47 iind 52), Pick {Real Encyclopûdie,
art. Ruckeninark), les lésions de la moelle dans la paraplégie par compression, suite de
mal de Pott, resteraient pondant longtemps passives ; la participation de la névroglie n'aurait
lieu que très tardivement. Voir aussi Striimpel. {Lehrbiich der Sp. Patli. und. Therap. etc.
2-' Bd. 1 Tlieil.3. Aufiage, p. 167.
— 183 —
de moelle sa coloration grise et sa consistance ferme, le microscope faisait dé-
couvrir un certain nombre de tubes nerveux munis de leur cylindre axile et
de leur enveloppe de myéline, en somme très normalement constitués.
Le nombre de ces tubes nerveuxsains était, onlecomprend, bien au-dessous
du taux normal. J'ajoutei'ai que la substance grise n'était plusre[)résentée sur
les coupes que par une des cornes de la substance grise où l'on ne retrouvait
qu'un petit nombre de cellules intactes. .Gependantcesconditionsanatomiques,
en apparence si défavorables, avaient suffi au rétablissement complet de la
sensibilité et du mouvement dans les membres inférieurs (1).
Tels sont les faits anatomo-patliologiques que j'ai cru devoir vous
remettre en mémoire. Il ne me reste plus, pour en finir avec la digression dans
laquelle je viens d'entrer, qu'à relever dans la symptomatologie régulière de
la paraplégie par mal de Fott, quelques-uns des principaux troubles fonc-
tionnels qui s'y rattachent.
Et d'abord,jevous rappellerai que dans l'évolution de cette affection, les pseu-
do-névralgies (symptômes radiculaires)dont nous parlions tout à l'heure ouvrent
le plus souvent la scène ; elles se manifestent, vous le savez, suivant le siège
qu'occupe la pachymôningite, sous forme de douleurs en ceinture double
ou unilatérale, sous forme de névralgie brachiale ou encore sous forme de
sciatique. Elles précèdent souvent de longtemps la première apparition des
symptômes de paraplégie spasmodique. Ce que ceux-ci offrent de parti-
culièrement remarquable, c'est la prédominance marquée des troubles moteurs
dans la plupart des cas, sur les sensitifs ; à part les quelques engourdissements
et fourmillements qui marquent le début et disparaissent souvent ensuite, la
transmission des impressions sensitives s'effectue longtemps d'une manière
physiologique, alors que les mouvements sont déjà profondémont altérés, et il
est même rare qu'elle soit jamais complètement interrompue ou même très
sérieusement intéressée. C'est là une particularité reconnue depuis longtemps
par l'observation clinique, et qui établit un contraste avec ce qui a lieu dans
les cas de myélites spontanées ou de tumeurs intra-spinales dans lesquels les
lésions occupent très habituellement dès leur apparition les parties centrales
de la moelle.
C'en est assez sur ce sujet pour le but que je me suis proposé d'atteindre et
j'en reviens actuellement à l'examen de notre malade. Je vous rappellerai en
deux mots les accidents dont la malade se plaint depuis le 9 décembre
dernier, il y a un mois environ, et pour lesquels elle est venue nous consulter.
Douleurs dans le dos au niveau de la gibbosité et de chaque côté de la poi-
trine sous forme de ceinture ; ces douleurs augmentent par la flexion de la
i. Leçons sur les maladies du sj/stème nerveux. ï. II, p. 104 et suiv.
et)
— 184 -
tête et du tronc en avant ; les jambes sont devenues raides ; la marche est
réellement difficile ; dans les membres supérieurs, qu'elle meut cependant
assez librement, elle éprouve au moindre mouvement une grande fatigue, un
sentiment de faiblesse, d'impuissance motrice, surtout quand il faut les tenir
élevés comme pour se peigner, et dans ces mouvements les douleurs du dos
et de la poitrine augmentent. Pas de troubles vésicaux d'ailleurs. Pas de
fièvre.
Toute cette symptomatologie, ainsi que nous l'avons dit plus haut, con-
duisait tout naturellement à penser qu'une nouvelle poussée de la maladie
ancienne, depuis si longtemps en apparence éteinte, s'était produite sous une
forme congestive ou autre, soit sur la dure-mère^ soit dans la moelle elle-
même, et en réalité il est difficile de ne pas penser qu'il en ait été réellement
ainsi, dumoins à un certain degré. On pouvait même craindre que les membres
supérieurs, épargnés dans la maladie première, ne participassent cette fois dans
une certaine mesure, à la parésie, en conséquence vraisemblablement d'une
diffusion de la congestion spinale vers le renflement cervico-brachial ou
encore par une extension de proche en proche de la pachyméningite externe.
Mais, ainsi que vous allez le voir, un examen plus attentif des phénomènes
cliniques devait nous conduire à reconnaître que la part des lésions organi-
ques supposées a été ici vraiment effacée. Ces lésions, bien certainement,
n'ont pas joué d'autre rôle que celui de causes occasionnelles ou, si vous
l'aimez mieux, d'agents provocateurs qui, par un mécanisme dont nous
aurons à parler tout à l'heure ont mis en jeu une aff'ection purement dyna-
mique, fonctionnelle comme on dit encore; et c'est justement cette affection
qui, aujourd'hui, sur la scène morbide occupe le premier rang. C'est elle, en
d'autres termes, qui actuellement caractérise vraiment la situation; c'est elle
enfin qu'il faut apprendre à connaître pour établir le diagnostic, le pronostic,
et instituer convenablement le traitement. Voilà autant d'assertions quïl s'agit
maintenant de justifier.
L'examen des membres inférieurs fait constater ce qui suit: la malade
exagère inconsciemment la faiblesse des membres inférieurs ; ceux-ci sont
réellement un peu raides, mais la résistance des divers segments du membre
aux mouvements qu'on veut lui imprimer^ alors que la malade s'y oppose,
n'est pas moindre qu'elle ne Tétait avant le 9 décembre; j'en dirai autant,
des réflexes rotuliens et du phénomène du pied. Ils sont sensiblement restés
ce qu'ils étaient autrefois. Par contre, en explorant la sensibilité, nous cons-
tatons, à notre grand étonnement, l'existence d'une anesthésie cutanée com-
plète, absolue, totale, qui se répand sur toute l'étendue des deux membres
inférieurs depuis leur extrémité jusqu'à leur racine où elle se limite en avant
par une ligne qui suit exactement le pli de l'aine et en arrière par
une ligne qui suit le pli fessier inférieur. Eh bien, messieurs, voilà un fait qui
ne concorde guère avec l'idée d'un retour chez notre malade des phénomènes
— 185 —
de compression spinale. Nous savons en effet que, dans celle-ci, les troubles de
lascnsibititôun pfMi sérieux se manifestent seulement lorsque l'impuissance mo-
trice est portée déjà à un haut degréet justement, vous le voyez, c'est dans notre
Fig. 40 et 41. — «a, bb. Anesthésic pour tous les modes de la sensibilité.
Perte du sens musculaire.
cas, le contraire qui existe. Les doutes ne font que s'accroître si l'on examine
l'état de la sensibilité profonde, celle-ci est modifiée au plus haut degré ; c'est
à tel point que Ton peut tordre les jointures des orteils, du cou-de-pied, du
genou sans que la malade s'en aperçoive, et en outre, les yeux fermés, elle
méconnaît absolument les positions qu'on imprime aux divers segments du
membre. Vous remarquerez,messieurs,qu'il y a là un ensemble de symptômes
^ 186 ■««
qui, dans la catégorie des affections organiques spinales ne pourraient guère
se rencontrer que dans le cas d'une lésion profonde de la substance grise cen-
trale et dans ce cas-là, nécessairement, les troubles moteurs seraient pro-
noncés à l'avenant ; or vous savez que ce n'est point de cela qu'il est question
ici.
D'ailleurs, le mode de limitation de l'insensibilité vers la racine du mem-
bre était déjà pour nous une révélation ; vous y reconnaissez en effet cette
disposition de « l'anesthésie en gigot » qui, ainsi que je vous l'ai bien souvent
fait remarquer, constitue un des caractères cliniques les plus intéressants
des paralysies hystéro-traumatiques en particulier, et en général des paralysies
hystériques psychiques. S'agit-ii donc chez notre malade d'hystérie ? Oui, et
c'est chez elle l'hystérie qui actuellement domine de beaucoup. Cette assertion
sera, je pense, pleinement justifiée par les détails qui vont suivre.
On trouve, exactement reproduites dans les membres supérieurs toutes les
particularités que nous venons de signaler à propos des membres inférieurs ;
même anesthésie cutanée complète, limitée « en gigot » vers la racine du
membre, même anesthésie profonde, même perte de la sensibilité articulaire,
même ignorance les yeux fermés de la position donnée aux diverses parties du
membre; j'ajouterai enfin, même absence de troubles sérieux dans le domaine
du mouvement. Tel n'eùtpasété, bien évidemment, le concours des symptômes
dans le cas supposé d'une extension de la pachyméningite externe vers le
renflement cervico-brachial : dans ce cas, en effet, les troubles anesthésiques,
— expression d'une lésion des racines du ple.xus brachial — eussent été pré-
cédés nécessairement de douleurs pseudo-névralgiques vives, lesquelles font
absolument défaut dans l'histoire de notre cas; en même temps que les trou-
bles du mouvement se fussent montrés beaucoup plus accentués qu'ils ne le
sont en réalité. C'est donc encore l'hystérie qui est en jeu dans les membres
supérieurs.
La présence de l'élément hystérique est encore marquée d'ailleurs, chez
notre malade^ par l'existence d'un rétrécissement unilatéral très net du champ
visuel et aussi par une série d'autres phénomènes dont il sera question dans
un instant.
En somme, messieurs, il n'est guère, chez elle^, que la rachialgie et les douleurs
en ceinture qui paraissent devoir être rattachées exclusivement à l'élément
organique, et encore faut-il faire remarquer que la douleur accusée au
niveau de la gibbosité n'est point exagérée par la percussion pratiquée à
l'aide du marteau de Skoda et que, sur certains points, les douleurs thora-
ciques sont très superficielles, réveillées par un léger frôlement exercé à la
surface du tégument externe.
En résumé, l'élément organique est représenté peut-être, symptomatique-
ment, chez B...ot par la rachialgie et Taffaiblissement parétique des membres
inférieurs ; tout le reste appartient à l'hystérie.
— 187 —
C'est, il importe de le relever, à Toccasion de la ménopause que Tun et
l'autre élément se sont développés. Depuis six mois, les régies (jui jusque-là
avaient été régulières, se sont supprimées ; à partir de cette époque. B...ot est
sujette à des malaises variés ; elle ressent souvent des bouffées de chaleur qui
c
s ci s ne
Fig. 42. — Champ visuel de l'œil gauche. Le champ visuel de l'oeil droit est normal.
lui montent au visage, puis tout le corps se couvre de sueur. D'autres fois, ce
sont des frissons qui « la glacent » ; elle souffre fréquemment de palpitations
du cœur, d'insomnie ;elle est triste, inquiète, tourmentée par des bourdonne-
ments d'oreilles. Elle pleure fréquemment pour le plus léger motif^ et même
parfois sans motif. Ce sont là, sans doute, des phénomènes qui se montrent
vulgairement chez les femmes à l'occasion de l'âge critique et qu'on pourrait
presque dire physiologiques : mais, la ménopause, vous ne l'ignorez pas,
représente une période de la vie particulièrement favorable au développe-
ment ou à la réapparition de diverses affections, soit organiques soit pure-
ment dynamiques et pour ne parler que de celles-ci, on peut rappeler que, à
côté de la chlorose de l'âge critique, il y a lieu de placer Thystérie de la mé-
nopause : c'est de cela qu'il s'agit simplement chez notre malade. La nature
hystérique chez elle de la grande majorité des symptômes n'est pas dou-
teuse ; et, si les accès convulsifs font défaut, les stigmates permanents sont,
vous l'avez constaté, tellement accentués, tellement classiques, (jue leur
identité ne saurait être un instant méconnue.
En terminant, il me reste un point à toucher. Les deux éléments pathologi-
ques, dont nous venons de signaler la présence simultanée chez notre sujet,
sont-ils restés absolument isolés l'un de l'autre, ou au contraire existe-t-il
entre eux une certaine relation ?
- 188 "
Je crois, messieurs, que la relation existe en effet, et voici, je pense, en quoi
elle consiste. La diathèse hystérique, vraisemblablement, a été mise en jeu dès
l'origine des accidents liés à la ménopause : les phénomènes de compression
spinale ne se sont manifestés qu'ensuite.
Quoi qu'il en soit, ce sont ceux-ci pensons-nous, qui ont déterminé la forme
particulière et aussi la localisation spéciale qu'ont affecté les manifestations
de celle-là.
Voici, du reste^ comment je comprends les choses : par le fait de la repro-
duction, dans une certaine mesure des lésions organiques spinales, la malade
a éprouvé des douleurs rachialgiques et en ceinture, en même temps qu'elle
sentait les membres inférieurs s'affaiblir. Ces douleurs, cette parésie ampli-
fiées par l'imagination, ont fait naître dans son esprit la crainte de voir se
reproduire, sous une forme plus grave encore peut-être, toute la série des
accidents paralytiques d'autrefois. Or, messieurs, vous ne l'ignorez pas, sou-
vent l'état mental des hystériques se rapproche beaucoup de celui qui carac-
térise le somnambulisme hypnotique, en ce sens que, dans les deux cas, le
phénomène d'auto-suggestion peut se produire aisément, prendre des
proportions considérables et aboutir finalement à la réalisation objective des
symptômes imaginés. C'est, messieurs, à ce que je crois, par ce mécanisme
psycho-somatique qu'à l'exemple de ce qui a lieu dans les cas où il s'agit de la
production des paralysies hystéro-traumatiques en conséquence d'un choc
local, B...ot a « localisé », si Ton peut ainsi parler, « son hystérie » dans les
membres inférieurs où elle éprouvait le sentiment d'impuissance motrice qui
a été le point de départ de Fauto-suggestion. En même temps, comme cela
devait être, les troubles parétiques ainsi produits se sont accompagnés des
troubles particuliers de la sensibilité cutanée et profonde caractéristiques en
pareil cas, de façon à reproduire le type univoque des paralysies hystéro-
psychiques.
Pour ce qui est de la paralysie des membres sunérieurs, qui se présente
comme l'on a vu en tout semblable à celle des membres inférieurs, on pour-
rait dire qu'elle est le produit d'une suggestion par contre-coup ou autrement
parlé, d'un raisonnement inconscient par analogie.
On pourrait dire encore qu'elle représente l'interprétation exagérée du sen-
timent de faiblesse, de fatigue accusé par la malade dans les bras, toutes les
fois qu'elle voulait s'en servir en les élevant au-dessus de sa tète.
Mais je ne saurais aujourd'hui entrer dans de plus longs développements
concernant la question de théorie et je reviens au côté prati([ue. Il est clair,
d'après ce qui précède, que le pronostic est moins grave qu'il ne paraissait
l'être au premier abord, car, en somme, ainsi que je Tai déjà proclamé, c'est
évidemment l'hystérie qui domine la situation, et il y a tout lieu d'espérer
qu'elle n'a pas jeté encore dans Torganisme de racines profondes. Les appli-
cations de pointes de feu et le repos au lit pourront être utiles en vue do com-
— 189 —
battre le travail inflammatoire supposé, et pour ce qui est des phénomènes
hystéric^ues, il importe de nissurer la malade sur Tissue des événements, de
relever ses forces et de savoir attendre.
2^ Malade.
Par le fait d'une coïncidence assez singulière, nous avons encore à parler
du mal de Pott à propos de notre second malade. J'aurai à vous rappeler com-
bien il est difficile parfois de reconnaître l'existence du mal vertébral tuber-
culeux dans les premières périodes de son évolution, alors par exemple ({ue la
gibbosité ne s'est pas encore produite ; et aussi comment l'ensemble des signes
classiques sur lesquels reposent le diagnostic de la maladie peut à cette
époque être quelquefois simulé de la façon la plus frappante dans l'hys-
térie.
Bonneuil, où est né notre malade, Me...ier, aujourd'hui âgé de 24 ans,
est, vous ne l'ignorez peut-être pas, un bourg situé non loin de Saint-Maur,sur
les bords de la Marne. Ce n'est pas tout à fait la ville sans doute mais ce n'est
pas non plus tout à fait la campagne, car, dans le lointain, on y entend en
prêtant bien l'oreille le bourdonnement de la capitale ; d'ailleurs les relations
directes entre les Parisiens et les habitants de Bonneuil sont chose fréquente
surtout le dimanche, où elles s'opèrent sur une grande échelle par la voie nau-
tique.
Ces préliminaires qui, au premier abord, paraissent étrangers à la cause,
sont destinés cependant à en faire apprécier, comme il convient, certains
détails relatifs au côté intellectuel et moral de notre homme. Nous ne vou-
drions pas vous le présenter comme un citadin accompli, ce serait forcer la
note ; mais très certainement, ce n'est pas non plus un paysan vulgaire, bien
que son métier soit de cultiver la terre. En somme, il a bien profité de sa fré-
quentation de l'école car il n'est pas sans instruction; il écrit fort correcte-
ment et il aime la lecture; il a vraiment d'assez bonnes façons et ses goûts
sont plutôt relevés. Il est grand, assez bien taillé, d'une figure agréable, mais
pâle et d'apparence délicate, un peu féminine. Dans ses antécédents hérédi-
taires il faut relever que son père a été atteint d'une tumeur blanche au pied
— 190 —
pour laquelle il a subi l'amputation de la jambe. Lui, a toujours été un peu
faible, presque malingre et, il y a trois ans, il a souffert d'une grande maladie
dont le nom sonne mal à l'oreille ; c'était paraît-il une pleurésie double. La
durée en a été de six mois. Ajoutons qu'il porte dans l'épididymedu testicule
droit une induration qui a été considérée comme étant de nature tuberculeuse.
Il s'est cru pendant longtemps complètement guéri de tout cela; cependant il
accuse que, depuis cette époque, il n'a plus jamais retrouvé sesforces d'autre-
fois; sa santé est restée chancelante, le moindre travail le fatigue. L'anémie
profonde sous le coup de laquelle il vit actuellement date de ce temps-là. La
tuberculose pulmonaire est-elle réellement en jeu chez lui? cela est bien pos-
sible ; cependant, l'examen attentif des voies respiratoires ne nous a fourni
aucun signe propre à justifier positivement ces craintes.
Dans ces derniers temps, il y a trois mois, à la suite d'émotions morales
qui l'ont fortement remué, et dont je me réserve de vous entretenir plus loin,
sa santé s'est altérée au point qu'il a dû être admis dans un hôpital.
Les symptômes nouveaux qui s'étaient produits alors et qui ont motivé cette
admission, étaient tels qu'on avait émis l'opinion qu'il était atteint d'un mal
de Pott ; et cette opinion, qui fut du reste bientôt abandonnée, vous paraîtra
incontestablement fort soutenable pour peu que vous vouliez considérer un
instant les choses d'un certain point de vue, à la vérité trop exclusif.
Rappelez-vous d'abord les antécédents héréditaires du malade: père amputé
pour une tumeur blanche ; chez le malade lui-même, l'existence passée d'une
pleurésie double, laprésence d'une induration testiculaire peut être de nature
tuberculeuse; l'anémie profonde, enfin la prostration actuelle des forces, et
aussila faiblesse originelle du suj et ; voilà certes, des circonstances qui ne contre-
disent nullement à l'idée du mal de Pott.
Mais c'est surtout, sans doute, un certain ensemble de symptômes, encore
présents aujourd'hui, et que nous pourrons par conséquent étudier avec vous,
qui avait frappé l'attention. Vous avez vu notre malade faire son entrée
dans la salle de cours en s'aidant d'une béquille qu'il porte du côté droit
le tronc tenu raide dans la verticale, la région lombaire présentant une
cambrure assez forte, les jambes traînantes, surtout la droite. Ce sont les
douleurs dont il souffre et qu'il localise dans l'épine, à la partie infé-
rieure de la région dorsale et dans la région lombaire, qui semblent com-
mander cette attitude. Ces douleurs paraissent très vives; elles se font sentir
spontanément, et sont alors comparées à la sensation que produirait une
brûlure ou un vésicatoire à vif; mais elles sont exaspérées soit par la pression,
soit par les moindres mouvements du tronc, et dans ces cas-là, elles se mon-
trent bien plus vives encore; elles rayonnent des deux côtés du tronc, le long
des fausses côtes, et s'étendent en avant jusque dans les deux fosses iliaques,
surtout dans la droite. Lorsque nous avons examiné le malade au lit. nous
avons remarqué qu'il ne peut s'asseoir complètement. Lorsqu'il veut essayer
— 191 —
de le faire, il tire de toutes ses forces sur la corde du lit et parvient ainsi à
soulever ses épaules ; le tronc suit, tenu tout d'une pièce, mais ne s'élevant
guère au delà d'un angle de 45 degrés.
Bien qu'il n'y ait pas trace d'une déformation vertébrale, voilà certes un
ensemble de faits qui sont bien dénature à éveiller l'idée du mal de Pott: d'au-
tant mieux que la démarche traînante fait songer à l'existence d'une parésie des
membres inférieurs et qu'un examen antérieur avait révélé déjà un certain
degré d'excitation des réflexes rotuliens. Mais on ne saurait, en pareilbj
matière, se borner à un aperçu sommaire, et, avant de rien décider, il est in-
dispensable d'examiner les choses de beaucouj) plus près. Vous n'ignorez pas
que les chirurgiens relèvent avec insistance, et c'est bien à juste titre, les
difficultés que présente le diagnostic du mal vertébral, à son origine, avant
l'apparition de la gibbosité. Indiquons d'abord l'un des points dont ils recom-
mandent l'étude attentive comme devant fournir les renseignements les plus
importants : l'examen de la souplesse du rachis, suivant M. le professeur
Lannelongue (1), de la mobilité des vertèbres peut donner des indications de
premier ordre.
On sait qu'à l'état normal lorsque le tronc s'infléchit en avant et se redresse,
lorsque ces mouvements opposés sont portés à leur maximum, on voit les
courbures normales du rachis se modifier régulièrement surtout au cou et aux
lombes ; les concavités s'effacent, se transforment même en courbures inverses
et si, pendant que le malade effectue ces mouvements, on applique les doigts
sur les apophyses épineuses, on sent facilement un certain degré de mobilité
entre les vertèbres d'une région. De plus le patient n'en éprouve aucune gène.
Toutes ces particularités vous les pouvez constater chez cet homme sain que
j'ai, pour permettre la comparaison, fait placer près de notre sujet et qui, le
tronc dépouillé de vêtements, exécute devant nous les mouvements signalés
ci-dessus.
Mais il n'en est plus de même chez notre malade, tant s'en faut : le tronc,
lorsqu'il se fléchit en avant, ou se redresse, ou encore lorsqu'il tend à s'incliner
sur l'un ou l'autre côté, se déplace tout d'une pièce, les mouvements manquent
de souplesse. 11 semble que les apophyses épineuses soient fixées l'une à
l'autre; ces mouvements sont d'ailleurs extrêmement limités en raison de la
douleur intense qu'ils déterminent, lorsqu'ils sont poussés un peu loin. Or,
justement, messieurs, telle est la rigidité anormale qui dès le début, avant
toute difformité, constitue suivant les auteurs (2) un des caractères cliniques
du mal de Pott.
D'après la description donnée par le malade, du siège, de l'étendue, du
1. Liinnc\ons;n(i,Tube)X'ulose vertébrale, 1888, p. i-l(3.
2, Lannelongue, loc. cit.
■27
— 192 —
caractère des douleurs qu'il ressent, de leur exacerbation sous l'influence des
moindres mouvements du tronc, on pourrait être conduit à penser que l'étude
méthodique de ces troubles de la sensibilité fournirait des résultats conformes
à ceux obtenus par l'examen de la souplesse du rachis, c'est-à-dire plaiderait
dans le même sens. Eh bien, c'est justement ici que la lumière va se faire, que
la véritable nature du cas va commencer à se dévoiler. Il n'est pas nécessaire
en effet chez notre homme pour provoquer la douleur rachidienne d'exercer à
l'aide du doigt, avec une certaine force, une pression profonde sur les apophyses
épineuses, sur les apophyses transverses, sur les gouttières vertébrales. Une
pression des plus légères, un simple attouchement^, un frôlement suffisent,
vous le voyez, pour éveiller une douleur vive et, si peu qu'on insiste, pour arra-
cher des cris au patient.
En réalité, il existe là non seulement sur le rachis, mais encore partout où
s'étend la douleur spontanée, une « hyperesthésie exquise » poussée auplus haut
degré, qui, sans doute, occupe pour une part les parties profondes mais qui
siège surtout dans le tégument externe. On s'en assure très exactement
en formant sur un point quelconque des parties hyperesthésiées un pli de
la peau que l'on comprime en suite entrele pouce et l'index. Une pression même
très légère de ce repli cutané suffit pour produire la douleur ; une pression un
peu forte la porte au plus haut degré.
La pression a encore un autre efl'et sur lequel il nous faut particulièrement
insister, car il constitue dans l'espèce une révélation très significative. Lors-
qu'on presse sur la peau, même doucement, qu'on y exerce un frôlement su-
perficiel ou encore lorsqu'on comprime légèrement un pli cutané compris
entre deux doigts, la sensation produite chez le patient n'est pas seulement
une douleur locale plus ou moins vive, qu'il compare généralement à une
brûlure, c'est encore un sentiment de quelque chose qui monte du bas ventre,
arrive à l'épigastre, au cœur où il se produit des palpitations, à la gorge où
l'on croit sentir une boule qui vous étouffe, à la tête enfin où les oreilles
sifflent en même temps que l'on ressent de forts battements dans les tempes.
Evidemment, cette hyperesthésie du tégument si accentuée, telle qu'on ne la
voit guère que dans de certaines conditions, chez les tabétiques ouïes hysté-
riques, et surtout cette sensation d' aura consécutive à la pression, ne sont pas
l'expression d'une névrite intercostale déterminée par la compression exercée
sur les racines nerveuses à leur passage dans les trous de conjugaison ou au
travers des méninges épaissies.
C'est certainement d'autre chose qu'il s'agit, et nous voici amenés bien loin
de l'idée du mal de Pott ; tout ce qu'il nous reste à relever maintenant dans
l'histoire du malade nous en éloignera de plus en plus.
Examinons d'abord plus attentivement que nous ne l'avons fait jusqu'ici la
distribution de l'hyperesthésie cutanée chez notre homme. La région hyperes-
thésiée forme comme une large ceinture qui, en arrière, au niveau du rachis.
— 193
s'étend sur quelques vertèbres de la région dorsale inférieure et sur toute lahau-
teur des régions lombaires et sacrées ; c'est là où la sensibilité à la pression est
la plus vive ; de chaque c6té, à droite et à gauche, la ceinture s'étend sur les
I
Fig. 43. — a. Plaque hyperesthésique ;
b. Hyperesthésie scrolale très accen-
tuée et testicule douloureux.
Fig. 44. — a. Ceinture hyperesthésique ;
6. Région où l'hyperesthésie est
portée au sumwum;
ce. Plaques hyperesthésiques.
lombes, contourneleshanches, envahit enavant les hypocondres etles régions
inguinales, d'où elle se répand sur le scrotum et sur la verge, laissant i)i-
demnes les régions ombilicale et hypogastrique. C'est à l'existence de cette
ceinture douleureuse qu'est due la rigidité si remarquable, le manque de sou-
— 194
plesse que nous avons signalés expressément, à propos des mouvements du
tronc soit en avant soit en arrière ; c'est à elle également qu'il faut rapporter
la gêne marquée qu'éprouvent les membres inférieurs dans l'accomplisse-
ment de la marche ; il est facile de s'assurer, en effet, que les moindres tirail-
lements exercés sur la peau des cuisses, surtout à droite au voisinage de la zone
hyperesthésiée, éveillent la douleur la plus vive, et, dans la marche, ce sont en
partie des tiraillements de ce genre qui entravent l'exécution des mouvements
dumembre. En réalité, il n'existe pas de paraplégie proprement dite ; la résis-
tance des divers segments des membres inférieurs aux mouvements qu'on veut
leur imprimer, est énergique et si les réfiexes rotuliens sont exagérés, on ne
retrouve pas, par contre, la moindre trace du phénomène du pied_, et il n'y
a aucun trouble à noter du côté des fonctions de la vessie.
Sans qu'il soit nécessaire d'insister plus, vous avez sûrement reconnu que
notre sujet ofïre un assez bel exemple de ces « simulations hystériques du
mal de Pott, » sur lesquelles Brodie, Skey, Paget et plusieurs autres ont avec
beaucoup de raison insisté, et à propos desquelles tout récemment M. Audry
écrivait pour le Lyon médical un travail intéressant (1).
Mais, pour tirer parti de notre cas autant que possible, il nous faut encore
actuellement rechercher dans Tordre étiologique les circonstances qui ont pu
présider au développement de la diathèse hystérique et provoquer l'apparition
des manifestations névropathiques actuelles. Il conviendra aussi de compléter
le tableau clinique par l'exposé de quelques nouveaux traits.
Je vous ai présenté déjà M...ier comme un sujet plutôt délicat, quoiqu'il
s'agisse d'un paysan émotif, impressionnable et justement c'est dans une idylle,
qui plus tard devait tourner presque au mélodrame, que se sont produites les
émotions morales, causes vraisemblablesdudéveloppcment des accidents ner-
veux. Il y a deux ans, en septembre 1886, lors d'un débordement de la Marne,
il fut assez heureux pour sauver près de Saint-Maur une jeune fille dont la vie
était mise en danger par l'inondation. Une liaison s'ensuivit, toute platonique
assure-t-il; «. c'était pour le bon motif. » On se rencontrait dans les blés,
dans les endroits peu fréquentes des bords de la Marne, sous les saules ; les
choses allaient pour le mieux depuis plusieurs mois lorsque suj'vint la maladie
qui le retint au lit pendant près de six mois.
Les relations, si longtemps interrompues, se renouèrent après la convales-
cence plus étroitement encore que jamaiset vers le commencement d'août 1887
M... er rassemblant tout son courage se décida à aller faire sa demande en
mariage. Ilclas, il n'avait pas un sou vaillant, et la famille de la jeune lille
1. Du pseudo-mal de Pott liystc'rique. Lyon médical, 23 octobre 1S87.
I
— 195 —
avait quelque argent. Le refus fut formel, absolu, brutal, ne laissant dans le
cœur du jeune garçon que le désespoir.
Immédiatement après cet événement, il tomba dans une prostration pro-
fonde ; il ne mangeait plus ; ses nuits étaient sans sommeil, agitées par des
rêves affreux et quelques jours après, lin août, il commença à ressentir les
douleurs lombaires dont il soufîVe encore aujourd'hui et qui à cette époque
l'obligèrent à s'aliter. Trois semaines environ plus tard, il fut admis à l'hù-
pital Saint-Antoine d'où grâce à l'obligeance de notre collègue M. Itaymond, il
fut dirigé surla Salpétrière.
Telles sont les circonstances émouvantes au milieu desquelles l'hystérie
s'est manifestée chez notre homme. Ce sont les douleurs rachialgiques qui
ont paru en premier lieu, et vous savez comment elles ont pu un instant
donner le change et faire errer le diagnostic ; mais bientôt survinrent des
attaques qui devaient dévoiler immédiatement la véritable nature du mal.
Ces attaques, pendant le séjour à Saint-Antoine, se sont montrées durant un
mois, presque tous les jours à la même heure ou à peu près, c'est-à-dire entre
six heures et sept heures, généralement après le repas du soir. Remarquez bien
cette périodicité vespérale car elle est déjà un indice; elle appartient en effet à
l'hystérie. Lorsque les accès épileptiques se règlent, c'est au contraire, je vous
l'ai bien souvent fait remarquer, pendant la nuit vers deux heures après minuit
ouïe matin au réveil, qu'elles éclatent. Il y a bien aussi chez notre jeune
homme des attaques qui surviennent dans la journée le plus souvent vers
deux heures de l'après-midi mais celles-là sont beaucoup plus rares et alors
elles sont moins prolongées. Celles du soir se reproduisent habituellement
par séries presque ininterrompues, de façon à occuper une bonne partie de la
nuit; souvent elles ne cessent que vers 4 heures du matin.
Elles présentent les particularités suivantes : Au début, se produit une aura
prémonitoire; nous en avons déjà parle' à propos de l'étude des douleurs
rachidiennes et j'ai montré là que cette aura se manifeste, en conséquence d'une
pression exercée sur les parties douloureuses. Lorsque l'attaque doit se déve-
lopper spontanément^ le malade en est prévenu par une sensation particulière
qui part du scrotum, remonte à l'épigastre, à la gorge où se produit un senti-
ment de constriction; puis surviennent des palpitations, des battements dans
les tempes, et enfin la perte de connaissance a lieu en même temps que les con-
vulsions se déclarent.
Celles-ci sont des plus violentes, au point qu'il a plusieurs fois mis son lit
en pièces. Toujours, il faut plusieurs personnes pour le contenir et il pousse
des cris affreux. Les attaques ayant cessé depuis l'admission à la Salpétrière,
nous ne pouvons dire si elles sont marquées par les trois phases caracté-
ristiques de l'hystéro-épilepsie typique ; mais les détails qui précèdent, tout
sommaires qu'ils soient, suffisent déjà pour établir que ce n'est pas l'épilepsie
qui ici est enjeu. L'accès épilcptique, quelque intenses d'ailleurs que soient les
— 196 —
convulsions, évolue en effet, je vous le rappelle,lorsque le malade est couché ou
à terre, sans bruit, sans fracas, sans grand déplacement du corps.
En voilà assez concernant les attaques qui sont, vous le voyez, suffisamment
caractéristiques et j'en viens à l'exposé des faits révélés par la recherche et
l'étude des stigmates. L'hypéresthésie cutanée n'est pas limitée aux plaques
hystérogènes que nous avons décrites à propos de la rachialgie simulant les
douleurs du mal de Pott. D'autres plaques de même caractère se voient, l'une
au niveau du creux poplité du côté droit, l'autre au sommet de la tête vers la
bosse pariétale (voir le schéma n" 44).
Un certain degré d'hypéresthésie au froid et à la piqûre est répandu en
outre sur toute la surface du corps, principalement sur le côté droit. Il est
remarquable que les douleurs qui, sans provocation, existent à peu près
constamment sur la plupart des plaques d'hypéresthésie, s'exaspèrent spon-
tanément vers 6 et 7 lieures du soir ; c'est aussi, remarquez-le bien, l'heure à
laquelle se manifestent les attaques.
Il y a un double rétrécissement du champ visuel extrêmement accusé, et
aussi prononcé à droite qu'à gauche.
D
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I
Le réflexe pharyngien est affaibli à gauche ; le goût est très émoussé sur-
tout à gauche: obnubilation de l'ouïe et de l'odorat, également à gauche.
Vous le voyez^ le tableau est complet et il n'a guère besoin de légende.
Depuis quelques jours, il se manifeste chez noire homme une certaine ten-
dance à l'amélioration; les attaques, ainsi que je vous l'ai dit, sont devenues
— 197 —
plus rares; il marche un peu moins mal qu'autrefois, ce qui semble indiquer
que les douleurs rachidicnnes se sont atténuées; le sommeil n'ot plus agité
comme auparavant par des rêves terrifiants: on pourrait même dire qu'il est de-
venu pour lui le « doux baume des âmes blessées » « bahnof liuriminds » dont
parle Shakespeare. En effet les images qui, pendant qu'il dort, se présentent
aux yeux de son esprit sont maintenant toujours consolatrices. <-< Il voit sa
fiancée parée pour la fête nuptiale ; il la promène en bateau, puis à travers
les champs ; la nuit vient, le repas de noce ci lieu chez le restaurant, « au
Moulin dcBonneuil », dans le grand salon de cinquante couverts éclairé pour
la circonstance d'une vive lumière ; il y a delà musique, des chants, des con-
versations animées (etc., etc). Au moment où, la fête terminée, il s'agit de
conduire la mariée à son nouveau domicile^ le rideau tombe soudain et tout est
fini ; les choses ne vont pas plus loin ». Hélas ! dit-il en terminant son récit,
tout cela n'est qu'un rêve.
Messieurs, dans les choses qui concernent les relations entre les deux sexes,
même alors que les deux intéressés poursuivent le «bonmotil »il y a toujours
deux éléments à considérer, lesquels se mélangent en proportions diverses
suivant les individus : uil élément plutôt psychique, quia son substratum
dans les couches cérébrales supérieures, l'autre plutôt physiologique ou
physique, comme vous voudrez l'appeler, qui siège dans les régions céré-
brales inférieures ou dans la moelle. Quelques-uns d'entre vous pourraient
supposer que, chez notre intéressant malade, ce dernier élément sans préju-
dice de l'autre ayant été mis très fortement en jeu, il en est résulté la produc-
tion de cette hypéresthésie exquise des organes génitaux qui paraît jouer un
rôle si important sur la scène morbide ; les partisans des «hystéries multiples»
pourraient même, peut-être, se voir entraînés à considérer cette hypéresthésie,
comme l'étiquette d'une hystérie spéciale V € Hysteria virilis amatoria ». S'il
en était ainsi, messieurs, je chercherais à vous détromper; je vous ferais
remarquer tout d'abord que les organes où règne l'élément « infime »,
ne sont pas chez notre sujet aussi fortement excités qu'où pourrait le sup-
poser; les confidences qu'il nous a faites ne nous laissent aucun doute à cet
égard, et je relèverais en particulier à l'appui de cette assertion que, la nuit
dans ses rêves, son lit n'est jamais souillé. Je ferais valoir en outre que l'hype-
resthésie scrotale et testiculaire se rencontre quelquefois dans l'hystérie,
provoquée par des causes qui n'ont rien, absolument rien à faire avec la
« passion amoureuse ». C'est ainsi par exemple que les choses se sont passées
chez un jeune maçon âgé de vingt-cinq ans que j'ai présenté à la Clinique il
y a deux ans (1); ce jeune homme était devenu hystérique en conséquence
d'une chute faite du haut d un échafaudage ; l'hystérie à part, il en avait été
1. Des paralysies hystéro-lraianatiques chez /7iom?ne, Semaine médicale, 7 décembre 18S7.
- 198 --
quitte pour la peur, car il n'avait souffert d'aucune lésion traumatique de
quelque importance. Chez lui, i'hyperesthésie des testicules et du scrotum
était aussi prononcée que chez notre malade d'aujourd'hui, et en même
temps, par un singulier rapprochement, il existait, comme chez ce dernier,
une rachialgie et des douleurs en ceinture qui avaient fait croire également à
la présence du mal de Pott. Cependant, dans ce cas, le schock nerveux
déterminé par l'émotion de la chute est bien le seul agent provocateur de
r.hystérie qu'on puisse invoquer ; Tamour contrarié n'y était pour rien,
absolument rien.
ffS. data AM. d*Typ. > Noizst-, .,1, r. Campa;;n«-Preini4r«. l'ani.
Policlinique du Mardi 15 Janvier 1889
DIXIÈME LEÇON
Du traitement de Tataxie locomotrice par la suspension,
suivant la méthode du D^ Motchoutkowskv.
Messieurs,
Je me propose de vous entretenir dans la conférence d'aujourd'hui de
l'essai que nous poursuivons depuis trois mois environ^ ici, dans le service de
la Clinique, d'un traitement, nouveau pour nous, de l'ataxie locomotrice pro-
gressive et de vous faire connaître les résultais assez encourageants d'ail-
leurs jusqu'à ce jour, que ce traitement nous a donnés.
Il parait à peine utile de vous rappeler qu'en matière d'ataxie locomotrice
progressive, nous ne sommes pas, tant s'en faut, — pour ce qui est relatif à la
thérapeutique — à la hauteur de nos connaissances anatomiques et cliniques
et c'est à juste titre, hélas ! que la maladie en question est généralement répu-
tée pour incurable, du moins dans l'immense majorité des cas. Tout ce que le
médecin éclairé peut espérer de voir survenir en cas d'ataxie, sous l'influence
des agents variés qu'il a appris à mettre en œuvre, ce sont des amendements,
des atténuations de certains symptômes ou encore des atermoiements, des
temps d'arrêt dans l'évolution fatale du mal; à la vérité ces temps d'arrêt
lorsqu'ils se prolongent presque indétiniment, comme cela arrive quelquefois
dans ces /b^'me^' bénicjnes du Tabès, sur lesquelles j'ai bien des fois appelé
votre attention (1), ces temps d'arrêt, dis-je, équivalent presque à la guérison;
mais cet événement, malheureusement bien rare, est, il faut le reconnaître
presque toujours un fait spontané plutôt qu'un produit de l'art, et certes il n'y
a pas là de quoi modifier, en rien d'essentiel, le sombre verdict prononcé par
l'opinion générale des médecins.
Je ne pense pas qu'à cet égard la nouvelle méthode soit appelée à changer
1. Tabès bénins, par le D'" Babinski. Comptes rendus des séances de la Sociélé de Biologie
(Séance du 28 mai 1887).
28
— 200 —
radicalement Tétat des choses •,mais, pour peu qu'à l'avenir elle se montre à la
fois plus efficace que la plupart des moyens d'action dont nous disposions jus-
qu'ici, et aussi innocente dans son application que les meilleurs d'entre eux,
elle ne manquera pas d'être acceptée avec empressement.
La méthode dont il s'agit appartient tout entière à M. le D"" Motchoutkowsky
d'Odessa. Il Ta exposée dans un Mémoire publié en langue russe il y a cinq
ans (1882), et resté je crois, jusqu'à ce jour, à peu près complètement dans
l'ombre, du moins en France (1). Nous devons la connaissance de ce travail à
M. le D^ Raymond, agrégé de la Faculté^ qui a eu l'extrême obligeance de nous
en communiquer une analyse détaillée. Nous mettrons celle-ci à profit dans
un instant.
C'est le hasard, parait-il, qui a fait naître chez notre confrère d'Odessa
l'idée d'appliquer la suspension au traitement de Tataxie locomotrice ; mais
les semences que le hasard disperse à tous les vents ne sont pas, on le sait, tou-
jours perdues: elles devaient cette fois, entre autres, rencontrer un terrain
propice à leur germination et fructifier. Donc, notre confrère traitait depuis
quelque temps un malade souffrant d'une déviation vertébrale et en même
temps atteint d'ataxie^ par l'application du corset de Sayre. Au bout de quel-
ques jours, ce malade annonça que les douleurs fulgurantes très vives, sié-
geant dans les membres inférieurs, qui depuis longtemps le tourmentaient
jour et nuit d'une façon pres(pie continue, avaient à peu près complètement
disparu à partir du jour où il avait commencé à porter le corset. Le con-
traste entre le passé et le présent était des plus frappants, l'amélioration
obtenue, des plus saisissantes. Or quel avait été l'agent de cet amendement
singulier des symptômes tabétiques : le corset ou la suspension elle-même ?
Poui' éclairer la question on résolut de traiter un certain nombre d'ataxiques,
les uns par l'application du corset, les autres par la seule suspension, et après
quelques tâtonnements on reconnut que, pour produire les effets thérapeuti-
ques recherchés, celle-ci suffisait. Le corset était inutile ; il fut par conséquent
rejeté.
Je tiens cette anecdote de M. Raymond qui, durant le séjour qu'il lit à
Odessa à l'occasion de la mission scientifique dont il a été chargé l'an passé,
l'a entendue de la bouche de M. Motchoutkowsky lui-même. Je dois encore à
M. Raymond ainsi qu'à M. Onanoff, élève de mon service qui l'accompagninl
dans son voyage, la connaissance de nombreux dc'tails prati([ucs reçu Mil. ^<
i. Applu^ation de la suspension des mil'ides au Iraltemenl de <iuel jurs af/'ecfions de la
ninelle épinière par Mololioutkowski. Extrait du Journal Vrac/ia (Le môdorin) P('lcrsl)ouri,' 1883.
— La seule revue seienllfKiue qui ait donné une analyse délaill(''e de ce travail au delà des fron-
lif'res russes est le « Pliysician and Surg'con » 188,3. Oclobcr, n» X. — M. John Marshall,
professeur à University collei-^e, et M. le D'' Raymond y ont fait allusion, le premier dans son
mémoire intitulé Neuventasy or Nerve Strelvhinq for (lie relief or cure of pain, London, 1887 ;
le s(>c()n(l d.ins Tiiiiele Tfd)es du Diellonnaire encyelopédiquc des sciences médicales.
i
— 201 —
aiipW's de noire confrère russe concernant l/application de la nn'thode qui doit
désormais porter son nom. Je l<Mir dois également d'avoir bien voulu nous
aider mon chef de clinique, M. Gilles de la Tourrettc et moi, de leurs conseils
éclairés par une compétence spéciale en la matière, dans nos premiers essais.
Avant de procéder h l'exposé des résultats obtenus dans nos propres
recherches, il sera intéressantje ci-ois, de faire connaître, sommairement du
moins, quelques-uns des faits consif^nés par le D"" Motchoutkowsky dans le mé-
moire auquel nous avons fait allusion plus haut. Ce travail contient plusieurs
observations détaillées ; nous présenterons un abrégé des trois principales
d'entre elles.
La première est relative à un homme âgé de 49 ans. Pas de syphilis anté-
rieure. Les douleurs fulgurantes sont dites « atroces >. Douleurs en ceinture
permanentes très pénibles. L'incoordination motrice est portée à un très haut
degré et le signe de Homberg est très prononcé. Les réflexes rotuliens sont
absents ; il y a une diminution très nette de la sensibilité aux membres infé-
rieurs. Difficulté de la miction. Impossibilité d'accomplir l'acte sexuel.
Myosis.
Au bout de 29 suspensions, le malade marche beaucoup mieux; sa démarche,
en réalité, est redevenue presque normale. Il n'a plus besoin de s'aider d'une
canne comme il le faisait auparavant ; il lui est possible de se tenir sur un
seul pied, pendant deux minutes environ. Les douleurs fulgurantes sont de-
venues beaucoup plus rares et elles sont très supportables maintenant, par-
fois cl peine perceptibles.
Le traitement, après ces premiers résultats encourageants, a été continué
et le nombre des suspensions a été de 97 en tout.
Lorsque le traitement a été terminé, les résultats obtenus étaient les sui-
vants : 1° les douleurs fulgurantes avaient complètement cessé d'exister;
2" diminution extrêmement remarquable de l'incoordination motrice pendant
la marche. Le malade, sans canne, peut monter facilement un deuxième étage;
3° les troubles permanents de la sensibilité qui existaient aux membres infé-
rieurs, et en particulier les sensations de froid et les fourmillements qui
étaient très pénibles ont complètement disparu. Disparition des douleurs en
ceinture. Retour de la sensibilité normale ; 4" le signe de Romberg n'existe
plus ; 5° augmentation légère du volume des muscles des membres inférieurs
qui commençaient à s'atrophier.
Le traitement n'a pas eu d'effet sur le poids du corps, non plus que sur
l'état des réflexes rotuliens qui restent toujours absents. Aucune modification
n'est survenue dans le myosis. Par contre, retour des fonctions sexuelles
autrefois complètement abolies.
Dans une lettre qu'il a bien voulu m'adresser récemment, M. le D' Motchout-
kowsky m'apprend que ce malade qui, depuis près de cinq ans, a cessé tout
— ^02 —
traitement, exerce actuellement à Odessa les fonctions de chef de la station
des voitures publiques ; il est obligé de faire tous les jours des courses de 3 à
5 kilomètres. Les douleurs fulgurantes n'ont pas reparu.
Le second mo.lade est âgé de 42 ans. Il a été atteint autrefois de syphilis.
Il s'agit d'un cas d'ataxie très avancée. En effet, il est impossible au malade de
se tenir debout sans Taide d'une personne étrangère. Difficulté dans la mic-
tion, fréquents besoins dliriner ; ils se répètent quarante fois dans les vingt-
quatre heures. Douleurs fulgurantes intenses à retours fréquents, douleurs en
ceinture ; crises gastriques très violentes. Aux membres inférieurs, le malade
souffre de fourmillements et d'une sensation de froid. Absence des réflexes
rotuliens. Signe de Romberg ; papilles normales : myosis, pupilles pares-
seuses.
Au bout de 22 suspensions, les douleurs .fulgurantes avaient déjà perdu
beaucoup de leur intensité. Après 80 suspensions, elles avaient complètement
disparu. Le malade est devenu bien plus solide sur ses jambes : c'est au
point qu'il peut marcher seul. La miction est redevenue à peu près normale ;
les besoins d'uriner n'ont lieu que quatre, cinq ou six fois dans les vingt-
quatre heures. Les crises gastriques ne se sont pas reproduites ; constipation
moindre. Retour des fonctions sexuelles.
Le myosis est beaucoup moins prononcé et les pupilles réagissent beau-
coup mieux qu'autrefois sous l'influence de la lumière. Lorsque les yeux sont
fermés, c'est à peine si le malade oscille.
Par contre, le traitement parait n'avoir 3u aucune influence sur les réflexes
rotuliens qui sont toujours abolis.
Troisième malade âgé de 55 ans : c'est à peu près le même cas que le précé-
dent, seulement la syphilis n'existe pas dans les antécédents. A cause de
l'emphysème et de i'artério-sclérose avec cœur forcé qui existaient chez ce
sujet, on a essayé de remplacer la suspension par une traction exercée sur les
membres inférieurs par le procédé de Volkmann. Le malade étant couché, on
exerça pendant quelques jours une traction progressivement continue à
l'aide de poids attachés aux pieds. Les résultats obtenus ont été satisfaisants.
Disparition des douleurs fulgurantes ; retour très prononcé de la puissance
motrice.
M. le D"" Motchoutkowsky fait connaître dans ce même travail qu'il a traité
encore douze autres ataxiques par la suspension, presque tous avec le même
succès. Les résultats sont favorables en ce qui concerne les douleurs fulgu-
rantes et aussi Taffaildissement des fonctions sexuelles. C'est contre ces deux
symptômes tabétiques que le traitement en question paraît avoir l'influence la
plus marquée.
La ((uistatation (le ce dernier fait a tout naturellement conduit notre con-
._ 203 —
frère à essayer les effets de la suspension dans certains cas d'impuissance
indépendants de la maladie tal)(''ti([iie, chez de jeunes sujets. Les résultats
(obtenus ont été généralement unccjurageants. M. le U"" Raymond m'a dit avoir
vu à Odessa un Israélite de vingt-trois ans qui, devenu à un moment donné
absolument impuissant, récupéra peu à peu sous l'influence de la suspension,
sa virilité. Les premiers bons effets ont commencé à se faire sentir chez ce
malade a[)rès la vingtième séance.
Quebjues préceptes formulés par M.lel)"" Motchoutkowsky dans son mémoire
relativement au procédé opératoire méritent particulièrement d'être relevés.
Il conseille de procéder graduellement en augmentant progressivement la
durée de la suspension. Ainsi, le premier jour, la séance ne dépassera pas une mi-
nute; le deuxième jour elle sera peut-être de une minute et demie; on la portera
à deux minutes le troisième^ à deux minutes et demie le quatrième et ainsi de
suite. En tous cas ou ne devra jamais dépasser huit ou dix minutes et on n'ou-
bliera pas que, plus le poids de l'individu est grand, moins longue devra
être la durée de la suspension.
Il ne faut pas oublier non plus qu'il existe un chapitre des contre-indica-
tions. L'auteur insiste particulièrement sur les points suivants: ne devront pas
être soumis à la suspension les sujets qui sont atteints de maladies du cœur
et des gros vaisseaux, ceux qui souffrent d'une maladie chronique des pou-
mons : phtisie, emphysème ; ceux qui ont éprouvé une ou plusieurs atta-
ques congestives ou apoplectiques, ceux enfin qui sont sous le coup d'une
anémie très prononcée.
Il est bon de ne pas omettre que, dans les cas où la suspension est applica-
ble, les premiers effets favorables ne se sont souvent pas fait sentir avant la
vingtième ou trentième séance ; quelquefois il a fallu aller beaucoup plus
loin pour que les premiers résultats fussent obtenus.
Notre confrère devait tout naturellement se préoccuper de la question théo-
rique ; comment agit la suspension? C'est, suivant lui, en produisant une légère
élongation des racinee nerveuses qu'il compare de loin à l'élongation du scia-
tique, pratiquée il y a quelques années par un certain nombre de chirurgiens.
Il s'agit aussi peut-être, en même temps, de modifications produites dans la
circulation sanguine spinale k l'égard desquelles on ne s'explique pas très
catégoriquement. Quoi qu'il en soit^ il est bon de rappeler que la suspension
a pour effet, en dehors de tout état morbide, d'augmenter le nombre des res-
pirations par minute en même temps que l'amplitude et la force, tant des ins-
pirations que des expirations, sont diminuées. Le pouls devient plus fréquent
et la pression artérielle parait plus élevée qu'à l'état normal.
Nous avons laissé pressentir que M.Motchoutkowsky avait appliqué la suspen-
sion au traitement de certains cas d'affection spinale ou cérébro-spinale autres
que le tabès. Déjà nous avons parlé de « l'impuissance » en dehors de toute
lésion organique. A part ces cas-là, les essais n'ont pas donné de résultats bien
— 204 —
appréciables ; ainsi, tandis que dans les seize cas de tabès qui ont été traités par
la suspension, les résultats ont été à peu prés constamment favorables, à la
vérité à des degrés très divers, ils ont été à peu près toujours nuls dans trois
cas de paraplégie spasmodique, dans un cas de myélite diffuse chronique,
enfin dans un cas de sclérose en plaques.
A propos des effets physiologiques de la suspension, nous devons à M. Onanoff
l'indication des résultats de quelques expériences qu'il a entreprises, depuis
son retour de Russie, chez un certain nombre de sujets sains, jeunes et vigou-
reux. En outre de l'accélération des mouvements respiratoires et de l'augmen-
tation de la tension artérielle déjà signalées, il aurait vu se produire à la suite
de trois suspensions une exagération manifeste des réflexes rotuliens, et, après
quatre ou cinq suspensions, de l'insomnie, les nuits étant tourmentées par
des rêves erotiques, des érections fréquentes ; ces divers phénomènes persis-
tant durant quelques jours après la dernière opération. Relativement au
dernier point, je ne crois pas que les expériences soient tout à fait probantes
puisqu'il s'est agi de sujets « sains, jeunes et vigoureux » qui, probablement
n'ignoraient pas « ce qui pouvait arriver. » Quoi qu'il en soit, vous n'êtes sans
doute pas sans avoir entendu dire qu'il est quelquefois question dans les écrits
pornographiques de certaines suspensions pratiquées dans certains lieux peu
avouables chez « des affaiblis ou des anormaux». Voilà un sujet dont le médecin
ne saurait certes pas se désintéresser complètement, tout scabreux qu'il soit. Il
ne devrait pas perdre de vue, à ce propos, que si une curiosité vaine, surtout en
ces matières, est souvent chose condamnable, lascience, par contre, peut péné-
trer partout, même dans les cloaques, sans y recevoir de souillures : Racon
a dit du soleil : « Palatias et cloacas ingreditur, neque tamen polluitur. »
Mais en voilà assez sur ces préliminaires ; il est temps d'en venir au but
principal de la conférence d'aujourd'hui. Il s'agit donc maintenant de vous
parler de nos propres recherches dont la mise en œuvre d'ailleurs, ne nous pa-
raît plus avoir besoin de justification après ce que vous savez des résultats,
incontestablement fort encourageants, obtenus par M. Motchoutkowsky.
Nous commencerons par l'exposé du procédé opératoire auquel, après quel-
ques tâtonnements, nous nous sommes définitivement attachés depuis le
commencement de nos essais.
L'opération en elle-même est chose des plus simples, mais encore nécessite-
t-elle un certain modus faclendi^îdiCile à acquérir sans doute, mais qui ne sau-
rait s'inventer.
La suspension se fait à l'aide de l'appareil imaginé par Sayre (de New-York)
pour placer le corset qui porte son nom et qui est appli(|ué pour le redresse-
ment des diverses déviations de la colonne vertébrale. Rien que cet appareil
— 205 —
soit fort connu, il mo semble qu'il ne sera pas inutile d'en donner ici une des-
cription sommaire.
Fig. 46. — Appareil suspenseur.
Il se compose d'une tige de fer horizontale, de 45 centimètres de longueur,
portant en son milieu un anneau dans lequel passera le crochet d'une moutle
par l'intermédiaire de laquelle s'effectueront les tractions.
La tige porte à chacune de ses extrémités un crochet, auquel s'adapteront
par une boucle, les pièces destinées à être placées sous les aisselles du
patient.
Le bord supérieur de la tige présente de cliaque coté, trois encoches dont
on dira bientôt l'utilité. En outre de la tige de fer, l'appareil comprend
deux pièces latérales pour les aisselles, une pièce médiane composée de doux
pièces secondaires servant de soutien à la tête pendant l'opération.
Ces deux parties de la pièce médiane sont de forme triangulaire allongée,
et sensiblement pareilles ; l'antérieure se place sous le menton, la postérieure
au niveau de la nu([uo sous l'occiput. On reconnaîtra la pièce anti'rjjMiro à ce
^ 206
fait qu'elle porte latéralement une petite boucle qui sert, lorsque l'appareil est
en place, à réunir les deux pièces entre elles à l'aide d'une petite courroie qui
empêchera le collier de glisser lorsque le malade sera suspendu. L'application
Fig. 47. — Appareil en place pour la tête.
de cette petite courroie joue d'ailleurs un rôle assez important; il importe en
effet qu'elle soit assez serrée pour empêcher le glissement et qu'elle ne le soit
pas trop cependant parce que dans ce dernier cas, la compression des jugulaires
aurait pour effet de provoquer une stase veineuse susceptible d'amener des
accidents.
A cet effet, la courroie est percée de huit à dix trous, et l'ardillon de la
boucle se fixera du deuxième au cinquième environ suivant la grosseur du
cou du malade.
Il est rare qu on soit obligé d'interposer entre cette courroie et la peau un
corps mou, un mouchoir, de l'ouate, de façon à amoindrir TefTet de la com-
pression directe. L'application des pièces de la nuque et du menton est assez
délicate et exige quelques soins. Elle devra varier quelque peu suivant la
grosseur de la tête et du cou du sujet.
En ce qui regarde la grosseur de la tête, on fera varier les dimensions du
ï
\
- 207 —
collier en plaçant la boude snpû-ieuic de la piùcc dans ie prennier, le
deuxième, ou ie troisième dos erans ou encoches ([ue se trouvent sur le bord
supérieur de la tige de fer ; plus la tête est volumineuse plus la boucle doit
être placée en dehors.
Il est parfois m'-cessaire, lors des premières séances, chez les individus sen-
sibles, trop ij^ros ou tiop maigres, d'interposer un corps mou entre le menton
et la pièce qui est destinée à le soutenir.
Voici donc la lête en place. 11 reste encore à [)lacer les pièces des ais>elles ;
au premier abord elles pourraient sembler de peu d'importance ; cependant
elles doivent en réalité être considérées comme les véritables régulateurs de
la suspension. 11 est nécessaire en effet que pendant l'élévation, la traction ne
porte pas uniquement sur la tête et sur le cou, car en paieil cas la suspension
ne serait pas tolérée ; il fiiut donc que le corps trouve quelque part un appui,
mais d'un autre côté, il ne faut pas ([ue cepoint d'appui soit tellementeffectif qu'il
empêche l'élongation de la colonne vertébrale de se faire. En vue de oela, les
pièces des aisselles, qui présentent la forme d'un ovoïde matelassé à son extré-
mité inférieure, sont munies en haut d'une courroie qui peut s allonger ou se
raccourcir à volonté suivant la taille ou le poids du malade.
Le jeu de cette courroie, on le comprend, est très important. En effet, lors-
que la pièce axillaire est trop courte, il peut se produire une compression des
troncs nerveux susceptible de déterminer des fourmillements, des engourdis-
sements, nécessitant l'interruption de la séance. Lorsque la pièce est trop lon-
gue, au contraire, le tiraillement des muscles de la nuque devient intoléra-
ble, le corps ne trouvant pas un point d'appui suffisant.
On devra donc, chez chaque nouveau sujet, procéder par tâtonnements, et,
au bout de deux ou trois séances en général, on sera fixé sur le cran où s'ap-
puiera par en haut la pièce de la tête, sur la longueur qui devra être donnée
à la courroie destinée à unir les pièces du menton et de la nuque, et à celles
qui attachent à la tige de fer les pièces axillaires.
L'appareil étant bien disposé, le médecin commande à un aide de tirer sur
la corde qui passe sur la poulie de la moufle^ doucement, progressivement, sans
secousses, évitant une élévation trop brusque afin d'habituer peu à peu en quel-
que sorte les muscles du cou à la traction qu'ils vont supporter. On doit enga-
ger le malade à éviter autant que possible les mouvements qui se produisent
instinctivement, au moment où il sent qu'il quitte le sol ; on devra éviter
aussi les déplacements latéraux, les mouvements de torsion qui pourraient se
produire.
Le malade ayant quitté le sol, de telle façon, que la pointe des pieds ne
puisse le rencontrer, l'opérateur le soutient légèrement afin d'empêcher les
oscillations. Dans le même temps, il fixe les yeux sur une montre à secondes
pour régler minutieusement la durée de la séance.
Pendant quç le patient est ainsi suspendu, on lui commande de temps en
29
— 208 —
temps d'élever les bras doucement vers l'horizontale de façon à rendre, si
cette pratique est tolérée, la suspension et la traction plus effectives.
Yig. 48. — Le'maladc suspendu : inouveinenls latéraux des bras.
— 209 —
Nous pensons que la plus longue séance ne doit pas dépasser trois ou qua-
tre minutes ; ce chifTre de trois minutes étant pris comme moyen terme. On
commence le traitement par des séances de une demi-minute à une minute,
et progressivement, on arrive au chiffre supérieur indiqué, lequel ne doitiréné-
ralement pas être atteint avant la sixième ou la huitième séance.
A cet égard encore, il faut tenir compte de certaines susceptibilités indivi-
duelles et de particularités inhérentes, surtout au poids du malade. Alors [jar
exemple qu'on n'éprouve aucune difficulté à faire tolérer d'eml)lée deux minu-
tes de suspension h des malades pesant de GO à 70 kilog , il n'en est plus de
même chez des sujets qui pèsent 80, 90 kilo??, et plus. Chez ces derniers, la
traction qui s'exerce sur les muscles de la nuque est très forte, douloureuse
même parfois, pendant toute la journée qui suit la séance, ce qui ne doit pas
être quand l'opération est bien conduite.
Il est des malades chez lesquels le désir d'être soulagés est si impérieux
qu'ils se croient en quelque sorte obligés de tout supporter sans se plaindre :
mais en réalité l'opération ne doit entraîner ni douleur, ni fatigue, sous peine
d'être inefficace.
Les séances ont été faites tous les deux jours, Texpérience ayant démon-
tré que les séances quotidiennes étaient moins favorables. L'heure paraît im-
porter peu. Lorsque le nombre des minutes fixé à l'avance s'est écoulé, le
médecin commande de lâcher peu à peu la corde de façon à ce que le patient
descende lentement, sans secousses. Lorsqu'il atouché le sol, on le soutient un
instant pendantqu'on enlève les diverses pièces de l'appareil, et on l'asseoit en-
suite, pendant quelques minutes, dans un fauteuil où il prend du repos.
Quelques détails d'ordre secondaire méritent d'être signalés encore. Le
malade doit, au moment d'être suspendu, quitter son vêtement de dessus, de
façon à avoir les bras libres ; le cou doit être à nu, ou du moins ne pas être
serré dans un col étroit, afin d'éviter une compression qui pourrait avoir des
effets fâcheux.
L'appareil de Sayre comporte, outre les pièces indiquées un trépied porta-
tif à branches démontables muni à sa partie supérieure d'un crochet auquel
se fixe la moufie sur laquelle passe la corde de traction. L'usage de ce trépied
peut être excellent pour appliquer un corset chez les personnes dont la
station debout est normale ; mais il n'en est plus de même chez les ataxiques
qui souvent oscillent sur leurs jambes et qui, menacés de perdre ré(iuilibre,
saisissent parfois convulsivement, dans le but d'y trouver un appui, les bran-
ches du trépied qu'ils pourraient renverser.
Tels sont les errements que nous nous sommes attachés à suivre dès l'ori-
gine de nos recherches. Celles-ci ont été inaugurées le 8 octobre, c'est-à-dire
il y a trois mois environ et elles ont été depuis lors régulièrement poursuivies.
Elles portent sur dix-huit sujets tabétiques ; (juatre d'entre eux, (jui n'ont
.-^ 210 -^
pas été suspendus plus de trois fois et qui, pour des causes variées, ont cessé
ensuite de fréquenter l'hospice, doivent être naturellement éliminés du groupe.
Restent donc quatorze malades dontnous avons à nous occuper aujourd'hui.
Il importe de relever que dans tous ces cas, il s'agit d'ataxie locomotrice par-
faitement caractérisée, avancée leplus souvent déjàdans son évolution, et que
dans aucun d'euxparconséquent le diagnostic n'a laissé subsister l'ombre d'un
doute. La plupart de ces malades nous étaient d'ailleurs antérieurement
déjà connus. Ils suivaient depuis plusieurs mois un traitement à la policlini-
que et recevaient chaque samedi, suivant nos prescriptions habituelles, une
application de pointes de feu sur la région spinale. C'est dire que nous avions
eu l'occasion fréquente de les observer avant l'époque où ont commencé les
essais de suspension. Inutile d'ajouter qu'au moment même où celle-ci a été
mise en œuvre tout autre traitement a été supprimé.
Le meilleur moyen de vous placer en mesure d'apprécier les résultats obte-
nus sera,je pense, de faire comparaître quelques-uns de nos quatorze ataxiques
et de les interroger devant vous ; faute de temps, nous devons nous borner à
vous faire connaître, dans un court exposé, ce qui est advenu chez les autres.
Pi^enner malade.— \oici d'cibord un homme vigoureux, âgé de 50 ans, le
nommé D... elay, qui exerce dans une usine des fonctions de surveillance
l'obligeant à se tenir debout et à marcher presque toute la journée. Il est fort
empêché dans son travail depuis deux ans, époque à laquelle l'incoordination
motrice des membres inférieurs a commencé à s'accuser.
L'observation abrégée qui constate l'état du malade ar moment de la pre-
mière suspension est ainsi conçue : début de la maladie il y a cinq ans par
des crises de douleurs fulgurantes très vives. II y a deux ans, fracture spon-
tanée du péroné droit. Depuis deux ans, la marche est devenue difficile ;
l'incoordination motrice est assez prononcée. Le malade ne peut marcher
longtemps, il est obligé de s'asseoir à chaque instant ; fort souvent, quand il
est debout ou qu'il marche, ses jambes se dérobent sous lui tout à coup. Les
douleurs fulgurantes, depuis quelque temps, sont devenues presque continuel-
les,elles empêchent souvent le sommeil. Miction difficile ; la vessie se vide en
cinq ou six fois. Signe de Romberg nettement prononcé. Impuissance com-
plète depuis un an. Absence des réflexes rotuliens.
La première suspension a eu lieu le 22 octobre 1888. Le nombre des séances
jusqu'à ce jour a été de trente-trois, chacune d'elles durant de une à trois
minutes.
Dans la note relative aux efTets produits nous relevons ce qui suit :
Dès la deuxième séance^ une certaine amélioration s'est manifestée dans la
marche et dans la miction. A partir de cette époque, et pendant un mois, les
douleurs fulgurantes n'ont pas reparu. Elles sont revenues depuis, quelque-
fois, mais beaucoup moins intenses. — Douzième séance : La miction s'est
— 2H —
améliorée encore. Le malade a pu descendre seul du tramway en marche, ce qui
ne lui elait pas arrivé do|)uis doux ans. — Quinzième sf-ance : On constate la
disparition du signe de Honiberg. Le < déroix-ment » des mendjres infé-
rieurs ne s'est pas produit depuis longtemps. — Vingt-troisième séance : Le
malade a eu pour la première fois depuis un an une érection. Les réflexes
rotuliens sont toujours absents. Le malade fait remarquer qu'il n'a pas res-
senti ses douleurs, bien ([ue le temps S(jit fort humide.
M. Ctiarcot, au malade : Les douleurs dont vous souffriez étaient-elles très
vives ; depuis quand les aviez-vous ?
Le m\lade : Je les ai ressenties pour la première fois il y a cinq ans; elles
étaient très aiguës, c'étaient des coups de poignard. Dans ces derniers temps,
je les avais presque constamment, au moins tous les deux ou trois jours;
c'était presque impossible à endurer : souvent il m'était impossible de dor-
mir.
M. Charcot : Voulez-vous me dire ce qui s'est passé à l'égard de ces douleurs
depuis que vous suivez le traitement?
Le MALADE : Les douleurs ont disparu après trois ou quatre suspensions.
Elles sont revenues depuis, mais pas si fortes et après quelques nouvelles
séances, elles ont disparu de nouveau. Elles ont bien voulu reparaître il y a
trois ou quatre jours mais elles ont été très faibles, et elles n'ont pas duré.
Maintenant, je dors toutes les nuits.
M. CuARCOT : Voilà certes un résultat intéressant. Vous n'ignorez pas que
lorsque leurs douleurs sont vives, les ataxiques sont exposés à contracter la
funeste habitude des piqûres de morphine : si l'on pouvait parvenir à les
arrêter dans cette voie ou à les empêcher d'y entrer à l'aide de la suspension
répétée, ce serait déjà de la part de celle-ci un bienfait signalé.
Au malade: Comment s'est produite la fracture de la jambe dont il est ques-
tion dans votre observation?
Le MALADE : J'étais assis devant un bureau et je me suis baissé pour caresser
mon chien qui était à mes pieds : la fracture s'est faite je ne sais comment ;
je ne suis pas tombé, je n'ai même pas fait un faux mouvement.
M. Charcot : Voilà bien une fracture d'ataxique.
Au malade : Parlez-moi, je vous prie, de votre marche; que s'est-il produit
de ce côté?
Le MALADE : Je marche décidément beaucoup mieux. Je me tiens mieux
debout. Autrefois j'étais menacé de tomber à chaque instant parce que mes
jambes faiblissaient tout à coup; cela ne m'arrive plus actuellement : je puis
marcher presque toute la journée dans les magasins sans être forcé de m'asseoir
à chaque pas.
M. Charcot prie le malade de se tenir debout les pieds rapprochés l'un de
l'autre et de fermer les yeux. On constate dans cette épreuve l'absence du
signede Romberg; puis,le malade étant assis,on peut reconnaître que l'absence
— 212 —
des réflexes rotuliens persiste. — S'adressant au malade : A^oulez-vous dire
maintenant si vous avez gagné quelque chose pour rémission des urines ?
Le malade : Oh 1 de ce côté là, l'amélioration est bien marquée aussi. x\utre-
fois pour uriner j'étais obligé de m'y reprendre à cinq ou six fois, maintenant
j'urine en une seule fois. C'est comme dans le temps, alors que je n'étais pas
malade.
M. Charcot: Il y a encore un autre résultat obtenu dont il ne parle pas, sans
doute par discrétion, mais que nous ne pouvons pas cependant passer sous
silence ; c'est que les érections et les désirs sexuels ont reparu depuis quel-
ques semaines ; les relations ont même pu avoir lieu dans des conditions à
peu près normales. Seulement « les sensations, nous a-t-il dit, ne sont plus les
mêmes qu'autrefois. »
En résumé, messieurs, vous le voyez, l'amélioration dans les symptômes
s'est prononcée sur toute la ligne, et l'on ne saurait guère invoquer ici, je
pense, non plus que dans les cas qui suivent, — pour se rendre compte des effets
produits — , une influence de « suggestion» caries amendements se sont mani-
festés lentement, progressivement, successivement durant une période de trois
mois et ils ne se sont pas démentis un seul instant depuis Torigine.
Deuxième malade. — Le second malade est un nommé Des... mes,
âgé de 43 ans. Il remplit les fonctions d'inspecteur dans un commissariat.
Hérédité nerveuse très prononcée ; père exalté, instituteur, s'occupant active-
ment de politique ; mère emportée ; un frère suicidé ; syphilis à l'âge de 20 ans.
Les douleurs fulgurantes ont commencé à se produire il y a cinq ou six ans.
Démarche tabétique datant d'un an. Réflexes rotuliens absents. Signe de
Romberg. Signe d'Argyll Robertson. Miction difficile. Impuissance depuis le
commencement de 1888.
Début du traitement le 22 octobre 1888. Il y a eu jusqu'à ce jour trente-
six suspensions de une demi-minute à trois minutes de durée.
Dès la deuxième séance, diminution d'un sentiment de pesanteur qui exis-
tait dans les membres inférieurs; la marche paraît être un peu plus facile. Après
la huitième séance, amélioration très notable dans la marche qui est moins
afTectée par l'obscurité ; le malade descend les escaliers plus facilement. La
miction est moins lente. Après la vingtième séance, on note le retour des érec-
tions.Après la trente-sixième séance, on note de grands progrès dans la mar-
che ; le malade peut faire maintenant de longues courses à pied : c'est ainsi que
récemment, il s'est rendu à pied de la place d'Italie à Autcuil sans canne. Les
douleurs fulgurantes sont, après quelques oscillations, devenues beaucoup plus
rares et très supportables. Elles n'empêchent plus le sommeil. Le signe de
Romberg a on îirande partie disparu. Réflexes rotuliens toujours absents.
M. CiiAHcoT, s' adressant an innlade : Tout ce que je viens de dire est-il bien
exact?
— 213 —
Le malade : Oui, monsieur, certainement ; je n'ai plus de douleurs maintenant
depuis près de deux mois. Autrefois j'en avais fréquemmentetbien souvent je
ne pouvais dormir ; je dors bien maintenant.
M. GuARCOT : Quand avez-vous commencé à mieux marcher ? Comment va
maintenant la vessie?
Le malade: Une quinzaine de jours après le début du traitement, je me suis
aperçu que je marchais mieux, cela ensuite s'est amélioré encore de jour en jour.
Aujourd'hui, comme on l'a dit, je puis faire de longues courses sans canne ;
j'urine beaucoup mieux, presque aussi bien qu'avant ma maladie. J'ai aussi des
érections maintenant, seulement elles ne me servent à rien. Hier, je suis très
bien descendu du tramway en marche.
M. CnARCOT^ au malade : Ne faites pas trop de ces prouesses-là. Les os des
ataxiques sont fragiles ; demandez ce qu'il en est au malade qui vous a pré-
cédé ici.
Troisième malade. — C'est un nommé G... fin, âgé de 32 ans. Il a été atteint
de la syphilis à l'âge de 15 ans. Début il y a deux ans par des difficultés dans
la marche. Dérobement fréquent des membres inférieurs. Les douleurs ful-
gurantes n'ont commencé à s'accuser qu'il y a un an. Besoins fréquents
d'uriner et parfois incontinence d'urine. Sensation de coton dans les pieds et
les jambes; réflexes rotuliens absents, pas de signe de Romberg. Erections
rares et imparfaites.
Début du traitement le 12 novembre 1888. Le nombre des séances a été de
vingt-quatre. Une certaine amélioration dans la marche a commencé à se pro-
duire après la quatrième séance ; en même temps,moindre fréquence dans le
besoin d'uriner. Après la septième séance le malade affirme qu'il sent mieux
le sol, qu'il n'a plus de sensation de coton dans les pieds ; qu'il marche
mieux. Après la vingt-quatrième séance, les résultats acquis sont les suivants:
le malade peut faire d'assez longues courses sans se servir de sa canne, ses
jambes ne se dérobent plus sous lui. Les douleurs vives ont disparu, elles ne
sont plus représentées que par de simples chatouillements peu incommodes.
L'engourdissement dans les membres inférieurs a cessé. Il n'y a plus d'incon-
tinence d'urine. Les érections sont plus fortes et plus durables.
M. Charcot, au malade : Voulez-vous bien nous dire ce que vous pensez des
eflets du traitement que vous avez suivi?
Le malade : Monsieur, ce qu'il y a de plus clair c'est que lorsque j'ai com-
mencé le traitement, j'étais obligé de me faire conduire ici par ma femme qui
me soutenait par un bras, tandis que de l'autre côté je m'appuyais sur une canne.
Je venais de loin, car je demeure à peu près à trois quarts d'heure d'ici, rue de
la Tombe-lssoire, près du parc Montsouris. Aujourd'hui je fais ce même trajet
seul, sans être soutenu et sans canne. Il y a déjà un mois que je viens seul.
M. Charcot : Parlez-nous de vos douleurs, de vos urines.
— 214 —
Le malade : Je n'ai plu? la sensation de coton sous les pieds. Je n'ai plus de
douleurs mais j'éprouve quelquefois encore une espèce de chatouillement qui
parait les remplacer. J'urine presque comme autrefois.
Quatrième malade. - Extrait de l'observation : B...geois (Louis), âgé de
41 ans. Pas de syphilis. Un oncle paterael a été atteint de paralysie géné-
rale progressive. Début en 1887 par de l'impuissance ; absence complète d'é-
rection. L'incoordination motrice des membres inférieurs est très marquée.
Douleurs fulgurantes peu intenses, mais il y a sensation douloureuse et ob-
tusion delà sensibilité de la plante des pieds. Réflexes rotuliens absents.
Signe de Romberg très net. Difficulté de la miction ; un peu d'incontinence
de temps à autre. Mal perforant du pied. Signe d'ArgyJl Robertson.
Début du traitement,le 10 octobre 1889. Trente-huit séances de une demi-mi-
nute à trois minutes chacune. La démarche a commencé àdevenir plus sûre dès la
troisième séance, la miction plus facile, et, à partir de cette époque il a cessé
d'uriner dans son pantalon comme il le faisait souvent autrefois. Après la cin-
quième séance, la sensibilité est redevenue normale à la plante des pieds. A
partir de la seizième séance, la miction est normale. Après la vingtième séance
il se produit pour la première fois depuis longtemps une érection, faible à la
vérité.
Après la trentième séance, les résultats acquis sont: un état très satisfaisant
de la marche, de la miction et des sensations pathologiques qui existaient dans
les pieds. Le signe de Romberg a disparu ou, tout au moins, il est devenu fort
peu accusé. Les réflexes rotuliens sont toujours absents.
Cinquième malade. — Le nommé S... on_, 52 ans. Syphilisil y aseptans. Début
du tabès, il y a deux ans seulement, par un sentiment de faiblesse dans les
membres inférieurs et une difficulté rapidement prononcée de la marche.
Signe de Westphal, signe de Romberg, signe d'Argyll Robertson. Les douleurs
fulgurantes se sont manifestées, pour la première fois, il y a dix-huit mois
seulement. Elles sont peu intenses. Légère incontinence d'urine, un peu d'anes-
thésie plantaire. Érections très faibles.
Début du traitement le 14 novembre 1888. Après la quatrième séance, il se
produit une amélioration très manifeste dans la marche. Le malade
peut marcher beaucoup plus longtemps qu'il ne le faisait autrefois,
il se fatigue moins. Après la sixième séance, les douleurs ont cessé
d'exister,les pieds sentent mieux le sol; le signe de Romberg est moins accusé.
Après la douzième séance, la miction s'améliore notablement. Vers la vingt-
deuxième séance, les érections, au grand ctonnement du malade, reparaissent
plus fréquentes et plus soutenues. Les réflexes rotuliens font toujours défaut.
Il ne me paraît pas nécessaire maintenant, messieurs, d'entrer dansles détails
— '2\:y —
à propos des cinq autres cas d'ataxie locomotrice qui sont, en quelque sorte,
calqués sur les précédents, et chez lesquels les efFcts produits par la suspen-
sion ont été, à peu do chose prés, identiques. Mais je tiens àmentionner parti-
culièrement (|ue dans quatre autres cas, sur les quatorze du groupe, bien que
l'ataxic fût en général symptomatiquement semblable à celle des dix autres,
les résultats produits ont été presque nuls ou tout à fait nuls : dans un de ces
cas même, ils pourraient être considères peut-être comme ayant été plutôt
défavorables.
Il s'agit dans ce cas,d'un nommé C.rges, âgé de 32 ans. Hérédité nerveuse
très chargée,syphilis.Chez ce malade, l'évolution de la maladie avait été extrê-
mement rapide car, dans l'espace de six mois, les symptômes les plus divers
de la série tabéticpio avaient presque atteint leur apogée. Au moment où le
traitement a été commencé on note ce qui suit : Ptosis et strabisme à
droite. Incontinence nocturne depuis trois mois. Marche très difflcile, très
incoordonnée : signe de Romborg très accentué, absence des réflexes rotu-
liens, anesthésie plantaire.
Début du traitement le 22 octobre. Le nombre des séances a été de trente
et une, de une demi-minute à trois minutes chacune. Pendant le premier mois,
résultats favorables : ainsi, après la quatrième séance, l'incoordination était
devenue moindre. Yers la vingtième, la miction s'était améliorée, Tanesthésie
plantaire avait disparu, le signe de Romberg était devenu moins prononcé ;
mais de la vingt-cinquième à la vingt-huitième séance, on voit survenir, sans
qu'aucune circonstance individuelle permette de l'expliquer, un empirement
marqué par un retour de l'incoordination motrice, un accès de douleurs ful-
gurantes plus intenses que jamais, et une chute de la paupière supérieure
gauche. Le traitement a été suspendu, du moins provisoirement. Toute mé-
daille a son revers ; c'est pi ^ eque un axiome. Le traitement par la suspension
ne devait pas se soustraire à la loi..
En résumé, messieurs, sur quatorze casd'ataxie locomotrice traités par la
suspension pendant une période moyenne de trois mois, nous notons, dans dix cas
une amélioration très notableet, dansplusieurs casmême,uneatténuation vrai-
ment remarquable de la plupart des symptômes spinaux. Dans quatre cas seu-
lement, les effets ontété nulsou peu appréciables et, dansl'un de ces derniers,
aprèsune période d'amélioration il y a eu empirement de tous les symptômes.
Pas d'au très incidents à signaler. Dans plusieurs cas il y a eu des vertiges résul-
tant d'une application vicieuse, bientôt corrigée, de la pièce mentonnière.
Dans un cas seulement, où le malade était atteint de crises laryngées — ce
cas ne fait pas bien entendu partie du présent groupe — le traitement a dû
être suspendu dès la première séance à cause du sentiment de strangulation
déterminé par l'application des pièces céphaliques.
30
— 216 —
Quelques remarques générales, relatives aux résultats obtenus dans les dix
cas favorables, ne seront sans doute pas déplacées ici.
Nous rappelons que tous ces malades étaient des tabétiquesavérés, déjà avan-
cés dans le mal, et chez lesquels, par conséquent, le diagnostic avait pu être net-
tement établi. Chez presque tous, l'amélioration a commencé d'abord à porter
sur lamarche,surrincoordination.Elles'estfaitsentir dès les premières séances.
Les malades nous ont dit souvent qu'aussitôt après la séance la marche est plus
facile, plus assurée.Cette amélioration ne dure d'abord que deux ou trois heures;
mais après un certain nombre de séances, elle se prononce et devient perma-
nente. Les malades se tiennent beaucoup plus facilement debout ; ils peuvent
marcher sans aides, sans canne, faire des courses assez lo4n gués, etc., etc. La
disparition du signe de Romberg, lorsqu'elle a eu lieu, a été presque toujours
un phénomène tardif. Dans aucun cas, nous n'avons vu reparaître les réflexes
rotuliens. Les troubles vésicaux ont été modifiés heureusement dans la plupart
descas,ti lavérité souventd'une façon tardive. La miction s'est régularisée, elle
est devenue plus facile. L'incontinence a disparu, ou s''est pour le moins consi-
dérablement atténuée. Chez quelques malades, les fonctions vésicales sont
redevenues normales. Il en a été quelquefois de même de l'impuissance, cette
manifestation si fréquente du tabos et qui impressionne si fâcheusement les
malades.
Les douleurs fulgurantes doivent être citées parmi les symptômes qui ont
semblé le plus souvent bénéficier du traitement par la suspension ; ce résul-
tat a été souvent obtenu dès les premièrjps séances. Il a été facile à apprécier
dans plusieurs cas où les douleurs étaient devenues presque continues et
empêchaient le sommeil. Nous ne devons pas oublier que, plusieurs fois, la
sensation d'engourdissement des pieds s'est atténuée ou a disparu et que, chez
deux malades, des plaques d'anesthésie plantaire sont redevenucs sensibles.
Enfin il nous a semblé que l'état général lui aussi s'est le plus souvent amélioré
et que le sommeil, fréquemment, est devenu meilleur, circonstance qui ne
nous a pas paru devoir être uniquement attribuée à la disparition des douleurs
fulgurantes.
Après tout ce qui précède, messieurs, il vous paraîtra sans doute évident
comme à moi, que le traitement de l'ataxie locomotrice progressive par la
suspension tel qu'il a été employé par M. le D"" Motchoutkowsky méritait bien
d'être tiré de l'ouldi où il était resté plongé jusqu'ici, et de nouveau mis en
lumière. Les résultats obtenus jusqu'à ce jour sont, à mon avis, assez frap-
pants pour qu'on les prône et qu'on les recommande sérieusement à l'atten-
tion de^ médecins particulièrement voués aux études neuropathologiques ; et,
en ce qui me concerne, je puis témoigner que jamais je n'ai observé, dans
l'ataxie, sous fintluence des divers autres modes de traitement qu'on lui
oppose, des améliorations aussi prononcées, produites aussi rapidement sur
un aussi grand nombre de malades à la fois. Mais après cette déclaration je
— lM7 —
serai le premier à relever qu'en cette matière, nous en sommes encore, sur
plusieurs points, aux préliminaires. (Test qu'en effet, faute d'expériences
suffisamment prolongées et suldsamment multipliées, il est une foule de
questions qui se présentent à l'esprit et auxquelles nous ne saurions répondre.
Ainsi, pour ne citer que quelques exemples, nous ne pouv(jris pas affirmer, si
ce n'est d'après une observation uni([ue appartenant à M. Molchoutkowsky,
que les résultats obtenus puissent être vraiment définitifs, de nature à persister
plusieurs années après la cessation du traitement. Nous connaissons bien la
plupart des contre-indications relatives à la santé générale du sujet, qui doi-
vent, dans certains cas, mettre en garde contre la pratirpie de la suspension,
telles {)ar exemple que les maladies organiques du cœur, la phtisie pulmonaire,
les tendances apoplectiques, etc. ; elles ontété parfaitement signalées par notre
confrère d'Odessa, mais nous ignorons d'autre part si, il n'y a pas à redouter
encore chez certains sujets, sains en apparence, bien entendu en dehors du
Ittbes, certains accidents relevant de la suspension qu'il est impossible de
prévoir quant à présent. Nous ne savons pas non plus reconnaître encore, à
certains caractères déterminés, les cas où la suspension, relativement aux
symptômes tabétiques, sera certainement ou très vraisemblablement utile et
les distinguer de ceux où son application serait de nul effet, ou peut-être même
nuisible. Toutes ces questions là et d'autres encore, qui constituent à l'heure
qu'il est autant de desiderata ne sauraient être éclairées, on le conçoit, qu'à la
suite d'études suffisamment prolongées et établies sur une grande échelle. Pour
ce qui est de nous, nous nous proposons de continuer celles que nous avons
entreprises et de les étendre au plus grand nombre de sujets possible. Nous
espérons pouvoir dans quelques mois vous faire connaître les résultats, quels-
qu'ils soient, que nous aurons obtenus dans cette nouvelle série de recher-
ches.
Suivant en cela l'exemple de M. Motchoutkowsky, nous avons essayé l'em-
ploi de la suspension dans le traitement de quelques autres affections orga-
niques des centres nerveux, autres que l'ataxie locomotrice, et aussi de quelques
maladies purement névropathiques. M. le D"" Blocq, notre ancien interne, a
traité de cette façon, dans le service une jeune fille de 13 ans, atteinte delà ma-
ladie de Friedreich. Cette malade, après un traitement de trente séances, a
obtenu des améliorations très remarquables portant sur le signe de liomberg
et, sur la titubation qui étaient très prononcée. Malheureusement, le corset
ayant été appliqué dans ce cas, il est impossible de décider ce qui, dans le suc-
cès, revient à la suspension.
Les effets ont été favorables dans deux cas d'impuissance liée à la neuras-
thénie.
Par contre, un malade atteint de sclérose en plaques avec exagération con-
sidérable des réflexes rotuliens étant soumis au traitement, il survint chez lui
218 —
après deux séances une rigidité spasmodique des membres inférieurs qui dis-
parut heureusement au bout de trois jours.
Nous comptons, dans ce second groupe des malades non ataxiques, multi-
plier à l'avenir et varier les essais.
APPENDICE
Après la leçon qu'on vient délire, un grand nombre de malades se sont
présentés à la Salpêtrière pour y être traités par la suspension. Naturelle-
ment, parmi ces nouvelles recrues, les ataxiques ont prédominé ; aujourd'hui
15 mars nous en comptons 114, dont 3 femmes, qui ont été soumis au trai-
tement. Il y a lieu de les diviser en plusieurs groupes.
Trente malades sont'venus de une à cinq fois seulement, et n'ont plus été
revus ensuite. Beaucoup de malades d'ailleurs fréquentent l'hùpiLal dans le
but d'apprendre à se suspendre, et après avoir fait emplette d'un appareil, ils
continuent le traitement chez eux. C'est là une circonstance défavorable, on le
conçoit, à l'observation, car il est assez rare que les malades qui sont en pos-
session d'un appareil reviennent donner de leurs nouvelles. Toutefois, à ce
propos, nous ne devons pas manquer de relever que nous avons pu, à la date
du 8 mars, réunir tous les anciens malades présentés comme améliorés à la
leçon du 15 janvier, etreconnaitre à cette occasion que l'amélioration obtenue
avait persisté dans tous ces cas et avait même notablement progressé chez
quelques-uns d'entre eux. A la vérité, dans aucun de ces cas, les séances de
suspension n'avaient été interrompues.
20 ataxiques sont venus de une à cinq fois et sont encore à ITicuro qu'il est
en observation sans qu'il soit possible, on le comprend, de rien conclure ù
leur égard.
14 ont été suspendus de six à dix fois, sans avoir présenté rien qui soit
digne d'être noté, soit dans le sens de l'amélioration, soit dans le sens con-
traire.
7 ont été suspendus de quinze à vingt fois et au-dessus, sans avoir ressenti
aucune amélioration.
38. comprenant 3 femmes, ont été suspendus de «pialrc à vingt fois et
— 219 —
au-dessus, avec une moyenne de ([uinze suspensions et ont été améliorés très
nettement bien qu'à des dej^rés divers.
5 enfin ont présenté des accidents de divers ordres qui ont motivé l'inter-
l'uption des séances,
En résumé, en éliminant 04 cas pour lesquels il n'existe pas d'éléments
d'appréciation, puisque nous ne saurions considérer comme infructueuses les
séances avant la dixième, nous disons que sur un chiffre de 50 tabéti-
ques ayant subi plus de dix à quinze suspensions, ou ayant été améliorés
avant que ce chilîre ait été atteint, nous avons observé 38 améliorations,
7 échecs, 5 accidents.
L'analyse des 38 cas, dans lesquels une amélioration est survenue, nous con-
duit à formuler quelques propositions qui pourront contribuer peut-être à
éclairer le chapitre des indications de la suspension dans le traitement du
tabès.
11 nous a paru que les ataxiques frappés par la maladie lorsqu'ils sont très
jeunes, et aussi, par contraste, ceux qui sont arrivés à un âge avancé ne reti-
rent que peu de bénéfices de la suspension ; les premiers sans doute parce
que chez eux, le tabès revêt le plus souvent une forme grave et évolue très
rapidement, les autres pensons-nous parce qu'ils se présentent souvent dans
un état de débilité qui nous a semblé peu favorable. Dans tous les cas on pour-
rait dire que, meilleur est l'état général, meilleur sera l'effet de la suspensi(ui.
Il est difficile de se prononcer avant la dixième ou quinzième séance sur le
bénéfice qu'on pourra retirer ultérieurement de la suspension ; toutefois, il
paraît certain qu'une amélioration qui se prononce rapidement dès les pre-
mières séances est d'un bon augure. Nous avons vu, dans certains cas, des amé-
liorations obtenuesrester stationnaires vers la dixième séance et ne s'accentuer
ensuite que vers la quinzième ou vingtième séance.
Il est difficile de se prononcer sur la question de savoir si les ataxiciues
entachés de syphilis sont plus ou moins vite, ou plus ou moins certainement
améliorés que ceux qui n'ont pas eu la vérole. Nous n'avons rien observé qui
put nous permettre de ranger, en nous basant sur l'existence ou la non exis-
tence de la syphilis chez eux, les ataxiques en deux catégories au point de vue
des bénéfices qu'ils sont appelés à retirer de la suspension.
La forme des accidents tabétiques est plutôt à considérer : ainsi. les symp-
tômes céphaliques^ tels que paralysies oculaires, phénomènes laryngés, ou
encore les crises gastriques semblent résister au traitement. En ce qui regarde
ces derniers toutefois, il est impossible de rien décider encore, le nombre des
cas de ce genre ayant été assez restreint.
Au contraire, l'incoordination motrice, les douleurs fulgurantes, les troubles
vésicaux divers, la faiblesse générale, le signe de Romberg enfin, sont surtout
favorablement influencés dans les conditioi^s indiquées dans la leçon du 15 jan-
vier.
— 220 —
x\u cours des nombreuses suspensions pratiquées à la Salpêtrière, pendant
CCS deux derniers mois, nous avons vu survenir des accidents de divers ordres
qui ont motivé la cessation du traitement et sur lesquels nous tenons à insister
particulièrement.
Dans un cas, chez un homme de 55 ans, athéromateux, nous avons vu sur-
venir après la dix-septième séance, un œdème des membres inférieurs
résultant de troubles circulatoires cardiaques sans lésion orificielle appréciable
(cœur forcé). L'œdème a cessé rapidement, d'ailleurs, après la suspension des
séances.
Chez un homme âgé de 51 ans, tabctique confirmé ne présentant aucune
lésion cardiaque et n'étant pas sous le coup de crises laryngées, un étal
lypothimique s'est manifesté à la suite de quelques séances, puis, à la suite de
l'une d'elles, une véritable syncope ce qui a nécessité l'interruption du trai-
tement.
Un second cas, où une des suspensio«is a été suivie d'une syncope que rien
ne faisait prévoir, a été observé.
Chez un quatrième malade âgé de 43 ans, suspendu huit fois, les symp-
tômes parétiques, déjà très prononcés du reste avant le traitement, se sont
aggravés sous son influence. Ce malade était profondément anémié.
Enfin, dans un cinquième cas, est survenu à la suite d'une séance une para-
lysie radiale évidemment déterminée parla compression. Cette paralysie a dis-
paru très rapidement.
Nous devons noter encore un fait observé en dehors du service. Il s'agit
d'un cas de rupture d'une artériole athéromateuse déterminée par la compres-
sion exercée sur l'aisselle pendant l'application de la suspension.
Voilà des accidents qu'il importait de signaler hautement et qui sont bien
de nature à montrer que la pratique des suspensions ne saurait être faite,
sans critique, sans distinction des cas, et qu'il peut être dangereux dans cer-
tains cas de l'abandonner au malade lui-même.
Relevons, en passant, que trois de nos tabétiques améliorés présentaient avant
le traitement une proportion plus ou moins considérable de sucre dans les
urines.
En dehors du tabès, la suspension a été appliquée à huit sujets atteints de
paralysie spasmodique, à trois sujets afTectés de la maladie de Friedreich, enfin
à quatre cas de paralysie agitante (maladie de Parkinson).
Aucun des malades atteints de paraplégie spasmodique (huit cas dont deux
sont relatifs à la sclérose en plaques), n'a subi quant à présent plus de huit
séances ; tous ont bien supporté la suspension, plusieurs aflirmcut que, chez eux,
la rigidité des membres inférieurs est devenue moindre. Mais, en raison du
petit nombre des séances, il est difl'icilede se prononcer. Tout ce que l'on peut
dire c'est que, à l'inverse de ce qui s'était produit dans un cas antérieur
(sujet atteint de sclérose en plaques signalé dans la leçon du 15 janvier), la
— n\ —
suspension a été parfaitement tolérée, sans produire jamais une aggravation
des symplôuHîS paralyti([uos.
Les trois malades atteints de maladie de Friedreich. traités fHir la suspension
sans application du corset, n'en ont tiré aucun bénéfice api>récialile. Il est
vrai que le nombre des suspensions n'a pas dépassé encore six séances.
Par contre dans les cas de paralysie agitante,— nous relevons en passant «juil
s'psi agi là de la véritable maladie de Parkinson et nullement dun tremlile-
ment quelconque, — les résultats de la suspension ont été vraiment favorables.
Ainsi, chez quatre maladesde ce genre ayant subi de sept àvingt-trois suspen-
sions,lesommeilest devenu meilleur,en mêmetemps quele sentiment de chaleur
(pii se produit surtout la nuit s'est remarquablement amendé; la rigidité des
membres et les symptômes pénibles, parfois douloureux, que les malades y
éprouvent ont été fortement atténués; chez une des malades (femme de 43 ans)
le phénomène d'antépulsion a disparu; par contre, nous n'avons pas remarqué
que le tremblement ait jamais subi une modification appréciable.
Nous nous trouvons encouragés, par ce qui précède, à conseiller le traitement
de la suspension dans la maladie de Parkinson, surtout lorsque la raideur des
diverses parties du corps et les sensations pénibles diverses qui l'accompagnent
si souvent^ se montrent particulièrement prononcées.
20 mars 1889.
ntr. NOIZETIE, 8. RUr. CAMPAC.NF.-rUKMIl r.r, P.VKIS.
Policlinique du Mardi 22 Janvier 1889
ONZIEME LEGON
1^"^ Cas. — Goutte articulaire, puis otite goutteuse; invasion
soudaine du vertige ab aure lœsa : diplopie, paralysie
faciale transitoire. Le vertige s'établit à l'état permanent.
— Traitement par le sulfate de quinine à hautes doses long-
temps prolongées.
2% 3% 4% 5® et 6® Cas. — Exemples de maladies de Basedovv
présentant certaines particularités intéressantes : tremble-
ment, fièvre, paraplégie spéciale dans la maladie de
Basedow. Combinaison de la maladie de Basedow avec
rhystérie^ l'ataxie locomotrice progressive.
!•' Malade
M. Gharcot. — Messieurs, le malade dont nous allons nous occuper en pre-
mier lieu est déjà connu de plusieurs d'entre vous. Je vous l'ai présenté en
effet, une fois déjà, cette année même, à la clinique (Leçon du mardi 13 novem-
bre 1888) ; mais alors, nous nous sommes bornés à tracer de son histoire une
légère esquisse; le cas est assez intéressant cependant, je crois, pour mériter
d'être l'objet d'une étude plus attentive que nous allons entreprendre actuelle-
ment.
C'est un homme fort vigoureux, âgé de 55 ans environ, et qui exerce, ou
plutôt exerçait il y a quelques mois encore, la profession non pas de forgeron,
comme on Ta dit dans la leçon citée plus haut, mais bien de maréchal ferrant,
ce qui du reste, à notre point de vue, revient à peu près au même.
Nous n'avons pu recueillir auprès de lui aucun renseignement précis con-
31
— 224 — • ' ■
cernant les antécédents héréditaires. Il a servi autrefois comme maréchal dans
un régiment de cavalerie et il a fait de nombreuses campagnes. Jamais il
n'avait été malade lorsque, il y a dix ans, il a commencé à souffrir de dou-
leurs dans les jointures dont la description ne laisse subsister aucun doute sur
la nature de l'affection.
Ces douleurs articulaires en effet, ont eu pour caractère de se reproduire de
temps à autre^sous l'orme d'accès^, pendant lesquels une oudeux jointures seule-
ment à la fois devenaient douloureuses etgonflées. C'est au gros orteil du côté
gauche que la douleur s'est localisée, lors du premier accès, puis ça a été le
tour de l'articulation métatarso-phalangienne du gros orteil du côté droit ; les
genoux, les articulations des mains, des poignets, des coudes sont devenus
plus tard le siège du mal. Le malade insiste sur ce fait, que les douleurs,
pendant les accès, se montraient intenses tout particulièrement la nuit, et
s'apaisaient notablement le jour. Les accès, en général,, ne le retenaient pas
plus de huit jours au lit. Il porte au niveau du coude gauche une petite
tumeur dure, paraissant occuper l'épaisseur de la peau, mobile^, qui nous
paraît être constituée par un tofus^ bien que Ton ne voie pas la substance
d'un blanc crayeux transparaître à travers le tégument externe. Cette tumeur
s'est développée à la suite des accès qui siègent dans les membres supérieurs.
Pas de sucre dans les urines. Il a eu, à plusieurs reprises, des crises doulou-
reuses dans la région lombaire et dans l'abdomen, lesquelles répondent cer-
tainement à la description de la colique néphrétique, bien qu'il n'y ait jamais
eu, paraît-il, expulsion de calculs.
Quoi qu'il en soit, voilà un ensemble de phénomènes suffisamment caracté-
risé pour que vous ayez compris, à les entendre énumérer^ que c'est la goutte
qui est ici en jeu. Notre malade est donc un sujet arthritique au premier
chef; cela étant, nous pouvons nous attendre à voir survenir chez lui un cer-
tain nombre d'épisodes qui sont, en quelque sorte, dans la logique de la dia-
tlièse en question.
C'est dans ce sens^ et non pas à titre d'événement purement accidentel, qu'il
faut interpréter, croyons-nous, l'apparition, il y a deux ans, — époque depuis
laquelle les iluxions articulaires n'ont plus reparu, — d'une affection de
l'oreille gauche, peu douloureuse il est vrai, mais accompagnée de bourdonne-
ments d'oreille et de surdité, rapidement survenue.
Il est intéressant de relever que cette otite goutteuse, — car c'est bien cer-
tainement de cela qu'il s'agit, — s'est accompagnée d'une paralysie du nerf
facial gauche, offrant tous les caractères de la paralysie périphérique classique
dite rhumatismale ; cette paralysie a cédé d'elle-même au bout d'une huitaine
de jours.
Vous n'avez pas oublié, certainement, comment à plusieurs reprises, dans
ces derniers temps, j'ai insisté sur la notion nouvellement introduite dans
la science par M. Ncumann, notion d'après laquelle la paralysie de ce genre
— 225 —
est souvent une maladie d'hérédité' nerveuse, Mais je n'ai jamais été jusqu'à
prétendre, bien entendu, ni M. Neumann non plus je pense, que la paralysie
faciale périphérique n'est jamais une affection toute locale, ne relevant d'au-
cune tare nerveuse, produite de toutes pièces en un mot par l'application
plus ou moins directe du froid humide. J'ai émis seulement l'opinion que
ces cas sont beaucoup plus rares qu'on ne Tavait cru jusque dans ces derniers
temps ; en tout cas, personne n'ignore que, dans un groupe de faits assez
nombreux, la paralysie faciale périphérique est, purement et simplement,
la conséquence d'une otite, non pas seulement d'une otite grave avec lésions
osseuses, mais encore d'une simple otite catarrhale ; c'est à un point que
depuis longtemps Deleau, Roche {Académie de médecine 1857-1858], Wilde,
Trciltsch, et plus récemment Tilmann {Facialislâhmung bei Ohrenkrankheiten ,
Diss. Halle, 1869), ont bien mis en lumière.
Il n'est pas difficile de comprendre anatomiquement la production d'une
paralysie faciale en conséquence d'une otite moyenne : on sait, en efTet, que,
dans la caisse, immédiatement çn arrière et au-dessus de la fenêtre ovale est
un relief osseux, l'aqueduc de Fallope, dans lequel se trouve contenu le nerf
facial. Ce nerf n'est séparé de la cavité de la caisse que par une mince lamelle
osseuse parfois criblée de trous, et^ partiellement, par du tissu fibreux.
Le nerf facial envoie d'ailleurs dans l'oreille moyenne deux branches et il
reçoit la même artère nourricière que celle-ci. On imagine aisément, d'après
cela, comment une inflammation même superficielle, ayant pris origine dans
la caisse, peut se communiquer au contenu du canal de Fallope... (Tiliaux,
Analomie topographique, p. 120; Erb, Krank. der Nervensgstem, t. I, p. 448).
Inutile de dire que telle a été, suivant nous, la raison de l'apparition d'une
paralysie faciale transitoire chez notre homme dans les circonstances que nous
venons d'indiquer. Cette même paryalsie faciale devait reparaître, une fois
de plus, dans des circonstances au moins fort analogues; c'est ce que nous
allons dire dans un instant. Un certain degré de surdité de l'oreille gauche et
des bourdonnements presque constants ont survécu à la paralysie faciale
qui du reste, ainsi que nous l'avons fait remarquer, avait disparu spontané-
ment au bout de quelques jours seulement. Les choses en étaient là et F... se
considérait comme très bien portant, lorsqu'il y a quatre mois environ, le
1" octobre 1888, la date est précise vous le voyez, se trouvant en wagon pour
se rendre de Dijon à Paris, il fut pris inopinément des accidents que voici:
tout à coupse produisent dans l'oreillegauche, des sifflements épouvantables
par leur acuité et leur intensité ; en même temps survient un vertige carac-
térisé surtout par une tendance à être projeté vers la gauche, côté de l'oreille
malade.
Cette sensation de translation violente était d'autant plus pénible qu'elle
était, pour ainsi dire, continue et qu'elle s'accompagnait de nausées ; il
y eut même quelques vomissements glaireux. Malgré tout, —cela est parfaite-
— 2^26 —
ment établi dans le souvenir du malade, — il n'y eut pas un instant perte de
connaissance; il a assistée tous ces phénomènes parfaitement conscient, mais
non sans en éprouver_, on le conçoit, un indicible malaise. Il était 8 heures du
matin lorsque l'accès a été inauguré tout à coup par le sifflement d'oreille ; à
dl heures, époque de l'arrivée du train à Paris il n'était pas, tant s'en faut, ter-
miné. Il fallut porter le patient pour le descendre de wagon et le placer sur
une civière pour le transporter de la gare de Lyon à la rue du Faubourg-
Saint-Antoine où il habite.
Là, les phénomènes vertigineux persistant tels quels ; on dut le mettre au
lit. Ils durèrent encore du reste^, presque sans atténuation, pendant une quin-
zaine de jours. Pendant cette longue période, le pauvre homme n'a pas cessé,
pour ainsi dire, jour et nuit de sentir à chaque instant son lit verser tout à
coup vers la gauche avec la crainte d'être entraîné dans sa chute; parfois il
lui semblait que son lit se soulevait par le pied, tandis que sa tête tombait en
arrière. Les sifflements aigus dans l'oreille gauche les nausées^non suivies ce-
pendant de vomissements, pendant cette terrible quinzaine le tourmentèrent
en quelque sorte sans relâche et sans trêve.
Il y a lieu de relever encore, pendant cette longue période de vertige per-
manent, la présence d'une diplopie revenant par moments laquelle n'a pas
reparu depuis, et aussi l'existence d'une paralysie faciale en tout semblable à
celle qui s'était produite il y a deux ans, lors de l'apparition des premiers
sifflements d'oreille et des premiers symptômes d'obnubilation auditive. Cette
fois encore, la paralysie a été absolument transitoire; sa durée n'a pas dépassé
dix jours, bien qu'aucune thérapeutique spéciale n'ait été dirigée contre elle.
Vous avez reconnu facilement dans ce qui précède, la description pour
ainsi dire classique du syndrome vertigo ah aiire lœsn, vertige de Ménière
comme on dit encore. Rien n'y manque : sentiment de translation soudaine
entraînant le malade dans une direction toujours à peu près la même pour
chaque individu, et survenant à la suite d'un sifflement aigu ressenti dans une
oreille où l'ouïe est obnubilée; nausées, vomissements, pas de perte de con-i
naissance même dans les cas où le vertige est le plus intense : tout cela, je le
répète appartient au type.
Bien qu'elles y soient exceptionnelles, et qu'elles ne lui appartiennent pas
en propre, la diplopie à répétition et la paralysie faciale transitoire signalées
tout à l'heure, ne sont cependant pas déplacées dans le tableau. La première,
en efl'et, s'y observerait peut-être plus souvent qu'on ne l'a fait jusqu'ici, si l'at-
tention était fixée sur la possibilité de son existence en pareil cas. On sait, en
effet, que quelques auteurs, en particulier Hughlings Jackson (Bra'in, 1879) ;
Ilobertson (Mind 1878) ; Schwalbach [Zeitsch. fur prakt Medkin 1878) ont
signalé des oscillations du globe oculaire survenant pendant la durée du
vertige auriculaire. J'ai assisté, pour mon compte, à plusieurs accès d'un
vertige de ce genre marquées chaque fois par la concomitance d'un
227
strabisme temporaire accompagné de diplopie. C'est peut-être ici le cas de
rappeler que Gyon {Rechei'ches expérimenlales sm- les fonctions des canaux
demi-circulaires. Thèse de Paris 1878, p. 03) a provoqué expérimentalement,
chez l'animal, des oscillations en sens variés du globe oculaire par l'excita-
tion des divers canaux demi-circulaires. Il ne serait pas impossible d'ailleurs
qu'un certain degré d'oscillation des yeux fût dans l'espèce un phénomène
fréquent, constant peut-être, non encore suffisamment remarqué.
Pour ce qui est de la paralysie faciale, nous avons dit plus haut quel a dû
être le mécanisme de son développement il y a deux ans, et nous ne voyons
aucune raison d'en invoquer un autre pour expliquer la récidive d'aujourd'hui.
Il est on ne peut plus vraisemblable qu'une recrudescence survenue peut-être
sous l'influence d'un courant d'air, de l'otite moyenne déjà existante, avec
extension au labyrinthe, a déterminé la brusque apparition du vertige et de la
diplopie, tandis qu'en se propageant au canal de Fallope l'inflammation a
déterminé la paralysie. La coexistence, d'ailleurs, d'une paralysie faciale
périphérique avec une otite accompagnée de vertige de Ménière, n'est pas un
fait inattendu. Il a été observé plusieurs fois_, en particulier par M. Léo qui,
dans sa thèse inaugurale (Th. de Paris 1876, obs. III et IV, v. p. 26^ 47 et 48),
cite deux exemples du genre.
C'est ici le moment, sans doute, de faire connaître le résultat d'un examen
otoscopique régulier pratiqué chez notre malade par M. Gellé, quelques
semaines après l'accès qui vient d'être décrit. < Otites périostiques chroniques
rhumatismales ; — lisez goutteuses. — L'oreillegaucheoflredeslésionstrèsnettes
d'otite chronique sèche; déformation et enfonçure extrême du tympan gauche.
Obstruction des deux trompes, étriers mobiles. Réflexes auriculaires : l'épreuve
binauriculaire réussit par les pressions sur la droite, non par pression àgauche.
Le diapason au vertex est perçu comme son à droite, et l'occlusion du méat
gauche ne le mobilise pas. Le vertige et la paralysie faciale reconnaissent la
même cause, à savoir l'otite rhumatismale. »
Voici donc ce grand accès vertigineux de quinze jours de durée enfin ter-
miné. Le malade pourra désormais quitter le lit, se tenir debout même, s'ali-
menter enfin; pendant toute la durée de l'accès, il était resté, à cause des nau-
sées permanentes, complètement privé de nourriture. 11 dort par moments une
bonne partie de la nuit. Tout cela pour lui est un grand soulagement. N'allez
pas croire, cependant_, que la sensation vertigineuse ait disparu ; elle s'est
atténuée sans doute^ elle laisse du répit du moins en tant que sensation très
pénible: mais désormais, la voilà pour de longs mois établie en permanence
pour ainsi dire, à poste fixe_, toujours présente à un certain degré. Elle subit, de
temps à autre, la nuit comme le jour, sous l'influence de causes banales,
telles, par exemple, qu'un mouvement brusque de la tête ou du corps, un bruit
imprévu, quelquefois sans cause apparente, une exacerbation soudaine, dans
laquelle on voit se reproduire, à part la diplopie et la paralysie faciale, tous
— 228 —
les phénomènes signalés, lors du grand accès, à savoir: sifflements d'oreille,
sentiment de chute brusque vers la gauche, nausées etc., etc. C'est ainsi Mes-
sieurs, que dans un certain nombre de cas de vertige de Ménière, — et ces cas
sont évidemment les plus graves — , au lieu d'apparaître sous forme de crises
distinctes, de courte durée, séparées par des intervalles de calme absolu, pen-
dant lesquels les symptômes de la maladie locale d'où ils dérivent persistant,
les accès tendent à se rapprocher, à se confondre, de manière à consti-
tuer un état vertigineux pour ainsi dire permanent où se dessinent des
paroxysmes plus ou moins fréquents reproduisant tous les phénomènes des
crises distinctes. Il y a longtemps que j'ai appelé l'attention sur la nécessité
de bien distinguer en clinique le vertige ab aure lœsa, à crises distinctes, de
celui qui se montre à l'état permanent avec exacerbation survenant de temps
à autre (1). Evidemment, ces deux ordres de faits ne sont pas foncièrement de
nature différente et l'on peut dire qu'ils se fondent l'un dans l'autre par des
cas de transition, mais très certainement il n'est pas inutile de relever que le
pronostic est fort différent suivant qu'il s'agit de l'un ou de l'autre;
c'est un point sur lequel j'aurai d'ailleurs à insister particulièrement dans un
instant.
Vous pouvez reconnaître, Messieurs, qu'aujourd'hui encore, quatre mois
environ après le début solennel que nous avons signalé tout à l'heure, l'état
vertigineux habituel persiste à un assez haut degré.
Voyez comment le malade, lorsqu'on le prie de faire quelques pas dans la
salle, procède en titubant, supporté par deux cannes, s'efforçant de maintenir
la tête et le tronc tout d'une pièce et fixant constamment ses pieds du regard.
La raison de cette attitude raide et de ce regard toujours dirigé droit vers
la terre, le malade nous la donne en disant « qu'il est toujours en éveil parce
que le moindre mouvement imprévu de la tête sur le tronc, pendant la marche,
aurait pour effet d'exaspérer le vertige, et d'un autre côté il lui faut incessam-
ment tenir ses yeux fixés sur le sol dans le but de s'adapter aux oscillations
imaginaires que celui-ci lui paraît subira chaque instant. »
Ainsi, Tattitude du malade en marche traduit jusqu'à un certain point la
lutte à laquelle il ne cesse de se livrer contre l'ennemi toujours présent. Lors-
qu'il est assis, il se sent beaucoup plus calme, et les vertiges ne survien-
nent guère alors qu'à la suite d'un bruit soudain, imprévu, ou encore d'un
mouvement qui serait imprimé, à l'improviste, au siège qui le porte.
L'état actuel est, vous le voyez, fort pénible. Si cependant, vous le com-
parez à ce qui existait à la date du 13 novembre dernier, époque à laquelle
le malade vous a été présenté pour la première fois, vous constaterez qu'il
1. Leçons sur les maladies du système nerveux, t. II, p. 348.
— 2^ —
s*est produit dans sa situation un amendement très notable. Sans doute, le
vertige existe en quelque sorte, toujours en puissance: il est imminent, prêt à
paraître sous rinfluence des causes occasionnelles; mais lorsque le malade est
bien calme, bien tranquille, assis ou couché surtout, la vie est relativement
supportable. En effet, les accès provoqués sont devenus beaucoup moins in-
tenses, beaucoup moins pénibles maintenant qu'autrefois et, pour ce qui est
des grands vertiges spontanés, marqués principalement par ces terribles sen-
sations de chute soudaine ou de tournoiement autour de l'axe vertical, que
le malade dépeignait avec des couleurs si vives, ils ont complètement dis-
paru.
Cette amélioration, encore fort imparfaite, sans doute, mais qui a déjà bien
son prix, s'est effectuée, pensons-nous, sous Tinfluence du traitement prescrit
le 13 novembre et suivi depuis cette époque avec persistance.
Du 13 au 28 novembre, le malade a pris chaque jour, 0,75 centigrammes de
sulfate de quinine. Au bout de 2 ou 3 jours, ainsi que cela était prévu, il s'est
produit, sous l'influence du médicament, une exaspération très marquée des
bruits d'oreilles et des vertiges : ceux-ci se sont montrés si intenses et si fré-
quemment répétés que le malade a dû se confiner chez lui où il est resté
presque constamment couché ou assis. Vous devez vous attendre, Messieurs, à
voir survenir de semblables aggravations de tous les symptômes dans les pre-
miers temps du traitement du syndrome de Ménière par le sulfate de quinine
à dose élevée; il est pour ainsi dire de règle que les choses soient ainsi, et
de cela, vous le comprenez, il est absolument nécessaire que le malade
soit prévenu dès l'origine ; sans quoi, il ne manquerait pas de se soustraire du
premier coup à toute discipline. Prévenez-le, avec autorité, qu'il ne doit pas
céder à ses premières impressions, et qu'il lui faudra passer outre ; en général,
il se soumettra.
La cessation de l'administration du médicament, au bout de la quinzaine,
eut pour effet d'amener bientôt un répit; les symptômes, pendant les deux
semaines de repos qui furent prescrites au malade, revinrent au niveau où ils
étaient, antérieurement à l'époque où le traitement avait été commencé. Il ne
s'était produit aucune amélioration sensible pendant cette première période.
On recommença l'emploi du sulfate de quinine à la même dose que par le
passé le 13 décembre, avec prescription de le continuer sans arrêt pendant
toute la durée de la quinzaine suivante. Les premiers jours ont été marqués,
cette fois encore, par une exacerbation des bruits d'oreilles et des vertiges, en
tout semblable à celle qui s'était produite lors de la première période du
traitement. Mais cela ne dura point; à partir du 20 décembre, les grands ver-
tiges par accès, après s'être considérablement atténués d'abord, ont ensuite
cessé de se produire. Jusqu'à aujourd'hui ^ 22 janvier, ils n'ont pas reparu.
Le résultat obtenu nous paraît satisfaisant et conforme à nos prévisions.
Sans doute, nous restons bien éloignés de ce que l'on pourra appeler la gué^
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rison. Mais il ne faut pas oublier que nous nous trouvons en présence d'un
cas de vertige de Ménière permanent, et que ces cas se montrent bien plus
tenaces, bien plus rebelles à la médication quinique que ne le sont ceux où
les crises, quelque intenses qu'elles puissent être d'ailleurs, se montrent sépa-
rées pas des intervalles libres.
Autant il est aisé, en général, pourrait-on dire, de triompher du mal
dans les cas du dernier genre, autant cela est difficile, au contraire, lorsqu'il
s'agit des premiers. Ainsi, chez notre malade, si j'en juge par une expérience
déjà longue dans la matière, il nous faudra pour en finir avec les sensations
vertigineuses dont il souffre, revenir peut-être à trois ou quatre reprises en-
core, à l'administration du sulfate de quinine, par quinzaines séparées par des
intervalles de six ou quinze jours; peut-être même nous faudra-t-il élever
les doses et les porter à un gramme et plus par jour. Mais notre malade est
confiant, résolu, et je compte beaucoup sur lui pour arriver au résultat dé-
siré.
Je puis affirmer que j'ai à peu près constamment atteint le but chez les
malades auxquels je suis parvenu à faire partager ma confiance dans la médi-
cation et qui, en conséquence, loin de se décourager en présence de la durée
nécessairement longue du traitement, quand c'est la forme permanente du
vertige qui est en cause, ont au contraire secondé nos efforts. Dans le cas où
il s'agirait d'un vertige à crises distinctes, la tâche serait, d'ailleurs, je le ré-
pète, beaucoup moins ardue : trois ou quatre quinzaines de médication suffi-
ront le plus souvent pour amener la cessation des accidentsvertigineux.il est
vrai que les récidives sont à prévoir, mais elles sont, en général, plus facile-
ment combattues que les premières atteintes, et d'ailleurs, leur apparition
n'est nullement fatale. La guérison peut, dès la première action thérapeutique,
s'établir d'une façon définitive et persister à tout jamais.
Je saisirai, en terminant, l'occasion qui se présente de vous faire part de
certaines critiques dont le traitement du vertige auriculaire par l'emploi pro-
longé du sulfate de quinine à doses élevées, a été plusieurs fois l'objet. On a
émis, entre autres, l'opinion que cette pratique ne devait pas être exempte de
dangers, puisque le sulfate de quinine — il en est de même du salicylate de
soude — administré à haute dose chez le lapin, a pour effet de déterminer
un état congestif hémorragique dans le labyrinthe et dans la caisse (1). A
cela, je puis répondre que chez l'homme, je n'ai jamais vu se produire rien
de semblable, bien que le traitement en question ait été inauguré il y a plus
de 15 ans et que, depuis lors, j'aie eu l'occasion très fréquente de l'appliquer,
aussi bien dans les cas de vertige permanent que dans les cas de crises sépa-
rées. J'ajouterai pour répondre à une autre critique (2), que l'administration
1. Kirchner, (Berl. Klin. Woch. 1881, no 49.) Orne green. (Boston. II. 8 mars 1883.)
2. Lucae. {Real Encyclopédie Bd. 13, p . 30.)
— 231 —
prolongée de hautes doses de sulfate de quinine, suivant ma méthode, n'en-
traîne pas nécessairement, tant s'en faut, avec elle, la surdité complète de
l'oreille affectée. Je pourrais riter entre îuitres, à titre d'exemple, un cas de
vertige permanent d'une persistance rare, qu'il a fallu combattre pendant plus
d'un an, j)ar l'administration répétée par quinzaine, au moins six ou huit fois
de sulfate de quinine à des doses qui ont dépassé un gramme en 24 heures.
Eh bien, après la guérison, l'ouïe est restée dans l'oreille malade ce qu'elle
était au moment où le traitement a été institué.
2e 3e 4e 5e ^^ ge MaLADES.
Les circonstances nous ont permis de réunir, pour vous être présentés
actuellement, cinq sujets atteints de la maladie de Basedow, et qui, tous
offrent un certain intérêt. Ils nous fourniront l'occasion d'appeler votre atten-
tion sur quelques points, peu connus ou même non encore signalés, concer-
nant la maladie dont il s'agit.
I. Voici d'abord un homme âgé de 43 ans, exerçant la profession d'employé
de commerce, chez lequel le phénomène le plus saillant est un tremblement
d'un genre particulier dont l'examen attentif fournirait déjà à lui seul un élé-
ment fort important pour le diagnostic. Ce tremblement occupe, non seule-
ment les membres supérieurs, les mains en particulier, mais aussi les mem-
bres inférieurs dont les oscillations se communiquent au corps tout entier,
ainsi qu'on peut s'en assurer lorsque le sujet étant debout, on place la main
sur une de ses épaules ou sur le sommet de sa tête. Vous reconnaissez même,
le malade s'étant dépouillé de ses vêtements, que la plupart des muscles du
tronc sont, chez lui, en proie à des secousses rythmées. En même temps
il existe un bruit laryngé saccadé, pouvant s'entendre à une certaine dis-
tance^ et prouvant que les muscles respiratoires, eux aussi, participent aux
trépidations.
Si l'on examine les choses de plus près, on reconnaît ce qui suit :
le tremblement en question, étudié aux mains, avec le secours de la méthode
graphique_,paraît constitué par une série d'oscillations, de trépidations menues,
brèves, se succédant l'une l'autre avec une grande rapidité. De tous les
32
— 232 —
tremblements méthodiquement étudiés jusqu'à ce jour, c'est, on peut le dire,
avec le tremblement alcoolique et celui de la paralysie générale progressive,
un de ceux dont les oscillations sont les plus nombreuses dans un temps
donné, et c'est déjà là une marque qui contribue à le caractériser. Ainsi,
chez notre homme, qui représente le type à cet égard, ce tremblement donne
de huit à neuf oscillations par seconde, tandis que le tremblement mercuriel
qui s'en rapproche beaucoup en donne seulement 5, 6 ou 7, la paralysie agi-
tante en donnant, elle, de 3 à 6 seulement dans le même espace de temps.
Ce sont là, Messieurs, des données aujourd'hui devenues vulgaires,, depuis
la publication de la thèse de M. Marie et je ne m'y arrêterais pas en ce mo-
ment, si tout récemment, dans une société savante, on n'avait entendu un des
membres de cette société particulièrement voué aux études neuropathologiques,
laisser paraître, à l'égard du diagnostic des < maladies à tremblement », des
hésitations qui certes ne sont plus démise aujourd'hui (1).
J'ai fait placer sous vos yeux un tableau où sont inscrits les tracés obtenus
par l'application de la méthode graphique, d'abord chez un sujet atteint de
tremblement mercuriel, puis chez notre homme, qui représente ici le type par-
fait du tremblement de la maladie de Basedow : c'est bien entendu du trem-
blement des mains qu'il s'agit. Les deux ordres de tracés ne diffèrent pas seu-
lement, vous le voyez, par le nombre des oscillations produites dans un temps
donné ; ils diffèrent encore par les caractères suivants. Dans le temps de
repos, les secousses du tremblement mercuriel cessent par moments de se pro-
duire, pour reparaître ensuite sans cause connue, et s'arrêter à nouveau. Le
tremblement de la maladie de Basedow au contraire, est absolument continu.
En outre qu'il reconnaît un rythme beaucoup plus régulier que l'autre, lors
de l'exécution d'un mouvement voulu la différence qui existe entre les deux
espèces de tremblement devient plus frappante encore ; en effet, dans le cas
de tremblement mercuriel, l'acte de porter à la bouche un verre, une cuiller,
par exemple, est modifié par de grandes oscillations qui rappellent exacte-
ment ce qui se voit dans la sclérose en plaques et qui font le plus souvent
manquer le but ; tandis que, dans le même acte, les oscillations du tremble-
ment de la maladie de Basedow n'augmentent pas notablement d'étendue et
permettent à peu près toujours l'accomplissement à peu près régulier de
l'acte.
Ajoutons que vis-à-vis du tremblement alcoolique et de celui de la para-
lysie générale progressive, le tremblement de la maladie de Basedow se dis-
tingue par cette circonstance que dans ce dernier les doigts ne tremblent pas
individuellement, contrairement à ce qui a lieu pour les deux autres (2).
1, Société médicale des hôpitaux, mars et avril 1887.
2. Leçons du mardi, iSSl-S8, p. 378.
— 233 —
Ces traits cliniques qui caractérisent le tremblement de la maladie de Base-
5 secondes
5 secondes
5 se -ondf.'.s
5 secondes
if*i^vV^i4W^''W^'
' ^^jVvZ-Aa/'V /*Vvv^^/^/vv^v.^v^'^'^AA^/»'/V^y'* -v->
1° Tremblement mcrcuriel au repus (de 5 ii 0 oscillations par seconde}.
2° Treinbleineat uiercuriel pendant rexéculioa d'un mouvement. Le mouvement commence
en A. Le tremblement devient bien plus accusé et plus inégulier (de 5 à 7 oscUlalions
par seconde).
■ 'WV^^A^v/^/-^;^'.WW^-vV^^^Af '^'-^*A^AAJ^,^,U/^^A.>/^^A,^AAA^ ]/^^>.^f^/A^'A^J^^»^'/'>//\A'*',/^^/^^/\fJ\^^^-^*^''^^
3" Tremblement de la maladie de Basedow (Marquât). Oscillations rapides, brèves, régu-
lières (de 8 à 9 oscillations par seconde). Leur étendue n'augmente pas pendant l'accom-
plissement d'un acte intentionnel.
dow ont été parfaitement mis en lumièreMans le travail de M. Marie. Associé
à la tachycardie et à quelque autre phénomène de la série, tel que « les crises
diarrhéiques»,par exemple, un tremblement qui présenterait, bien accusés, ces
caractères-là, permettrait d'affirmer l'existence de la maladie en question,
alors même que l'exophthalmie et le goitre y feraient absolument défaut. Je
n'ignore pas que cette notion des formes frustes de la maladie de Basedow
- 234 -
que nous nous sommes depuis longtemps efforcé de vulgariser, n'a pas encore
pénétré partout; ainsi, tout récemment, M. Fraenkel présentait à la Société de
médecine de Berlin un cas qu'il considérait comme appartenant à la maladie
de Basedow en l'absence de goitre et d'exophthalmie.La communication paraît
avoir été accueillie avec quelque scepticisme et M. Virchow, en particulier,
faisait ressortir à ce propos que sans aucun doute Basedow se fût refusé à
reconnaître chez ce malade TafTection qu'il a le premier décrite. L'argument
ne me paraît pas d'une valeur absolue : il est fort à présumer, en effet, que si
Basedow eût continué à vivre il n'aurait pas manqué de se tenir au courant
de la science ; certainement il aurait appris à connaître les dégradations que
peut subir le type clinique qu'il a découvert,et il se serait placé en mesure de
diagnostiquer les formes frustes à l'aide des caractères qui sont maintenant
entre nos mains. En réalité, l'histoire clinique de la maladie de Basedow de-
vait subir la même évolution que celle de l'ataxie locomotrice et de la sclé-
rose en plaques par exemple, où l'on a vu les types primitivement créés,
s'effacer en quelque sorte dans la pratique devant le nombre, toujours crois-
sant— à mesure que Tœil du clinicien apprend aies reconnaître — des formes
rudimentaires, des formes frustes, comme vous voudrez les appeler.
Notre cas d'aujourd'hui n'appartient pas aux formes frustes, car en outre
du tremblement spécial et de la tachycardie, nous constatons chez le sujet une
exophthalmie très manifeste et une tuméfaction de la thyroïde portant à
peu près exclusivement sur le lobe droit. Il s'agirait donc là, en somme, d'un
exemple vulgaire et peu digne de nous arrêter si nous ne devions pas y ren-
contrer, en l'examinant d'un peu près, quelques faits qui mériteront d'être
signalés.
En ce qui concerne les circonstances étiologiques, rien qui sorte du cadre
classique : on ignore s'il y a des antécédents héréditaires, une partie de la
famille est inconnue ; par contre les causes occasionnelles ne font pas défaut.
Notre malade est père de quatre enfants; il a récemment fait,en juin et en juil-
let 1888, des pertes d'argent fort graves pour lui, et il a dû, en outre, abandon-
ner la place qui le faisait vivre. C'est sous le coup des émotions pénibles qui se
r sont produites en conséquence qu'ilacommencéàressentir les premiers symp-
tômes de la maladie. Le tremblement s'est montré, le premier; tout à coup,
un jour du commencement de septembre,, étant à son bureau, ses mains se
sont mises à trembler si fortement qu'il lui est devenu impossible de conti-
nuer à écrire. L*exophthalmie n'a été remarquée qu'en novembre et c'est vers
la même époque que le goitre a paru. Les palpitations de cœur, revenant
par accès, sont de date plus récente. Pendant le cours des trois derniers mois,
se sont produites plusieurs de ces crises diarrhéiques qui appartiennent au
tableau régulier de la maladie de Basedow et dont je vous ai^ du reste, entre-
tenu plusieurs fois.
Après le tremblement dont nous avons indiqué déjà les caractères, l'exoph-
I
— 235 —
Ihalmie, le goitre, la tachycardie enfin, marquée par un chiffre qui varie de
95 à H2 pulsations par seconde, l'étudo de l'état présent fait reconnaître ce
qui suit : amaigrissement très prononcé ; le malade .issure qu'il aurait perdu
10 livres depuis trois mois. Il présente à un degré très marqué le phénomènf;
de la « thermophobie », il a toujours trop chaud, la nuit il se découvre à chaque
instant ; souvent le tronc est couvert de sueurs profuses. Cependant, la tempéra-
ture, notée à plusieurs reprises a donné les chifï'res suivants : le soir 37,4, 37,2;
le matin 37, 36,8. Donc, ainsi que cela est la règle, — nous dirons plus loin si
elle ne comporte pas des exceptions, — il n'y a chez notre homme, malgré
l'accélération à peu près permanente du pouls, la thermophobie, les sueurs
profuses, ni fièvre ni fébricule. L'examen des mouvements des globes ocu-
laires, fait reconnaître l'existence d'un certain degré de paralysie de la con-
vergence accompagné de diplopie, symptôme déjà relevé plusieurs fois en
pareille circonstance par M. Mobius.
Jusqu'ici, vous le voyez, il n'y a rien dans notre cas qui ne soit à peu près
de connaissance vulgaire. Mais voici une série de phénomènes qui, si je ne
me trompe, n'ont pas encore été signalés dans la maladie de Basedow et qui
ne doivent pas cependant y être tout à fait exceptionnels, car nous les retrou-
verons à des degrés divers dans trois des cas qui vont suivre. Notre malade
nous a fait remarquer que souvent, pendant la station debout et dans la mar-
che, sans qu'il éprouve la moindre sensation vertigineuse, les jambes fléchis-
sent sous lui tout à coup. Deux fois même, de ce fait, il est tombé dans la rue,
en avant, sur les genoux. Cela rappelle, vous le voyez, le dérobement des
membres inférieurs dont j'ai eu souvent l'occasion de vous parler à propos de
l'ataxie locomotrice. Mais le tabès ataxique n'est chez notre malade nullement
en jeu : à la vérité les réflexes rotuliens font défaut chez lui, mais il n'a
jamais rien ressenti qui ressemble à des douleurs fulgurantes; la vessie fonc-
tionne normalement; pas de signe de Romberg, etc. etc. Enfin, il est facile de
méconnaître qu'il existe une véritable parésie paraplégique ; les divers segments
des membres inférieurs en efiet, étendus ou fléchis volontairement par le
malade, résistent fort peu aux mouvements de sens contraire qu'on leur
imprime. S'agirait-il là d'un symptôme particulier lié à la maladie de Basedow ?
C'est une question qui se présentera de nouveau un peu plus loin.
IL Le second suj et du groupe est cette femme âgée de 26 ans nommée Duf. . .che
que je viens de faire placer devant vous, et dont la maigreur extrême n'a
pas manqué de frapper vos yeux du premier coup. Cette maigreur, jointe
aux quelques autres symptômes que nous vous dirons tout à l'heure, et plus par-
ticulièrement à une petite toux sèche qu'elle vient de vous faire entendre,
lui donne volontiers l'apparence d'un sujet atteint de tuberculose pulmonaire
à évolution rapide. Nous verrons dans un instant si cette première impres-
— 236 -
sion sera justifiée par l'étude du cas. Actuellement, j'en viens à l'exposé des
principaux traits de Phistoire de notre malade.
Les antécédents de famille sont ici tout à fait favorables à la thèse d'après
laquelle dans l'histoire de la maladie de Basedow, l'hérédité nerveuse tient une
large place. La grand'mère maternelle de notre malade a été aliénée ; sa mère
a des hallucinations de l'ouïe et de la vue, elle se croit persécutée, elle est
actuellement enfermée en Suisse dans un asile du canton de Vaux. C'est donc
l'hérédité de transformation qui est en cause. Son père a été à deux reprises
frappé d'hémiplégie, mais nous n'insisterons pas sur ce dernier point, notre
avis étant que les lésions cérébrales en foyer, hémorragie ou ramollissement,
ne doivent pas, sans plus ample informé, figurer parmi les membres de la
famille neuropathologique. Voilà pour la prédisposition héréditaire.
Les premières palpitations du cœur ont paru chez Duf...che quelques semai-
nes avant la célébration de son mariage qui a eu lieu le 28 avril 1888, c'est-
à-dire il y a environ dix mois. Elle avait eu quelques raisons de craindre que
son futur mari ne fût un mauvais sujet, un ivrogne, et, sous l'influence de ces
soupçons, elle était déjà devenue agitée, anxieuse. Ses prévisions devaient
malheureusement se réaliser : presque immédiatement après la consécration
de l'union, son mari qui, pendant les fiançailles, s'était contenu, donna
immédiatement libre cours à tous ses mauvais instincts. Il se montra que-
relleur, méchant; il buvait parfois jusqu'à vingt absinthes par jour; c'étaient
des scènes continuelles dans lesquelles la malheureuse a été plusieurs fois
battue et même menacée du couteau. Elle dut quitter la place et s'enfuir au
bout de trois mois de ménage. Sous l'influence de ces violentes émotions, dont
l'action provocatrice puissante ne saurait être méconnue, les divers symptômes
de la maladie se sont accumulés dans un court espace de temps ; déjà huit
jours aprèsle mariage,les palpitations étaient devenues presque incessantes,
peu après se sont manifestés successivement : le gonflement de la thyroïde, une
diarrhée d'un caractère spécial que vous connaissez par nos leçons de l'an
passé, le tremblement, la thermophobie, l'amaigrissement enfin. L'exophthal-
mie a été remarquée tardivement. Quoi qu'il en soit, au bout de trois mois,
la maladie était définitivement constituée^ telle à peu près que nous la voyons
aujourd'hui.
Voici l'indication sommaire des phénomènes de l'état actuel. En outre de
l'exophthalmie, de l'amaigrissement, du goitre, de la toux sèche qu'il suffira
de rappeler, il existe un tremblement surtout marqué aux mains, où l'on
compte à l'aide de l'appareil enregistreur de 7 à 8 oscillations par seconde ;
ce tremblement est beaucoup moins accentué que dans le cas précédent. La
malade est presque incessamment sous le coup d'une diarrhée particulière
déjà signalée plus haut : c'est une diarrhée séreuse qui se produit à peu près
régulièrement tous les deux jours et qui survient généralement après le
déjeuner: il y a parfois jusqu'à 15 ou même 18 selles en 24 heures. L'appétit
— 2o7 ^
cependant, n*est pas notablement troublé. Sentiment de chaleur pénible
(thermophobie), surtout la nuit, où il y a souvent des sueurs profuses ré-
pandues principalement sur le tronc. La peau paraît chaude, le pouls varie
de 100 à 150.
(La malade est priée de se retirer.)
C'est ici le lieu d'en revenir à l'impression produite par la coexistence chez
notre sujet, d'un certain nombre de symptômes qui viennent dètre énumérés :
amaigrissement rapide et considérable, toux sèche, diarrhée, fréquence du
pouls, peau chaude, sueurs profuses, etc., etc., voilà certes un complexus
symptomatique d'une fâcheuse apparence et que le clinicien n'aime guère à
rencontrer. Nous ne pouvons pas oublier toutefois que tous ces symptômes
peuvent se présenter dans la maladie de Basedow en dehors de toute compli-
cation et que la fièvre entre autres, est simulée dans l'ensemble de tous ses
caractères, sauf toutefois l'élévation de la chaleur centrale qui fait défaut, du
moins dans la règle. Néanmoins, dans le but de dissiper toute inquiétude,
nous devions nous livrera un examen attentif de l'état des viscères et à une
étude, poui suivie pendant quelques jours, de la température centrale. Sur le
premier point les résultats ont été rassurants ; il n'existe aucun signe d'une
lésion viscérale quelconque ; les poumons en particulier, paraissent parfaite-
ment libres. Il n'en a pas été tout à fait de même pour ce qui concerne le
second point. Voici, en effet, ce qu'a donné l'exploration thermométrique
rectale poursuivie pendant ces neuf derniers jours.
Température rectale Matin Soir
Le 12 janvier 38* 38', 6
Le 13 » 38 38, 4
Le 14 » 38
Le 16 » » 39, 2
Le 17 » 39 *
(Pouls 150)
Le 18 >. 38,8» 39
Le 19 V 38,6 .38,6
Le 20 » 38,2 38,6
Le 21 » 38,4
Ainsi, la fièvre existe chez notre malade, sans qu'elle puisse être expliquée
par l'intervention de quelque cause banale ; elle existe non pas en apparence
cette fois, mais en réalité, conformément à la définition de Galien : « calor
prœter naluram ». Oublie est la raison de cette fièvre ? existe-t-il quelque
lésion viscérale qui aurait échappé à notre examen cependant attentif? La
tuberculisation, malgré tout, n'est-elle pas en jeu? Telles étaient les inquié-
tudes qui nous hantaient lorsque nous avons rencontré dans un travail ré-
cemment paru, un certain nombre d'observations qui nous ont semblé propres
à les dissiper, du moins ou grande partie. Il s'agit d'une thèse intitulée :
— 238 —
« Etude Clinique sur le goitre exophtalmique y^, soutenue à la Faculté de Lyon
en 1888, par M. Bertoye et inspirée par M. le Prof. J. Renault. L'auteur mon-
tre qu'il peut se présenter dans la maladie de Basedowun état fébrile plus ou
moins intense, plus ou moins durable, relevant de la nrnTOse elle-même et
non d'une complication viscérale accidentelle. Une des observations de
M. Bertoye^ celle qui porte le n** 1, nous a paru surtout intéressante : elle est
relative à une femme de 36 ans, atteinte de maladie de Basedow à la suite
d'émotions pénibles et qui a été tenue en observation pendant près de
22 mois. Tout a été classique dans ce cas, à part Texistence de la fièvre;
celle-ci s'est montrée maintes fois pendant cette longue période, par séries de
15, 20 jours et plus, marquée par des températures de 38°5, 39*» et même,
bien que rarement, 40". Dans les intervalles de ces accès, qui se produisaient
principalement à l'époque menstruelle, les chiffres étaient ceux de l'état
normal, 37^5, 37°2. Lorsque cette malade est sortie de l'hôpital, tous les
symptômes de la maladie de Basedow persistaient à un certain degré ; mais
l'état général ne laissait pas grand'chose à désirer. Un fait signalé par
M. Bertoye dans cette observation nous paraît mériter d'être relevé parce que
nous le trouvons reproduit dans notre cas, à savoir que, malgré l'élévation
de la température centrale, la proportion des déchets urinaires n'a pas subi
d'augmentation. Dans notre cas, en particulier, six analyses d'urine faites
avec soin par MM. Cathelineau et G. de la Tourette ont donné les résultats
suivants: urines claires, sans dépôt. Le résidu fixe, l'urée, les phosphates,
sont au taux normal. L'urobiline n'est pas décelée par le simple examen
chimique ; il a fallu recourir à l'emploi du spectroscope qui a donné, mais
très faiblement, la bande d'absorption caractéristique (1). Ce fait, s'il venait
à se confirmer dans de nouvelles recherches, donnerait un caractère très
singulier à l'état fébrile lié à la maladie de Basedow. Quoi qu'il en soit, nous
pouvons dès à présent conclure de ce qui précède que la fièvre, indépendante
de toute complication viscérale, peut, dans la maladie de Basedow, s'établir
même pendant de longues périodes sans conduire à mal et nous voilà quelque
peu rassuré sur l'avenir de notre malade.
Nous ne devons pas négliger de faire remarquer, cependant, que toutes les
observations de maladie de Basedow avec fièvre, sans complication viscérale,
recueillies pas M. Bertoye, n'ont pas eu une issue aussi favorable que celle
que nous avons tout à l'heure prise pour exemple. Dans quelques-unes d'entre
elles, en efiet, on voit la température s'élever tout à coup à 39*'5, 40" et au-
dessus, en même temps qu'apparaît tout un cortège de symptômes cérébraux
graves aboutissant rapidement à la terminaison fatale. L'autopsie, dans ces
1. Voici le tableau des moyennes des six analyses faites du 13 au 19 janvier :
Volume = 1.400 ce. Résidu rixe= 44 gr. 47 ; urée= 18 j,m'. 73, acide pliospliorique, 1 gr. 98.
Dans le cas de M. Bertoye. la proportion des déchets urinaires aurait même été diminuée.
— r.v,) —
cas-là, a été négative ; ils méritent donc, à tous égards, d'être rapprochés de ces
faits de chorée et d'épilepsie avec état de mal rapidement terminés par la
mort, dont je vous ai entretenus dans une précédente leçon (i).
Mais écartons les sombres pronostics, ils ne semblent pas applicables au
cas présent ; nous espérons qu'ici l'évolution du mal pourra être entravée
grâce au concours des divers moyens que nous comptons mettre en œu-
vre (2).
Encore un mot, avant d'en finir avec ce cas. Gomme dans celui qui précède,
il existe aux membres inférieurs un certain degré de parésie, sans troubles
concomitants de la sensibilité, sans parésie vesicale, etc,, etc., et les réflexes
rotuliens sont très faibles. Plusieurs fois, il y a eu dérobement des jambes ;
ces mêmes particularités, nous allons les retrouver chez la malade qui va
suivre.
III. Il s'agit, cette fois, d une jeune fille âgée de 18 ans, nommée Mon... rier
que je vous ai présentée déjà l'an passé(3),et dont je me bornerai, par consé-
quent, à vous rappeler l'histoire en abrégé. Les antécédents héréditaires sont ici
très instructifs : père alcoolique ; il a bien des fois rendu les enfants témoins
descènes violentes; une tante paternelle a les doigts des mains déformés par
le rhumatisme articulaire chronique; une cousine germaine, toujours du
côté paternel, a été atteinte de chorée. Plusieurs frères de la malade sont
morts de convulsions en bas âge ; une de ses sœurs a été sujette à des crises
d'hystérie.
Elle a été somnambule dans l'enfance et, vers quinze ans, elle a eu des atta-
ques de nerfs qui, pendant un an, se sont reproduites à peu près tous les mois.
La maladie de Basedow a commencé à paraître chez elle, ily a 2 ans, peu de
jours après une scène terrible dans laquelle son père, sous le coup d'un accès
de delirium tremens, l'avait menacée de la jeter par la fenêtre. Le trem-
blement, l'exophthalmie, le goitre se sont succédé rapidement et en même
temps, les crises hystériques ont cessé de paraître. La tachycardie a été très
1. Leçons du mardi, i88S, 1889, 6« leçon, 27 novembre 1888.
2. Le traitement électrique a été commencé en janvier 1889 et poursuivi à pou près ré^uliè-
ment tous les deux jours depuis cette époque (Méthode de M. Vigouroux^ jusqu'à ce^jour
(3 mai). L'amélioration s'est produite peu après et s'est rapidement accentuée. La toux,les trans-
pirations ont disparu.— La diarrhée est devenue rare. La chute des cheveux, qui avait com-
mencé à se produire, s'est arrêtée. Les forces se sont relevées; il y a augmentation de poids de
4 kilog. Les yeux sont peut-être un peu moins gros, mais le goitre est stationnaire. Le tremble-
ment a beaucoup diminué et les membres inlërieurs ne se dérobent plus.— La température rec-
tale prise tous les jours depuis la fin de janvier n'a jamais dépassé 38o.— Le pouls varie entre
100 et 110.
3. Leçons du mardiiSSl, 1888, p. 321.
33
— 240 —
accentuée ; amaigrissement rapide, thermophobie et sueurs profuses avec une
température de 37° en moyenne ; crises diarrhéiques typiques à propos des-
quelles, pour les détails, je vous renvoie à la leçon du 10 avril 1888.
Sous rinfluence du traitement électrothérapique, l'état de la malade s'est
singuUèrement amélioré, sur tous les points, depuis un an. Les symptômes de
la maladie sont toujours présents, sans doute, mais ils n'existent plus que
sous une forme atténuée, et il ne nous paraît pas téméraire d'espérer qu'un
jour ou l'autre, par la continuation de l'emploi des moyens appropriés, la
guérison définitive pourra survenir.
Le point sur lequel je tiens à insister aujourd'hui à propos de ce troisième
cas de maladie de Basedow est le suivant.En premier lieu, on observe chez notre
malade, ainsi que nous le faisions pressentir tout à Tlieure, cette mêmeparésie
des membres inférieurs que nous avons rencontrée déjà chez nos deux
premiers sujets à des degrés divers, et que nous retrouverons encore avecles
mêmes caractères, mais cette fois sous une forme beaucoup plus accentuée
dans un quatrième cas : absence ou diminution des rétlexes rotuliens ; pas de
troubles de la sensibilité quels qu'ils soient ; intégrité parfaite des fonctions
de la vessie et du rectum, effondrement fréquent des membres inférieurs, etc.
Tels sont, avec des variations en plus ou en moins, les principaux symptômes
qui constituent cliniquement cette forme paraplégique spéciale sur laquelle
nous allons revenir dans un instant.
Le second point est relatif à l'apparition chez la malade des symptômes
hystériques, dans le temps même où ceux delà maladie de Basedow tendent à
rétrocéder. La combinaison de l'hystérie avec la maladie de Basedow chez un
même sujet n'est certes pas chose rare; mais ce qu'il y a d'intéressant à relever
à ce propos dans le cas actuel, c'est que les attaques hystériques qu'on a vu il
y a deux ans s'effacer, au moment même où se développait la série de Base-
dow, ont repris comme de plus belle, depuis l'époque où celle-ci tend à dis-
paraître. 11 semble donc qu'il y ait là entre les deux névroses rivales, comme
une lutte pour la prééminence, l'une cédant le pas lorsque l'autre paraît, et
inversement. C'est là un incident de notre observation qui m'a paru mériter
d'être mis en relief. L'hystérie est représentée aujourd'hui chez Mon...rier,
non seulement par les attaques qui sont fréquentes, mais encore par un cer-
tain nombre de stigmates permanents à savoir : ovarie, hémianalgésie droite
et rétrécissement double du champ visuel.
IV. Le quatrième casde maladie de Basedow, sur lequel je veux appeler votre
attention aujourd'hui est remarquable surtout par l'existence de cette para-
plégie à laquelle j'ai fait allusion plusieurs fois déjà et qu'on voit ici atteindre
un haut degré d'intensité. Grâce à elle, en effet, la malade a été, pendant plu-
sieurs mois, affectéo d'une impuissance motrice des membres inférieurs à peu
— 2U —
près complète, et elle est restée dans Timpossibilité de se tenir debout et de
marcher pendant près d'une année.
Ce cas est relatif à une noninu';e Man...llon, aujourd'hui âgée de 38 ans, qui
est à laSalpétrière depuis 4 ans environ. La maladie de Basedow a débuté
chez elle il y a environ \) années, alors qu'elle était âgée de 23 ans. Les symp-
tômes se sont très notablement amendés dans le cours des deux dernières
années.
Voici l'indication sommaire des principaux faits consignés dans l'observa-
tion de cette malade. L'étude des antécédents a appris ce qui suit: le grand-
père paternel a eu des « idées noires » ; la grand'mère maternelle était sujette
à des attaques de nerfs. Le père était vif, emporté, chagrin. Il avait été autre-
fois dans une position aisée, mais par suite de mauvaises affaires, il tomba
tout à coup dans la misère, entraînant dans sa ruine toute sa famille. Le cha-
grin profond ressenti par Man...llon à la suite de ce triste événement a été
à, n'en pas douter, chez elle, la cause provocatrice "de la 'maladie ; celle-ci
s'est développée, du reste, peu de temps après, à peu près en même temps
que survenait une attaque de rhumatisme articulaire aigu d'une certaine
gravité.
Les palpitations, bientôt suivies d'exophtalmic; ont marqué le début de lu
maladie (en 1880);, et, peu après, le tremblement est survenu. Le goitre qui,
à un moment donné, est devenu très volumineux, a paru dès la première
année. En 1883, s'est produite une aggravation dans tous les symptômes déjà
existants; il s'y est joint en plus une diarrhée par crises à retours fréquents*
de la polyurie, une toux sèche très fatigante, de la thermophobie avec sueurs
profuses, enfin un amaigrissement notable. C est vers la même époque qu'ont
commencé à paraître les symptômes paraplégiques, s'accusant d'abord de
temps à autre, par périodes suivies de rémissions durant lesquelles se mon-
trait fréquemment;, pendant la station ou la marche^ qui parfois exigeait
l'emploi des béquilles, le phénomène de l'effondrement des membres infé-^
rieurs.
La paraplégie s'était définitivement établie en permanence, et était depuis
plusieurs semaines devenue à peu près complète lorsque la malade est entrée
à la Salpêtrière en juillet 1884. Elle a persisté, à peu de chose près, telle quelle,
au même degré, jusqu'en septembre 1885, époque à laquelle la malade a com-
mencé à pouvoir se tenir debout et marcher. Les symptômes ordinaires de
la maladie de Basedow ont, pendant ce temps, continué leur train : goitre volu-
mineux, yeux très saillants, sueurs, chaleurs avec un pouls de 140 à 150 par-
fois. Cependant, la température centrale moyenne est de 37"4 ; elle s'élève
1» Le pouls monte ëno-ot-e quelquefois à 100.— La température ne dépasse pas 37, 37, 2.
— 242 —
parfois jusqu'à 37°7, mais elle ne dépasse jamais 38°. Anémie profonde ;
tremblements vibratoires très marqués, etc. Tous ces symptômes-là ont
commencé à décroître dans le temps même où les phénomènes paraplégiques
se sont amendés ; ils existent tous cependant encore aujourd'hui à l'état rudi-
mentaire, 9 ans après le début de la maladie, bien que la situation depuis
2 ou 3 ans se soit très notablement améliorée sur toute la ligne.
Nous devons insister maintenant sur les caractères que cette paraplégie a
présentés. Ils sont assez particuliers, comme on va le voir. Ainsi qu'on l'a dit,
lors de l'admission à la Salpêtrière, l'impuissance motrice des membres infé-
rieurs était à peu près absolue. La malade avait dû y être transportée sur une
civière ; elle était depuis plusieurs semaines déjà confinée au lit. Les membres
paralysés sont légèrement amaigris , on n'y remarque cependant pas d'atro-
phie proprement dite, pas de secousses fibrillaires entre autres ; la température
de la peau et sa coloration sont normales. La malade n'y accuse aucune
douleur, fulgurante ou autre, aucune sensation de constriction ; pas d'engour-
dissement, pas d'hyperesthésie, pas d'anesthésie. Toutes les excitations
cutanées sont perçues normalement; pas de douleur à la pression. Le sens
musculaire est parfaitement conservé ; lorsque ses yeux sont clos, elle sait
très bien déterminer l'attitude qu'on donne à ses membres, les mouvements
qu'on leur fait exécuter. L'impuissance motrice porte principalement sur
le membre inférieur gauche oùla malade ne peut mouvoir volontairement que
les orteils, et encore n'est-ce qu'avec peine.
Elle n'oppose aucune résistance aux mouvements soit de flexion soit d'exten-
sion, qu'on veut imprimer à ses membres qui, au niveau des jointures, ne
présentent aucune trace de rigidité, mais ne sont cependant pas absolument
flasques ; absence complète des réflexes rotuliens ; réflexes cutanés nuls.
L'examen électrique ne donne rien qui s'éloigne de l'état normal ; aucun
trouble fonctionnel, soit de la vessie, soit du rectum ; pas de douleur en ceinture
on rachialgique. Lorsqu'on prend la malade sous les aisselles pour l'aider à
se tenir debout elle s'afl*aisse sur elle-même.
Au moment où l'amélioration est survenue, quand la malade a pu commencer
à se tenir debout et à marcher, elle a dû tout d'abord faire usage de béquilles ;
plus tard elle a marché seule, sans appui, mais sa démarche est, pendant fort
longtemps, restée titubante, fréquemment interrompue par des menaces
d'eftondrement en conséquence de flexions brusques et inopinées s'opérant dans
les genoux. Ces particularités se retrouvent encore aujourd'hui à un certain
degré bien que fort eftacées.
Tel est l'ensemble des phénomènes, tant positifs ([ue négatifs^sur lesquels j'ai
voulu appeler votre attention. Il est assez particulier, je crois, pour qu'il soit
permis de le distinguer des complexus symptomatiqr^es qui peuvent s'en
rapprocher par quelques côtés ; sans entrer dans une discussion en règle à ce
propos, je me bornerai à faire remarquer que, très certainement, il ne s'agit
— 243 —
pas là d'ataxie locomotrice, non plusquo d'hystérie dont d'ailleurs notre mala-
lade ne porte aucun des stif^mates connus (1).
Je crois pouvoir émettre l'opinion que le syndrome en question représente
une forme particulière de paraplégie qu'il conviendra peut-être d'ajouter à la
série déjà longue de ceux qui se rattachent plus ou moins directement à la
maladie de Basedow et en font, en quelque sorte, partie intégrante, quoique
placés sur le second plan par rapport aux symptômes cardinaux. H paraîtrait
même ([ue, dans l'espèce, ce syndrome n'est pas très rare, à en juger du
moins par cette circonstance qu'il figure, bien qu'à des degrés divers, dans
les quatre observations ({ue nous venons de passer en revue et qui par con-
séquent à cet égard constituent un groupe homogène.
V. Pour établir un contraste avec ces faits, de façon à mieux faire ressortir
l'intérêt qui s'y attache, je vous présenterai en terminant un cinquième
exemple de maladie de Basedow, dans lequel les membres inférieurs sont éga-
lement le siège de troubles du mouvement ; mais^dans ce dernier cas, il nous
sera facile de reconnaître que c'est l'ataxie tabétique qui est en jeu.
Le sujet estun homme de 45 ans, nommé Mes... manu qui, il y a sept ou
huit ans, s'est mis à trembler des mains eu même temps qu'il ressentait des
palpitations de cœur et que ses yeux devenaient saillants. Ces symptômes de
la maladie de Basedow existent encore aujourd'hui et la tachycardie, en par-
ticulier, est actuellement très pro^noncée.
Il y a trois ans, sont survenus dans les membres inférieurs des douleurs
fulgurantes caractéristiques assez vives et revenant, suivant la règle, par accès.
Peu après, s'est établie l'incoordination motrice qui, aujourd'hui, est fort accen-
tuée. Le signe de Romberg existe. Parésie vésicale, fréquemment avec
incontinence nocturne. Par exception, — et cette exception d'ailleurs n'est pas
tout à fait rare dans l'espèce, —les réflexes rotulicns ont persisté ; ils se
montrent même un peu exagérés.
Evidemment, il s'agit ici d'une combinaison de l'ataxie locomotrice et de
la maladie de Basedow, dans laquelle celle-ci a précédé l'autre de quatre ou
cinq années. Actuellement les deux maladies coexistent sans toutefois se
confondre ; c'est donc un cas à ajouter à ceux déjà nombreux auxquels mon
collègue, M. Joflroy, a fait allusion dans une des dernières séances de la
Société médicale des hôpitaux (2).
1. Le cas de paraplégie survenue dans une maladie chez une femme atteinte de maladie de
Basedow publié par M. Ballet, dans le n« 3 de la Revue de médecine, p. 299, me paraitcomme
à ce dernier, relever de rhystéi'ie ; ce cas appartient ^ M. le professeur Tessier tils, de Lyon.
2. Communication de MM. Barrié et Joiïroy, en décembre 1888. Voir aussi Ballet, séance
du 8 février 1889.
ts. -leia ïtoo. <l»Typ. • Doiiit'. ., 8, r. Campag;!!*- i'rsmilrt. l'an*.
Policlinique du Mardi 29 Janvier 1889
DOUZIÈME LEÇON
l*^'' Cas. — Accidents hystériques graves survenus chez une
femme à la suite d'hypnotisalions pratiquées par un magné-
tiseur dans une baraque de fête publique.
2^ 3*^ et 4^ Cas. — Un cas de Neurasthénie et deux cas d'Hys-
léro-Neurasthénie chez Thomme.
Messieurs,
A coté des bienfaits de l'hypnotisme qui ont été suffisamment prônés et
même, quelquefois, peut-être un peu trop exaltés dans ces derniers temps, il
est équitable de parler des méfaits qu'on peut, à juste titre, lui im[)uter.
Ceux-ci arrivent parfois à constituer des accidents morbides réellement
sérieux et d'autant plus regrettables qu'ils sont, le plus souventja conséquence
plus ou moins directe de manœuvres prati(iuées par des gens qui, sans aucun
mandat soit médical, soit scientifique, sont animés par la seule poursuite d'un
but lucratif. La malade que vous avez sous les yeux offre un exemple du
genre parfaitement typique, car on peut dire sans amplification qu'elle est la
victime d'un magnétiseur pratiquant dans les baraques de foire.
n s'agit d'une femme âgée de 38 ans qui est venue nous consulter avant-
hier et que, ce jour-là, nous avons admise dans nos salles. Son histoire, par
conséquent, ne m'est encore connue que très sommairement.
Je vais essayer de la compléter séance tenante eu procédant devant vous à
un interrogatoire. Mais, je dois vous en prévenir, nous allons rencontrer dans
l'accomplissement de cette tâche des difficultés sérieuses ; la pauvre victime,
en effet, a été, depuis cinq jours, placée sous le coup d'un mutisme complet,
absolu. Non seulement il lui est devenu impossible d'articuler un mot soit à
voix haute soit à voix basse, mais elle est incapable encore d'émettre, malgré
tous ses efforts, un son, un bruit laryngé quelconque. A la vérité elle aura
encore comme moyen de communiquer avec nous, la mimique qui est restée
— 248 —
fort intelligente, et aussi, ce qui vaut mieux, l'écriture ; car, si l'aphasie
motrice « silencieuse »^ règne ici d'une façon absolue, la faculté de s'exprimer
à Taide de l'écriture est, par un contraste frappant, demeurée, ainsi que vous
allez le reconnaître dans un instant, parfaitement indemne. Après cela nous
aurons encore, pour y puiser des enseignements utiles à consulter, l'obser-
vation fort intéressante concernant cette mêmemalade, communiquée par
M. le D"" Séglas à la Société médico-psychologique, dans sa séance du
29 octobre 1888(1).
Messieurs, rien qu'à entendre la rapide énumération des quelques traits
cliniques que je viens de relever à l'instant, ceux d'entre vous qui sont au cou-
rant de notre enseignement des trois dernières années, ont immédiatement
compris que c'est le mutisme hystérique qui est ici en jeu. Nulle part ailleurs,
en effet, vous ne rencontrerez réuni cet ensemble de symptômes caractéris-
tiques. Mais je ne veux pas m'arrêter pour le moment à établir cette asser-
tion sur une discussion en règle, elle sera suffisamment justifiée par tout ce
qui suivra. Je tiens d'ailleurs à procéder rapidement dans la démonstration
des faits ; car nous ne devons pas oublier que l'hystérie est dans ses allures
parfois mobile au plus haut degré: «bien fol est qui s'y fie». Il pourrait bien
arriver en somme que, sous l'influence de l'émotion éprouvée par la malade,
en présence de l'auditoire, l'ensemble symptomatique que nous avons sous
les yeux s'évanouît tout à coup, et ainsi, à notre grand regret, l'occasion
nous échapperait de vous montrer des phénomènes dont il importe que vous
soyez rendus témoins.
M. Charcot, s'adressani à la malade: A'euillez, je vous prie, vous approcher
de cette table qui est là, près de moi. (La malade comprend immédiatement ce
qui lui est dit et elle s'approche delà table devant laquelle elle s'assied.) Com-
bien y a-t-il de jours que vous ne pouvez plus parler? Expliquez-moi votre
cas... Répondez î
^. Ç,UK^Q.OT, s' adressant aux auditeurs : Y^xdiiïiïnQz avec soin tous les détails
de la pantomime à laquelle se livre notre malade ; vous voyez, elle fait
signe d'abord qu'elle ne peut rien dire : mais la voilà qui, jetant les yeux
sur la table, saisit avec empressement une plume qui y a été placée à dessein
près d'un morceau de papier et elle se met à écrire avec une rapidité remar-
quable. Il y a là déjà, — je tiens à vous le faire remarquer une fois de plus, —
un trait bien significatif. Vous n'ignorez pas, en efi'et, que les sujets chez les-
quels l'aphasie motrice reconnaît pour cause une lésion organique, alors
même qu'ils ont conservé les mouvements des doigts de la main droite, sont,
dans l'immense majorité des cas, placés dans l'absolue impossibilité d'écrire.
A peine quelques-uns d'entre eux ont-ils gardé le pouvoir de tracer queh]ues
1. Les dangers de rhypnoUsme, Annales lyiédico-psychologiques^ 7^ série, tome 9, Paris, 1889
p. 103.
— 249 —
caractères informes ; ou si, par exception rarissime, il en est qui sont restés
capables d'écrire (pielquos phrases plus ou moins correctes, plus ou moins
intelligibles, ce n'est qu'à la suite de grands efforts et avec une extrême
lenteur qu'ils y parviennent.
Ici, vous le voyez, c'est tout le contraire qui arrive ; il semblerait même, le
plus souvent, que les sujets sont rendus plus habiles et plus prompts à «-xprimer
leur pensée par l'écriture, «n raison du besoin impérieux qu'ils en éprouvent.
Voici du reste, pour répondre à nos questions^ ce qu'elle a écrit très vite en
caractères parfaitement lisibles et avec une rédaction qui ne laisse pas grand
chose à désirer non plus que l'orthographe : « Depuis jeudi, à la suite d'une
crise de nerfs et d'une attaque. Je voudrais parler, mais on dirait qu'il y a
quelque chose qui m'en empêche. »
Notre malade est donc,l vous le voyez, atteinte d'aphasie motrice, puisqu'il
lui est absolument impossible de proférer un mot, une syllabe, bien qu'elle
ait conservé dans les lèvres et dans la langue^ des mouvements qui, bien
qu'entravés quelque peu par un certain degré de raideur, suffiraient cepen-
dant, et amplement, pour produire une articulation distincte. A la vérité, la
malade est aphone ; elle ne peut pas émettre un son, un bruit laryngé quel-
conque. Mais le larynx n'a rien à voir dans l'articulation des mots et si notre
sujet n'était qu'aphone elle aurait tout au moins conservé la faculté de par-
ler à voix basse, ce qui n'est pas, ainsi que je vous le fais constater.
Ainsi, c'est bien la faculté d'articulation qui fait défaut ici ; celle d'expri-
mer la pensée par l'écriture est au contraire parfaitement conservée.
Pour compléter maintenant l'étude du syndrome ([ni nous occupe, il nous
reste à rechercher encore ce qui est advenu relativement aux deux autres élé-
ments du langage. Notre malade peut-elle lire mentalement et comprendre ce
qu'elle lit ? A-t-elle conservé la faculté de comprendre le sens des paroles ({ui
viennent frapper ses oreilles ? Voici une petite expérience qui nous permettra
de répondre à la première question. Je place sous ses yeux une feuille admi-
nistrative sur laquelle sont écrits les mots: « Admission d'urgence. »
M. Charcot, s' adressant à la malade : Lisez, je vous prie, et dites-moi ce que
cela veut dire ? — (La malade examine le papier, lit et se met immédiatement
à écrire.)
M. CiiARcoT, aux auditeurs. — Je vois qu'elle a écrit les mots : « Admission
d'urgence » en les copiant textuellement sur la feuille qui lui a été remise ;
ce n'est pas cela qu'il nous faut. Il y a des aphasiques par lésion organique
qui sont capables de copier exactement les mots qui sont placés sous leurs
yeux sans toutefois y rien comprendre.
S'adressanl à la malade : Je vous demande ce que c'est qu'une admission
d'urgence ? — La malade reprend le papier et écrit : « Admission d'urgence à
l'hôpital, comme malade. »
M. Gharcot, aux auditeurs : Allons, cette fois-ci c'est parfait : vous voyez
— 250 —
que notre malade peut lire et qu'elle comprend fort bien ce qu'elle lit ; elle
n'est donc point atteinte de cécité verbale.
Examinons ce qui est relatif au second point: Y a-t-il chez notre sujet surdité
verbale ? Ceux qui en sont atteints vous le savez, ne sont pas sourds, dans le sens gé-
néral du terme. Ils entendent parfaitement et distinguenttous les bruits qui vien-
nent frapper leurs oreilles, même si ce sont des paroles articulées ; seulement
ils les entendent « comme bruits » et ils sont incapables de comprendre ce
que ces paroles signifient. En est-il ainsi chez notre malade ? C'est ce que
nous allons voir : déjà vous avez pu remarquer qu'elle a très bien compris
tout ce que nous lui avons dit, dès le commencement de l'interrogatoire, et
qu'elle a agi en conséquence ; mais regardons-y encore de plus près.
M. GnARCOTi s'adressant à la malade: Youlez-vous regarder les objets qui sont
sur la table et me désigner du doigt ceux dont je vais prononcer le nom ; mon-
trez-moi le crayon !.. la feuille de papier, l'écritoire, la pelotte...
Aux auditeurs : Vous voyez qu'elle a indiqué les divers objets qu'elle
a entendu nommer successivement, avec une grande précision, sans le moin-
dre embarras ; elle n'est donc pas atteinte de surdité verbale.
Je vous ferai remarquer en passant que nous trouvons chez notre malade
les conditions d'une analyse psycho-physiologique délicate : vous n'ignorez
pas que, d'après nos études, le matériel de la faculté du langage se rapporte à
quatre modes spéciaux de la mémoire du mot, à savoir : la mémoire motrice
d'articulation, la mémoire motrice graphique, la mémoire visuelle et enfin la
mémoire auditive du mot. La suppression isolée de chacune de ces mémoires
est représentée en clinique par autant de formes de l'aphasie, à savoir :
l'aphasie motrice d'articulation, l'agraphie, la cécité et enfin la surdité ver-
bales. Eh bien ! le caractère fondamental du mutisme hystérique, c'est que la
faculté motrice d'articulation, par une sorte de sélection fort remarquable,
y est seule affectée, les autres demeurant parfaitement intactes ; tandis que
lorsqu'il s'agit d'aphasie liée aune lésion organique, il est de règle que toutes
les mémoires dumot soient touchées simultanément, bien qu'à des degrés très
divers (1). L'aphasie motrice, en d'autres termes, est alors àpeu près toujours
compliquée en proportions diverses d'un certain degré d'agraphie,de cécité et
de surdité verbales. Ces trois dernières,au contraire, font régulièrement défaut
dans le mutisme hystérique ; c'est du moins ce qu'enseigne l'histoire natu-
relle de ce singulier syndrome, telle que nous la connaissons aujourd'hui.
Le mutisme n'est pas, tant s'en faut, le seul accident hystérique que nous
ayions à relever chez notre malade ; il ne constitue mémo (ju'un épisode
récent survenu à la suite d'une des nombreuses attaciucs convulsives dont elle
n'a pas cessé d'être tourmentée depuis le jour où elle a été hypnotisée, voici
dans quelles circonstances (2) :
i. De l'apliasic en ^«'-néral et de Tagraplnc eu parflculicr. Prof/ri-s médical, 4 février 1S8S.
2. Nous l'opi'oduisons ici ù peu prôs Icxluellemeiil le récit de M. Séglas, loc. cit., p. 103.
— 251 —
Le 7 août 1888, se trouvant à la fête d'Aubervilliers, M°" P... est entrée
dans la bara([ue d'un magnr'tiseur : elle a assisté ce jour même à des hypno-
tisations faites sur un certain nombre de personnes et elle a «Hé fort impres-
sionnée, dit-elle, d'en voir quelques-unes placées dans ^< l'état de cata-
lepsie ».
Iillle éprouva néanmoins le vif désir de se faire endormir elle-même, mais
elle n'osa pas, son mari étant i)résent. Le lendemain elle revint à la baraque
sans son mari et cette fois elle demanda à être hypnotisée.
Le magnétiseur essaya à plusieurs reprises de l'endormir par la fixation
du regard. Elle affirme que jamais elle n'a perdu un instant le souvenir de ce
qui se passait autour d'elle. Mais, par contre, à chaque tentative, elle sentait
son corps et ses membres se raidir au point de ne pouvoir plus faire un
mouvement : deux fois ses yeux ont tourné et une fois elle est tombée à la
renverse. On la tirait assez facilement de cet état en lui souffiant sur les yeux.
Bien qu'elle n'eût reçu d'autres « suggestions » que celles qui peuvent être
communiquées à l'état de veille, elle est retourné chez ce même magnétiseur
cinq fois en trois semaines ; elle ne pouvait pas s'en empêcher, dit-elle, c'était
une obsession, un désir irrésistible.
Toujours les choses se sont passées comme ci-dessus ; chaque fois qu on à
voulu l'hynoptiser^, elle a été prise de ses attaques de raideur; jamais elle
n'a dormi.
Plusieurs fois, le magnétiseur ayant eu grand'peine à la tirer de l'état où il
l'avait plongée, elle l'a entendu prononcer ces paroles: «Elle est plus forte
que moi ! »
Il a essayé plusieurs fois de la suggestion hypnotique sans jamais y par-
venir : ainsi lui ayant affirmé un jour qu'il allait la brûler avec une lame de
couteau rougie au feu, elle n'a pas senti de brûlure mais elle a eu très peur,
néanmoins, et aussitôt elle est devenue raide, comme les autres fois.
A partir des premières tentatives d'hynoptisation,P... était devenue triste;
elle n'avait plus de goût à rien et elle négligeait les travaux de son ménage,
elle ne pouvait plus ni penser ni compter, ses idées s'embrouillaient à chaque
instant : elle se figurait constamment être placée sous la domination du
magnétiseur auquel elle avait entendu dire « que, de loin comme de près,
elle ne ferait que ce qu'il voudrait, quand même elle ne le voudrait pas ».
Plusieurs crises de convulsions toniques s'étaient produites sur ces
entrefaites, semblables aux précédentes, mais cette fois sans provocation. Elle
ne mangeait pour ainsi dire plus ; elle était tourmentée du désir de quitter
son domicile et d'aller retrouver celui qu'elle considérait comme son maître :
enfin un beau jour, n'y tenant plus, elle partit subitement de chez elle et alla
le rejoindre, en ellet, à la foire de Vincennes.
Elle resta avec lui deux jours au bout desquels, ayant appris que son mari
avait déposé une plainte chez le commissaire de poiice, il la pressa de rentrer
— âo2 —
chez elle . Pendant toute la durée de la nuit qui suivit la réintégration au
domicile conjugal, les crises de raideur furent presque incessantes ; elle se
reproduisirent en grand nombre encore les jours suivants et la malade futen
conséquence admise à Thôpital de Saint-Denis où elle resta une huitaine de
jours.
Elle en sortit non guérie; depuis lors^, en effets les attaques continuent à
paraître fréquemment et l'état mental est resté à peu de chose près ce qu'il était
à l'origine. Les choses ont empiré récemment et le mutisme est survenu il y a
cinq ou six jours, à la suite d'une forte attaque. C'est à cette occasion que le
mari de la malade est venu nous prier d'admettre sa femme dans notre
service.
Vous avez compris, Messieurs, que les attaques dont il a été si souvent
question dans le cours de notre récit ne sont autres que des attaques hysté-
riques: elles répondent à un type particulier dont vous trouverez la descrip-
tions dans les « Études » de Paul Richer, auxquelles je vous renvoie pour les
détails, sous le nom d'attaques de contracture (1 ) ; je me bornerai à vous eu
donner ici une description sommaire, faite surtout d'après l'étude de celles dont
nous avons été témoin hier chez notre malade. Il y a une aura; battements de
cœur, constriction épigastrique ; puis la malade, qui quelquefois reste debout,
redresse la tête et se courbe légèrement en arrière îles bras, les jambes, le tronc
se raidissent alors dans l'extension. La contracture est quelque fois assez forte
pour que la rigidité des membres ne puisse être vaincue, même en déployant
une grande force. Les paupières sont closes et animées d'un mouvement vi-
bratoire. Il n'y a pas de perte de connaissance, pas de secousse, pas de grands
mouvements^ rien qui rappelle la phase épileptique, les contorsions ou les
attitudes passionnelles des grandes attaques vulgaires. Les choses restent
telles quelles pendant une période de temps variable qui, chez notre sujet,
ne dépasse pas quelques minutes: on peut d'ailleurs, en lui soufflant sur la
ligure ou en la rappelant à elle d'une voix impérieuse, abréger quelquefois la
durée de la crise.
Mais il s'agit ici, veuillez le remarquer, d'un petit cas. Nous avons vu eu
effet chez d'autres sujets les attaques présentant ces mêmes caractères per-
sister quelquefois durant des heures entières, ne pouvant être modifiées par
aucune de ces manœuvres, — pression ovarienne ou de divers points hystéro-
gènes — qui, dans les attaques classiques, se montrent si frécpiemment
efficaces.
Le type d'attaque dont il est ici question et que nous avons pris l'habitude
de désigner sous le nom « d'attaque de contracture »^ se rencontre assez rare-
ment dans la pratique. Il ne faut pas le confondre avec l'attitude dite « en arc
de cercle » partie intégrante de la grande attaque hystéro-épileptique, non
1. Hiclicr. lUules cUn'Kjues sur La f/rande Hystérie, 2« édilion, ISSl, p. 245.
— ^^iS —
plus qu'avec la catalepsie, dénomination dont on abuse tant et que l'on
emploie si souvent à tort et à travers (1).
Fig. 52. — Attaque de contracture
Fig. 53. — Arc de cercle.
J'ai vu ce genre d'attaque se produire plus souvent que le type classique
dans les cas observés par moi, où les tentatives d'hypnotisation ont déterminé
sur le coup, ou à courte échéance, l'apparition d'une crise hystérique. C'est là
une remarque qu'il n'est pas sans intérêt de relever.
Il nous a été impossible de décider si-notre malade porte quelques stigmates
permanents de la névrose dont elle est atteinte, toutes les tentatives d'ex-
ploration soit de la sensibilité cutanée, par exemple, soit du champ visuel
ayant abouti constamment à la production d'une attaque.
En résumé nous avons sous les yeux un exemple, si je ne me trompe,
1. A propos de catalepsie, voir également Richer,/oc.ci7., chap. Catalepsie et états cataleptoïde:
— 254 —
bien propre à montrer, ane fois de plus, que les pratiques d'hypnotisation ne
sont pas pour le sujet mis en jeu, toujours innocentes. Sans doute elles n'ont
pas créé ici la maladie de toutes pièces, car Thistoire des antécédents de
M""*?... signale dans son passé deux attaques d'hystérie, Tune à l'âge de
19 ans, l'autre à l'âge de 20 ans ; mais le mal sommeillait depuis dix-huit ans,
remarquez-le bien, lors de la mauvaise rencontre faite à la foire d'Aubervil-
liers.
Incontestablement les hypnotisations du mois d'août 1888 ont ou les con-
séquences les plus fâcheuses, puisqu'elles ont provoqué la réapparition des
accidents nerveux qui cette fois se sont produits sous une forme grave.
Depuis cette époque en effet, c'est-à-dire durant une période de six mois,
les crises nerveuses, avec les troubles psychiques que vous savez, n'ont pas
cessé en quelque sorte de sévir un seul instant et rien n'annonce qu'ils doi-
vent bientôt s'atténuer et disparaître.
On pourrait aisément multiplier les exemples de ce genre car ils sont
presque devenus chose banale pour s'être fréquemment reproduits dans ces
derniers temps.
D'un autre côté, nombre de faits ont établi parallèlement que les accidents
que nous signalons ne concernent pas seulement le sujet hypnotisé, mais
qu'ils peuvent, dans les représentations publiques par exemple, en consé-
quence d'une sorte de contagion, se propager soit immédiatament soit à
longue échéance aux assistants eux-mêmes. Comme conséquence fâcheuse
des représentations théâtrales, on pourrait signaler entre autres le dévelop-
pement dans une population, dans une école, de ce qu'on pourrait appeler
du nom de manie hf/pnotisantc active.
J'ai cité un exemple du genre qui me paraît bien frappant et que je vous
demanderai la permission de reproduire ici en quelques mots (1).
11 y a deux ans, un magnétiseur de profession donna sur le théâtre de
Ghaumont-en-Bassigny, des représentations de « fascination » qui émurent
profondément toute la population, l'affolèrent, et déterminèrent par-ci par-
là, quelques accidents plus ou moins sérieux. La manie d'hypnotiser pénétra
jusque dansle collège de la ville. Plusieurs élèves pratiquèrent l'hypnotisme
sur leurs camarades et quelques accidents nerveux s'en suivirent.
Le principal du Lycée mit bon ordre à la chose pour ce qui concernait les
internes ; mais quelques externes surveillés n'en continuèrent pas moins leurs
pratiques. C'est ainsi que les nommés Blan... et Thom... se sont plusieurs fois
amusés sous un porche voisin de l'hôtel de l'Ecu à hypnotiser parla fixation
des yeux un jeune garçon âgé de 12 ans que j'ai dans le temps présenté à la
clinique. C'est le petit hypnotisme sans doute qu'ils obtenaient ainsi.
En tout cas ils réussirent à faire commettre au petit Blan..., en le sugges-
i. Revue de l hypnotisme ^ 17 mai 1887, p. 326.
— zoo
tionnant, des actions qui les réjouissaient énorm«jmcnt. Ainsi Blan... fut, dit-on,
promené presque nu sur la place de la Banque-de-France; il est allé demander
à acheter un cheval chez un marchand de nouveautés, et autres facéties [iro-
vinciales du même genre.
Jusque-là, il n'y a pas encore grand mal sans doute ; mais voici le côté
fâcheux. Le jeune Blan... sans antécédents nerveux remarqués, n'avait jamais
eu d'atta([ues jusqu'au moment où les premières tentatives d'hypnotisme ont
eu lieu : mais, au bout de quinze jours,, surviennent des crises se répétant
presque tous les jours et qui effrayent considérablement les parents, d'au-
tant plus que le jeune frère de notre petit malade, âgé de 4 ans seulement
commençait lui aussi à présenter des symptômes du même genre. C'est pour
mettre fni, si possible, à tout cela, que le père nous l'a amené^ et d'après notre
conseil l'a remis entre nos mains. Les accès à l'hôpital se sont répétés pendant
quelque temps tous les deux ou trois jours. C'étaient des attaques hystéri-
ques assez bien formulées, précédées d'une aura : douleur de tête et balte-
ments dans les tempes, sifflements dans les oreilles ; puis survenaient des
contorsions et l'arc de cercle. Enfin l'enfant prononçait quelques paroles
relatives aux préoccupations de la veille. Il n'existait pas de stigmates hystéri-
ques. L'enfant est sorti, après cinq ou six mois de traitement, à peu près
guéri.
Ce n'est pas la première fois que Ton voit des enfants jouant à Ihypnotisme
produire sur eux-mêmes, ou sur leurs camarades, des accidents plus ou moins
graves. Ainsi à Brcslau, lors du passage du fameux Ilansen, un enfant hyp-
notisé par un de ses camarades a été pris d'attaques de contracture qui durè-
rent plusieurs heures et qui se renouvelèrent par la suite. Un cas du même
genre est cité par M. Mercati dans les Archives italiennes de psychiatrie.
Ces faits, ces considérations rendent évidente la nécessité d'une réglemen-
tation des pratiques d'hypnotisme, et il y a lieu de s'étonner qu'elles n'aient
pas encore paru assez convaincantes pour faire adopter en France les sages
mesures restrictives prises depuis longtemps déjà, dans la plupart des autres
pays d'Europe à l'égard des représentations publiques des magnétiseurs.
L'hypnotisme peut être utile en thérapeutique, dira-t-on, et s'il peut nuire
parfois, n'en est-il pas de même des plus précieux médicaments : l'opium^
la digitale, par exemple, qui, dans de certaines circonstances et chez cer-
tains sujets, peuvent produire des effets fâcheux, songe- t-on à les condamner
pour cela? A cela, certes, nous ne contredisons pas ; mais d'un autre cùté,
n'est-il pas clair qu'une étude clinique approfondie, et par conséquent nulle-
ment à la portée des amateurs, pourra seule en matière d'hypnotisation.
comme loi'squ'il s'agit d'opium ou de digitalo, établir les indications et les
contre-indications, ou, en d'autres termes, délerniiner les conditions où l'on
peut agir, et celles où, au contraire, il faut s'abstenir?
Puisque la médecine, au nom de la science et de l'art, a, dans ces derniers
35
— 2oG —
temps, idHs possession de l'hypnotisme, qu'elle seule peut savoir appliquer
convenablement soit au traitement des malades, soit aux recherches physiolo-
giques et psychologiques, n'est-il pas légitime que, dans ce domaine récem-
ment conquis, elle veuille désormais régner en maîtresse absolue et repousser
toute intrusion?
2^ 3' ET 4' Malades.
Lorsque l'onparle de neurasthénie oud'hystérie mâles, il semble qu'aujour-
d'hui encore on ait presque exclusivement en vue l'homme des classes privi-
légiées, amolli par la culture, épuisé par l'abus des plaisirs, par les préoccu-
pations d'affaires ou l'excès des travaux intellectuels. C'est là un préjugé que
je me suis bien des fois déjà efforcé de combattre mais contre lequel il faudra
lutter encore, sans doute, pendant longtemps, car il parait loin d'être déraciné.
Il est parfaitement avéré, cependant, que ces mêmes affections, du moins dans
les villes, s'observent sur une grande échelle chez les prolétaires, les artisans
le moins favorisés par le sort, ceux qui ne connaissent guère que le labeur
physique. On ne saurait oublier d'ailleurs, qu'en somme, leur constitution psy-
chique est foncièrement la même que la nôtre et que, comme d'autres, plus
même peut-être, ils sont soumis aux conséquences perturbatrices des émotions
morales pénibles, de l'anxiété qui s'attache aux difficultés de la vie, à l'influence
dépressive de la mise en jeu exagérée des forces physiques, etc. ; sans parler
du shock nerveux produit dans les grands accidents auxquels ils sont parti-
culièrement exposés, non plus que des intoxications professionnelles dont le
rôle pathogénique commence, depuis quelque temps seulement, a être convena-
blement apprécié. Il ne faut pas oublier, d'autre part, (pie l'hérédité nerveuse
n'est pas l'exclusif privilège des grands de la terre; elle exerce son empire sur
la classe ouvrière comme partout ailleurs.
J'ai reçu ces jours-ci dans le service de la clinique un groupe de cinq cas
bien propres à justifier les assertions que je viens d'émettre: trois d'entre eux
nous occuperont aujourd'hui ; lesdeux autres, faute de temps, seront renvoyés
à la leçon prochaine. L'un de nos sujets représentera la maladie neurasthé-
nique à l'état de pureté nosograpbique, c'est-à-dire régnant sans partage. Les
quatre autres sont des exemples de ce que je vous proposerai d'appeler « l'hys-
— 257 —
téro-neiirasthénie>>,coml)inaisonfré(iuontedans la population ouvrière, et que
vous mirez par conséquent bion souvent Toccasion d'oliscrvcr dans la pratique
d'hôpital. Il est curieux de r(Mnarquer, en eflet, Messieurs, comment, depuis
cinq ou six ans, les cas de ce genre semblent se montrer chaque jour plus nom-
breux dans les services de médecine générale. Je ne suis pas en mesure pour le
moment de vous offrir à ce sujet une statistique en règle. Elle sera bien inté-
ressante à relever quelque jour ; mais je puis parler d'après ce qui m'a été dit
par plusieurs de mes collègues des hôpitaux, autrefois mes élèves; et cette
remarque s'applique non seulement aux services hospitaliers ordinaires
mais encore à celui du bureau central où se présentent pour Tadmission dans
les hôpitaux des malades atteints des affections les plus diverses, sans sélec-
tion aucune. Est-ce donc qu'il s'agirait là d'une maladie nouvelle développée
sous l'influence de nouvelles conditions d'existence? Je n'en crois rien. Mes-
sieurs, pour ma part; la maladie date de loin je pense, et rien n'est changé à
son égard; c'est nous qui avons changé en apprenant à reconnaître ce qui pour
nous, autrefois, passait inaperçu. « C'est l'esprit en efi'et qui oit et qui voit »,
et il ne voit guère sans éducation préalable; on le sait bien par l'histoire de
l'ataxie locomotrice, maladie ancienne par excellence, sans aucun doute, et qui
figure cependant en neuropathologie parmi les acquisitions les plus récentes
à la fois et les plus envahissantes de la clinique (1).
I. Mais ce sont là des questions sur lesquelles j'aurai Toccasion de revenir :
j'en viens actuellement à l'examen de notre premier malade. Il offre, vous
disais-je, un exemple de neurasthénie sans mélange d'élément étranger. Il est
âgé de 38 ans et se nomme Le er — il exerce la profession de maçon. —
Dans son métier, il n'est pas tout à fait le premier venu : c'est ce qu'on appelle
un « tâcheron ». Il travaille de ses mains sans doute mais il prend à sa charge
des travaux qu'il répartit entre plusieurs ouvriers. Pas d'antécédents hérédi-
taires. Il y avait un mois et demi qu'il était engagé dans une entreprise dont
il espérait tirer des bénéfices importants pour lui, lorsque le 30 août, c'est-à-
dire il y a cinq mois, en se rendant le matin à son travail^ il fut mordu assez
fortement à l'avant-bras droit par un gros chien de garde; l'émotion, tout
d'abord, parait n'avoir pas été très vive, la plaie avait été cautérisée et bien-
tôt l'on avait appris, que^, conduit à Alfort le chien avait été déclaré non
enragé. Malgré des douleurs assez vives qu'il ressentait dans le bras droit,
notre homme prenait patience; il espérait que la morsure serait promptement
i . A la Salpêtrière où, à la vérité, il y a « sélection », on a compté, soit à la policlinique soit
dans les salles, pendant le cours de l'année 1888, un total de "Q hystériques dont les yeux ont
été examinés. Sur ce nombre, il y a eu 49 femmes et 30 hommes. (Compte rendu du service
ophthalmoscopique de M. le D' Parinaud, pour l'année 1888, par Morax, externe du service de
la clinique). înArrhlves de Neurologie, 1889, p. 430.
— 258 —
cicatrisée et qu'il lui serait permis sous peu de reprendre ses occupations.
Cependant, dès cette époque voisine de l'accident, ses nuits étaient troublées
par des cauchemars. Quinze jours se passent et voici que, contrairement à ce
qu'il avait espéré, sa plaie n'est nullement cicatrisée, les douleurs sont encore
fort intenses et il s'est produit du gonflement et des abcès. Tout espoir de
pouvoir travailler manuellement devait être écarté pourlongtemps, peut-être.
C'est alors que commencent à sévir les vives inquiétudes, les impressions
pénibles.
Le malade perd l'appétit. Il ne dort plus que d'un sommeil agité par des
rêves pénibles. Il voit en songe des chiens, des chats furieux qui font mine
de vouloir le mordre; des échafaudages mal ajustés sur lesquels il monte et
qui menacent de s'écrouler sous lui, etc., etc.
Lui, autrefois vit, courageux, entreprenant, il se sent devenu faible, mou,
triste, sans énergie; « il se laisse aller », comme il dit, etn'aplus de volonté.
Il ne peut même pas penser à ses afîaires sans que sa tête se trouble. Enfin,
au bout d'un mois la plaie et les abcès sont guéris, les douleurs ont cessé et il
essaie de retourner à sa besogne; mais une grande faiblesse, une lassitude
extrême l'obligent après quelques efforts à renoncer à tout travail.
Le voilà naturellement tout à fait désolé, d'autant plus que le propriétaire
du chien qui l'a mordu refuse de lui payer l'indemnité qui Jui est due ; aussi
tous les symptômes nerveux qui, jusque-là, n'étaient encore qu'esquissés,
empirent-ils rapidement, s'attachaat à lui étroitement et pour longtemps.
Nous les retrouvons en effet aujourd'hui, après quatre mois, tels qu'ils
n'ont pas cessé d'exister depuis cette époque :
Céphalée toujours présente, ne s'élevant jamais au taux d'une douleur vive;
elle siège sur la région frontale et à l'occiput surtout, mais s'étend parfois au
crâne tout entier oii elle donne une sensation pénible de compression et de
poids, comparable à celle que produirait un casque lourd et trop étroit ; elle
s'étend également à la nuque où le malade a des craquements lorsqu'il
tourne la tête à droite ou à gauche. — État vertigineux habituel, principale-
ment dans la station verticale et surtout la marche ; il lui semble que le sol
s'élève par moments puis s'abaisse et, en marchant, il se dit obligé de regar-
der ses pieds ; — affaiblissement de la mémoire ou, pour mieux dire, mémoire
lente et difficile à mettre en œuvre : « ma tête est comme vide, dit le malade,
mes idées sont confuses », d'ailleurs les moindres opérations de l'esprit sont
pénibles, même la lecture, et bientôt suivies d'une exaspération de la cépha-
lée. Il est à remarquer qu'en général la douleur de tête s'atténue temporaire-
ment ainsi que les autres symptômes qui l'accompagnent pendant la période
qui suit immédiatement les repas. — Idées sombres, seutinienl d'impuissance,
absence de volonté, émotlvité excessive, sommeil troublé par les rêves dont nous
avons parlé déjà : tantôt il est poursuivi par des animaux menaçants, chiens
ou chats, qui veulent le mordre ; tantôt il se voit poursuivant l'accomplisse-
— 259 —
ment do la U\che qu'il a entreprise, mais mille obstacles imprévus se dressent
devant lui ,les éclialaudagos s'écroulent, les c'cli elles se brisent; le temps passe et
jamais, à son grand désespoir, il n'atteindra le but tant désiré. Voilà pour les
symptômes cépliali(|ues, les symptômes spinaux ne sont pas moins accentués.
Il y a un affaibliasemenl remarquable de la force dijnamoinélrique : la main
droite donne 45 seulement et la main gauche 55 ; le malade, cependant, n'est
pas gaucher. Il se plaint d'être tout de suite fatig^ié lorsqu'il se tient debout
ou qu'il marche; ses jambes sont très faibles, dit-il, et il y éprouve des sensa-
tions singulières ; il assure qu'il ne sait pas nettement où posent ses pieds.
Cependant, pasd'analgésie ou d'anesthésie sous une forme quelconque; pas de
douleurs autres que celles que provoquent des crampes qui se produisent de
temps à autres dans les cuisses et dans les mollets ; pas de troubles vésicaux.
Les réilexes rotuliens sont normaux et la station debout n'est nullement
affectée par l'occlusion des yeux. Je ne voudrais pas omettre de vous parler
d'une sensation de pression, de constriction pénible que le malade éprouve
d'une façon habituelle sur toute l'étendue de la région du sacrum et qui
s'exaspère remarquablement lorsqu'il s'est tenu debout quelque temps ou
qu'il a fait quelques pas. J'appelle votre attention sur cette « plaque sacrée »,
comme je l'appelle, parce qu'elle constitue un des caractères de la neuras-
thésie spinale et qu'elle peut contribuer à distinguer celle-ci des parésies ou
paraplégies par lésions organiques de la moelle épinière, qu'elle pourrait
simuler. La « plaque sacrée » est, en quelque sorte, le pendant de la « plaque
occipitale » ou « cérébelleuse» ainsi que la désignent quelquefois les malades,
l'un des éléments les plus constants de la céphalée neurasthénique. —
Affaiblissement des fonctions sexuelles, peu ou pas de désirs, érections faibles,
imparfaites, aboutissant à des émissions séminales prématurées. Ici, chez
notre sujet, contrairement à ce qui a lieu dans la majorité des cas du même
genre, les troubles digestifs font à peu près complètement défaut : pas de dys-
pepsie flatulente avec rougeur de la face; pas de sentiment de malaise et de
brisement des membres ; pas de somnolence survenant après les repas, ce qui
montre bien, soit dit en passant, que ces troubles gastriques ne sont pas né-
cessaires à la constitution du syndrome neurasthénique. D'ailleurs, aucune
association de symptômes hystériques ; rien qui rappelle les attaques ou leurs
équivalents ; pas de troubles permanents de la sensibilité générale ou spé-
ciale, pas de rétrécissement du champ visuel en particulier. Notre cas d'au-
jourd'hui est donc en réalité, ainsi ({ue nous l'avons dit en commençant, un
exemple de neurasthénie cérébro-spinale pure, exempte de toute complication.
Il reproduit exactement en effet, dans ses traits fondamentaux du moins, le
tableau classique que le regretté Beard de New-York a eu le grand mérite de
dégager du chaos de l'ancien « nervosisme» et qu'il a fait pénétrer dans le
cadre de la clinique neuropathologique où il occupe actuellement une large
place légitimement conquise.
— 260 —
Le complexus symptomatique en question répond assurément à une espèce
morbide dont la fixité nosographique ne saurait être sérieusement contestée,
puisqu'on la voit conserver son individualité dans les circonstances très va-
riées où elle peut se développer. Ainsi, ce même état neurasthénique que nous
avons vu s'installer chez notre homme sans culture, à la suite des événe-
ments que vous savez, vous le retrouverez revêtu de ses caractères essentiels,
dans les conditions bien différentes, en apparence, du surmenage intellectuel,
chez les écoliers, par exemple à partir de l'âge de 15 à 16 ans, époque à
laquelle l'élève commence à pouvoir, par un effort de volonté, contraindre
son cerveau à un excès de travail (1) ; chez les étudiants qui affrontent les
concours, chez les savants, les gens de lettres au labeur acharné, chez les poli-
ticiens, les hommes d'affaires qu'écrasent de lourdes responsabilités et qui
vivent incessamment bourrelés d'inquiétudes.
Dans les cas qui viennent d'être cités les facteurs étiologiques appartien-
nent à la catégorie des actions lentes ; mais il importe de remarquer que les
causes à action brusque, telles qu'on les rencontre dans les grands accidents,
chute d'un lieu élevé;, collisions de trains, avec ou sans traumatisme (2), en
tint qu'elles sont de nature à provoquer ce que l'on est convenu d'appeler le
shock nerveux, pourront, à courte échéance, produire les mêmes résultats.
Eh bien, je le répète encore une fois, malgré ces diversités d'origine, malgré
ces différences relatives au sujet, le type morbide, à part quelques modifica-
tions d'ordre secondaire, reste à peu près immuable: c'est ce que nous aurons
1. M. Charcot a fait remarquer, depuis longtemps déjà, que l'écolier au-dessous de cet âge,
se soustrait généralement, en restant passif, h toute tentative de surmenage intellectuel.
M. Galton dans ses Recherches sur la fat'u/ue mentale (Revue scientifique n°. 4. 26 janvier
1889) est arrivé au même résultat.
2. M. Charcot a recueilli ces jours-ci un assez bel exemple de neurasthénie cérébro-spinale
sans mélange d'hystérie, survenu chez une dame américaine à la suite d'un accident de voi-
ture; voici l'abrégé de cette observation : Madame X... habitant Washington, a été, il y a deux
ans, renversée du haut dun « mail coach ». Elle est tombée à terre sur le gazon, sans se faire
grand mal : elle n'a pas perdu connaissance un seul instant et elle n"a eu d'autre blessure
qu'une bosse sanguine, siégeant à la région lombaire ; la doulem" produite par cette contusion
a nécessité le séjour au lit seulement pendant quelques jours; mais, lorsqu'il s'est agi de se
lever, les symptômes de la neurasthénie cérébro-spinale étaient déjà fort accentués : céphalée
neurasthénique, à savoir plaque cérébelleuse et plaque frontale. — Tôle vide, mémoire lente,
impossibilité de fixer l'attention d'une faron un peu soutenue, — vertiges. La malade ne
peut fréquenter le monde; le moindre bruit, la lumière un peu vive ramènent les vertiges et
exaspèrent la céphalée. — Dyspepsie atonique, gonflement de l'estomac après les repas avec rou-
geur de la face et sentiment de torpeur. — Neurasthénie spinale marquée par un sentiment de
faiblesse dans les membres inférieurs et l'existence de la « plaque sacrée » ; à peine la malade
peut-elle faire quelque pas sans voir s'exaspérer le sentiment pénible de pression qui occupe
la région du sacrum — Aucun phénomène hystérique. Sa santé, a\anl l'accident, était parfaite
à tous égards ; pas d'antécédents nerveux personnels. On n'a pu recueillir de renseignements
concernant les antécédents de famille.
— 261 —
l'occasion de relever plus d'une fois en étudiant les faits cliniques qu'il nous
reste à examiner.
Que dire dp. notre malade au pcjint de vue du pronostic ?
Certainement le cas est sérieux. Il y a cinq mois déjà que cela dure et rien
ne fait prévoir encore que nous soyions près de la fin. Il est remarquable que
chez les sujets rustiques des classes ouvrières, les afflictions nerveuses sans
«substratum» organique, la neurasthénie, l'hystérie par exemple, se montrent
généralement, toutes choses égales d'ailleurs, plus graves et plus tenaces que
chez les sujets plus délicats, plus impressionnables des classes lettrées; toute-
fois, dans le cas actuel, il ne faut désespérer de rien. Sous l'influence du trai-
tement mis en œuvre, depuis l'entrée du malade à la Salpêtrière, et qui a con-
sisté principalement dans l'administration des douches et l'emploi des
toniques, il s'est produit un peu d'amélioration sur toute la ligne. Ces résultats
sont encourageants; mais nous sommes encore bien loin du but qu'il nous
faudrait atteindre pour que notre pauvre « tâcheron >^ pût aller reprendre ses
travaux.
II. — Le second cas du groupe est relatif à un nommé Grefr...,àgé de 31 ans,
exerçant la profession de boulanger ; c'est un homme d'apparence vigoureuse.
Il gagne environ 7 francs par jour. Il a été soldat et a fait la campagne de
Tunisie où il a été blessé. Peut-être y a-t-il ou autrefois, chez lui un peu
d'abus alcooliques ; mais ce vice n'existe plus depuis longtemps.
Contrairement à ce qui avait lieu chez le malade précédent, l'hérédité ner-
veuse ne fait pas défaut chez celui-ci :
COTE PATERNEL
COTÉ MATERNEL
TANTE
Aliénée ; dipso-
mane; s'est suicidée
en se jetant par la
fenêtre.
AUTRE TANTK PÈRE MÈRE TANTE
Dipsomatie. Aucune maladie Aucune maladie Aliénée mélan-
nerveuse. nerveuse. colique
Le FRÈRE du malade est sujet à
des attaques qualifiées d'hystériques ;
il avait, jusqu'à l'âge do 14 ans, été
sujet à de violentes colères.
On voit que le tableau d'hérédité nerveuse est ici passablement chargé. Lui
n'avait jamais été malade, lorsqu'il fut atteint, en novembre 1887, d'une pleu-
résie gauche qui nécessita trois ponctions.
Il est sorti de là pas mal affaibli ; cependant il avait pu depuis plusieurs
mois, reprendre son travail, et tout allait bien, lorsqu'il lui vint à l'idée, le
— 262 —
16 octobre 1888, c'est-à-dire il y a quatre mois, d'aller avec des amis, faire sur
la Marne, aux environs deMeaux,une partie de pêche «àl'épérvier». L'épervier
est, vous le savez peut-être, un grand filet en forme d'entonnoir dont Torifice
très large est garni de balles de plomb. C'est, on le conçoit, un engin fort
lourd, fort difficile à manier ; le pêcheur le porte replié sur son épaule gauche
et il doit le lancer à l'eau de la main droite en le déployant en éventail. Or,
au moment où, placé à l'extrémité du bateau, Greff... se préparait à exécuter le
programme, il fut, en conséquence d'une fausse manœuvre, jeté à feau. Por-
tant toujours son lourd fardeau, et le membre inférieur embarrassé dans la
longue corde qui sert à tirer le filet de l'eau, il était gravement menacé de se
noyer, bien qu'il soit bon nageur, lorsqu'enfin, après quelques minutes
d'angoisses, il fut repêché et ramené sur le bateau. A ce moment-là, il perdit
connaissance et lorsqu'il reprit ses sens, il se trouva couché à Meaux chez un
ami. Il s'était passé environ trois quarts d'heures, il resta là^ au lit, pendant
une huitaine de jours, et durant cette période, une conjonctivite de l'œil
gauche et une certaine douleur siégeant à la face interne de la cuisse du
même côté ont été les seuls symptômes dont il ait souffert.
Au bout de ce temps, il a repris son travail, mais trois jours à peine
s'étaient passés lorsque la conjonctivite gauche qui s'était amendée reprit
comme de plus belle et en même temps la paupière de ce même côté se ferma:
le malade ne pouvait plus F ouvrir sans f aide d'un de ses doigts et il remarqua
qu'elle était animée de mouvements vibratoires. Il s'agissait donc là dun
blépharospasme. Peu après, la bouche s'était fortement déviée vers la droite,
et lorsque la langue était tirée, elle se portait de ce même côté droit (spasme
glosso-labié). Enfin, dix-sept jours environ après l'accident, se manifesta une
parésie du membre supérieur gauche ainsi qu'une faiblesse avec crampes
douloureuses du membre inférieur correspondant. Tels furent les premiers
accidents nerveux qui ouvrirent la scène. Quelques jours plus tard, le tableau
clinique était constaté tel que nous pouvons l'étudier aujourd'hui, trois mois
environ après le début de la période d'état.
Ainsi que nous f avons annoncé, les symptômes observés chez notre malade
peuvent être ramenés, les uns à l'hystérie, les autres à la neurasthénie.
Nous commencerons par les premiers c'est-à-dire par les symptômes rele-
vant de V hystérie.
Le blépharospasme et le spasme glosso-labié de la période préparatoire ont
actuellement complètement disparu ; Il n'existe plus aucune anomalie du côté
de la face. Par contre, l'hémiplégie gauche s'est accentuée au membre supé-
rieur où elle était restée fort incomplète; la pression dynamométrique de la
main gauche donne en effet 21. Le malade se plaint plutôt de douleurs que de
faiblesses dans son membre inférieur gauche. En le déplaçant pour marcher,
il ne le traîne pas après lui comme cela a lieu si habituellement dans l'hémi-
plégie hystérique, il le porte au contraire tout d'une pièce en avant et en
— ^0:} —
dehors, de façon à éviter autant que [)ossiblo le tiraillement des parties
molles de la face interne de la cuisse où existe une large plaque d'hyperes-
thésie cutanée et profonde (Voir le schéma). Au niveau de <:ette plaque, une
(X-
^ /---_..]
/
Fig. 54. — a. Anesthésic.
h. Hyperesthésie.
Fig. 55. — a. Anesthésic.
b. Hyperesthésie.
pression exercée sur la partie inférieure des muscles demi-membraneux,
de-mitendineux, couturier et droit interne est douloureuse. Vous remarquerez
que cette plaque hypéresthésique paraît répondre i\ la partie du membre qui
a été, pendant la submersion, comprimée par la corde de l'épervicr.
Hémianesthésie gauche sensitive absolue, interrompue seulement sur la face
antérieure et interne de la cuisse, sur la face interne et antérieure de la
jambe, sur toute l'étendue du pied.
36
— 264 —
Sur ces deux dernières régions, la sensibilité est normale; sur la première,
il y a, comme on Ta dit^ hyperesthésie cutanée et profonde. En arrière, une
Fig. 56. — Champ visuel normal.
Examen du 8 janvier 1889.
G
Amaupose.
Examen du 22 janvier 1889.
Fig. 57. — Champ visuel de l'œil gauche. Celui do l'œil droit est normal.
plaque hyperesthésique occupe la partie inférieure de la cuisse gauche, au-
dessus du creux du jarret.
Goût aboli sur toute l'étendue de la langue ; odorat aboli à gauche. Un
— 265 —
examen du champ visuel pratiqué le 8 janvier 1880 fait reconnaître l'existence
d'une amaurose complète sans It-sion oi'ganifpie à gauche, le champ visuel du
côté droit étant normal. Quatorze jours a[)rès^ un second examen donne ce
qui suit : rétrécissement très prononcé à gauche ; à droite, champ visuel
normal. Dyschromatopsie complète à gauche etpolyopie monoculaire.
Ni attaciues nic'(jnivalents d'attaques. Il n'existe pas de points hystérogènes.
Les révcs dont le malade est tourmenté la nuit pendant son someil méri-
tent une mention spéciale. Il assiste à des scènes funèbres, un corbillard
passe devant lui ; il porte en terre une de ses tantes qu'il avu mourir. D'autres
fois, ce sont des animaux étranges qui marchent en séries. Interrogé à
l'improviste sur la question de savoir si les images qui passent devant ses
yeux afïectent de procéder toujours dans la même direction, il a répondu
sans hésiter : « Oui : le corbillard et les animaux viennent toujours du côté
gauche, se dirigeant de gauche à droite. > Or, le côté gauche est celui où
siègent l'anesthésie cutanée ainsi que le rétrécissement du champ visuel.
Nous aurons l'occasion de revenir bientôt sur cette circonstance et de la
mettre en valeur.
Symptômes relevant de Vétat neurasthénique. — Ils sont tout aussi accentués
que les précédents et ont, en quelque sorte, procédé du même pas. Cependant
la céphalée remonte peut-être aux premiers jours qui ont suivi l'accident,
seulement elle s'est fort aggravée par la suite. Elle se présente d'ailleurs avec
les caractères classiques que vous lui connaissez et consiste surtout en un
sentiment de compression s'exerçant à la fois sur l'occiput et sur la région
frontale ; elle est constante^ permanente, et s'exaspère sous l'influence des
moindres efforts que fait le malade pour mettre son intelligence en jeu.
Grande torpeur cérébrale : sa mémoire s'est affaiblie, surtout pour les choses
récentes, mais^ même pour se souvenir des choses anciennes, il est obligé
de faire un grand effort ; manque de courage absolu ; idées tristes, impos-
sibilité de concentrer ses idées. Il se sent toujours fatigué, il se couche tou-
jours vers 8 heures du soir et se lève très tard. Tandis que la main gauche
paralysée donne au dynamomètre 21 la droite donne 55. Dyspepsie flatulenle.
Il est intéressant dans ce cas de voir un homme vigoureux, mais à la vérité
prédisposé par hérédité aux affections nerveuses, et, en outre, affaibli par une
maladie antérieure, devenir, quelques jours après un accident qui l'a, on le
conçoit, profondément ébranlé, à la fois neurasthénique et hystérique.
m. — Le dernier malade que nous examinerons aujourd'hui est un homme âgé
de 48 ans, nommé L«?.f...cque^ exerçant depuis l'âge de 17 ans la profession
de plombier. 11 est né en Bretagne et jamais il n'a appris à lire.
Pas d'antécédents héréditaires à noter, bien que ses parents lui soient connus.
Il a servi comme soldat au Mexique, puis en Algérie ; en 1870 il a été blessé
àGravelotte.
— 266 -
De dix-huit à quarante-cinq ans il a eu cinq fois des coliques de plomb.
Depuis trois ans il n'a éprouvé aucun accident de ce genre. Pas de liseré
saturnin.
En 1884 il aurait eu des vomissements noirs et aurait été traité pendant
quelques mois pour un « ulcère de Testomac».
La maladie actuelle a débuté il y a deux mois sans cause occasionnelle
appréciable.
Rien n'avait été changé dans l'existence de Laf...cquc. 11 n'est pas marié ; il
gagne sept francs par jour et se nourrit bien ; il n'a pas eu, dans ces derniers
temps, de chagrins, d'émotions ; il n'a pas fait la noce, et il n'a été victime
d'aucun accident. Il paraît d'ailleurs qu'il est plutôt impassible, apathique si
vous voulez, et il ne sait pas trop ce qui pourrait l'émouvoir.
En un mot, à part l'intoxication saturnine passée, dont il ne porte actuelle-
ment aucune trace, nous ne trouvons rien dans son histoire qu'on puisse
invoquer pour expliquer l'apparition des symptômes que nous allons étudier.
Le début s'est opéré progressivement, d'une façon fort singulière et bien
propre, dans les })remiers temps, à dépister le clinicien en lui faisant redouter
le développement d'une lésion organique cérébrale :
C'était à la fin de novembre dernier. Pendant la matinée Laf...cque était
obsédé par la vision d'une lumière de la grosseur du poing ( ?) dit-il, qui se
plaçait devant l'œil gauche. Il avait de la diplopie ; les barreaux de son
échelle lui paraissaient doubles. Était-ce déjà la diplopie monuculaire qu'il
présente actuellement? L'après-midi, la vision des lumières disparaissait,
mais alors survenait un nuage noir qui se plaçait devant l'œil gauche.
C'est de cette époque que date la céphalée dont il se plaint continuellement.
Les troubles oculaires ont diminué ou du moins la gêne qu'ils produisaient
a disparu au bout d'une huitaine. Mais alors des troubles du côté de la langue
se sont manifestés.
Il y avait une certaine difficulté à articuler les mots ; en même temps le
malade s'aperçoit qu'il a perdu le goût. « Les aliments ne sentent plus rien ;
il lui semble qu'il mange de la terre. »
Les troubles de l'articulation ont disparu au bout d'une huitaine, mais de
cette époque date une grande difficulté qu'il a de tirer la langue en dehors de
la bouche, difficulté qui existe encore actuellement. 11 parait que cet organe
n'a pas été dévié soit à droite soit à gauche.
Au commencement de décembre, L commence à éprouver un certain
degré de faiblesse dans le membre supérieur gauche ; la main de ce côté ne
pouvait plus tenir les outils ; en même temps, il y avait par instants des four-
millements dans ce membre ; un jour, il s'est aperçu qu'il était insensible, en
voyant sa main couverte du sang d'une blessure qu'il s'était faite à un clou
sîuis en rien sentir.
Quelques jours après, la faiblesse s'est étendue au membre inférieur gauche
— 267 —
([iii l)iontôt ne le porte qu'avec difficulté. L'hémipb'gie a été progressive,
connue on voit; (;lie a mis six semaines environ à se développer.
Le malade entre à la Salpêtrière le 19 décembre 1888, deux mois environ
Fis. 58 et 59.
après le début des accidents. Voici l'indication des principaux faits relatifs à
Tétat actuel : hémiplégie gauche hystérique avec flaccidité typi([ue ; aucune
participation de la face, le membre supérieur gauche pend inerte ; la main de
ce côté donne à peine 3 ou 4 kilog. au dynamomètre; insensibilité superficielle
et profonde de ce membre, perte des notions du sens musculaire. Même par-
ticularité pour le membre inférieur, en ce qui concerne l'insensibilité.
— 268 —
Le malade peut se tenir debout et marcher, mais il traine après lui, en
marchant, son pied sur le soàl la manière d'un corps inerte (signe de Todd) ;
réflexe rotulien très faible de ce côté, normal à droite.
Hémianesthésie gauche totale (douleur, température, contact). Hémianes-
thésie sensorielle. Ouïe: surdité complète à gauche (?) ; odorat aff'aibli à
gauche, goût aboli des deux côtés ; rétrécissement du champ visuel
ao Exl
Fig. 60. — Champ visuel de l'œil gauche.
beaucoup plus marqué à gauche ; dyschromatopsie pour le violet ; aneslhésie
de lacornée etdiplopie monoculaire à gauche. Il ouvre facilementla bouche ;
mais il tire très difficilement et incomplètement la langue qui paraît contrac-
turée ; celle-ci n'est déviée nia droite ni à gauche, mais la pointe dépasse
les arcades dentaires à peine de un centimètre et demi. La déglutition, de
ce fait, est aussi un peu gênée.
Pas de points hystérogènes : anesthésie testiculaire gauche tandis qu'à droite
la sensibilité de cet organe est normale.
Depuis le début de la maladie actuelle, le sommeil est fort écourté ; il dure
à peine trois ou quatre heures par nuit et il est entrecoupé de rêves et de
cauchemars.
Les rêves sont surtout professionnels ; il se voit sur un (oit occupé à placer
des corniches et des gouttières et parfois, croyant tomber, il se réveille en
sursaut ou bien il croit travailler dans un puits et il lai semble tomber au
fond.
Il rêve aussi fort souvent d'animaux : il voit surtout des couleuvres, des cra-
_ 269 —
pauds ; ces animaux lui paraissent avoir leur couleur et leur grosseur natu-
relle. Quelquefois, il les voit encore un instant après être réveillé. Il affirme
que ces images, soit pendant le sommeil, soit après le réveil, sont toujours
placées^ par rapport à lui, du c6té gauche, et qu'elles se meuvent de gauche à
droite, reproduisant ainsi le phénomène que nous avons signalé à propos de
la précédente observation.
Il n'y a pas à proprement parler d'attaques, mais bien des équivalents d'at-
taques : la nuit, dans son sommeil^, souvent il étoufïe, c'est comme un poids
qu'il aurait sur le ventre et qui remonterait vers le creux épigastrique. Pen-
dant le jour, il a, par moments, une sensation de boule remontant de la fosse
iliaque gauche vers le creux épigastrique.
Les phénomènes neurasthéniques se sont manifestés dès l'origine et ont
marché parallèlement aux symptômes hystériques : céphalée spéciale ;
craquement dans le cou ; confusion des idées ; mémoire affaiblie ; abattement,
découragement ; la physionomie exprime la prostration.
Rien n'est plus frappant que l'aspect et Tallure de cet homme. Il parait,
passez-moi le terme, « complètement ahuri et abruti» ; le dynamomètre donne
de 58 à 60 k. seulement.
Nous aurons l'occasion de revenir sur les cas qui viennent d'être exposés,
dans la prochaine leçon.
IMl'. NCIZETlli, 8, BUI-: CAMl'ACiNE-rREMIl KK, PARIS.
I
Policlinique du Mardi 5 Février 1889
TREIZIEME LEÇON
l^*" Malade. — Encore une dormeuse. — Réveil produit
par la compression exercée sur la région ovarienne.
2° Malade. — Contracture hystéro-traumatique chez une
tabétique.
3® et 4*^ Malades. — Deux cas d'hystéro-neurasthénie chaz
rhomme faisant suite aux cas 3^ et V de la précédente
leçon. — A ce propos considérations générales sur
rhystéro-neurasthénie développée chez les individus de
la classe ouvrière.
1'^ Malade
Une jeune fille paraissant plongée dans un profond sommeil est amenée
dans la salle du cours sur un brancard,
Messieurs^
Je vous ai présenté dans la leçon du 13 novembre dernier^ vous ne l'avez
peut-être pas oublié, la nommée Hel...n, bien connue dans l'hospice comme
« dormeuse » et qui offrait, justement au moment où je vous lai montrée,
un bel exemple d'attaque de sommeil hystérique. Je viens de faire placer
sous vos yeux un nouvel exemple du genre. Notre malade d'aujourd'hui est
beaucoup plus jeune que ne l'était l'autre ; elle a 16 ans à peine et c'est pour
la seconde fois seulement qu'elle dort. Le sujet du mois de novembre est au
contraire âgée de 53 ans, et elle est fort coutumière du fait de « dormir > car
depuistreizeans,elle n'a guèremanqué d'être atteinte au moins une fois chaque
37
272
année, de son attaque de sommeil. A part ces circonstances, les deux cas sont
vous allez le reconnaître, parfaitement assimilables, superposables même si
vous l'aimez mieux ; aussi, dans l'exposé qui va suivre trouverons-nous l'occa-
sion de relever une fois de plus, que le déterminisme règne dans les choses
de l'hystérie comme partout ailleurs en pathologie.
Je vous dirai tout d'abord quelques mots concernant les antécédants de
notre jeune « dormeuse ». La famille de son père n'est pas connue ; son père
est mort « de la poitrine ». Sa mère n'a jamais été malade mais il y a eu un
oncle maternel, exerçant la profession de marchand de vins qui était « épilep-
tique », — sa sœur actuellement bien portante a été atteinte de chorée vul-
gaii'e
à l'âge de 10 ans. L'élément névropathique, vous le voyez, ne fait pas
défaut dans la famille.
Chez notre malade les premiers accidents nerveux de quelque importance se
sont montrés il y a environ trois mois. Elle avait grandi considérablement
dans l'espace de quelques mois et s'était énormément amaigrie ; les règles en
même temps étaient devenues fort irrégulières. Vers le milieu de novembre
dernier surviennent des vomissements très souvent répétés et se montrant,
tantôt spontanément, c'est-à-dire sans causes appréciables, tantôt à l'occasion
D
G
i-Xl. 91
0 Nas 901
Fig. 61
des tentatives d'alimentation. Dans ce dernier cas, ils se manifestent presque
aussitôt après l'ingestion des aliments. Il semble que l'arrivée de ceux-ci dans
l'estomac provoque immédiatement un réflexe qui aboutit à une régurgitation
alimentaire ; et il esta remarquer, car c'est là un caractère clinique important
que cette régurgitation se fait sans nausées, sans douleurs, à peu près sans
— 57:i —
malaises. Pendant les deux mois environ que ces vomissements ont été
observés dans le service de la clinique (du 15 décembre au 17 janvier) on a
plusieurs fois trouvé de l'urée dans les matières vomies et l'on a noté que la
(quantité d'urine rendue en vingt-quatre heures restait généralement au dessus
de 500 grammes.
A partir du 17 janvier, les vomissements diminuent de fréquence et d'inten-
sité : la malade mange avec un certain appétit, mais par contre on voit ap-
paraître une série d'attaques hystéro-épileptiques jiarfaitement caractérisées
qui semblent en tenir la place. La recherche des stigmates avait déjà fait
reconnaître d'ailleurs l'existence d'une hémianalgésie sensitive et sensorielle
gauche, avec rétrécissement double du champ visuel à 50 et ovarie à gau-
che.
Le 23 janvier, dans la matinée, survient la première attaque de sommeil ; le
réveil a eu lieu le 25 au soir, c'est-à-dire presque trois jours après. Il a été
marqué par le développement d'une attaque classique de grande hystérie. Une
pesée faite le 23 même, précisément quelques instant avant que la malade ne
s'endormit avait donné 37 k. 700; une autre pesée faite après le réveil a
donné 36 k.650; différence : 650 grammes, ce qui donne en moyenne une
diminution de poids du corps de 220 grammes par jour. Pendant ces trois jours
la température rectale moyenne a été de 37,4.
Antérieurement, durantla période des vomissements incoercibles les pesées
avaient donné les résultats suivants : le 17 décembre 1888, 41 k. 200, le 30 dé-
cembre 38,100, le 17 janvier 1889, 36,550. On sait qu'à partir de cette der-
nière date les vomissements sont devenus moins intenses et plus rares, en
même temps que la malade a commencé à manger avec appétit ; cela expli-
que le chiflre 37,700 observé le 23 janvier jour où commença l'attaque de
sommeil.
Les jours qui suivent l'attaque, la malade ne vomit presque plus et elle con-
tinue à bien manger ; le 31 janvier son poids avait atteint le chiffre
de 38 kilos.
C'est ce jour là même, le matin à 9 heures, c'est-à-dire il y a juste
cinq jours que s'est déclarée la seconde attaque, celle dont j'ai tenu à vous ren-
dre témoins aujourd'hui. J'aurais pu naturellement, dès le début de la crise,
craindre à chaque instant de voir la malade se réveiller, et de me trouver par
là privé du plaisir de vous démontrer sur nature les détails d'un cas assez
rare en somme et toujours intéressant, si je n'avais été rassuré par la circons-
tance que voici : MM. Gilles de la Tourette et Cathelinau ont démontré, vous
ne l'ignorez pas, par l'étude de six cas de sommeil hystérique que, pendant
la durée de l'attaque, le poids du corps diminue rapidement, en même temps
que l'on constate par l'analyse des urines une constante diminution qualita-
tive et quantitative de tous les éléments : volume, urée, phosphates, etc. Mais
ces observateurs ont établi en outre que régulièrement, deux ou trois jours avant
— 274 —
le réveil, on voit le volume de l'urine, le poids de l'urée, le chiffre des phos-
phastes se relever progressivement et alier toujours en augmentant ; de telle
sorte que l'on peut, en tenant compte de ces données^ prévoir jusqu'à un cer-
tain point, quelques jours à l'avance, l'époque à laquelle le malade se réveil-
lera. Or, chez notre dormeuse, une analyse faite le 3 ayant montré que ce
relèvement prémonitoire du volume de l'urine et du taux de l'urée ne s'était
pas encore prononcé, nous pouvons compter, que si on laisse aller les choses,
le réveil se fera attendre quelques jours encore.
Donc, le 31 janvier vers 9 heures du matin, la malade se sent indisposée,
inquiète, elle s'était levée de bonne heure ; elle se remet au lit et, à peine cou-
chée, elle s'endort du sommeil pathologique, avec frémissement vibratoire des
paupières, cette fois sans crise convulsive préalable. On note que toutes les vingt
minutes environ la malade ouvre les yeux tout grands, s'assied sur son séant
et fait, en fléchissant son tronc en avant, trois mouvements de salutation pro-
fonde, après quoi elle s'endort de nouveau. La température est à 37,8 au
rectum.
Le lendemain l^"" février. L'état est le même absolument : apparence d'un
sommeil profond, avec résolution complète des membres, trépidation des
paupières, etc. Il y a trois grandes salutations environ tous les quarts d'heure.
Température rectale, le matin 37,8, le soir 87,6.
Le 2 février. Trois fois dans la journée, elle ouvre les yeux, se dresse tout
à coup sur son lit et fait mine d'en sortir ; mais à peine l'a-t-on saisie pour la
contenir, qu'elle retombe et s'endort.
Les grandes salutations continuent d'ailleurs comme les jours précédents
au nombre de trois, environ, toutes les vingt minutes. Il y a un peu de raideur
dans le membre inférieur gauche ;toutes les autres parties du corps sont molles
dans la résolution absolue. Cependant il y a un peu de trismus ; mais on peut
le vaincre assez facilement. De fait l'alimentation est facile. La malade a pu
avaler aujourd'hui un peu de viande hachée, des haricots verts, du lait. Les
jours précédents elle avait pris 2 litres de lait dans les vingt-quatre heures.
3 février. Rien de changé dans la situation ; quatre fois elle se lève tout à
coup et fait effort pour sortir du lit; vingt-sept grandes salutations, par groupes
de trois, en neuf fois
4 février. Mêmes salutations ; mêmes efforts de temps i\ autre pour sortir
du lit.
Aujourd'hui 5 février les choses sont exactement, vous allez le reconnaître,
ce qu'elles étaient les jours passés. La température est à 37,5. Même appa-
rence d'un profond sommeil , sans ronflement toutefois. Bien que tous les
membres soient en résolution parfaite, les vibrations rapides qui se font
aux paupières montrent bien que ce n'est pas d'un sommeil naturel qu'il s'agit
ici. D'ailleurs voici venir un événement bien significatif : Vous le voyez, la
malade ouvre les yeux ; elle se dresse sur son séant et la voilà qui, sans
— 275 —
reprendre ses sens, exécute devant nous à trois reprises un profond salut.
Puis elle retombe sur son lit et rentre dans le sommeil. 11 est vraisemblable que
les salutations vont recommencer tout à l'heure, dans un quart d'heure envi-
ron et chose bien remarquable on peut prévoir qu'elles se reproduiront cette
fois encore comme par le passé, au nombre de trois. Nous retrouvons donc la
cette tendance au rhvthme et à la cadence, qu'adectent souvent, ain^i rjue j'ai
eu maintes fois l'occasion de le signaler, les accidents hystériques convulsifs.
Vous reconnaîtrez d'ailleurs dans ces grands mouvements de salutations un des
épisodes les plus vulgaires de la seconde phase de la grande attaque hystéro-
épileptique ; tandis que, d'un autre côté, les tentatives que fait parfois lamalade
pour sortir de son lit et s'enfuir, en prononçant des paroles dont on ne peut
pas toujours saisir le sens, reproduisent le tableau des attitudes passionnelles ;
et ces diverses circonstances si bien dessinées chez notre sujet, sont de nature
à justifier l'opinion que je soutiens à propos du sommeil hystérique, à
savoir : qu'il n'y faut pas voir autre chose qu'une grande attaque, ou mieux
qu'une série de grandes attaques modifiées dans leur forme extérieure.
Les intéressantes recherches de MM. Gilles de la Tourette et Cathelineau.
sont venues d'ailleurs donner à cette hypothèse un solide appui en montrant
que, en ce qui concerne la perte de poids du corps, la diminution du
volume de l'urine et l'abaissement du taux de l'urée, l'attaque de sommeil re-
produit en tous points ce qui a lieu dans les séries d'attaques hystéro-épilepti-
ques(l).
Mais c'en est assez sur ce point. Je voudrais vous montrer maintenant que
notre « dormeuse », comme toutes ses pareilles, restera insensible à tous les
moyens vulgaires d'excitation, même les plus puissants, que nous voudrions
mettre en œuvre et qui ne manqueraient certes pas de produire le réveil s'il
s'agissait d'un sommeil naturel quelque profond qu'il fût. Ainsi j'ouvre, non
sans éprouver une certaine résistance, les paupières de la malade et je main-
tiens un instant ses yeux exposés au grand jour ; elles se referment aussitôt,
convulsivement^ et les vibrations palpébrales recommencent. Je la prends par
l'un des poignets et je la secoue tout entière, violemment, à deux ou trois reprises:
elle ne sourcille pas. La faradisation, vous le voyez, reste également sans effet ;
on fait résonner le tam-tam tout près de son oreille. Il se produit en consé-
quence une certaine accélération dans les mouvements de palpitation des
paupières et c'est tout; toujours pas de réveil.
Nous savons que notre malade est ovarienne gauche, c'est dire, eu d'autres
termes qu'elle souffre d'une ovarie ou ovaralgie du côté gauche, comme vous
voudrez l'appeler ; c'est, du reste, la seule partie hyperesthésiée que nous avions
constatée chez elle. Nous nous proposons de rechercher séance tenante quel
1. Voir le Pror/rès médical, 11° du 4 mai 1881) et suivants.
— 570 —
sera l'effet, par rapport au sommeil, d'une pression exercée sur ce point dou-
loureux. Vous n'ignorez pas que chez les hystériques dites ovariennes, pen-
dant révolution de l'attaque convulsive, une compression un peu forte agissant
sur la région où siège l'ovarie a souvent pour effet de couper court à tous les
accidents, alors même qu'ils se montrent doués d'un haut degré d'intensité et
quelle que soit d'ailleurs la phase de l'attaque qui est en jeu. Si, par l'applica-
tion de ce procédé, nous parvenons chez notre malade à produire le réveil,
ce sera une analogie de plus à relever entre l'attaque de sommeil et l'attaque
convulsive. D'ailleurs je ne suis pas fâché de saisir l'occasion de vous rendre
témoins, une fois de plus, d'une manœuvre fort simple et qui est appelée peut
être à vous rendre dans la pratique quelques bons offices.
M. Gharcot s'approche du lit où est couchée la malade ; il applique sur le
flanc gauche de celle-ci, mis à nu, un peu au-dessus du pli de l'aine, l'extré-
mité des quatre doigts étendus de sa main droite qu'il dirige vers le petit
bassin, en exerçant une compression progressivement croissante delà paroi
abdominale. Bientôt la malade pousse un cri perçant, ouvre les yeux, et
aussitôt commence une attaque convulsive : ce sont d'abord plusieurs grands
mouvements de salutation semblables à ceux qui se montraient tout à l'heure
spontanément pendant la durée du sommeil, puis se produit l'attitude en arc
de cercle à deux ou trois reprises.
M. Charcot qui n'a pas cessé pendant ce temps de maintenir la main sur
la région ovarienne gauche, s'adressan* à l'auditoire :
Ce n'est pas là, messieurs, tout à fait, ce que je voulais produire. Mais vous
n'ignorez pas que, si une compression ovarienne énergique détermine l'arrêt
des attaques, une pression moins forte peut avoir pour effet au contraire d'en
provoquer le développement. C'est vous le voyez le dernier cas qui s'est pro-
duit ici. Si nous voulons maintenant mettre fin à l'attaque convulsive que nous
avons ainsi provoquée, il nous faut insister sur la compression et la rendre
plus énergique. Cette fois j'y mets toute ma force, aussi le résultat désiré est-il
bientôt obtenu : les grands mouvements ont cessé complètement. La malade
se dresse sur son séant et jette un regard étonné autour d'elle.
La malade ; Où suis-je, qu'est-ce qu'il y a ?
M. Charcot, à la malade : Eh bien vous êtes dans la salle du cours; vous en
avez entendu parler ? Vous avez dormi. Quel jour sommes-nous?
La malade, avec un air de conviction : Eh bien, jeudi !
M. Charcot, aux audifeurs : Jeudi est justement le jour où elle s'est endor-
mie; la voilà donc en retard de cinq jours. (S'adi^essant à la malade.) Qu'est-ce
que vous avez rêvé ?
La malade : Rien, je ne me rappelle rien.
M. Charcot : Allons I je la crois bien éveillée maintenant. Peut-être pour-
rons-nous essayer de cesser la compression ovarienne sans crainte de voir re-
— 277 —
paraître soit le sommeil, soit les crises convulsives. Vous le voyez, c'est ainsi
que vont les choses, j'ai cessé toute compression et la malade reste partaitemcnt
éveilli'C. On peut la ramener maintenant dans la salle ; la crise est terminée,
pour l'instant du moins, car je ne prétends pas que ce réveil sera déliniti/.
Cela peut être, mais cela n'est pas certein (1).
2« Malade.
Le cas dont nous allons nous occuper en second lieu est relatif à une femme
de 40 ans qui, à la suite d'une chute sur le genou gauche, a été prise dans le
membre correspondant d'une contracture spasmodique portant à la fois sur
les extenseurs et sur les fléchisseurs de la jambe et de la cuisse. La chute a
été la conséquence d'un dérobement des membres inférieurs déterminé lui-
même par l'action d'une douleur vive et soudaine ressentie dans l'un des
genoux. La malade est coutumière du reste de ces douleurs brusques et vio-
lentes et, à plusieurs reprises déjà, elle a été menacée, sans chute toutefois
jusqu'ici, de l'effondrement de ses membres inférieurs.
Nous rechercherons tout d'abord ce que sont ces douleurs que la malade
connaît depuis longtemps pour les avoir maintes et maintes fois éprouvées.
M. CnARCOï, à la malade. — Quand avez-vous ressenti pour la première fois
vos douleurs dans les jambes?
La malade. — Monsieur, il y a à peu près trois ans.
M. CuARCOT. — Dites-moi, je vous prie, où vous les ressentez le plus sou-
vent.
La Malade. — Au voisinage du genou, tantôt dans la jambe droite, tantôt
dans la gauche ; je les sens aussi aux chevilles, aux cuisses...
M. Charcot. — Vous viennent-elles souvent ?
1. Voir à ce propos ; Gharcot. De Vhyiiéreslhésie de l'ovaire dans certaines formes de rhys-
térie. Leçons laites à la Salpcirière en 1872. — Mouvement médical 1872 n" 3 et 4 et the
Lancet 1872, — Leçons sur les maladies du système nerveux, t. I p. 320 — La douleur iliaque
dite ovarienne des hystériques a réellement son sitge dans rovaire, (»bservations de
M. Gharcot développées dans une note communiquée à la société de Biologie décembre 1881
par M. Feré.
— 278 —
La MALADE. — Très souvent maintenant. Mais quelquefois je suis cinq ou
six jours sans les ressentir.
M. Gharcot. — Dites-moi à quoi elles ressemblent ; si elles sont bien vives;
si elles vous empêchent de dormir ?
La malade. — Elles ressemblent à des coups de couteau qu'on me donnerait
rapidement; d'autres fois, on dirait qu'on me ronge les os ; quelquefois, quand
je les ai la nuit, je ne puis pas dormir, elles me font crier. Souvent la peau
devient extrêmement sensible au moindre toucher sur le point où j e les ressens ;
là, on dirait que la peau est à vif.
M. Gharcot. — Yoilà qui rappelle la description classique des douleurs ful-
gurantes tabétiques. Procédons, et voyons si cette première impression se
trouve justifiée par le concours d'autres circonstances. (A la malade) Avez-
vous quelquefois de semblables douleurs dans les mains, dans les bras ?
La malade. — Oui monsieur, fort souvent au bout de ces doigts-là qui sont
engourdis. (Elle désigne, en disant cela, les deux derniers doigts de chacune
des mains.)
M. Gharcot. — Vous voyez qu'il s'agit du domaine cubital ; c'est la vous le
savez, un siège presque classique des douleurs fulgurantes dans le tabès.
(A la malade) Est-ce que vos jambes fléchissent quelquefois quand vous avez
vos douleurs?
La malade. — Oui, quand les élancements sont forts dans les genoux et
qu'ils me surprennent je suis menacée de tomber; mais quelquefois aussi
mes jambes fléchissent sans douleurs. J'ai aussi parfois de grands élancements
très vifs dans le côté de la tête et de la face à gauche, à la nuque.
M. Gharcot. — Voilà qui est assez significatif. D'autres renseignements que je
puise dans l'observation détaillée que j'ai entre les mains viennent d'ailleurs
déposer encore en faveur de l'idée que c'est bien le tabès ataxique qui est
en jeu chez notre malade. En effet, il y est dit qu'il y a 3 ans, il a existé pen-
dant 10 mois une diplopie par paralysie des droits externes pour laquelle
elle a été traitée aux Quinze-Vingts. Aujourd'hui, si le signe d'Argyll
Roberston fait défaut, il existe par contre encore de la diplopie homonyme
due à une paralysie incomplète de la 6« paire à droite. Enfin depuis six mois
environ sont survenus des troubles de la miction consistant en ce que la
malade est obligée parfois de faire effort pour expulser les urines. A la vérité^
sur le membre inférieur droit, non contracture, le seul qu'on ne puisse en ce
moment explorer à ce point de vue, on constate par la percussion du tendon
rotulien que le réflexe, non seulement n'est pas absent, mais encore est plutôt
exagéré. Mais l'on sait que dans le tabès, même le plus légitimera persistance
du réflexe rotulien n'est pas, tant s'en faut, chose rarissime.
Notre malade est donc, à n'en pas douter, une tabétique. 11 convient de déter-
miner maintenant quelle est la signification de cette contracture spasmodique
qui, chez elle, s'est produite à la suite d'une chute provoquée par felfondrement
- 279 -
tabétique des membres inférieurs. Mais il importe pour en venir à ce point, de
bien établir au préalabb3 les caractères cliniques de cette contracture et de
préciser les circonstances dans lesquelles elle s'est produite.
C'était un matin vers 8 heures, il y a de cela trois semaines ; la malade
descendait son escalier lorsqu'elle ressentit tout à coup dans les genoux, sur-
tout dans le gauche, de très vives douleurs fulgurantes ; aussitôt elle pousse
un cri, ses jambes se dérobent et elle tombe sur les genoux, le gauche portant
sur une marche. Elle peut se relever aussitôt et reconnaître que ce genou ne
présentait ni plaie, ni éraillures, ni ecchymoses. Il n'était pas douloureux; il
était à peine un peu engourdi ainsi que, dans toute son étendue, le membre
correspondant. Seulement les douleurs fulgurantes y reparaissaient de temps à
autre. D'ailleurs, la malade put, ce jour-là, remonter son escalier sans trop de
gêne et le redescendre plusieurs fois. La rigidité a commencé à paraître seule-
ment vers le soir et elle s'est installée progressivement ; assez vite cependant
pour que, dans la nuit, elle ait acquis son plus haut degré de développement
et se soit montrée telle que, après trois mois, nous la retrouvons au-
jourd'hui.
Yoici maintenant la description du membre contracture. La rigidité est aussi
prononcée que possible dans le genou ; l'extension y est portée au plus haut
degré, et, pour ce qui est de la flexion, elle est impossible à produire même
lorsqu'on y met beaucoup de force. Il s'agit d'ailleurs là d'une résistance
élastique et telle qu'on doit s'attendre à la recontrer quand c'est une contrac-
ture musculaire spasmodique qui est en jeu. Le pied est libre dans l'articula-
tion tibio-tarsienne. Il n'a pas pris d'attitude spéciale, et l'on peut le mouvoir
dans tous les sens : il n'en est pas même de la hanche où les mouvements
sont un peu limités dans toutes les directions. Les mouvements volontairement
exécutés de cette articulation sont gênés, lents, mais il ne sont pas abolis car
la malade peut élever le membre au-dessus du plan du lit et le porter en
abduction et en adduction. Mais tous ces mouvements, je le répète, sont diffi-
ciles, exigent des efforts et leur amplitude reste toujours inférieure à celle des
mouvements volontaires exécutés par le membre inférieur droit. On peut en
dire autant des mouvements volontaires du pied ; tous sont possibles mais no-
tablement limités, surtout le mouvement dorsal.
Toujours est-il que c'est dans les muscles extenseurs et fléchisseurs du
genou que la rigidité spasmodique est le plus accentuée et là, ainsi que nous
l'avons dit, les mouvements volontaires, comme les mouvements passifs, sont
littéralement impossibles.
Dans toutes les manœuvres que nécessite l'examen des jointures, on constate
que tous les mouvements qu'on leur imprime ou qu'on essaye de leur impri-
ser ne provoquent aucune douleur. Ou reconnaît, du même coup, dans cette
exploration que, pour la majeure partie, le membre contracture est complè-
tement privé de sensibilité, aussi bien la peau que les parties profondes.
38
— 280
L'anesthésie cutanée qui porte à le fois sur le tact, la douleur et les autres
modes de la sensibilité, est limitée tant du côté du pied, que du côté de
l'abdomen, d'une façon fort originale qu'on peut reconnaître sur le schéma ci-
I
Fig. 62
Fig.63
contre ; ainsi du côté du pied la limite est marquée par une ligne circulaire
déterminant un plan perpendiculaire à l'axe du membre, et passant à quelque
centimètres au-dessus du pli de l'articulation du cou-de-pied ; du côté de la
hanche la ligne limitante suit en avant le pli de l'aine, empiétant un peu sur
l'adomen, tandis qu'en arrière elle forme une courbe à convexité supérieure qui
de l'extrémité interne du pli fessier remonte vers la crête iliaque.
— -281 —
Ce sont là des particularités que j'ai eu maintes fois roccasiori de relever,
vous ne l'avez pas oublié, dans notre étude sur les paralysies psychiques et
qui ici contribueront à fixer le diagnostic. D'ailleurs l'insensibilité, ainsi que
je le (lisais tout à rhoure, n'est pas linnitée à la peau: elle s'étend aux parties
profondes ; on peut tordre, distendre les jointures restées libres sans produire
aucune douleur ; l'on peut constater en même temps que lorsque ses yeux
sont clos, la malade n'a aucune notion des mouvements qu'on imprime
aux divers segments du membre, non plus que des attitudes qu'on leur
donne : cela est ainsi, chose remarquable, même pour l'articulation du cou-
de-pied, où cependant, comme on l'a fait remarquer, la sensibilité cutanée
n'est pas sérieusement affectée.
Après l'exposé ([ui précède, il ne me paraît pas nécessaire d'entrer dans
des développements, pour affirmer que l'affection du membre inférieur gauche
n'est autre qu'une contracture hystérique, ou plus précisément une contrac-
ture hystéro-traumatique. Son début, rapide à la suite d'un traumatisme
insignifiant, précédé cependant par une période d'incubation ; le caractère^
au moins dans le genou, pour ainsi dire absolu de la rigidité spasmodique :
l'absence d'une lésion quelconque des jointures ; les troubles de la sensibilité
cutanée et leur mode de limitation du côté des parties sensibles; l'insensi-
bilité des parties profondes et la perte de notion du sens musculaire, tout cela
le démontre surabondamment.
Notre malade est donc hystérique? Cela certes n'est pas douteux : les
caractères cliniques de la contracture, survenue épisodiquement parle fait de
la chute, suffit déjà pour l'établir • mais cela apparaît bien plus manifestement
encore, lorsque l'on remonte dans les antécédents de la malade, ou encore
lorsqu'on étudie à ce nouveau point de vue les divers incidents neuropa-
thiques qui ont précédé ceux qui relèvent du tabès ou s'entremêlent avec eux
aujourd'hui encore :
Il n'y a pas d'ante'cédents héréditaires connus. Sa mère était une enfant
trouvée.
A l'âge de 23 ans, étant enceinte et ayant atteint le 7*= mois de sa grossesse,
elle fut renversée par un bœuf. Il s'ensuivit une perte de connaissance qui
dura, paraît-il, à peu près huit heures, sans convulsions.
A 28 ans, tracas, chagrins de ménage ; la misère arrive. — Elle devient
alors habituellement morose, triste ; mais de temps en temps elle est prise
d'un fou rire que rien ne justifie.
En ce temps-là, s'établit une douleur dans le coté gauche du ventre (ovarie)
qu'elle n'a guère cessé de ressentir depuis. Peu après elle devient sujette à
des accès de raideur, « accès de contracture » pendant lesquels elle ne per-
dait connaissance qu'incomplètement: L'une de ces attaques s'étant un jour
prolongée beaucoup plus que d'habitude, — près de 48 heures, — son mari
envoya chercher un médecin qui, après avoir examiné le cas, aurait prononcé
— 282 —
assure-t-elle, les paroles suivantes qu'elle dit avoir entendu parfaitement :
« Pupilles dilatées, pas de pouls, pour moi elle est morte ! » Qu'y a-t-il de
vrai, dans ce récit confirmé d'ailleurs parle mari? Quoi qu'il en soit, il s'agit,
vous le voyez, d'un cas d'hystérie tardive et certes ce cas-là n'est pas le
meilleur.
A l'âge de 31 ans se manifestent des signes de tuberculisation pulmonaire
dont on reconnaît encore aujourd'hui les traces. Dans ce temps-là, il y a eu
des hémoptysies.
Les attaques de raideur continuent à apparaître de temps à autre, alter-
nant avec des attaques de sommeil.
A l'âge de 37ans,apparaissent^les premiers symptômes tabétiques; douleurs
fulgurantes, diplopie, etc., et depuis cette époque, c'est-à-dire depuis 3 ans,
les phénomènes tabétiques n'ont pas cessé de s'entremêler, marchant paral-
lèlement et sans s'influencer les uns les autres d'une façon marquée.
La recherche des stigmates, faite ces jours-ci, a permis de compléter le
tableau déjà cependant fort chargé (voir les fig. 62 et 63). Léger rétrécissement
double du champ visuel, polyopie monoculaire à gauche avec micropsie ;
dyschromatopsie, pas de lésion papillaire ni pupillaire. — Abolition du goût
et de l'odorat à gauche, acuité auditive très diminuée, également à gauche.
En outre de Fanesthésie du membre inférieur gauche, signalée à propos
de la description de la contracture, il y a à noter une analgésie portant sur
la moitié gauche de la face, la moitié supérieure du tronc jusqu'à la ligne
médiane, l'épaule enfin et le membre supérieur tout entier ; ovarie gauche ;
pas d'autres points hystérogènes. Dynamomètre main droite : 28 ; main
gauche : 12 ;
Voilà donc un nouvel exemple de la combinaison, plusieurs fois déjà
signalée par nous, de l'hystérie et de l'ataxie locomotrice progressive. A pro-
pos d'un détail, le cas actuel ofTre un intérêt particulier : la contracture hj^s-
téro-traumatique développée chez notre malade, sur un membre où le
réflexe rotulien n'était pas aboli aurait-elle pu se produire également si, sur
ce même membre, conformément à la règle ordinaire, le réflexe rotulien par
le fait de la lésion spinale tabétique, eût fait complètement défaut ? 11 y a là
un point de physiologie pathologique qui mériterait bien à l'avenir d'être
étudié.
Il ne nous reste plus pour en finir qu'à parler de thérapeutique. Que faire
pour combattre la contracture, et remettre les choses dans l'ordre premier ?
Certes, les moyens proposés ne manquent pas : aimant, électrisation statique,
suggestion impérative à l'état de veille ou suggestion hypnotique si toutefois
l'hypnotisme est praticable^ applications métalliques, massage par frôlement,
pèlerinage à la grotte de Lourdes, etc., etc. Le cas échéant aucun de ces
moyens n'est à dédaigner et nous n'avons par conséquent que l'embarras du
choix. Aucun d'eux toutefois ne porte avec soi, tant s'en faut, l'absolue certitude
b
— 283 —
de la réussite et en somme, il importe de le reconnaître, la doctrine, relative-
ment au traitement des contractures hystériques, reste à l'heure qu'il est tou-
jours un peu flottante. — Un certain nombre de points sont cependant désor-
mais, si je ne me trompe, parfaitement établis. C'est à savoir, par exemple,
que toute intervention mécanique, chirurgicale, est dans ces cas-là, tant
que persiste l'élément spasmodique non seulement inutile, mais encore
fâcheuse, pernicieuse même quelquefois au premier chef, comme pouvant
aggraver la situation et prolonger le mal indéfiniment ; c'est encore que, autant
les contractures sont faciles à résoudre au moment même de leur formation,
ou autrement dit, lorsqu'elles sont encore à l'état naissant, autant elles
résistent au contraire, opiniâtrement, à tous les moyens autrement efficaces,
lorsqu'on les a laissé durer et si l'on peut ainsi dire, prendre pied dans l'orga-
nisme. Enfin les contractures hystériques, cela n'est pas douteux, sont, toutes
choses égales d'ailleurs, moins persistantes chez les sujets qui ont des attaques
convulsives que chez ceux qui n'en ont pas. Il y a en effet, ainsi que je vous
l'ai dit maintes fois, une sorte d'antagonisme entre les accidents dit locaux de
l'hystérie (hystérie locale), tels que bruits laryngés, contractures etc., et les
attaques convulsives. Celles-ci d'ailleurs peuvent déterminer la résolution
d'une contracture établie déjà depuis longtemps à l'état permanent et, ainsi
que l'a bien montré M. le D'" Pitres il peut être utile parfois, pour atteindre ce
but, d'en provoquer le développement en mettant à profit la connaissance des
points hystérogènes. — Notre malade est une hystérique à attaque, et la
contracture d'origine traumatique qu'elle présente n'est pas de date très
ancienne ; on peut donc espérer d'après tout cela que la guérison de cette
contracture ne sera pas très difficile à obtenir (1).
3^ ET 4' Malade.
J'en reviens actuellement au sujet dont nous nous sommes occupés dans la
seconde partie de la dernière leçon : il s'agissait, vous ne l'avez pas oublié, de
la forme clinique complexe que je vous proposais de désigner par le vocable
hystéro-neurasthénie, et à ce propos, je vous ai présenté deux exemples du
genre, auxquels nous pouvons, ainsi que je l'ai annoncé, ajouter aujourd'hui
1. Le lendemain de la leçon, à la suite de la mise enjeu du « Transfert » suivant la méthode
de M. Babinski, la contracture a disparu.
— ^284 —
deux cas nouveaux ; nous aurons à comparer ces malades les uns aux autres
et à faire ressortir comment ils constituent un groupe des plus homogènes,
bien que sous le rapport des agents provocateurs de l'affection, il y ait lieu de
relever entre les divers caS;, des différences en apparence capitales. L'espèce
morbide, en d'autres termes, conserve sa fixité, son originalité, son autonomie,
en présence de la variété des causes occasionnelles ; tel est l'enseignement prin-
cipal qui se dégagera surtout, si je ne me trompe, de l'étude comparée de nos
quatre malades.
Tous nos sujets appartiennent à la classe des travailleurs manuels; et en
dehors de cet hospice où les besoins d'un enseignement spécial ainsi que les
nécessités d'un traitement particulier les appellent, vous devez vous attendre
à rencontrer fréquemment les malades de ce genre et de cette classe dans la
population qui, à Paris, fréquente les hôpitaux généraux. Ou les y rencontre
vulgairement et en proportion beaucoup plus considérable qu'on n'aurait pu
rimaginer,surtout, bien entendu, lorsque, il y a trois ou quatre années à peine,
ils étaient encore presque généralement peu connus ou même tout à fait mé-
connus; c'est là un fait que j'ai maintes fois déjà proclamé devant vous. A cet
égard, j'ai ces jours-ci, ouvert une enquête que je me propose de poursuivre sur
une plus grande échelle, et qui bien qu'à peine ébauchée encore, m'a déjà fourni
cependant quelques résultats intéressants ; ainsi dans le seul service de
M. Ballet, à l'hôpital Necker, il s'est à un moment donné, trouvé sur un total
de 40 malades mâles, une réunion de 8 cas d'hystéro-neurasthénie. Il est vrai
que M. Ballet, agrégé de la Faculté et ancien élève de cethospice, s'occupe beau-
coup et avec succès de pathologie nerveuse et qu'il a pu par conséquent, dans
un but d'étude, attirer à lui quelques-uns de ces sujets. Mais àThôpital Saint-
Antoine, les conditions n'étant plus les mêmes, je sais qu'on a compté cinq
hystériques mâles, dans un seul service de 40 lits d'hommes. La proportion a
été à peu près la même dans la plupart des autres services du même hôpital.
L'hôpital en question est, vous le savez, situe' dans un faubourg très popu-
leux où les ouvriers habitent en grand nombre : mais tous les hystériques ou
les hystéro-neurasthéniques qui y sont admis ne sont pas des travailleurs
manuels réguliers ; on compte parmi eux une assez forte proportion de gens
sans profession avouée, sans domicile fixe, des vagabonds en un mot, qui cou-
chent souvent sous les ponts, dans les carrières ou les fours à plâtre, et qui
sont exposés à chaque instant à tomber sous le coup de la police. Serait-ce
que le vagabondage conduit à l'hystéro-neurasthénie, ou que celle-ci, inver-
sement, conduit au vagabondage? Question délicate, intéressante au premier
chef, au point de vue social, et qui méritera certainement quelque jour d'être
l'objet d'une étude approfondie. Pour le moment, je me bornerai à vous faire
part d'une impression qui m'est venue à la suite de quelques observations que
j'ai faites dans cet hospice, où la consultation externe en de certains jours res-
semble quelque peu à une « cour des miracles » : c'est que l'hystéro-neuras-
thénie serait chose vraiment fréquente, parmi les misérables, les loqueteux,
les gens sans aveu qui Iréquentent tour à tour les prisons, les asiles de nuit
et les dépAts de mendicité. Je n'oublierai jamais un malheureux aux souliers
éculés et troués, sale, émanant une odeur spéciale très repoussante, couvert
de haillons tels que je n'en ai jamais vu de semblables, si ce n'est à Burgos, où
il semble à la vérité exister un «art de porter les loques », en Irlande enfin, et
dans quelques villes manufacturières d'Ecosse et d'Angleterre. Vraiment il était
navrant à voir. Il sortait du dépôt de Yillers-Gotteretset demandait à être reçu
dans les salles ; je constatai séance tenante qu'il était atteint d'une anesthésie cu-
tanée généralisée absolue, et qu'il présentait quelques autres signes qui le dési-
gnaient comme un hystérique. Je ne demandais pas mieux que de l'admettre,
soupçonnant que son cas était pour nous fort intéressant.
Malljeureusement,je commis l'imprudence delui adresser quelques questions
qui lui parurent sans doute indiscrètes : il fit mine d'accepter le billet d'entrée
que je lui offrais, mais il s'esquiva en prononçant ces paroles significatives :
« En voilà un qui veut en savoir trop long, il ne m'y prendra pas. » lime pre-
nait peut-être pour un magistrat ; il oubliait tout au moins que pour le méde-
cin tous les hommes, quels qu'ils soient, sont égaux devant l'art et ont droit indis-
tinctement aux mêmes soins. J'ai eu plusieurs fois l'occasion de rencontrer
d'autres cas du même ordre ; mais, quoi qu'il en soit, la fréquence de l'hystérie
dans les prisons, les asiles et les dépôts de mendicité, n'existe encore dans mon
esprit qu'à l'état de conjecture vraisemblable. Je serais heureux de voir la ques-
tion soumise à une vérification en règle; il y a là pour ceux de nos confrères
qui ont accès dans les maisons de refuge ou de réclusion, un sujet d'étude qui
me paraît digne d'exciter leur zèle, et qui promet, si je ne me trompe, une
ample moisson de faits intéressants.
N'allez pas croire que « Saint-Antoine », comme on l'appelle dans le Fau-
bourg, soit, à Paris, le seul hôpital où Ton rencontre beaucoup d'hystériques
mâles. Je tiens de source certaine que dans la seule année 1888, il a été admis
15 cas d'hystérie mâle relevant pour la plupart d'une influence traumati([ue,
dans un des services de THôtel-Dieu (1).
C'en est assez sur ce point pour le moment : il est temps d'en venir à Texamen
de nos deux malades d'aujourd'hui. Eux ne sont pas des vagabonds, ils ont
été au contraire des ouvriers actifs, gagnant bien leur vie, jusqu'au moment où
la maladie dont ils souffrent les a désemparés et réduits à l'état misérable où
vous allez les voir.
I. Le premier que nous allons étudier est un homme âgé de 32 ans, d'ap-
parence vigoureuse, nommé ïr...lay et exerçant la profession de maçon. Sa
1. Voir 11 ce propos, rétude statistique publiée récemment par M. le D*" Marie : l'hystérie à
la consultation du bureau central des Hôpitaux de Paris. V. progrés médical, p. (58, 27 juillet
1889,
— 286 —
physionomie, ainsi que son allure, ne sont plus aujourd'hui ce qu'elles étaient
il y a quelque semaines, à une époque plus voisine du début de la maladie : il
présentait vraiment alors l'image vivante de la désespérance et de l'abandon
de soi-même. 11 s'est repris, depuis, à cet égarden même temps que tous les autres
symptômes se sont amendés, et bien qu'actuellement encore il paraisse pas
mal abruti, on ne retrouve plus chez lui cette apparence de dépression men-
tale profonde qu'il présentait à l'origine.
L'histoire de ses antécédents héréditaires, dont vous pourrez reconnaître l'in-
térêt en parcourant le tableau ci-joint, est fort significative ; vous allez le voir.
COTE PATERNEL
Un frère du père, Père, cousin de la
mort en 1886, à65ans. mère, âgé de 77 ans,
Il était sujet à des cultivateur, bien por-
étourdissements. Movi tant, mais ivrogne.
en tombant du haut
d'une voiture.
COTE MATERNEL
Grand'mère maternelle, morte à 82 ans. Trem-
blement sentie depuis l'âge de 61 ans, a été
folle pendant quelque temps,
MÈRE, 76 ans, ner- Cousin germain de
veuse irritable, vio- la mère, 50 ans mar-
lentes colères, épilep- chand de vins, tyro^ne,
tique ou hystérique, a été enfermé plusieurs
sujette à des étour-
dissements. Le malade
Ta vue sans connais-
sance pendant plu-
sieurs minutes.
fois à Sainte- Anne.
8 enfants dont 2 seuls restent ; l» un frère du malade, bien portant, migraineux. — 2" Le
malade lui-même.
Lui, notre malade est un pauvre hère, sans intelligence.
Bien qu'il ait fréquenté l'école de 6 à 13 ans, il n'a rien pu rien apprendre :
de fait, il ne sait ni lire, ni écrire. Mais, par contre il a bon cœur : il s'est jeté
à l'eau un jour d'hiver pour sauver une femme qui se noyait ; il s'en est suivi
une attaque de rhumatisme articulaire aigu qui l'a tenu au lit pendant six
semaines ; d'ailleurs pas de convulsions dans l'enfance, pas d'alcoolisme, pas
de maladies dignes d'être notées, en un mot, jusqu'à l'époque où est survenu l'ac-
cident^ cause occasionnelle de la maladie dont il soufïre actuellement.
C'était à la fin de mai 1888. Un échafaudage sur lequel il était monté pour
travailler de son métier de maçon fut heurté violemment par une grosse voi-
ture qui passait dans la rue et s'écroula. Il fut précipité sur le sol d'une hau-
teur de 10 mètres environ. Il perdit connaissance au moment même de l'acci-
dent et ne reprit ses sens que deux heures après ; il se trouva couché à
l'hôpital Tenon. Il ne se rappelle rien de ce qui s'est passé lors de sa chute
qui a eu lieu vers 5 heures du soir, et même il a oublié une bonne partie de
— 287 —
ce qui s'est passé ce jour-hi. Tous les renseignements qu'il nous donne à cet
égard il les tiont de ses camarades témoins de l'événement II serait tombé sur
les reins et le côté droit. Pas de grandes blessures, seulement une petite plaie
à la face externe de la cuisse droito, une autre au cuir chevelu dans la région
pariétale droite, enfin quelques contusions sur le coté droit du tronc. Tout
cela était fort léger, car, au bout de 11 jours, le malade demandait à sortir de
l'hôpital, se croyant complètement guéri.
Ici commence une période qu'il serait fort intéressant de pouvoir étudier
avec soin mais sur laquelle malheureusement nous ne possédons que peu de
renseignements. Recueilli par des parents qu'il a près de Fontainebleau, il
passe chez eux environ trois mois. Là il se sent faible, soufï'rant aux moindres
efforts, lorsqu'il essaye de se livrer à un travail manuel^, de douleurs dans la
région sacrée et d'une grande fatigue dans les jambes ; pas de douleurs de tête
cependant; mais le sommeil est souvent agité par des rêves effrayants et
d'autrefois il y a de l'insomnie: de temps à autres des vertiges. En août, se sen-
tant un peu mieux, il se croit assez fort pour reprendre son travail; mais à
chaque instant il se voit obligé de l'interrompre à cause des vertiges, des fai-
blesses survenant dans les membres inrériours et des douleurs sacro-lombaires
(plaque sacrée) qui se montrent à la moindre fatigue. Il continue néanmoins
son métier de maçon tant bien que mal, jusque vers le milieu de décembre,
époque à laquelle sans l'intervention d'une cause nouvelle, on voit les accidents
nerveux se multiplier en même temps qu'ils s'accroissent rapidement et attei-
gnent le haut degré d'intensité où ils se montrent encore aujourd'hui
Ainsi des accidents neurasthéniques appartenant surto'.ità la variété spinale,
relativement légers puisqu'ils n'empêchent pas absolument Texercice d'une
profession manuelle, occupent seuls la scène pendant une période de près de six
mois, et tout à coup, sans incident nouveau qu'on puisse incriminer, voilà que
la maladie s'aggrave et prend un caractère nouveau. Ce qui s'est passé là doit
être rapproché de ce que l'on voit assez fréquemment dans les collisions de
chemin de fer, chez des individus qui, n'ayant pas été blessés ou contusionnés
sérieusement semblent n'avoir été en somme que fort légèrement touchés et
devoir, par conséquent, en être quittes pour la peur. On voit quelquefois ces
gens-là au moment de l'accident porter secours aux autres blessés, puis rega-
gner leur destination soit en montant dans un autre train soit même quel-
quefois à pied, ainsi que le fait a été constaté lors de la terrible collision de
Charenton en 1881 sur la ligne du chemin de fer de Paris-Lyon-Méditer-
ranée (1). Quelques troubles nerveux plus ou moins vagues, surtout des insom-
nies, sont tout d'abord seuls observés; puis tout à coup, après plusieurs jours,
plusieurs semaines ou même plusieurs mois, les symptômes de la maladie ner-
1. Vibert. Elude médico-légale sur les blessures produites par les accidents de chemiu de ftr
Paris, 18^8. — Guiaon. Les agents provocateurs de l'hystérie. Paris, i889.
39
— 288 —
veuse se démasquent dans toute leur intensité. Nous trouvons les cas de cet
ordre signalés par tous les auteurs qui se sont occupés particulièrement des
affections du système nerveux déterminées par les accidents de chemins de
fer; Erichsen, Page entre autres (2) et aussi Oppenheim(3). Il existe d'ailleurs,
incontestablement, en dehors du traumatisme proprement dit, ou chirurgical
si vous voulez, au point de vue des effets déterminés sur l'organisme, la plus
grande analogie entre un effondrement d'échaffaudage de maçon et un choc
de trains: même ébranlement physique — shake andjar — , même ébranle-
ment psychique — nervous schock — de part et d'autre, et c'en est assez sans
doute pour faire comprendre l'analogie des résultats produits.
Donc, vers le milieu de décembre, sans cause connue, l'on voit chez notre
homme la situation empirer tout à coup.
Aux phénomènes neurasthéniques déjà indiqués, viennent se surajouter des
symptômes nouveaux d'ordre hystérique, en même temps que les premiers
s'aggravent.
Voici ce qui est arrivé alors : il a commencé à moins bien dormir encore
qu'avant. Il se réveillait en sursaut, rêvant qu'il tombait du haut d'un échaC-
faudage ; puis il a rêvé d'animaux terribles : il voyait des lions, des tigres, des
éléphants venir vers lui d'un air menaçant, sans sentir toutefois leur contact ;
plusieurs fois ces images ont persisté durant quelques minutes après le réveil.
Ces rêves, presque constamment, sont suivis d'une sensation d'oppression
du creux épigastrique, avec serrement le long du sternum remontant jusqu'à
la gorge. Le malade se réveille alors tout ému, respirant difficilement et ayant
grand mal à avaler sa salive. Nous avons depuis bien longtemps, M. Richer et
moi, signalé chez les hystériques hommes ou femmes, ces « rêves d'ani-
maux » qui rappellent, vous le voyez, à un haut degré, les rêves des alcooli-
ques.
Interrogé à l'improviste sur la question de savoir de quel côté par rapport à
lui se présentent les animaux qu'il voit dans ses rêves et dont l'image persiste
quelquefois après leréveil,ila répondu invariablement que c'étaitdu côté droit,
c'est-à-dire du côté où siège l'anesthésie qu'ils apparaissaient : c'est là une par-
ticularité déjà signalée dans les deux cas d'hystéro-neurasthénie étudiés dans
la précédente leçon et que nous retrouverons encore dans celui qui suivra.
Je ne fais que l'indiquer en passant, devant y revenir par la suite.
Il n'y a pas d'attaques convulsives ; mais il y a des représentants ou équiva-
lents d'attaque ; il les appelle « ses étourdissemcnts » ou encore « ses
vertiges ». Il y est sujet depuis deux mois environ, et ils se manifestent prin-
cipalement pendant le jour. Si vous examinez les choses d'un peu près, vous
reconnaîtrez bien vite qu'il ne s'agit pas là d'étourdissements vulgaires. Il
2. i^agc. Injuries of Llie Spine. I.'uuloii, ISSr), p. 1(55.
3. Oppenlicim. Real. Encycloi-ddie, art. I^mi.way Simnk
— 280 —
ressent (l'abord des battements de eœur, un serrement qui monte de Tépigastre
à la gorge ; des cercles lumineux se présentent à ses yeux (scotome scintil-
lant ?) ; puis, ce sont des sifflements dans les oreilles, des battements dans
les tempes: c'est alors que la vue s'obnubile, et que survient ce qu'il appelle
son vertige. Quelquefois il perd connaissance et plusieurs fois il est tombé à
terre, sans présenter de convulsions; parfois cependant la chute a été accom-
pagn(''e de secousses musculaires.
Dans les descriptions qui précèdent nous retrouvons la plupart des phéno-
mènes classiques de Taura qui précède les attaques hystéro-épileptiques. Il y
a, vous ne l'avez pas oublié, des hystéro-épileptiques à crises typiques, qui
parfois ressentent les phénomènes de l'aura pendant un temps sans ([ue
l'attaque proprement dite s'ensuive (1). Il y a d'autres cas, et ceci se voit
surtout chez l'homme, où la crise est constamment représentée par l'aura telle
qu'elle vient d'être décrite plus haut, sans jamais êtes suivie d'attaques con-
vulsives. Enfin, sans sortir de l'hystérie, Richer, sous le nom d'accès épilepti-
ques incomplets, a donné la description d'une variété d'attaque qui ressemble
beaucoup au vertige comitial quand il s'accompagne de quelques contrac-
tions musculaires rapides et localisées à certains groupes de muscles (accès
épileptiques incomplets de Herpin). Voilà autant de faits qu'il faut avoir pré-
sents à l'esprit, lorsque chez les hystériques, surtout chez les mâles, on se
trouve en présence de certains « étourdisscments ou vertiges ». de certaines
« syncopes » comme on les appelle encore, dont l'interprétation peut paraître
difficile. Ce ne sont là le plus, souvent, suivant la terminologie que je propo-
sais tout à l'heure d'adopter, que des équivalents ou représentants d'attaques
hystéro-épileptiques ou si vous faimez mieux des « attaques avortées ».
Les rêves et les « étourdisscments » malgré l'amélioration qui s'est produite,
récemment, dans tous les symptômes, persistent encore actuellement à un
certain degré, et si vous y joignez les résultats obtenus chez notre homme par
la recherche des stigmates, toujours présents, vous aurez complété, en ce qui le
concerne, le tableau des symptômes hystériques tel qu'il s'offre à nous au jour
d'hui.
Voici fénumération des stigmates en question. — Diminution de la sensi-
bilité cutanée dans tous ses modes sur toute l'étendue du corps. — Véritable
hémianesthésie à droite : léger rétrécissement du champ visuel pour les deux
yeux. Voy. les fig. 64, 65, 66, 67 p. 290, 291. Pas de polyopie monoculaire; pas
de dyschromatopsie — peut être un peu de nystagmus. Diminution très pro-
noncée du goût des deux côtés de la langue. Abolition du réflexe pharyngien.
Odorat très diminué surtout à gauche. Au repos léger tremblement vibratoire
des mains, lequel disparait si on fait étendre la main et écarter les doigts.
i, Paul Richer. De l'attaque hystéro-épileptigue, 2« édition, p. 22.
290 —
Ainsi que nous l'avons fait remarquer, les symptômes de neurasthénie spi-
nale ont été les premiers en date, et ils ont seuls tenu la scène pendant une
Fig. 64. — 12:décembre :1888.
l-xl. »i
90 Exl
Fig. 65. — 23 janvier 1889.
période de plusieurs mois avant l'apparition des symptômes hystériques ; mais
ils se sont notoirement aggravés nu moment même où^ceux-ci se sont mani-
festés. Voici en quoi ils consistent aujourd'hui:
— 291 -
Tr...lay a la tête lourde, comme serrée dans un cercle de fer. Il ne peut pas
entendre un bruit sans tressauter. 11 lui semble qu'il n'a plus de mémoire ; il ne
peut plus penser à rien sans que la céphalée s'aggrave. Eu somme, à cet égard,
¥
Fig. 66,
Fie- 67.
il se trouve dans les conditions auxquelles conduit le surmenage intellectuel,
bien que chez lui Tintelligence n'ait pas été en cause; et à ce propos il n'est
pas sans intérêt de relever en passant comment la lente influence du surme-
nage de l'esprit, et la brusque action d'un ébranlement psychique soudain,
bien qu'il s'agisse là de causes en apparence fort diflférentes, peuvent aboutir
cependant au même résultat.
9;)0 .'-
La neurasthénie spinale du début s'est accentuée : la « plaque sacrée » est
plus prononcée que jamais; les membres inférieurs sont faibles et facilement
fatigués. Le dynanomètre donne pour la main droite 18 et pour la gauche 25,
Pas de troubles gastriques bien prononcés.
Ainsi étaient les choses il y a un mois à peine ; comme nous l'avons dit, elles
se sont amendées depuis sous l'influence du traitement (bromure de po-
tassium, toniques, bains sulfureux.) Les cauchemars et les vertiges sont plus
rares le malade a Tair moins découragé, moins prostré. Le dynamomètre donne
actuellement 43 pour la main droite et 65 pour la main gauche ; mais les stig-
mates persistent tels quels ou à peu près et pour arriver à la guérison il reste
encore beaucoup à faire. L'homme, — et l'on peut dire Fhomme vigoureux sur-
tout — lorsqu'il est tombé dans l'hystéro-neurasthénie, n'en sort pas si facile-
ment... quand il en sort! Notre malade très certainement sera pour longtemps
encore incapable de se livrer à un travail manuel suivi,, et en particulier de
remonter sur son échafaudage.
IL Ce même ensemble symptomatique que nous venons de relèvera Tinstant
chez notre maçon tombé du haut d'un échafaudage^ nous allons le retrouver
plus accentué encore peut-être, si cela est possible, chez le dernier sujet qu'il
nous reste à examiner, bien que chez lui il n'y ait pas à invoquer le moindre
traumatisme, le moindre ébranlement physique. Il est vrai que cette fois
Véhranlemeni psychique B, été aussi profond, aussi terrible, ajouterai-je, qu'on
le puisse imaginer. Vous allez en juger.
Voici ce qui s'est passé: C'était le 27 septembre 1887, c'est-à-dire il y a
quinze mois, Con...ns, âgé de 53 ans, ouvrier laborieux, gagnant 7 francs par
jour, exerçait son métier de menuisier en bâtiment, dans une maison en
construction où son fils, âgé de 18 ans, travaillait justement, lui aussi, comme
couvreur. Or, il arriva que l'infortuné jeune homme fut précipité du toit où il
travaillait, c'est-à-dire de la hauteur d'un sixième étage environ, sur le pavé
de la rue où il fut tué raide.
Con...ns, aux clameurs poussées par les assistants, accourut sur le lieu du
drame et se trouva face à face avec le cadavre de son malheureux fils, horri-
blement défiguré. Certes il dut, en ce moment-là, ressentir une des impressions
morales les plus cruelles qu'on se puisse figurer, d'autant plus que ce lils était
de sa part, paraît-il, l'objet d'une affection profonde. Aussitôt il s'évanouit
et resta inconscient pendant quelques minutes.
A partir de ce moment-là, tout est changé en lui. Il ne se sent plus le même
qu'auparavant. Lui, autrefois gai et remuant, il est devenu triste, maussade.
Il évite la société qu'il fréquentait dans le temps avec plaisir. Il dort mal ou
quand ildort,son sommeil est agité par des rêves très fatiguants et très pénibles.
Ils se rapportent à son fils qu'il revoit enfant et heureux, ou par un contraste
sinistre, pâle, défiguré, ensanglanté tel qu'il était au moment de l'accident. Il
sent sa mémoire alïaihlie, il est disirait, ne se souvient pas de ce qu'il a fait
quelque temps auparavant. Il soulfre de la tête d'une far^on à peu près cons-
tante. 11 a, dit-il, sur la tête comme un casque lourd qui lui comprime le front
sur chaque tempe et l'occiput, et il ressent au moindre mouvement du cou des
craquements. Les fonctions génitales sont très afïaiblies ; après avoir mangé
il se sent tout gonflé, il a des éructations, le sang lui monte à la figure et il
est tout somnolent. Il est faible, facilement fatigué, pas assez cependant pour
ne pas continuer son travail.
Tels sont les accidents nerveux d'ordre neurasthénicpje qui seuls ont régné
chez notre homme pendant une période de plus de douze mois. Il semble que
chez ces natures rustiques, non amollies par la culture, où l'hystéro-neurasthé-
nie se développe sous l'influence d'une cause brusque, à action violente et non-
comme conséquence des applications lentes d'une cause déprimante, il semble^
dis-je, que ce soit la neurasthénie qui constamment précède l'hystérie et lui
prépare en quelque sorte le terrain. Il paraît, en d'autres termes, qu'en pareil
cas pour devenir hystérique il faille passer par la neurasthénie. De fait, les
choses ont été ainsi chez le dernier malade dont nous nous sommes occupés ;
elles se sont produites absolument de la même façon chez celui que nous
étudions en ce moment. Les manifestations hystériques ont éclaté tout à
coup, bruyamment, sur le fond neurasthénique, sans 1' intervention d'une
provocation nouvelle.
Le 7 octobre dernier, il y a près de cinq mois^ étant monté sur une échelle,
occupé à poser une planche, il se sent tout à coup comme ébloui par des
étincelles qui brillent un instant devant ses yeux (scotome scintillant ?) ; les
oreilles lui tintent, sa vue s'obnubile, il se sent comme étourdi, perd con-
naissance et tombe à terre Au bout d'un quart d'heure, il est revenu à lui un
instant, paraît-il, puis il est redevenu inconscient, cette fois pour huit heures
environ. Quand il est sorti de cet état il était atteint d'hémiplégie gauche ;
les gens qui l'ont secouru au moment de l'accident assurent que cette hémi-
plégie existait dès l'origine.
Quoi qu'il en soit, elle persiste aujourd'hui encore, à peu près telle qu'elle
était au début, un peu amendée toutefois, et il nous est possible d'en étudier
les caractères cliniques qui sont fort accentués et fort significatifs.
Nous rappellerons d'abord quelques symptômes qui ont existé durant les
premiers jours de l'hémiplégie et qui, aujourd'hui, se sont eflacés : langue
tirée vers la droite, quoique, remarquez-le bien, l'hémiplégie soit à gauche.
La commissure labiale est fortement déviée en haut et à gauche ; spasme des
paupières de ce même côté. Tous les phénomènes ci-dessus se rapportent au
spasme glosso-labié des hystériques. — Il y a eu du mutisme pendant quel-
ques jours (mutisme hystérique). •« J'entendais et je comprenais bien, dit le
malade, tout ce que les autres disaient, et les mots me venaient pour répondre.
Mais c'était ma langue qui ne voulait pas tourner. ^
— 294 —
L'hémiplégie des membres persiste seule actuellement. Elle a été à peu près
complète au début, et, à cette époque-là, les membres supérieurs et inférieurs
gauches étaient flasques, absolument inertes. Il lui fallut rester au lit pendant
huit jours. Puis, quand il a pu marcher, le membre inférieur était traîné
sur lesol comme un corps inerte, suivantla description bien connue de Todd.
Hémianesthésie gauche complète^ cutanée et profonde, portant sur tous
les modes de la sensibilité, occupant la face, le tronc, les membres. Voyez
fig. 69 et 70. Perte du sens musculaire, de la notion de position, etc. Les
troubles de la sensibilité sont tels qu'on ne les observe jamais à ce degré-là,
vous le savez, que dans l'hémiplégie hystérique.
»
-G
Fig. 68.
L'anesthésie en eftet, est non seulement sensitive mais encore sensorielle ;
rétrécissement double du champ visuel, plus prononcé à gauche, pas de
polyopie monoculaire mais micropsie, macropsie. Dyschromatopsie, ouïe
affaiblie à gauche, goût aboli sur toute Tétendue de la langue. Insensibilité du
pharynx (Fig. 68).
Le dynamomètre a donné il y a un mois 60 à droite, 10 à gauche. Aujour-
d'hui qu'il y a eu de l'amélioration, il donne 60 à droite et 25 à gauche.
Les rêves depuis l'appariiion des symptômes hystériques ont un peu
changé de caractère. Ils ne sont plus relatifs à la mort de son fils. Il voit, main-
tenant surtout, des animaux féroces, un chat gris qui lo mord et avec lequel
il lutte. Il assure que ces animaux s'avancent vers lui venant du côté gauche.
Il est vraisemblable que la grande attaque qui a inauguré le début des
— 295 —
phénomènes hystériques a été une attaque de sommeil, ou apoplectiforme
comme \rous voudrez l'appeler ; aujourd'hui il n'y a pas de grandes attaques
convulsives mais celles-ci sont suffisamment représentées par les phéoo-
Fig. 69. Fig. 70.
Le scrotum est sensible ; la moitié gauche de la verge est insensible.
mènes suivants. De temps à autre Con...ns ressent dans les membres paralysés
quelque chose qui lui monte vers le cou et qui Fétrangle. 11 entend alors un
bruit dans son oreille gauche ; sa vue s'obscurcit et bientôt il perd con-
naissance. En ce moment-là les membres sont rai des ; peu après ils sont pris
de trépidation, puis son cou gonfle de nouveau ; il étoufle, il crie, « saute
40
-296 —
comme une hystérique » suivant la relation de la veilleuse de nuit, et fait de
tels mouvements que son lit en est ébranlé. Les convulsions, d'une façon géné-
rale, prédominent du côté gauche, c'est-à-dire du côté où les membres sont
paralysés, (attaque hystéro-épileptique à forme d'épilepsie partielle.)
Voilà certes un tableau fort complet et parfaitement classique. Personne
ne doutera que c'est bien ici d'hystéro-neurasthénie qu'il s'agit.
Il ne me reste plus, pour en finir avec ce cas, qu'à vous parler des antécédents
tant héréditaires que personnels qui le concerne. Il est établi que Gon. . .ns était
un homme vigoureux, robuste, d'un bon moral, avant l'époque de la mort ter-
rible de son fils. Il a eu autrefois la fièvre typhoïde et la syphilis; mais de tout
cela il n'était point resté de traces. lia servi et a fait la campagne de Grimée.
Ci-joint un tableau qui fait connaître ses antécédents héréditaires.
Deux Oncles
Très emportés
buveurs.
COTÉ PATERNEL
Père
et Alcoolique, empor-
té, il tombait raidc
quand il avait bu. —
Mort d'apoplexie ?
COTE MATERNEL
MÈRE
Très emportée, mais
pas d'attaques de nerfs.
Mort par cancer de
l'utérus.
Oncle maternel
Très colère.
Un Frère Frère mort Une Sœur
Épilep tique Apoplectique avait eu souvent des convul-
sions étant jeune.
Notre malade — Hystéro-neurasthénique.
On voit que les tares nerveuses ne font pas défaut dans la famille
Je crois utile en manière de conclusion de grouper dans un tableau synop-
tique les principaux faits de l'histoire des quatre hommes hystéro-neurasté-
nique étudiés dans la séance d'aujourd'hui et dans celle qui Ta précédée. Voir
le tableau pages "298, 299.
Il suffira, je pense, de jeter un coup d'œil sur le tableau pour être frappé des
faits suivants :
Il s'agit dans tous les cas d'artisans âgés de 31 à 53 ans, pleins de vigueur
et d'activité avant le développement des symptômes hystéro-neurasthéniques.
En général, ce sont les phénomènes neurasthéniques qui ouvrent la scène,
et, si l'on peut ainsi dire, préparent le terrain sur lequel se développent, un peu
plus tard, les symptômes hystériques.
Sous le rapport des symptômes, les quatre observations sont en quelque
sorte identiques : on pourrait dire qu'elles se superposent à peu près sur tous
les points ; d'un côté mêmes phénomènes psychiques, même dépression men-
tale, même céphalée neurasthénique, même affaiblissement des forces physi-
ques; de l'autre côté même stigmates sensitifs et sensoriels, mêmes hémiplégies
motrices avec spasmes glosso-labiés etc, etc. L'attaque est représentée
trois fois sur quatre.
— 207 —
Sous tous ces rapport?, on le voit, l'uniformité est parfaite. Il n'en est plus
de même lorsque l'on cor suite les colonnes du tableau relatives aux circons-
tances étiologiqucs. 11 est vrai que dans la majorité des cas, trois fois sur
quatre, nous trouvons les antécédents héréditaires névropatliirpies fort
chargés : mais par contre, lorsqu'il s'agit des causes occasionnelles, provoca-
trices auxquelles on est conduit à rattacher l'apparition plus ou moins im-
médiate dos accidents nerveux jusque-là nuls, inconnus ou pour le moins
restés latents, nous avons à relever dos différences vraiment capitales. Ainsi
chez l'un do nos sujets, le n° 1, la maladie se développe en apparence sponta-
nément, sans l'intervention d'une cause appréciable quelconque ; le satur-
nisme est la seule influence qu'on puisse invoquer et encore ; chez le second
au contraire elle apparaît en conséquence d'une chute dans l'eau, par
suite de laquelle le pauvre garçon a failli se noyer; chez le troisième il s'agit
de la chute d'un échafaudage. On peut entre ces deux derniers cas recon-
naître à la rigueur des tra^s communs : il y a eu en effet à la fois ébranle-
ment physique et ébranlement psychique soudainement produits, comme
cela se voit dans les collisions de train ; mais que dire alors du quatrième
sujet chez lequel tous les symptômes se manifestent sans le concours d'aucun
ébranlement physique par le seul fait de l'épouvantable saisissement qu'il
éprouve à la vue du cadavre de son fils, tué en tombant du haut d'un toit?
Tout cela certes vient à l'appui de la proposition que je formulais en com-
mençant. En matière d'hystéro-neurasthénie survenant chez l'homme vigou-
reux, voué aux travaux manuels, la forme nosographique reste fixe en
présence de la variété des causes occasionnelles. Il ne parait pas, en d'autres
termes, que la cause occasionnelle détermine sur les symptômes dont elle
provoque l'apparition une empreinte particulière, suffisamment originale
pour permettre de deviner quelle a été cette cause ou même de le conjecturer.
En manière d'épreuve, on pourrait formuler le problème suivant, dont la so-
lution je pense, ne saurait être donnée dans l'état actuel des choses. Nos qua-
tre malades seront mis à la disposition d'un clinicien expert en pareilles
matières ; il pourra les examiner tout à loisir : il lui sera interdit seulement,
bien entendu, de s'enquérir de la cause occasionnelle. Pourra-t-il, d'après la
seule considération des symptômes, de leur évolution, etc., arrivera la détermi-
ner même approximativement ; pourra-t-il déclarer que chez celui-ci la ma-
ladie est survenue spontanément^ que cet autre a failli se noyer, que celui-là
est tombé du haut d'un échafaudage, que le dernier enfin a été à la fois
saisi de douleur et d'effroi à la vue du cadavre de son fils ? Evidemment non ; et
ce que je dis là, relativement aux cas précédents, je pourrais le répéter à propos
des hystéro-neurasthénies produites par les collisions de train {nathrntj
spme), dont je vous montrais un bel exemple, dans la leçon du 4 décembre
dernier. Avec toute la bonne volonté possible je m'efforce d'apprendre à recon-
naître les grands caractères qui, suivant quelques auteurs, distingueraient la
— 298 —
névrose traumatique des autres formes de Vhystéro neurasthénie mâle traumaii
que ou non traumatique^ en vérité, je ne les vois pas.
Un mot en terminant sur cette circonstance notée dans nos quatre observa-
tions que les images visuelles d'animaux, d'enterrements, ou de toute autre
nature, vues en rêve et persistant quelquefois un instant après le réveil,
apparaissent constamment du côté correspondant à l'hémianesthésie, côté où
le rétrécissement du champ viusel est dans la règle, le plus prononcé. Ce fait
est en quelque sorte le pendant de celui que nous avons mis en lumière, il y a
longtemps déjà {Progrès médical n° 3, janvier 1878 (1) chez les femmes hysté-
riques hémianesthésiques. Il est très commun que ces malades, même dans
leurspériodesd'accalmie,soienttourmentéesparlavision imaginaire d'animaux,
ANTECEDENTS HERE-
NOMS ET PROFESSIONS DITAIRES NERVEUX
AGE OU
ARTHRITIQUES
T
Laf.-.cque, plom- Inconnus.
bier, 48 ans. V. 12« le-
çon III.., p. 265.
ANTECEDENTS
PERSONNELS
CAUSE
PROVOCATRICE
(occasionnelle)
SYMPTOMES
NEURASTHÉNIQUES
Coliques de plomb. Aucune cause appa- Céphalée ; dëpres'
rente. sion rsy chique ; mé-
moire affaiblie; dyna-
momètre, 58,55.
II
Gre. fe, boulanger. Très chargés.
31 ans, 12--- leçon. II.,
p. 261.
0
Chute dans Veau en Céphalée, dépres-
pén/tant à Vépervier. sion psychique, mé-
Menacé d'être noyé il rnoire affaiblie, dys-
y a A mois. pepsie. Dynam.bb, 21.
111
Trem.-.ay, 32 ans,
maçon, 13« leçon, p.
2Sd, sq.
Très chargi-s.
Rhumatisme articu- Chute d'un échafau-
laire aigu. — Esprit dage {hauteur 10 v/.),
faible.
IV
GoNST.s .menuisier Très chargés.
en bâtiment, 53 ans,
13« leçon, p. 292, sq.
0
il y a 1 mois.
Saisissement enpré-
sence du cadavre de
Céphalée, dépres-
sion mentale extrême,
air sombre, 7tiémoire
confuse, dyspepsie,
affaiblissement seruel,
Dynam., 18, 25 puis
45, 65.
Céphalée, dépres-
sion me 'taie, tend.
son fils lue par acci- mélancolique, mémoi-
dent, il y a quinze re confuse, dyspepsie,
^ois. affaiblissement sexuel,
dynam. 10, 60 puis 25,
60.
1. Leçons sur les maladies du système nerveux. A* édition, page 424.
I
— 299 —
de chats, de nxts, de bêtos fantastiques qui semblent courir sur le parquet ou
sur le mur voisin. Ces animaux, généralement de couleur noire ou grise, plus
rarement d'un rouge vif, se présentent pour chaque malade du même c6té, et
ce côté où l'hallucination se dessine est toujours celui qui correspond à
l'hémianesthésie et par conséquent à l'amblyopie. Habituellement, les animaux
passent en série et courent rapidement venant de derrière la malade et se
dirigeant d'arrière en avant. Ils disparaissent aussitôt qu'elle tourne les yeux
de leur côté.
On voit que ces phénomènes, intéressants aussi bien au point de vue de la
psychologie pathologique qu'au point de vue de la clinique, sont exactement
les mêmes chez l'homme hystérique.
STIGMATES
HYSTÉRIQUES
SENSITIFS ET SENSO-
RIELS
PARALYSIES
HYSTÉRIQUES
ATTAQUES
OU
ÉQUrVALENTKS
d'attaques
REVES
ÉPOQUE DU DÉBUT
DES
ACCIDENTS NERVEUX
Rétrécissement double
du champ visuel, Pha-
rynx insensible, ob-
nub. du goût, hemia-
nesthésie gauche.
Rétrécissement du
champ visuel. Pha-
rynx insensible, goût
affecté, hémianesthé-
sie gai che.
Rétrécissement du
champ vi'iufl, pha-
rynx Insen'sible^obnub.
du goût, hémianes-
thésie droite.
Hémiplégie gauche,
contracture de la lan-
gue.
Hémip'égie gauche
avec douleur à la
cuisse, blepharospas-
me il gauche, langue
tirée adroite.
Aura montant de la
fosse iliaque gauche,
boule.
0
Hémiparésie droite. Aura, vertiges, per-
les de cmnuissance.
Vipères, couleuvres,
il les voit qu'lquefois
à Vétat de veille, ils
se préssnlent à gau-
che.
Il y a deux mois.
Rêve de son a^^ci- Début quinze ours
dent, voit des enterre- après V accident . La
ments qui viennent de neuras'hénie et Ihys-
la gauche. térie se montrent si-
mulianément.
Rêve de son acci- La neurasthénie d'à-
dent.rêves d'animaux, bord, l'hystérie trois
éléphaîits, lions qui se ynois après,
présentent du côté
droit.
Rétrécissement du Hémiplégie gauche. Attaques apoplec^ Rêve de V accident, Les phénomènes neu-
champ visuel, perte langue déviée à droite, ti formes {de sommeil), rêves d'animaux qui raslhénigues appa-
du goût, anesthésie bouche tirée à gauche aura et vertiges. se présentent du côté raissent aussitôt après
pharyngée, hémianes- et en haut, spasme gauche. l'accident. Les symp-
thesie gauche. de l'œil gauche. tomes hystériques un
an après.
t».
.o*o.d*Typ. - .'^'oistT. ,8, r.C«iU(.a^iio i'r«miir«. V'ari*.
Policlinique du Mardi 21 Février 1889
QUATORZIEME LEÇON
Cas d'automatisme comitial ambulatoire.
Messieurs,
Vous avez devant vous un malade nommé Men...s, que quelques-uns
connaissent fort bien déjà. Je vous l'ai présenté ici même, il y a un an
environ, à l'occasion d'accidents nerveux analogues à celui qui nous le ramène
aujourd'hui. Il est sujet à des accès consistant en ce que tout à coup (i), au
milieu de ses occupations habituelles, sans prodromes bien marqués, il perd la
conscience de ses actes, se met en marche résolument sans savoir cependant
où il va, à la manière d'un automate et ne reprend sa lucidité qu'au bout d'une
période de temps dont la durée peut varier de quelques heures à quelques
jours. Le dernier accès qu'il a éprouvé, et à propos duquel il vient nous
consulter à nouveau, n'a pas duré moins de dix jours.
I
Men... s, va tout à l'heure nous raconter lui-même ce qu'il sait de ses
fugues ; au préalable, je crois utile de vous rappeler qu'il est âgé de 37 ans,
marié, père de deux enfants bien portants et qu'il est fort rangé, de mœurs
douces, absolument étranger aux excès alcooliques ou autres; que jamais il
n'avait été malade jusqu'à l'époque où, il y a deux ans, commencèrent à
paraître, sans cause appréciable, les crises nerveuses dont la description va
nous occuper, et qu'enfin, l'étude de ses antécédents de famille poussée aussi
loin que possible ne nous a rien appris qui mérite d'être signalé. D'ailleurs sa
1. Voir Levons du mardi lSb7, 1888. — Le(;oii du 31 janvier, p. 165.
41
— 304 —
physionomie est, comme vous le voyez, parfaitement calme, absolument dénuée
de traits accentués, neutre si vous voulez, exprimant toutefois plutôt l'in-
telligence.
Il exerce la profession de Livreur de marchandises à domicile, pour le compte
d'une des grandes maisons de fabrication de bronze d'art de la rue Amelot, à
Paris. Pendant dix-neuf ans, il est resté chez le même patron, M. X... qui, retiré
des affaires depuis peu de temps seulement, accompagne aujourd'hui son
ancien employé auquel il porte le plus vif intérêt, pour témoigner, au besoin,
à la fois de sa moralité et de sa véracité.
S'adressant au malade: — Voulez-vous me dire, je vous prie, comment vous
avez employé votre journée du vendredi 18 janvier ? Ses occupations, je le
répète, messieurs, consistent essentiellement à porter, dans la voiture de la
maison où il est employé, des commandes telles que : objets de bronze d'art,
candélabres, etc., qu'il livre aux clients et dont il touche les factures.
Le malade: Ce jour-là, je suis parti de bonne heure de la maison, ayant à
faire de nombreuses courses : il me fallait aller d'abord boulevard Saint-
Germain, puis faubourg Saint-Honoré ; de là rue des Abbesses à Montmartre,
après cela rue de Ghàteaudun, et en dernier lieu rue de Mazagran. Je suis
monté chez le client de la rue de Mazagran et j'avais reçu son argent. Il
devait être à peu près sept heures du soir lorsque je redescendis dans la rue ;
à partir de ce moment-là je ne me rappelle plus rien, absolument rien.
Toujours est-il que je ne suis pas remonté dans la voiture qui m'attendit
longtemps ; le cocher, ne me voyant pas ^evenir, prit le parti de rentrer à la
maison, où il fit connaître qu'il ne savait pas ce que j'étais devenu.
M. GiiARCOT : Ainsi, à partir du 18 janvier, 8 heures du soir^, la nuit com-
plète se fait dans son esprit. — Au malade : Quand vous êtes- vous réveillé ?
Le MALADE : Le 26 janvier ; il était deux heures de l'après-midi.
M. GiiARCOT : Gela fait donc huit jours moins cinq heures, soit cent quatre-
vingt-neuf heures. Où étiez-vous quand vous avez repris connaissance ? Gontez-
nous cela, je vous prie, dans tous les détails.
Le malade : Je me suis trouvé sur un pont suspendu, au milieu d'une ville
que je ne connaissais pas ; en ce moment-là, passait un régiment avec la
musique militaire en tête ; c'est peut-être cela qui m'a réveillé. Alors je me
dis : que vais- je faire ? Si je demande le nom de la ville où je suis on va me
prendre pour un fou ; alors il me vint à l'esprit de demander le chemin de
la gare ; on me répondit : prenez la rue de Siam, passez le pont-levis et allez
toujours tout droit. J'arrive à la gare et j'apprends là que j'étais à Brest.
M. GiiARCOT : Ainsi, messieurs, parti de la rue Mazagran à Paris, vers 7 heures
du soir, le 18 janvier, le voilà huit jours après, au milieu d'une ville, qu'il ne
connaît pas. où il n'a pas de relations, et dont il n'a jamais beaucoup entendu
parler, sans savoir comment il y est venu. — Au malade. Étiez-vous sale, vos
souliers étaient-ils usés ?
- 305 —
Lemaladi; : Non, monsieur, mes Jiabits étaient propres, et mes souliers aussi.
Ils n'étaient pas usés comme dans quelques-unes de mes autres crises.
M. Chahcot : Remarquez bien ce détail: ses habits sont propres, ses sou-
liers ne sont pas usés ; cela ne démontre-t-il pas qu'il n'a pas fait la route à
pied ; qu'il a dû prendre par conséquent un billet de chemin de fer à
destination de Brest, l'exhiber plusieurs fois pendant le trajet et le remettre
enfin ;\ l'employé, lors de l'arrivée ; qu'il n'a pas couché k la belle étoile et
qu'il a (lu, vraisemblablement^, entrer dans un bùtel où il a OU' logé et nourri
pour son argent... Je ne vois guère qu'on puisse, si l'on considère les choses
d'un peu près,e'chapper à la nécessité d'admettre, comme parfaitement fondées,
les suppositions que je viens d'émettre, et j'ajouterai que. dans l'accomplisse-
ment de tous ces actes si complexes, il a dû fatalement, quoique inconscient
ou pour le moins subconscient, se conduire à la manière d'un homme éveillé,
tranquille, sain d'esprit, agissant de propos délibéré et en un mot ne com-
moltrc aucune action et ne présenter rien dans ses allures ou dans sa physio-
nomie qui pût le faire considérer comme un malade,- comme un aliéné.
Au malade : Vous aviez, m'avez-vous dit, de l'argent dans votre poche ?
Le malade : Oui, monsieur ; c'est la première chose à laquelle j'ai pensé quand
je me suis réveillé. Arrivé à la gare, j'ai compté mon argent. J'avais touché
900 francs dans la journée du 18 pour le compte de mon patron. Il me res-
tait 700 francs dans mon portefeuille ; j'avais donc dépensé :200 francs, je ne
sais comment. Je n'étais pas très étonné de tout cela parce que pareille chose
m'était déjà arrivée, plusieurs fois, comme vous savez, en petit. Mais je crai-
gnais que ma maladie ne me reprit, et ne m'obligeât à recommencer les
voyages involontaires et à dépenser ce qui me restait de l'argent du patron.
J'aurais bien désiré retourner immédiatement à Paris et me mettre ainsi à
l'abri, mais le train était parti depuis doux heures. J'étais donc forcé de rester ;
j'avais une faim atroce et une soif terrible : je me rendis dans un restaurant
du voisinage où je déjeunai de grand appétit...
M. CiiARCOT : La soif ardente est un symptôme qu'il a remarqué à la fin de
presque toutes ses crises .
Au malade : Allons, continuez; racontez-moi bien toutes vos mésaventures.
Le malade: Pendant que je déjeunais je me demandai ce qu'il y avait à
faire pour me tirer d'embarras. Je pensai que mon nouveau patron devait être
bien inquiet et qu'il fallait lui envoyer une dépêche ; mais j'étais surtout tour-
menté par l'idée que je pouvais repartir malgré moi, aller je ne sais où et
dépenser encore de l'argent. En me rendant à la gare pour écrire la dépêche,
je rencontrai un gendarme qui se promenait de long en large ; alors l'idée
me vint de lui raconter mon allaire et de me mettre sous sa protection.
M. Cuarcot : Mal lui en prit, messieurs, vous allez le voir. Que lui avez-vous
dit, au gendarme ?
Le malade : Je lui ai conté tout ce qui m'était arrivé ; je lui ai montn'' mes
— 306 —
papiers, ma carte d'électeur. Je lui ai expliqué que j'avais de l'argent sur moi,
et je lui en ai dit le chiffre en même temps que la provenance ; je lui ai pré-
senté aussi l'ordonnance que voici et que vous m'avez dit de porter toujours
avec moi pour la montrer en cas de besoin...
M. Charcot : Ah oui ! L'ordonnance que je vous ai donnée le 27 août de l'an
dernier ; veuillez me la remettre. Elle porte en tête le diagnostic: « Crises
comitiates ambulatoires », puis vierît la prescription de bromure ; et, en bas,
ma signature ; tout cela écrit en grosses et lisibles lettres. Qu'a dit le gen-
darme après l'avoir lue ? j'imagine que pour lui c'était un grimoire. Mais il
aurait pu comprendre, pour le moins, qu'il s'agissait là de médecine et un
médecin consulté lui aurait expliqué ce que tout cela voulait dire.
Le malade : Monsieur, après avoir lu le papier, il me l'a rendu en me
disant : « C'est bien, je connais ça » et il m'a conduit au poste. Là il m'a pris
mon portefeuille et il l'a déchiré pour voir s'il ne contenait pas quelque com-
partiment secret; puis il a fouillé toutes mes poches assez brutalement. Alors
je lui ai dit : « Je vois que vous me prenez pour un voleur, vous avez tort;
c'est moi qui ai été vous trouver et qui vous ai dit que j'avais de l'argent sur
moi ; envoyez une dépêche à mon patron, il vous renseignera et vous revien-
drez de votre erreur... — «G'estbien,je connais tout ça,répondit-il ; nous verrons
bien ! » et il s'en alla me laissant dans une espèce de casemate percée de meur-
trières sans vitres et où il n'y avait pas même de paille pour se coucher; c'est là
que j'ai passé la nuit.
M. Charcot : Une dépêche avait été envoyée au patron par le gendarme ;
hélas! la réponse qui arriva le lendemain matin vers 9 heures n'était pas faite
pour améliorer la situation de notre pauvre client : elle était conçue à peu
près comme il suit : « Maintenez l'arrestation ; l'argent qu'il porte est à
moi. »
Le malade : Oui, monsieur, c'est cela. Le patron est nouveau, il ne me con-
naît pas depuis longtemps. 11 n'a pas de raison de s'intéresser à moi, comme
monsieur (jui m'accompagne, chez qui j'ai été employé pendant près de
vingt ans; je ne lui en veux pas, mais il aurait dû se renseigner avant de
répondre, cela m'eût évité bien des désagréments. Quand le gendarme m'a
montré la dépêche il était tout fier : «Vous voyez bien, m'a-t-il dit; je connais
ces afïaires-là. » Alors il m'a mis les menottes et m'a conduit, à pied, à travers
la ville, au Palais de Justice. Mais le procureur n'était pas là, alors on m'a
conduit au fort de X... Là on a pris mon signalement, puis on m'a fait désha-
biller pour s'assurer que je n'avais rien gardé sur moi; après quoi on m'a
fait entrer dans un quartier où il y avait des prévenus de bien mauvaise
mine. Le lendemain j'ai été conduit, en voiture cellulaire, devant le procureur
qui, cette fois, était là. Je lui ai expliqué que je n'avais pas été arrêté par le
gendarme, mais que j'étais allé vers lui en lui racontant mon affaire et en lui
déclarant la somme d'argent que j'avais sur moi; que tout cela s'était passé
— 307 —
parce que je suis malade et j'ai montré de nouveau votre ordonnance. Le
magistrat Ta à peine regardée, et il me l'a rendue en disant : « C'est bien, c'est
bien ; nous verrons. »
M. CiiARCoT : Absolument comme le gendarme! vous le voyez, ces messieurs,
c'est ti'istc à avouer, ne sont pas fort impressionnés par l'appréciation des
médecins; c'était, cependant, si je ne me trompe, le cas, oujamais^, de réclamer
l'avis d'un expert. Certes, il n'en eût pas manqué à Brest où existe une école
bien connue dans laquelle enseignent des professeurs fort distingués. Mais
bah! on préfère, sans doute, juger les choses en s'éclairant des seules lumières
de la « raison pure ». — Au malade : Combien de temps^ en somme, étes-vous
resté en prison, comment en êtes- vous sorti? — Laissons-lui conter, mes-
sieurs, tous les détails de sa triste aventure ; ils ne sont pas étrangers à la
cause, tant s'en faut. Ils serviront, pour le moins, à mettre bien en relief
qu'en un cas du môme genre, une procédure plus équitable et mieux éclairée
épargnerait à l'infortuné prévenu mille tribulations imméritées.
Le malade : Monsieur, je suis resté en prison six jours pleins. On m'a mis
enliberté le septième jour, après avoir reçu une nouvelle dépêche de mon patron
qui disait : « J'apprends que mon employé est malade, ayez pour lui des
égards. » Alors on m'a donné 41 fr. 55 pour prendre le train et c'est ainsi que
je suis revenu à Paris.
M. CuARCoT : Telle est la fin de l'histoire ; mais ce n'est pas le cas de dire :
« Toutestbien qui finit bien. » Il serait plus approprié à la situation de rappeler
l'adage : « Un malheur ne vient jamais seul. » En eflfet, dès son retour, notre
pauvre homme a été « remercié » par son nouveau patron, qui ne veut pas,
cela se comprend du reste, courir par son fait de nouveaux risques; et, de plus,
s'adressant à une Société de secours mutuels dont il est membre pour obtenir
un subside, il lui a été répondu par un refus formel, sous le prétexte que la
maladie dont il souffre aurait été causée par « l'intempérance». Nous, qui savons
péremptoirement ce qu'il en est à cet égard, nous ne pouvons accepter cette
fin de non recevoir, et nous délivrerons à notre client un certificat en règle
constatant que « l'intempérance » n'est pour rien dans le développement de
la maladie en question. Nous lui délivrerons en outre un deuxième certificat,
qu'il devra toujours porter sur lui, expliquant dans tous ses détails les carac-
tères de l'afTection, et cette fois ce certificat portera le cachet de l'administra-
tion de l'Assistance publique de Paris.
Ce nouveau document aux allures officielles lui sera-t-il plus utile, le cas
échéant, que ne l'a été le précédent ?... peut-être !
Vous savez, messieurs, quel est le diagnostic auquel nous nous sommes
arrêtés à propos de ce cas ; nous l'avons formulé il y a un an déjà : Il s'agit
\ii, suivant nous, cf automatisme comitial ambulatoire ; c'est-à-dire d une « forme »
ou, comme on dit encore, d'un « équivalent épileptique> marqué par faccom-
— 308 —
plissement inconscient d'actes de la vie ordinaire, plus ou moins compliqués,
avec impulsion à marcher, à se déplacer, à voyager.
Ce diagnostic, je voudrais, chemin faisant, essayer de le justifier une fois de
plus devant vous ; mais, pour ce faire, il est nécessaire de vous remettre en
mémoire les principales circonstances du cas. Je pourrais, à ce propos, me con-
tenter de vous renvoyer à ce qui en a été dit dans le recueil des leçons du
mardi de Tan passé (p. 155), mais je crois indispensable, cependant, d'insister
ici même, une fois de plus, sur les épisodes les plus caractéristiques de l'ob-
servation. La tâche nous sera du reste singulièrement facilitée si vous voulez
bien jeter les yeux sur le tableau synoptique que j'ai fait placer sous vos yeux ;
il résume sous une forme facile à saisir, les grands faits de l'histoire pa-
thologique de notre homme.
ANNÉE 1887
ANNÉE 1888
MARS
AVRIL
MAI
JUIN
JUILLET
AOUT
SEPTEMB.
OCTOBRE
NOVEMBRE
DÉCEMBRE
JANVIER
FÉVRIER
^IARS .<
Le 15
Le 30
Le 23
Le 18
Le 10 ■
l^f accès.
2*^ accès.
3« accès.
■i''- accès.
5« accès. ,
Durée :
Durée :
Durée :
Durée ;
Durée :
44 heures.
42 heures.
53 heures.
3 heures.
Accès
avorté.
3 heures.
Mal de
lêlede3h.
de durée.
Accès
avorté.
Le 27.
On commence remploi du
Bromure à la dose par jour de
4 grammes la l*"^ semaine de
chaque mois, 5 la 2^, 6 la 3^,
7 la 4« et ainsi de suite sans
interruption les mois suivants.
La première fois qu'il a été atteint de l'un de ces accès dont le dernier l'a,
dans les circonstances que vous savez, conduit à Brest, c'était le 15 mars 1887.
Il était alors âgé de 34 ans 1/2; c'est déjà, dans l'espèce, une anomalie ;
— 309 —
répilepsifj en eiïet éclate plus tôt dans la vie, du moins dans la règle, mais il
y a le chapitre des cas exceptionnels, etles« épilepsies tardives », comme nous
les appelons volontiers, ne sont pas, en somme, tellement rares. Une autre
anomalie est (pie fautomatisme ambulatoire ne paraît être chez notre homme
précédé par aucun des phénomènes qui signalent habituellement le petit mal
soit vertigineux, soit convulsif, soit encore les grandes absences. Quand il est
sous le coup do ses crises, nous le savons par la déposition de témoins ocu-
laires parfaitement dignes de foi, ses allures, sa physionomie, son regard
ne présentent rien de particulier qui le distingue d'un homme parfaitement
éveillé et à Tétat normal. Il est seulement, a-t-on dit une fois, «un peu pâle»
— c'est tout ; — d'ailleurs pas d'accidents épileptiques vulgaires dans l'inter-
valle des accès ambulatoires, pas de morsure de la langue, pas d'urinationinvo-
ANNEE 1888
JUIN
JUILLET
AOUT
SEPTEMB.
OCTOBRE
NOVEMBRE
DECEMBRE
JANVIER
Le 18
6* accès.
Durée :
8 jours.
Le 2.
Le Bromure est di-
minué de 1 gramme
chaque semaine, donc
3, 4, 5, 6 grammes.
Le 27.
On cesse le Bromure
qui sans interruption
a été pris pendant un
an.
ANNÉE 1889
FEVRIER
MARS
Le 30.
On reprend le Bro-
mure, dose 4, 5, 6, 7
grammes.
AVRIL
7e accès.
Durée :
2 heures.
Accès
avorté.
MAI
lontaire, etc., etc., cela n'existe pas actuellement et cela, dans le passé, n'a
jamais existé chez notre malade, qui, je crois devoir le répéter, n'a jamais
souffert autrefois d'une maladie nerveuse quelconque et ne compte pas.
— 310 —
autant .qu'on puisse le savoir, de tares héréditaires dans sa famille. Ainsi, le
accès automatiques sont chez lui parfaitement isolés ; j'ajouterai qu'ils sont,
si l'on peut ainsi parler, tout à fait silencieux, tranquilles, exempts, en d'autres
termes, de ces manifestations émotives violentes et bruyantes qui sont un des
caractères habituels, presque classiques, des crises comitiales psychiques,
et il y a encore là, vous l'avez compris, une anomalie de plus à signaler.
Mais, me direz-vous, je ne vois que des anomalies dans votre cas ; sur quels
fondements faites-vous donc reposer votre diagnostic? Je vousrépondrai, mes-
sieurs, que je n'ai nullement la prétention de vous présenter ici un exemple
régulier, vulgaire, facile à déchiffrer; oui, le cas est exceptionnel, anormal par
plus d'un côté ; mais je ne vois là qu'une raison de plus pour le considérer de
très près; car, vous le savez, l'étude des cas rares ou parodoxaux, aussi bien en
nosographie qu'en zoologie et en botanique, projette souvent sur les questions
les plus ardues une vive lumière. En somme, messieurs, le principal argu-
ment que je puisse faire valoir en faveur de mon diagnostic est plutôt d'ordre
pratique. L'emploi du bromure de potassium, à doses suffisamment élevées et
suffisamment prolongées, a eu sur le retour des crises, les détails de l'obser-
vation le démontrent, une influence d'arrêt très marquée en même temps
qu'il lésa atténuées ; et certes, cet argument-là n'est pas sans valeur. Mais je
me réserve de revenir là dessus tout à l'heure et pour le moment, j'en reviens,
à l'exposé des faits cliniques.
Donc l'accès du 15 mars 1887, le premier de tous, a éclaté chez Men.. s au
milieu d'un état de santé parfait. La durée en a été de quatorze heures seu-
lement. S'ad7'essant au malade : Voulez-vous nous répéter une fois de plus
ce que vous savez relativement à cet accès ?
Le malade : J'étais parti ce jour-là de la rue Amelot à 8 heures pour me
rendre avenue de Villiers faire un recouvrement. Je me rappelle très bien
être allé jusqu'à la porte de la maison où j'avais affaire. Il paraît que je n'y
suis pas entré. J'ai oublié tout ce que j'ai fait depuis lors. Je crois seulement
que j'ai vu le Mont-Valérien et peut-être le pont de Saint-Cloud. Lorsque je
suis revenu à moi, il était 10 heures du soir et je me trouvais au beau milieu
de la place de la Concorde.
M. GiiAHCOT : Croyez-vous avoir marché tout le t'^mps ?
Le MALADE : Monsieur, je le suppose : mes souliers étaient tout usés.
M. CiiARCOT : Aviez-vous de l'argent dans votre poche? avez-vous mangé
en route ?
Le MALADE : Je ne crois pas avoir mangé. En tout cas je n'ai rien dépensé ;
j'avais en partant quelques sous dans ma poche ; je les ai retrouvés tels quels
lorsque je suis rentré chez moi.
M. Charcot : Ainsi, vous le voyez, messieurs, c'est tout comme dans Taflaire
de Brest ; inconscient ou subconscient, il se conduit à peu près comme s'il
était conscient. Il n'est agressif envers personne, et sa conduite, ses allures
— :ni —
sont telles qu'il passe au milieu de tous sans être remarqué (1). — Au malade -'
Vous deviez être bien iaii^iw, après tout cela.
Lk MALADK : Oui, monsieurjo n'ai pu travailler que le surlendemain ; mais
le troisième jour j'étais parfaitement bien, puis je ne me suis [jIiis senti de
rien absolument, pendant trois mois et demi.
M. CiiAHCOT : Vous avez eu votre second accès le 30 juin. Il a été, je crois,
plus long que le précédent ? Contez-nous ce que vous en savez.
Lp: maladk : Oui, monsieur, il a duré quarante-deux heures. Donc, le 30 juin,
à 3 heures de l'après-midi, je suis parti pour Passy où je devais porter des
candélabres. J'étais allé par l'omnibus. Après ma livraison, j'ai pris le tram
way et, arrivé au Trocadéro,il m'a pris l'envie d'aller voir de près où en était
la construction de la Tour Eiffel ; je me rappelle fort bien avoir vu les pre-
mières assises de la tour ; après cela je ne me souviens plus de rien du tout.
Je me suis révcilb' seulement, comme je vous l'ai dit l'autre fois, le surlen-
demain à 9 h. 1/2, nageant dans la Seine.
M. CuARCOT : Ah !oui, je me souviens de l'aventure, c'est la seule fois qu'il
ait, dans ses fugues, commis une action dramatique, à grand fracas. Il avait,
si je ne me trompe, pris à la station de Courcelles un billet pour Bercy où il a
oublié de descendre. Le train continue sa marche et voici qu'en passant sur
le pont National notre homme, qui occupait une place à l'impériale, se préci-
pite tout à coup dans la rivière. Il faisait très chaud, il aura été attiré par la
vue de l'eau. Heureusement il est bon nageur . il gagne rapidement la berge où
il rencontre des sergents de ville qui étaient accourus pour lui porter aide et
qui le conduisent au poste de secours. — Au malade : Est-ce bien cela? Dites-
nous le reste.
Le malade : Oui, monsieur, c'est exactement cela ; au poste de secours j'ai
rencontré l'employé du chemin de fer qui m'a réclamé mon billet ; je l'avais
dans ma poche et je le lui ai donné ; mais il m'a fallu payer un supplément
parce que j'avais dépassé la gare de Bercy. Je sais exactement l'heure à
laquelle tout cela s'est passé, car^ sans le savoir, j'avais remonté ma montre.
M. CiiARCOT : Ainsi, messieurs, automatiquement et sans qu'il lui en reste
le moindre souvenir, il prend à la gare de Courcelles un billet pour Bercy,
qu'il paye bien entendu ; également sans le savoir il a remonté sa montre
et, dans le train, sa conduite est celle d'une personne normale jusqu'au moment
où, sans qu'il en connaisse le motif, il se précipite dans la Seine. — S\idres-
sant au malade : On vous a reconduit chez vous ?
Le MALADE : Non, monsieur. Le secrétaire du commissaire, auprès duquel
on m'a conduit, me connaissait justement, il m'a laissé partir seul.
M. CiiARcoT : Vous ne pouvez pas dire ce que vous avez fait pendant la nuil
\. Voir pour plus de détails, relativement aux premières crises, la Leçon du 31 janvici- 18SS,
p. 156 et suivantes.
42
— 312 —
du 30, la journée et la nuit du 1°' juillet ? Où avez-vous couché? Avez-vous
mangé ?
Le malade : Monsieurje n'en sais absolument rien. Je n'ai pas dû manger.
J'avais , en partant de chez moi, le 30, à peine 1 fr. 50 dans ma poche, et lors-
que je suis sorti de l'eau j'avais encore quelques sous.
M. Ciiarcot: Remarquez bien ceci, messieurs, le premier accès a duré qua-
torze heures, et le second quarante- deux. C'est-à-dire vingt-huit heures de
plus. Nous voici arrivés au troisième accès, dont la durée sera plus longue
encore. Ce dernier,d'un autre côté, s'est produit le 23 août, c'est-à-dire moins
de deux mois après le deuxième, de telle sorte que l'on peut dire qu'à mesure
qu'ils se reproduisent, les accès offrent une tendance marquée à s'allonger et
à se rapprocher.
Au malade : Yous étiez, je crois, le 23 août, vers 11 heures, rue Ober-
kampf. De là vous êtes allé on ne sait où et vous vous êtes retrouvé le sur-
lendemain, à 5 heures du soir, couché près de la Seine non loin du pont
d'Asnières.
Le malade : C'est exactement cela, c'est cette fois-là que j'ai été à Claye...
M. Charcot : Ah oui. c'est juste : vous avez dû remarquer que dans sa pre-
mière crise, il lui a semblé que pendant sa fugue, il avait vu le Mont-Valé-
rien et le pont de Saint-Cloud. Cette fois-ci encore il a conservé un lambeau
de souvenir^, et ce souvenir paraît très précis. Il affirme avoir passé par un
bourg, nommé Claye, à sept lieues environ de Paris, et être entré dans
un restaurant où il a commandé un bifteck qu'il n'a pas mangé...
Le malade : Oui, monsieur, je suis parfaitement sûr de tout cela. Je suis sûr
d'avoir lu sur une des dernières maisons de la ville une inscription portant
ces mots : Claye ; 14 kilomètres. Gela m'a frappé je ne sais pourquoi. J'ai dû
commander aussi du café, car j'avais du sucre dans ma poche, mais je ne
sais pas si je l'ai bu. Après cela, je ne sais plus rien. Je me suis réveillé,
comme vous dites, au bord de la Seine sous le pont d'Asnières auprès d'un
pêcheur qui a paru fort étonné de me voir là. J'étais fort sale, il est vrai, et
mes chaussures étaient dans un état déplorable.
M. Ciiarcot : Messieurs ces épisodes, détachés d'une histoire perdue, qui sur-
vivent au milieu de l'oubli profond de tout le reste, sont un fait bien digne d'être
relevé, tant au point de vue psychologique qu'au point de vue clinique. Il se
retrouve, si j'en juge d'après quelques observations personnelles, bien plus fré-
quemment qu'on ne le pense, dans l'automatisme comitial accompagné, tel
qu'il l'est ordinairement, d'actes violents, désordonnés, agressifs. Je pourrais
citer, à ce propos, le cas d'un épileptique qui est venu me consulter il y a deux
ou trois ans de cela ; il me raconta qu'à la suite d'un de ses accès il était entré
dans un état de fureur maniaque qui l'avait mené à tout briser chez lui;
après quoi, jetant partout l'épouvante, il s'était enfui dans les champs. Là, il
revint à lui quelques heures après l'événement, et reprit le chemin de sa
maison, ru; sachant absolument rien de ce qui s'était passé. A la vue des
meubles bouleversés, brisés, saccagés, il fut d'abord frappé d'étonnement et
d'cllroi ; mais un souvenir d'abord confus, puis peu à [)eu plus précis, plus
arrêté, se produisit en lui : et il se dit tristement, à lui-même : «Je comprends
maintenant ce qui est arrivé ; j'iii cru rêver tout cela : mais je vois bien
qu'il ne s'agit pas d'un rêve, c'est moi, hélas ! qui ai tout fait î v
Onpourraitaisément multiplierles exemples dugenre. Trousseau, d'ailleurs,
a insisté déjà sur cet ordre de faits. Je tiens seulement, pour le moment, à éta-
blir sur ce point spécial un rapprochement entre notre cas et les cas vul-
gaires, et vous voyez qu'à cet égard il n'y a pas d'opposition entre les deux
ordres de faits.
C'est à la suite de ce troisième accès^ le ^21 août 1887, c'est-à-dire 4 jours
après, que Men...s, sur le conseil de notre honoré collègue le D' Delasiauve,
est venu nous consulter. Nous vous avons dit, messieurs, plus haut, comment
il nous a paru que le cas devait être considéré, et la thérapeuticpuj a été ins-
tituée en conséquence. Nous avons prescrit au malade de faire usage jour-
nellement d'un mélange contenant à la fois du bromure de potassium, du
bromure de sodium, du bromure d'ammonium. La dose, par jour, devait être
pendant la première semaine de 4 grammes de principe actif, de 5 grammes la
deuxième semaine, de 6 la troisième, de 7 grammes enfin la quatrième ; après
quoi, le mois suivant, on devait recommencer par 4 grammes la première se-
maine, 5 la deuxième, 6 la troisième, 7 la quatrième et ainsi de suite sans inter-
ruption même d'un jour, pendant une longue période de temps, 6 mois pour
commencer. Cette prescription, messieurs, a été suivie par le malade très
régulièrement, au pied de la lettre, et vous allez être menés à reconnaître
jusqu'à quel point les événements sont venus justifier notre hypothèse
relative 'au diagnostic. Voici, en efTet, ce qui s'est passé à partir du com-
mencement du traitement jusqu'à ce jour.
La fin d'août, le mois de septembre, une partie du mois d'octobre se
passent sans nouvelles manifestations du mal. Le 18 de ce dernier mois,
éclate un petit accès dont je tiens à vous faire connaître les principauxdétails.
Le malade va lui-même nous dire ce qu'il en sait, ou mieux ce qui lui en a
été dit par les personnes qui l'ont vu en ce moment-là.
Le malade: Ce jour-là, je suis parti comme d'habitude pourfaire des livrai-
sons ; j'étais dans la voiture de la maison, assis à côté du cocher qui ne s'est
absolument aperçu de rien d'extraordinaire.
M. Charcot : Je ne veux pas oublier, à ce propos, de relever en passant
l'absence constatée au moins une fois, de cri, de manifestations convulsives,
ou encore de grands vertiges avec grimaces, face livide, chute, etc., etc., au
début de l'accès ambulatoire. En a-t-il été de même pour les autres accès ?
Cela, d'après tout ce que nous en savons, est au moins fort vraisemblable. '
Le malade : Je suis allé d'abord rue de Clignancourt chez un premier client
— 314 —
et je me rappelle très bien ce que j'y ai fait ; puis rue de Clichy, mais de
cette seconde course je n'ai qu'un vague souvenir ; enfin rue de Yilliers, jus-
tement chez monsieur qui m'accompagne. J'avais à y démonter une suspen-
sion très lourde. Je ne me rappelle pas du tout être entré chez lui ; j'ai
démonté la suspension, je l'ai emportée dans la voiture qui m'attendait en
bas. Je ne me souviens absolument pas de tout cela, mon patron m'a dit qu'il
n'avait rien remarqué enmoi rien d'extraordinaire.
M. X... : Non, monsieur, c'est vrai, je n'ai rien remarqué chez Men...s
si ce n'est qu'il était un peu pâle ; ma femme, qui le connaît depuis long-
temps, m'a dit après coup qu'elle lui avait trouvé l'air un peu drôle ; mais
je ne crois pas qu'une personne étrangère eût pu voir chez lui quelque
chose de particulier.
Le MALADE : Une fois dans la voiture, je me suis réveillé peut-être un
quart d'heure après être descendu de chez M. X. Mon oubli avait duré cette
fois à peu près trois heures, pas plus, et j'ai fait bien des choses pendant ce
temps-là.
Quand je me suis remis, j'ai senti une grande fatigue, comme si j'avais été
roué de coups, et j'avais une soif atroce. En rentrant chez moi, j'ai bu
plusieurs verres d'eau.
M.Charcot : A mon avis, messieurs, il s'est agi d'un accès cette fois avorté,
atténué pour le moins, sousTinfluencede l'action dubromure.Lepremieraccès
avait duré quatorze heures, le 2*^ quarante-deux heures, le 3° cinquante-trois
heures tandis que le 4% lui, ne dure que trois heures. C'est ainsi que, dans l'épi-
lepsieconvulsive, onvoitparle fait de l'administration du bromure se produire
des accès atténués, souvent représentés seulement par des vertiges sans accom-
pagnement convulsif et dont les malades ont quelquefois conscience ; ces
accès, qu'il ne faut pas confondre avec « ie petit mal » spontanément déve-
loppé, eussent pris, très vraisemblablement, si le bromure n'avait pas été admi-
nistré, les proportions d'un grand accès convulsif.
Quoiqu'il en soit, à partir de ce quatrième accès, la maladie pendant une
longue période de quatorze mois n'est plus représentée désormais que par une
crise de mal de tête semblable à celui qu'il a ressenti plusieurs fois au début
de ces accès ; ce mal de tête a siégé, cette fois comme les autres, au niveau de
la tempe gauche. Il s'est montré un an, presque jour pour jour, après le pre-
mier accès.
Il a duré environ quatre heures. Il n'y a pas eu de perte de conscience ;
mais le malade prétend avoir senti que, s'il eut été à pied « il aurait fait
une fugue comme les autres fois », c'est encore là à n'en pas douter un accès
avorté par le fait de l'action du bromure.
Les mois de mai, juin, juillet, aoiU et septembre se passent sans qu'on ait
pu i'emarquer chez notre homme aucun accident nerveux . Il avait repris
toutes ses habitudes, son travail, ses visites en ville, et sa santé générale ne
— 315 —
laissait rien à désirer. Il avait depuis longtemps repris confiance en lui-
même : de fait il se croyait guéri. Déjà le ^ mai IHHH, nous l'avions autorisé à
dnniiiuer d'un gramuie clia(|ue jour les doses du médicament qui le fatiguait
un peu, disait-il. En septembre (fin de septembre), c'est-à-dire un an après le
commencement du traitement, il prit sur lui d'en suspendre complètement
l'emploi.
Mal lui en prit, vous allez le voir. A lavérité, les mois d'octobre, novembre,
décembre et une partie de janvier, se succédèrent sans incident ; mais le
18 janvier, trois mois et demi après la cessation du bromure, éclate tout à
coup, sans causes provocatrices apparentes, et dans les circonstances que vous
savez, le grand accès de huit jours de durée qui l'a conduit à Brest, et qui a
été pour luiFoccasion de tant de tribulations imméritées et de tant de misères.
Vous pourrez suivre d'un coup d'anl rapide toutes les péripéties de cette
longue histoire, si vous voulez bien parcourir le tableau chronologique que
j'ai fait préparer pour la circonstance [V. p. 308). L'ensemble des faits établit
ici^ si je ne me trompe, l'influence décisive,et en quelque sorte caractéristique
du bromure sur le retour et l'intensité des accès. Après que le médicament est
administré, et tant qu'on persiste dans son emploi, les accès, après s'être
atténués d'abord et éloignéS;,disparaissent ensuite complètement pendant une
longue période de temps; on cesse d'administrer le bromure et voilà,
qu'au bout de trois mois, le mal reparaît sous la forme d'un accès excep-
tionnellement intense. Ces résultats thérapeutiques suffisent je crois, en
grande partie pour révéler la nature du mal. C'est dans l'épilepsie seule, tant
convulsive que vertigineuse ou psychique, qu'on voit le bromure produire
des effets aussi nettement,accusés ; certes il ne les produit pas, je m'en porte
garant, dans les attaques délirantes ou convulsives de l'hystérie.
La morale de tout ceci, c'est qu'il va falloir reprendre le médicament immt»-
diatement et en continuer désormais l'emploi pendant une période de temps
indéterminée. Les doses seront ce qu'elles ont été lors de la première prescrip-
tion, c'est-à-dire 4 grammes par jour la première semaine du mois, 3 la
seconde, 6 la troisième et 7 la quatrième et ainsi de suite les mois suivants.
Nous espérons pouvoir ainsi, à la longue, vaincre le mal ou pour le moins en
atténuer considérablement les effets. Y réussirons- nous? c'est ce que l'avenir
nous apprendra (1).
Men..s et la personne qui l'accompagne se retirent.
1. La médication a donc été l'cpinso le 12 févi-iei* 1889; rien de nouveau jusqu'au 14 avril. Ce
,jour-lîi,est survenu nu accès qui n'a pas duré plus de deux heures Le malade !e décrit, ainsi qu'il
suit : «. Je suis sorti de chez M. R..., marchand de meubles et de bronzes, rue Saint-Lazare,
pour le compte duquel je travaille maintenant, à 2 heures de ra;)rès-midi. Je devais aller rue
des Bons-Enfants d'abord pour y chercher du drap, puis passage Saulnier pour y prendre des
patères. J'étais à pied. Dix minutes peut-être après mon départ, étant dans la rue, j'ai perdu
conscience. Avant, j'étais parfaitement bien portant et, celte fois, je n'ai pas senti de mal de
— 316 —
II
Je pourrais en rester là et passer outre ; mais rien ne nous presse en ce
moment, et pour mieux relever encore l'intérêt du cas que nous venons
d'étudier ensemble, je crois utile d'en rapprocher un certain nombre de
faits analogues en ce sens que, comme dans le nôtre, le sujet exécute sans le
savoir et sans le vouloir, c'est-à-dire automatiquement, des actes souvent fort
complexes. Nous choisirons surtout, naturellement, ceux dans lesquels on le
voit marcher, se promener en public, voyager même et, avec une apparence
d'intelligence et de lucidité souvent parfaites, résoudre toutes les difficultés
que l'on rencontre nécessairement dans l'accomplissement régulier de tels
actes. Ces faits existent dans la science en certain nombre; ils peuvent être
ramenés à plusieurs groupes que iiousnous proposons de passer en revue suc-
cessivement. Dans cet exposé qui ne saurait être d'ailleurs que très sommaire,
nous chercherons surtout l'occasion, en faisant valoir les analogies et les
différences, de déterminer la place que le cas de Men... s doit occuper dans
la série de V automalisme ambulatoire, et nous serons conduit par là,
si je ne me trompe, à reconnaître encore une fois que c'est au groupe comitial
qu'il appartient.
On raconte que John Stuart Mill a composé la plus grande partie de son
« Système de logique » pendant les promenades qu'il avait l'habitude de faire
chaque jour dans les rues de Londres, entre Kensington et India house. Plu-
sieurs fois on l'a rencontré l'après midi dans Cheapside, avec l'air d'un homme
fort préoccupé, se frayant cependant la voie avec beaucoup d'aisance parmi
les passants, très nombreux à cette heure du jour, sans les heurter le moins
du monde et sans se cogner contre les colonnes à gaz (1). Sans être un Stuart
Mill, combien de fois ne nous est-il pas arrivé dans certains moments de grande
préoccupation, de gravir un escalier sans le savoir et d'arriver devant la
porte fort étonnés de ce que nous avions fait inconsciemment.
Ce sont là des exemples d'automatisme physiologique en quelque sorte ; mais
c'est, si l'on peut ainsi dire, du petit automatisme, qu'il s'agit ici car s'il a perdu,
en tout ou en partie, le souvenir des actes moteurs qu'il a accomplis, en se pro-
Icte ; je me suis réveillé seulement à 4 heures en rentrant rue Saint-Lazare, fort étonné de voir
que j'avais fait mes commissions puisque je rapportais avec moi mon drap et mes palères.
Les personnes chez lesquelles j'ai éié rue des Bons-Enfants et passap^e Saulnier ne se sont
aperçues de rien. Elles ont dit seulement que j'avais la figure « ))àle et tirée ». En rentrant, je
me suis senti très fatif?ué, comme d'habitude après mes fugues, ot j'avais besoin d'étendre les
bras et de m'étirer comme on le fait quand on se réveille.
Aujourd'hui, 15 juillet, nous apprenons de Men.. s qu'il n'a pas eu d'autres crises;, le bromure
a été continué conformément à la prescription, sans interruption.
1. Carpenter, Mental Phijsiolofji/. 5« édition, p. 131.
— 'Ml —
menant on en montant un escalier, le sujet conserve pour le moins celui des
actes psychiques qui, pendant ce temps-là, ont occupé son esprit.
La Pathologie nous fournira ais(';ment des cas beaucoup plus accentu«'*s. Le
groupe^ en [)articulier, des awî«<^s/^v /7"flM»?fl//^i/eA-, sur lequel j'ai eu l'occasion
déjà d'appeler votre attention, fournit de nombreux exemples du genre (l).Il
n'est pas rare, en effet, à la suite d'un choc sur la tète, ayant déterminé, une
commotion cérébrale,de voir sun^enir un état d'amnésie plus ou moins profonde
et plus ou moins prolongée, accompagnée d'automatisme ambulatoire. Un des
casjles plus remarquables dans cette catégorie, est incontestablement celui
qui a été rapporté à la Société] médico-psychologique de Paris, séance
des 23-26 0(!tobre 1885, par M.le D"" Rouillard (2).
Ils'agit d'une sage-femme, M""" T..., âgée de 54 ans, vétéran dans son métier
qu'elle exerce depuis plus de vingt-cinq ans et où elle a acquis une grande
réputation d'habileté. Pas de maladies nerveuses antérieures à l'affection
dont il va être question, pas d'épilepsie en particulier, pas d'hystérie. Dans
la nuit du 8 au 9 août, on sonne chez elle ; elle ouvre une des fenêtres de
l'entresol où elle demeure, et demande ce qu'on lui veut. On vient la chercher
pour aller assister à la Chapelle, une de ses clientes, qu'elle a accouchée deux
fois déjà, et qui est près d'accoucher une fois de plus. Le mari est là, en bas,
qui attend dans la rue. M™'T... descend son escalier qui est très raide, très
étroit, tortueux, et, arrivée aux dernières marches, elle fait une chute et perd
connaissance. 11 était environ 3 heures du matin. On la trouve étendue sur le
côté droit ; pas d'écoulement sanguin, ni par le nez ni par les oreilles, pas de
vomissements, pas de relâchements des sphincters. Ses traits n'étaient pas
convulsés, la langue ne sortait pas de la bouche ; comme elle est fort lourde
on parvint non sans peine à l'asseoir sur une chaise. L'état d'inconscience
dura un quart d'heure environ.
Lorsque M™* T... revint à elle, elle demanda un peu d'eau sucrée avec
douze gouttes d'arnica. Sa voix était faible, mais les mots étaient bien arti-
cules. M. C... qui était venu la chercher lui demanda si, malgré l'accident, elle
pouvait venir faire l'accouchement ; elle se leva et dit : « Allons. » Dans la
rue elle dit à M. C... qui lui donnait le bras : « Où me menez-vous ? — Mais
chez moi, à la Chapelle, ma femme est en douleurs. — Votre femme ? Je ne
la connais pas ! Comment s'appelle-t-elle ? — M™*^ C... vous le savez bien ! —
Elle est donc enceinte ? — Mais vous l'avez vue avant-hier. — Allons ! — Et
votre sac, vous l'avez oublié. (En eflet le sac a été retrouvé plus tard dans
l'escalier.) — Je n'ai pas besoin de sac. Vous avez bien du fil et des ciseaux
chez vous ! Vous m'ennuyez ! Allons ! »M. C... trouve que M"**^ T... n'est pas
de bonne humeur et n'insiste pas.
1. Leçons du mardi, 1888-89 p. 134.
2. Annales médico- psychologiques, p. 39 et p. 127, l. III, 49* année, Paris.
— 318 —
On arrive à la Chapelle après une course d'un kilomètre environ. M*"® T...
touche la femme et dit : « Vous en avez encore pour deux bonnes heures.
Tenez, marchez dans la chambre, moi, je suis plus malade que vous, je
vais m'étendre sur votre lit. Donnez-moi auparavant un peu d'eau fraîche
et de l'arnica. » Elle se met un bandeau elle-même : elle a une énorme
contusion ecchymotique du front et de la joue et peut à peine ouvrir l'œil
droit.
Elle s'étend sur le lit et paraît s'assoupir. Au bout d'une heure, elle se
lève. La femme en couches souffre beaucoup et pousse des cris épouvantables.
M™^ T... la fait coucher, prépare tout, dispose elle-même la layette sur un
meuble. L'accouchement se fait normalement vers cinq heure s et demie comme
M""^ T... l'avait prédit. Elle donne d'ailleurs ses soins avec intelligence,, pra-
tique le toucher vaginal à plusieurs reprises, soutient le périnée pendant l'ex-
pulsion du fœtus, pose deux ligatures au cordon et le coupe, lave l'enfant et
l'essuie, lui oint légèrement la tête d'huile, lui panse le nombril et entoure
le pansement de quelques tours de bande, auxquels elle fait quelques points
de couture, l'habille et l'emmaillotte, puis délivre la mère. Elle examine le
placenta, le tourne, le retourne, déplie les membranes et dit au père : « Vous
pouvez jeter cela. » Puis elle lave la mère, l'essuie, lui passe du linge propre
sous elle et dit : « Maintenant donnez-moi quelque chose à boire... » Elle s'as-
seoit, prend du thé avec quelques gâteaux secs, et cause avec les personnes pré-
sentes de choses et d'autres, mais avec peu d'entrain et répétant toujours la
même chose.
Vers 8 heures 1/4, l'accouchée se plaint et réclame l'assistance de la sage-
femme. « Allons, dit M"^ T..., voyons ! » et elle soulève le drap. A ce moment,
M™® T... est, prise d'un violent frisson, elle ferme les yeux, son corps tremble,
elle a froid. Puis elle rouvre les yeux, et volt alors la scène. Elle regarde autour
d'elle d'un air ahuri, ne comprend pas où elle est, reconnaît mal les assis-
tants qu'elle connaît presque tous de longue date. Rêve-t-elle ? Comment est-
elle venue? Et se tournant vers les assistants : « Est-ce qu'elle accouche, cette
femme-là? » Le mari est tellement étonné qu'il n'y peut répondre. « Vite une
cuvette, de l'eau, de quoi écrire. » Puis elle pratique le toucher et dit : « Mais
elle est délivrée ; où est le délivre ? — Mais il est jeté. — Tant pis j'aurais désiré
le voir. Où est l'enfant? Tiens il est emmailloté et bien emmailloté mafoi ! —
Mais c'est vous qui l'avez habillé ! — Allons donc, dit-elle, vous voulez rire... »
Elle se fait raconter ce qui s'est passé, est très étonnée de se voir une forte bosse
à la tempe et d'éprouver une grande gêne dans les mouvements du côté droit.
Craignant d'avoir fait ({uelque bévue pendant cette période d'inconscience, elle
déshabille l'enfant qu'elle trouve fort bien arrangé. Elle constate aussi que la
délivrance a été bien faite et qu'aucun débris de placenta ne se trouve dans
la cavité utérine.
Malgré tous ses efforts, elle n'a pu jusqu'ici se rappeler rien de ce qu'elle
— ;uo —
a fait pendant cette période qui a été de cinq heures et demie environ, de
2 heures 3/4 du matin à 8 heures i/4 (1).
J'ai tenu à rapporter cette importante observation dans le détail, parce
qu'elle montre bien quelle peut être la durée de l'état automatique dans ces
circonstances de l'amnésie traumatique, et quelle peut être la complication
vraiment étonnante, ainsi que l'admirable adaptation des actes accomplis
durant cet état. « Faire une course d'un kilomètre, dit à ce propos l'auteur
de l'observation, boire, manger, échanger quelques paroles sans en garder le
souvenir, c'est déjà chose curieuse. Mais faire un accouchement et le bien
faire, lier et couper le cordon, délivrer la mère, lui donner, ainsi qu'à l'enfant,
des soins minutieux, le tout pendant cinq heures et demie et sans pouvoir se
le rappeler, voilà qui paraît extraordinaire. >> Oui, sans doute, cela paraît être
extraordinaire, quand on n'est pas familiarisé encore avec les faits de cet
ordre, mais ces faits-là ne sont pas, tant s'en faut, sans exemples; ils tendent
à se multiplier parce qu'on y prête plus d'attention chaque jour, et, au fur et à
mesure qu'ils s'accumulent, on s'habitue à les trouver moins singuliers. Tou-
jours est-il que, dès à présent, au point de vue qui vient d'être signalé, il y a
lieu d'établir, vous l'avez compris, messieurs, en ce qui concerne bien entendu
le côté psychologique, non le côté nosographique, un rapprochement entre
l'observation de M"" T... et celle de notre malade Men.. s qui, par suite de ce
rapprochement même, vous paraîtra, en quelque sortC;, moins étrange, moins
inattendue. Dans les deux cas, même inconscience profonde, en effet, con-
trastant avec des actes automatiques remarquablement compliqués, rappelant
absolument par leur aisance et leur précision ceux de la vie consciente, tant
ils semblent parfaitement adaptés à un but. 11 est vrai que la durée de la
période automatique n'a pas dépassé cinq heures dans le cas de M"** T..., la
sage-femme, tandis qu'elle a pu, lors du dernier accès, dans le cas de Men.. s
atteindre jusqu'à huit jours. Mais on ne saurait trouver là, en somme, le motif
d'une séparation fondamentale. L'état mental, considéré comme syndrome,
comme épisode, paraît être essentiellement le même chez les deux sujets ;
l'accès ne dure que cinq heures dans un cas ; dans l'autre, il dure quatorze
heures, quarante-deux heures, cinquante-trois heures, huit jours enfin dans
la crise de Brest ; mais, pour se prolonger, la modification psychique qui pré-
side à l'accès ne change pas pour cela de caractère. Il n'y a donc là en défini-
tive qu'une question de degré.
Voici l'indication de quelques autres exemples d'amnésie traumatique avec
automatisme que, dans lebut d'éclairer mieux encore la situation, je crois utile
de signaler à votre attention. On cite volontiers le cas de Kaempfen qui fait
partie des mémoires de l'Académie de médecine pour 1835 (2). Il s'agit d'un
1. Rouillard, loc. cil. p. 39.
2. Mémoires de l'Académie de médecine, t. IV, p. 489, 1835.
43
— 320 —
officier de vingt-huit ans qui fait une chute de cheval dans un manège et
tombe sur le côté droit du corps, principalement sur le pariétal droit. Cette
commotion est suivie d'une légère syncope (?) Revenu à lui, il remonte à cheval
et continue sa leçon d'équitation pendant trois quarts d'heure avec une grande
régularité. Au sortir de là, il ne se rappelait ni sa chute, ni ce qui a suivi. Six
heures après Faccident, il commence à retenir la phrase qu'il s'est entendu
adresser tant de fois depuis : « Vous êtes tombé de cheval ». Yingt-quatre
heures après la chute, il ignore encore qu'il Ta faite, et il ne connaît ce qui s'est
passé ce jour-là que par ce que lui a appris le récit des témoins.
M. Ferré a observé un fait fort semblable au précédent qu'il a consigné dans
sa thèse inaugurale sur l'amnésie traumatique publiée en 1881 (1). M. M...,
élève de Saint-Cyr, tombe de cheval au manège ; après une perte de connais-
sance de quelques minutes, il se rend avec ses camarades au dortoir, par-
court cinq cents mètres et monte deux étages, dépose sa cravache, passe ses
fausses manches de travail et les attache, descend en récréation, mange du
pain et boit du vin. Il va ensuite chercher sa planche à dessin, sans la con-
fondre avec celle d'un voisin, se rend à l'étude et se met à tourner de l'encre
de Chine. A ce moment, le professeur lui parle et c'est alors seulement qu'il
reprend possession de lui-même, après quelques minutes d'ahurissement. Ses
souvenirs personnels ne datent que de cet instant.
Une jeune femme, dont l'histoire a été rapportée par M. Motet, tombe, en des-
cendant de wagon, sur les fesses sans se blesser et ne perd pas connaissance.
On peut se demander si, dans ce cas, c'est l'ébranlement physique ou l'ébranle-
ment psychique qui a été en cause ; toujours est-il qu'à la suite de cet accident,
quoique devenue amnésique, elle a marché et causé même^ pendant quelque
temps, sans savoir oii elle allait ni pourquoi elle était venue.
Une autre observation citée par M. Motet, à propos dufaitprécédent, est fort
intéressante pour nous en ce sens que, par certains côtés, elle rappelle jusque
dans les moindres détails le cas de Men..s; mais cette observation doit, sui-
vant nous, trouver sa place dans le groupe épilept'ique où nous allons avoir à
relever maintenant quelques exemples topiques.
L'automatisme, avec ou sans impulsion à la déambulation.se rencontre, pour
ainsi dire, à chaque pas dans l'histoire du mal comilial\ mais le plus souvent,
on le sait, et cela est pour ainsi dire dans la règle lorsqu'il s'agit du délire
épileptique post-convulsif, les malheureux malades s'ils se sont échappés et
ont parcouru les voies publiques se retrouvent, lorsqu'ils sortent de leur crise,
soit au poste de police, soit dans un asile. C'est que sous l'influence d'halluci-
nations terrifiantes, d'émotions dramatiques, ils ont répandu l'épouvante
1. Cité d'après Ronillard, loc. cit.
— 321 —
autour d'eux^ brisant tout sur leur passage, et commettant même trop souvent
des actes homicides.
D'autres fois, principalement peut-être, mais non exclusivement, tant s'eii
faut, quand il s'est agi du petit mal, la scène est moins bruyante, plus calme;
mais le résultatpratique, en somme, est analogue car lemalade commet incons-
ciemment des actes repréhensibles, délictueux, et, pris en flagrant délii, onl'ar-
rête. M. Gowers, dans son Traité de l'épilepsie, cite le cas d'un maitre de
musique qui, pris de vertige comitial au milieu de sa leçon, s'est mis à se
déshabiller comme s'il allait se mettre au lit. J'ai revu, ces jours-ci, un
pauvre diable de professeur attaché à une école professionnelle qui m'a con-
sulté bien souvent depuis quelques années, et qui est sujet à des accès de
petit mal à la suite desquels, souvent, comme le malade de M. Gowers, il se
déshabille sans le savoir et va se coucher en plein jour. Tout récemment, il
s'est déshabillé en pleine classe, pendant son cours, et cet acte coupable, dont
il n'est pas responsable cependant, l'a conduit devant les tribunaux.
Certes, ces cas-là ne sont point rares. Ce n'est pas ainsi, vous le savez, que les
choses se sont passées dans l'observation que nous avons en vue d'éclairer. Notre
homme dans ses fugues inconscientes, et c'est là un caractère vraiment parti-
culier de son cas, s'est toujours conduit en public, vous ne l'avez pas oublié —
à part toutefois le jour où il s'est précipité dans la Seine — sans se faire remar-
quer de personne, et il n'eût peut-être jamais connu la prison si, à la suite
de la grande crise de Brest, il n'avait pas eu la malencontreuse idée de se con-
fier à un gendarme dans les circonstances que vous savez. Ce sont donc les
faits d'automatisme tranquille, pondéré, si l'on peut ainsi parler, c'est-à-dire
sans accompagnement d'actes tragiques ou simplement repréhensibles, qu'il
nous faut relever surtout pour les rapprocher du cas de Men..s. Ces faits-là ne
sont point très vulgaires. Le cas de ce magistrat cité par Trousseau qui, siégeant
à l'Hôtel de Ville, comme membre d'une société savante, sortait nu tète, allait
jusqu'au quai et revenait à sa place prendre part aux discussions sans aucun
souvenir de ce qu'il avait fait, est bien connu. Un employé de bureau se
retrouve à son pupitre, les idées un peu confuses sans autre malaise. Use sou-
vient d'avoir commandé son dîner au restaurant ; il apprend qu'il a mangé,
qu'il a payé, qu'il n'a pas paru indisposé et qu'il s'est remis en marche vers
son bureau. Cette absence avait duré environ trois quarts d'heure (1).
Mais ce n'est là encore, si l'on peut ainsi parler, que du petit automatisyneei
d'ailleursle caractère ambulatoire, dans les observations jusqu'ici citées, n'est
pas très accentué. Il n'en est pas de même dans celles qui vont suivre. Elles
vont nous faire connaître des cas dans lesquels les accès d'inconscience ou de
1. Voir sur ce sujet Hughlings Jackson, West Riding Asylum Reports, TraducHon dans la
Revue scientifique du 19 lévrier 1876. — • Falret, Arch. générales de Médecine, 1860, avril et
octobre 1861. — Ribot, Maladies de la mémoirey 1881, p. 54.
— 322 —
subconscience marqués par une impulsion morbide à la déambulation, ont,
comme chez Men..s, embrassé une période de plusieurs jours, huit jours dans
quelques cas. Tardieu, dans son étude médico-légale sur la folie cite, on le sait,
l'exemple d'un menuisier qui tout à coup pose ses outils, abandonne son établi
et marche sans s'arrêter pendant huit jours; il était allé à soixante lieues de
son domicile et y était revenu sans savoir pourquoi. C'est ici que doit être placée»
suivant nous, le cas de M. Motet auquel nous avons fait allusion plus haut et que
cet auteur croit devoir classer dans la catégorie des amnésies traumatiques
transitoires. Celles-ci, autant qu'on sache, ne survivent pas longtemps au choc
physique qui leur a donné naissance et surtout, après avoir paru immédiatement
après Taccident, elle ne se reproduisent pas par la suite, sous forme d'accès plus
ou moins souvent répétés et séparés par des intervalles libres. D'un autre côté,
il n'est point rare, on le sait, de voir un choc sur la tête, agissant à la manière
d'une cause provocatrice et non pas créatrice, déterminer l'apparition d'atta-
ques d'hystéro-épilepsie qui, jusque-là, n'avaient point paru et qui se perpé-
tueront par la suite : on peut affirmer qu'il en est quelquefois de même de
l'épilepsie considérée dans ses formes les plus variées et telle est l'interpréta-
tion que nous croyons devoir donner du cas de M. Motet dont nous allons rap-
peler les faits les plus importants (1).
« Un jeune homme qui, après avoir fini son temps de service militaire dans
les meilleures conditions physiques et morales, gagnait sa vie en servant les
maçons tomba un jour de la hauteur du deuxième étage d'une maison en
construction, dans les circonstances que voici. Il portait sur la tête une auge
de plâtre et montait à l'échelle, lorsqu'un échelon se brise sous son pied ; il
est précipité et tombe à travers l'ouverture béante de la cave. Il se fracture la
jambe droite et la cuisse gauche. Il reste huit jours dans un état comateux,
près d'un an paraplégique et enfin il se rétablit. Mais l'amnésie est restée com-
plète pendant des mois. La réparation s'est faite progressivement, et chose
assez curieuse, la mémoire s'est rétablie jusqu'à la minute même de l'acci-
dent; il se souvient maintenant du bruit que l'échelon a produit en se brisant.
Mais cet homme qui, jusque-là, n'avait jamais été un épileptique est resté de-
puis sujet à de véritables accès de vagabondage; il part, marche devant lui,
sans conscience de ses actes, automatiquement, et ne s'arrête au bout de
quatre heures, dix heures et plus, qu'exténué de fatigue et mourant de faim.
Il se demande alors où il est, ce qu'il est venu faire dans un endroit inconnu
de lui. Il rentre chez sa mère sans pouvoir donner aucune explication de son
absence.
« Il s'est marié, et depuis il a encore été sujet à des fugues du même genre.
L'une d'elles entre autres a été remarquable à la fois par son intensité et par
1. Voir Motet, Annales médico-psychologiques, 1883, p. i'J.-'.
— 323 —
sa durée. Il avait obtenu une place de concierge qu'il cumulait avecla fonction
de distributeur de prospectus. Il s'est toujours acquitté très honnêtement de
sa besogne. Un jour il a dans sa poche l'argent d'un trimestre de loyers ;
il part en pantoufles, se rend à la gare de Lyon, prend un billet pour
Marseille ; de Marseille il se rend à Toulon, de Toulon à Nice, de Nice à
Marseille, retourne de Marseille à Toulon, puis il revient à Paris, et réveillé,
c'est lemot propre, ilapprend quil a disparu depuis huit jours, qu'il a emporté
environ 1.500 francs appartenant à son propriétaire. Il se rend de lui-même
chez le commissaire de police qui le met en état d'arrestation. L'affaire vient
en cour d'assises et le président, sur la demande du défenseur, renvoie à une
autre session et nous commet, dit M. Motet, pour examiner cet homme
dont nous n'avons pas eu grand'peine à démontrer l'irresponsabilité. »
Nous voyons là pour notre compte un cas d'épilepsie tardive, sous forme
d'accès d'automatisme ambulatoire, développée à la suite d'une lésion trau-
matique et les analogies qui existent entre ce cas et le nôtre, sauf en ce qui
concerne la cause traumatique absente dans le dernier, est véritablement des
plus frappantes; on pourrait même aller jusqu'à dire, qu'à part la circonstance
étiologique, il y a identité entre eux, tant la fugue de Marseille chez le sujet
de M. Motet, ressemble pour la durée comme pour les menus détails, à la
fameuse fugue de Brest chez le nôtre.
Voici donc l'observation de Men....s qui cesse de sembler prodigieuse,
étonnante, comme elle pouvait vous le paraître lorsque je vous la pré-
sentais à l'état d'isolement. A l'avenir, elle pourra être citée sans crainte de
provoquer l'incrédulité. Elle rentre en effet désormais dans une règle com-
mune à tout un groupe, puisqu'elle a son pendant aussi bien dans l'observation
de Tardieu citée plus haut, que dans celle de M. Motet, et j'ajouterai que
quelques recherches ad hoc rendraient bientôt, à n'en pas douter, le groupe
auquel elle appartient plus compact et plus dense. Il me suffira de vous
renvoyer à ce propos aux remarquables mémoires de M. J. Falret sur l'état
mental des épileptiques publié dans les Archives de médecine pour 1861 (1) ;
vous trouverez là l'histoire de deux épileptiques avec accès automatiques
ambulatoires dont les uns sont accompagnés d'actes violents, tandis que
d'autres s'accomplissent tranquillement, silencieusement. L'un d'eux qui, dans
plusieurs de ses accès, avait tenté de se suicider, sans le savoir, se promenait
d'autres fois, inconsciemment mais fort tranquillement, pendant plusieurs
jours. L'autre est resté, une fois, deux jouis hors de chez lui. Tranquillement
et sans avoir été remarqué par personne, il avait fait à pied, sans boire ni
manger, le trajet de Paris à Amiens. On pourrait assez facilement accumuler
les cas du même genre.
1. Page 431,
— 324 —
C'est ainsi que, caractérisée déjà comme appartenant au mal comitial, par
les résultats si nets de l'emploi du bromure contre les accès, l'observation de
Men. .s l'est encore, une fois de plus, vous le voyez, par l'ensemble des
phénomènes cliniques.
Il ne me reste plus, pour terminer la tâche que je me suis proposée aujour-
d'hui de remplir, qu'à faire figurer dans le tableau afin d'y mieux mettre en
relief l'objet sur lequel je veux appeler toute votre attention, quelques
exemples d'automatisme ambulatoire relevant d'affections autres que
l'épilepsie.
Plusieurs d'entre vous en entendant raconter les détails du cas de Men... s,
ont sans doute pensé au somnambulisme. En effet, lorsqu'on entend dire
qu'un homme se promène dans les rues inconsciemment, se conduisant cepen-
dant comme s'il était éveillé et conscient, cela rappelle tout naturellement la
description répandue dans le vulgaire du somnambule ; mais nous n'ignorons pas
que dans la catégorie du somnambulisme il y a plus d'une distinction à faire.
Pour ce qui est relatif, en premier lieu, au somnambulisme dit naturel et,
quelquefois aussi, physiologique (noctambulisme, sleep walking, etc.), il
importe de remarquer tout d'abord que, à son sujet, nous en sommes encore
à la période des informations (1), les observations régulières étant vérita-
blement très rares. En ce qui me concerne, en dehors du cas auquel j'ai
fait allusion dans la 9" leçon du mardi de l'an passé (2), je ne crois pas
qu'il ait été observé de près une seule fois dans ce service auquel je
suis attaché depuis une trentaine d'années, et qui contient une division de
près de 200 femmes hystériques ou hystéro-épileptiques. Il n'est pas inutile,
sans doute, de relever encore à propos de la rareté des cas de ce genre, que
suivant la remarque fort juste d'Echeverria, la plupart des faits rapportés
au noctambulisme dans lesquels les actes commis ont eu un caractère agres-
sif appartiennent, le plus souvent, suivant toute vraisemblance, à l'épilepsie.
\'ous voyez que, d'après cela, le somnambulisme naturel ne peut pas être
considéré encore, à l'heure qu'il est, cmome un type parfaitement étudié et
pouvant servir de paradigme dans l'étude des états analogues. Certes, ce n'est
pas de ce côté-là qu'il faut, pour le moment, chercher la lumière. Nous ne pou-
vons guère, par conséquent, que répéter à cet égard ce que l'on trouve dans
les auteurs. Nous rappellerons seulement, parmi les faits qui, dans l'espèce,
paraissent le mieux étabiis^que le somnambulisme naturel s'observe beaucoup
plus fréquemment chez la femme que chez l'homme, beaucoup plus rarement
chez l'adulte que chez les enfants et les adolescents; que le somnambule
\. Ilack 'VuVc.Sleop vmlk'my and Ivjpnolism. — London 1884. Voir aussi Echeverna: On noc-
turnal Epilepsy. Journal of mental Science, January 1879.
2. hoc. cit. p. 111.
-- 325 —
marche presque toujours les yeux grands ouverts avec un regard d'amauro-
tique, se dirigeant de propos délibéré ou, plus exactement, avec les apparences
d'une volonté ferme vers les lieux où semblent l'entraîner les circonstances
d'un rêve qu'il met en action ; suivant, sans hésiter, pour parvenirà son bat,
des sentiers périlleux; sautant, comme on l'a vu, dans le cas de la Salpêtrière,
par-dessus les murs avec une dextérité et une souplesse qu'on ne lui connaît
pas à l'état de veille ; évitant, dans la poursuite de l'accomplissement de ce
que l'on pourrait appeler son programme, les personnes qui se placent devant
lui pour lui faire obstacle. Il les tâte quelquefois sans chercher toutefois h les
reconnaître et passe à côté d'elles pour continuer son chemin sans en tenir
autrement compte ; il semble en d'autres termes en faire abstraction, parce
qu'elles ne font pas partie de son rêve. Inutile d'insister, je pense ; vous
voyez suffisamment, par ce qui précède, qu'entre le noctambulisme et l'état
comitial ambulatoire tel que nous l'avons observé chezMen..s, les différences
l'emportent sur les analogies, bien que celles-ci, à certain égard, soient
cependant en somme assez étroites.
Dans le somnambulisme provoqué par des manœuvres d'hypnotisation, serait-
il possible de provoquer par suggestion des fugues aussi longues, aussi acci-
dentées que celles qu'il nous a été donné d'observer chez Men..s. D'après les
études récentes, qui tendent à établir que des résultats de ce genre peuvent
se produire « en petit », il ne paraît pas invraisemblable que, dans certaines
circonstances particulières, probablement fort . rarement rencontre'es, ils
pourront s'obtenir « en grand >. Mais pour le moment, à ma connaissance du
moins, pareille chose ne s'est pas encore vue. Le sujet suggestionné en pareil
cas, marcherait, sans doute, droit devant lui, parfaitement conscient de tous
les actes qu'il accomplit, mais aussi parfaitement ignorant du motif qui les
lui fait accomplir, comme sous l'impulsion d'une force étrangère, irrésistible.
Ce sujet là serait vraisemblablement un hystérique à stigmates.
Il existe dans la science un certain nombre d'exemples de ce qu'on a appelé
quelquefois le somnambulisme spontané pathologique ; c'est une forme qui
appartient à l'hystérie : les accès ambulants sont en général, dans ces cas
là, précédés et suivis par une attaque d'hystérie convulsive. Cela n'est point
nécessaire cependant, et l'automatisme de ce genre peut se manifester quel-
quefois primitivement. Il ne s'agit pas ici, du moins dans la règle, d'automa-
tisme silencieux, tranquille, comparable en un mot à ce que nous avons
observé dans la plupart des accès de Men..s (i). La scène au contraire est géné-
ralement des plus bruyantes rappelant, en somme, ce qui a lieu dans le
i. Dans ces derniers temps, mon collègue J. Voisin a cité plusieurs exemples de « fugues *
d'hystériques, dans lesquelles les actes étaient coordonnés, méthodiques, de telle sorte que les
sujets, bien qu'inconscients présentaient l'apparence extérieure de personnes normales (Semaine
Médicales, 10 août 1889, p. 291).
— 326 —
délire post-épileptique vulgaire. Ainsi, dans une observation bien connue de
mon collègue et ami le D"" Mesnet, on voit une femme de trente ans, après avoir
éprouvé pendant la nuit une attaque hystérique convulsive, se lever, s'ha-
biller, faire sa toilette et descendre dans le jardin ; là elle marche les yeux
ouverts, ne répondant pas aux questions qu'on lui adresse^ sautant par-dessus
les bancs quand elle en rencontre, se détournant des obstacles qu'on lui oppose
en se plaçant devant elle ; au bout d'un certain temps de promenade plus ou
moins accidentée, elle remonte tranquillement se coucher: à peine au lit
survient une nouvelle attaque d'hystérie. Au réveil aucun souvenir de ce qui
s'est passé. La crise d'automatisme avait duré environ deux heures. Une autre
fois cette même malade, après avoir éprouvé encore une attaque d'hystérie
cette fois suivie d'extase, se lève, s'habille comme la nuit précédente. Bientôt,
elle croit voir des bêtes qui menacent ses enfants ; elle ouvre la fenêtre et
veut se précipiter dans la rue. Un instant après, elle court àtravers sa chambre,
saute par-dessus les meubles et, après deux heures d'agitation, elle se couche
et est prise bientôt^ comme lors de l'accès précédent, d'une crise convulsive.
Les cas de ce genre ne sont point très rares dans l'histoire de l'hystérie. Nous
pourrions les multiplier aisément. On parvient quelquefois, dans ces cas-là, à
l'exemple de ce qui a lieu dans le somnambulisme provoqué des sujets hypno-
tisables, à imprimer aux membres des malades des attitudes cataleptiques,
ainsi que l'a signalé M. Pitres et aussi à provoquer, par suggestion, des hal-
lucinations. Ce fait semble, vous le voyez, tracer un trait d'union entre le
somnambulisme provoqué par hypnotisation et le somnambulisme spontané
des hystériques. Ce dernier, d'un autre côté, me paraîtavoir la plus grande ana-
logie avec ce que, dans la description delà grande attaque hystero-épileptique,
nous avons appelé « la période des attitudes passionnelles » (troisième phase
de l'attaque régulière). Et même, la ressemblance sur les points essentiels est,
entre les deux cas, tellement étroite que nous sommes portés à les considérer
comme étant foncièrement identiques ; nous croyons en d'autres termes que
le prétendu somnambulisme spontané des hystériques n'est autre chose que
« la période des attitudes passionnelles » prolongée au delà de la durée que
celle-ci présente dans les conditions ordinaires; mêmes hallucinations, en
somme, tantôt tristes ou terrifiantes, tantôt gaies au contraire ; mêmes attitudes
et mêmes actes en rapport avec la nature des représentations mentales, et, ce
qui est fort remarquable également, c'est que, dans la série classique des
phases de l'attaque, le somnambulisme hystérique, quand il ne se montre pas
à l'état d'isolement, occupe la même place que la phase passionnelle à la-
quelle il se substitue. C'en est assez sur ce point pour le moment; c'est un
sujet qui demanderait à être étudié à part.
Ce serait ici le lieu de vous dire un mot de cette forme de somnambulisme
spontané à accès considérablement prolongés, dans laquelle, à propos d'une
observation devenue célèbre, M. Azam est parvenu à d(*montrer l'existence
— 327 —
aujourd'hui reconnue de tous, de ce qu'il a appelé la double personnalitp ;
mais le temps nous presse actuellement, et je dois conclure.
Je ne ferai donc que signaler en passant comme devant figurer sur l'ar-
rière-plan dansle tableau clinique que j'ai voulu placer sous vos yeux toute
une collection de cas divers que M. le D-" Tissié a ingénieusement réunis, pour
en montrer les analogies et en signaler les diiïe'roncos^ dans sa thèse inaugu-
rale intitulée : Les Aliénés voyageurs (1). Dans un premier groupe de cas, les
sujets ne sont pas inconscients ; ils ne le sont pas du moins pendant toute la
durée de leur entreprise vagabonde : ils savent, ou à peu près, ce qu'ils font
et les responsabilités qu'ils encourent, mais pour eux, il n'y a pas d'hésita-
tions, pas d'obstacles : ils marchent comme dominés par un désir impérieux,
une volonté toute puissante qui se substitue à la leur et la maîtrise. M. Tissié
les appelle assez justement des captivés. «X..., avant de s'échapper, songe à
une ville dont le nom a frappé ses oreilks ; il se figure y rencontrer des mo-
numents superbes. Le désir de la visiter s'empare de son esprit et, un beau
jour,il part abandonnant tout... mais, cruelle déception, la réalité ne répond
pas à la splendeur du rêve. » Gela ne rempechc pas, quelque temps après,
de visiter une nouvelle localité : il repart sans autre raison que celle de
satisfaire son besoin. Ce sont là, en somme, dit M. le D"" Duponchel, dans une
intéressante étude sur ce qu'il appelle le déterminisme ambulatoire (2), des
suggestionnés ; la suggestion pouvant venir soit de l'intérieur, soit encore de
leur propre fonds, ou du moins paraître telle, car il est impossible souvent de
saisir l'événement qui l'a provoquée.
A une autre catégorie appartiennent les délirants qui, convaincus qu'ils sont
des réformateurs de l'humanité," des prophètes, parcourent le monde pour ré-
pandre leurs doctrines ; ceux qui avertis par une voix qui leur crie ^< tu es
roi » vont à la recherche de leur royaume, etc. Mais je m'arrête dans cette
énumération, ne pouvant avoir la prétention de tout indiquer même sommai-
rement.
Je crois, d'ailleurs, en avoir dit assez pour légitimer les développements
dans lesquels je suis entré à propos du cas de Men..s, et pour justifier la
dénomination à' automatisme comitial ambulatoire, que je vous ai proposé
d'adopter pour le caractériser.
1. Paris. Doin 1887.
2. Etude clinique et médico-légale. Des impiilsiois morbides à la déambulationobservées chez
des militaires^ par le D«" Emile IDuporchcl, professeur agrégé au Vai-de-gràce. Paris, 1688.
1 1). as la r>oe. da Typ. ■ .Noiibt 8, r. r»inpii^i<«-Hreœiir<i. l'ar»
44
Policlinique du Mardi 19 Février 1889
QUINZIÈME LEÇON
1''" Cas. — Ca'ises gastriques tabétiques avec vomissements
noirs.
2^ Cas. — Chez un israélite: paralysie et contracture hysté-
riques développées à la suite d'un repos (sommeil) de
plusieurs heures sur la terre humide.
1^^' Malade
Voici un homme dans la force de Tâge — il est âgé d'environ 37 ans, — qui, ù
la suite de prodromes dyspeptiques vulgaires, sans caractères bien déterminés,
a commencé à ressentir tout à coup, il y a cin([ ans de cela, des accidents gas-
triques en apparence des plus graves : douleurs cardialgicjues très vives ;
vomissements incessants présentant souvent une couleur noire, marc de calé ;
inappétence absolue, grande prostration des forces, etc. Ces accidents ont con-
tinué tels quels pendant une dizaine de jours, après quoi ils se sont remar-
quablement atténués. Mais ensuite, persistant toujours à un certain degré, ils
se sont établis pour ainsi dire en permanence pendant une longue période de
cinq années, s'exaspérant seulement de temps à autre, sous forme de crises
violentes, semblables à la première, tant par l'intensité que par la durée; ces
crises se reproduisaient, d'une façon assez régulière tous les nu)is d'abord, puis
plus tard tous les trois ou quatre mois. Durant les trois premières années, les
médecins consultés se sont invariablement, paraît-il, crus en présence tan-
tôt du cancer gastrique, tantôt de l'ulcère rond. Ce diagnostic était erroné
cependant : la véritable nature du mal s'est révélée, vers la lin de ia troi-
sième année, au moment où sont apparus des symptômes spinaux formels
tels, entre autres, que l'incoordination motrice des membres inférieurs, et le
45
— 332 —
signe de Romberg, no laissant planer aucun doute sur l'existence de l'ataxie
locomotrice progressive.
C'est alors seulement, et fort tardivement, vous le voyez, qu'on a reconnu
qu'il ne s'était pas agi là d'une maladie j^rimitive de l'estomac, mais bien de
troubles gastriques subordonnés à l'affection spinale.
L'erreur commise et entretenue pendant si longtemps pouvait-elle être
évitée? Je le crois, Messieurs; je crois qu'à de certains indices que j'aurai à
cœur de relever tout à l'heure et de bien mettre en lumière, on eût pu, si je ne
me trompe, même dès l'origine, soupçonner pour le moins, affirmer peut-être,
la présence de la maladie tabétique et se trouver conduit à y rattacher les
troubles gastriques. Mais pour en arriver là, il eût fallu, de toute nécessité,
avoir présente à l'esprit l'histoire naturelle de ce que nous avons appelé « les
crises gastriques » tabétiques et avoir appris à les considérer non seulement
dans leur type vulgaire, classique, mais encore dans les formes très variées,
souvent paradoxales en apparence et presque m.éconnaissables, qui en déri-
vent. Il eût fallu savoir également comment, par leur association avec un ou
plusieurs des autres syndromes de la série tabétique, ces troubles gastriques
si particuliers peuvent permettre d'établir le diagnostic pendant la période
souvent fort longue, qui, dans la règle, précèdeTincoordinationou, autrement
dit^ l'ataxie motrice : dix, douze, quinze ans même peut-être avant que celle-ci
se soit constituée, à supposer qu'elle se constitue jamais.
Je viens de signaler, Messieurs, des questions qui me paraissent dignes de
tout votre intérêt ; je me propose de m'y arrêter un instant, en manière de
préambule; après cela, nous pourrons entreprendre avec plus de profit l'étude
clinique du cas de notre malade.
L'existence possible dans le tabesde troubles gastriques particuliers se trouve
mentionnée dans un assez grand nombre d'observations recueillies, il y a
fort longtemps déjà, par divers auteurs et en particulier dans le cas n° 176 de l'ou-
vrage de M. Top inard ; mais le mérite d'avoir affirmé qu'il y a une véritable con-
nexité entre ces troublesviscérauxetlalésionspinale, appartient àM. Delamarre,
auteur d'une thèse qui date de 18G6 et qui, si je ne me trompe, a été inspirée
par le regretté Raynaud (1). Cepcndantla description caractéristique, répon-
\. Des /roubles ()aslri(/ues dans tataxie locomotrice progressive. Paris 1866. — L'une des
observations piihlitîcs par l'auleur a iHc rccncillic, en 1805, à l"llùlel-I)ieii, dans le service
de M. Bartli, suppl«''é par M. ilaynaud.
darit en d'autres termes au type prédominant, etpermettantdeséparerclinique-
ment les troubles gastriques réellement subor-donné'S au tabès, de ceux qui
ne s'y trouvent adjoints que par le fait d'une coïncidence plus ou moins for-
tuite, cette description,, dis-je^ ne se trouve pas dans le travail de M. le
D*" Delamarre, non plus que dans ceux, sur le même sujet, qui ont été publiés
dans le cours des cinq ou six années suivantes. Elle a été formulée, je le crois
du moins, pour lapremière fois, dans lesleçonsque j'ai faites à la Salpétrière,
en 1872, et qui ont été publiées cette année-là dans le journal le Mouvement
médical (1). Je crois utile de la rappeler telle, ou à peu près telle qu'elle a
été présentée alors, en y ajoutant toutefois quelques traits intéressants qui
n'avaient pas été remarqués encore dans ce temps-là.
1° En premier lieu^ il convient de relever particulièrement que les € crises
gastriques » bien que leur apparition puisse être tardive dans l'évolution du
tabès, appartiennent fort souvent, le plus souvent peut-être, à la période de
la maladie où l'ataxie motrice n'a pas encore paru et que j'appelais, à l'époque,
la « période des douleurs fulgurantes ». On a proposé tout récemment pour
désigner cette phase de la maladie dont j'ai indiqué le premier les grands carac-
tères, et qui quelquefois, comme vous savez, se perpétue indéfiniment sans
jamais aboutir aux troubles locomoteurs, la dénomination beaucoup plus appro-
priée àa période préataxique à laquelle je souscris bien volontiers (2).
Là, dans ma description, les crises gastriques figurent au premier rang àcôté
d'autres troubles viscéraux du même ordre tels que les crises vésicales et les crises
rectales. Elles se rencontrent souvent presque isolées, seuls représentants, en
quelque sorte, pendant fort longtemps, de la maladie tabétique. «Maintes fois,
disais-je en 1872, j'ai vu ce syndrome détourner l'attention du médecin et
lui faire méconnaître lavéritable nature du mal ; je m'y suis laissé prendre aussi
plusieurs fois dans le temps. Un notaire de province vint me consulter, il y a dix
ans, pour des accès cardialgiques, présentant les caractères que je vais indi-
quer ; ilsoulFrait en même temps de douleurs paroxystiques, peu accentuées
d'ailleurs. Je ne connaissais pas alors le lien qui rattache ces divers accidents.
Les crises gastriques ont disparu ; mais le malade a présenté par la suite
tous les symptômes de l'ataxie locomotrice la mieux caractérisée. La première
fois qu'il m'a été donné de reconnaître la véritable signification des crises
gastriques, il s'agissait d'un jeune médecin qui, en outre de ces crises, pré-
sentait des douleurs fulgurantes et une hydartlirose de l'un des genoux, déve-
loppée spontanément (arthropathie des ataxiques); l'incoordination motrice
ne s'est manifestée chez lui que quelques mois plus tard. Tout cet ensemble de
\. y o'xY \qs Leçons sur les anomalies du Vataxie locomotrice, publii'cs dans le Mouvement
médical de 4872 (21, 28 sept., et 19, 26 octobre ; 1 et 30 iiov. ; 14 déc. et 8 janv. 1S73). Voir
aussi les Leçons sur les maladies du système nerveux faites à la Salpétrière, t. II, 1" partie.
2. A. Fournier, Leçons sur la période préataxique du Tabès, 1885.
— 334 —
symptômes — crises gastriques, douleurs fulgurantes, arthropathies qui, en
apparence, n'ont aucune connexité — revêtuncachetpresque spécifique aussi-
tôt que Ton considère les choses sousleur véritable jour. J'ai encore vu les crises
gastriques coexister avec les douleurs fulgurantes, pendant plus de cinq ans , sans
accompagnement de désordres moteurs chez M. T. .. Le diagnostic était rendu
facile dans ce cas, par l'existence d'une atrophie commençante d'un des nerfs
optiques. L'opinion que j'émis, presque dès l'origine, sur la nature du cas, fut
néanmoins vivement contestée par plusieurs médecins qui visitèrent le malade.
Plus tard mes prévisions ne se sont que trop justifiées ». Ce que je disais à cet
égard en 1872, est, aujourd'hui encore, parfaitement exact. Je ne vois vraiment
rien d'essentiel à y ajouter (i).
2° Les crises ou attaques typiques, — nous ne nous occupons que de celles-
làpour le moment, — sont essentiellement constituées ainsi qu'il suit : a dou-
leurs cardialgiques violentes souvent atroces, s'irradiant parfois dans le dos
et dans l'abdomen; h vomissements iacoercibles, dans l'acception rigoureuse
du mot, car rien ne les peut calmer ; les matières vomies sont des aliments
d'abord, puis unliquide, glaireux muqueux, quelquefois bilieux, sanguinolent.
Les vomissements noirs, couleur de marc de café sont véritablement, paraît-il
chose fort rare. Après le cas de notre malade d'aujourd'hui, je n'en ai rencon-
tré qu'un du même genre : il appartient à Vulpian ; j'aurai l'occasion de le
signaler en temps opportun.
Dans ces derniers temps, le liquide rendu par vomissement dans les crises
gastriques a été examiné chimiquement, et l'on a reconnu plusieurs fois qu'il
contenait un excès d'acide chlorhydriquelil3re, sans traces, soit d'acide butyri-
que,soit d'acide lactique. Cette circonstance d'une hypersécrétion d'acide chlo-
rhydrique, en pareil cas, explique suftisamment pourquoi les malades soufTrant
de crises gastriques se plaignent parfois très vivement d'une sensation de brû-
lure, siégeant soit à la région de l'estomac, soit le long de l'œsophage (2).
3° Les troubles gastriques apparaissent tout à coup, le plus souvent sans
signes prémonitoires, et ils se terminent également tout à coup. Ainsi, nuit et
jour, pendant une période de temps qui peut s'étendre à trois, cinq, huit, ou
quinze jours, rarement plus, les douleurs et les vomissements sévissent sans
cesse, et sans trêve ; la moindre tentative d'alimentation, l'ingestion d'un
liquide quelconque, exaspèrent les vomissements et les douleurs, et voici
qu'un beau jour, sans que rien l'ait pu faire prévoir, tous les accidents
disparaissent soudain « comme par enchantement ». Poutre l'état souvent
effrayant de tout à l'heure et le retour à l'état normal il n'y a, en quelque
\. Leçons sur les maladies du sydème nerveux, t. II, 2* édit., p. 3';.
2. Voir sur ce sujet, après Sahli 18S5, Simouin, llièsc de Lyon, inspirée par le professeur
Lépi:ie, 18S3, — J. Jloir.nain sur Sipnptomatologie d"r Tabès, im Archiv fur Psychiatrie XIX
Bd, 2« liefl. — Lamiois, Revue de médecine, 1887, n' 5, p. 433.
— 335 —
sorte, pas do transition; délivré de son mal le sujet qui, il n'y a quun
instant, ne pouvait sui)[)ortor aucun aliment, aucun médicament, peut immé-
diatement sentir le licsoin de manger, et mani(er souvent rnéme avec un
appétit exagéré, sans crainte de voii- l'estomac se révolter. Le contraste est
des plus frappants, et voilà incontestablenumt une forme de cardialgie bien
singulière, Ijien remar([Uijl>l<' dans ses allures. A cet égard, lescrises gastriques
tabéti({ues peuvent être légitimement rapprochées des crises diarrhéiques
de la maladie de Basedow où le début biiis([ue et la brusque cessation des
accidents constituent également un caractère clinique prédominant.
C'est ici le lieu de relever que, pendant la durée de la crise gastrique, en
outre de la prostration déterminée par l'intensité des douleurs, la répétition
incessante des vomissements, et la suppression totale de ralimentation, on
peut voir se produire diverses modifications deFétat général dont il faut bien
être informé; tantôt c'est une sorte d'indolence, d'indifïérence, voire même
de stupeur qui fait que le malade, presque inconscient d'ailleurs, ne répond
pas aux questions qu'on lui adresse: tantôt il est froid, algide, présentant
une teinte violacée, de façon à reproduire l'image d'un cholérique. Ce sont là
des circonstances intéressantes principalement pour le diagnostic et sur
lesquelles nous aurons à revenir.
4° Un autre caractère à noter, c'est que la crise gastrique ne constitue
jamais un épisode unique; l'apparition première d'une de ces crises
doit toujours faire prévoir celle de crises semblables qui se reproduiront
ensuite, à des intervalles de durée variable, mais souvent à peu près la même
pour chaque cas particulier, pendant une période de temps qui peut s'étendre
à trois, quatre, cinq, six années et même plus. Cette régularité du retour
périodique des crises gastriques que je signalais tout à l'heure n'est pas, bien
entendu, chose mathématique ; elle n'est pas non plus un fait absolument
général. Il est bien remarquable cependant de voir, dans nombre de cas, les
crises gastriques séparées à peu près régulièrement par des intervalles libres
d'un, deux ou trois mois et quelquefois plus. Rarement les crises sont
beaucoup plus rapprochées, mais c'est un point dont il y aura lieu de
s'occuper dans le chapitre des anomalies.
5° Lorsqu'elles se montrent dans le cours de la période préataxique, les
crises gastriques du tabès se trouvent nécessairement associées aux autres
syndromes de la série tabétique qui remplissent cette période, et cette cir-
constance contribue, avec les caractères cliniques si originaux ([ue présentent
ces crises considérées en elles-mêmes lorsqu'elle se montrent dans leur type
de parfait développement, à les faire reconnaître pour ce qu'elles sont.
C'est ainsi que les crises de douleurs fulgurantes, les crises vésicales, tantôt
coexistent et tantôt alternent avec elles. Mais il est particulièrement remar-
quable devoir les crises gastriques s'associer avec une sorte de prédilection
a des syndromes tabétiques ([ui ne comptent pas parmi les plus vulgaires;
— 336 —
tels sont par exemple les arthropathies ainsi que l'a relevé M. Buzzard (i), et
principalement les crises laryngées. Cette dernière association n'a rien
qui doive surprendre lorsqu'on sait que, d'après les observations de
MM. Pierret, Jean, Démange et Oppenheim, les troubles laryngés tabétiques
aussi bien que les troubles gastriques, relèvent d'une lésion plusieurs fois
constatée des noyaux bulbaires du spinal et du pneumogastrique (2); l'as-
sociation fréquente des arthropathies et des crises gastriques est certainement
beaucoup moins facile à comprendre, A ce propos, puisqu'il vient d'être
question d'anatomie pathologique je rappellerai que, depuis fort longtemps,
déjà, nous avons reconnu, Vulpian et moi, chez des tabétiques qui avaient souf-
fert pendant longtemps de crises gastriques, l'absence de toute altération
appréciable soit de la membrane muqueuse de l'estomac, soit des nerfs ou
des ganglions du plexus solaire (3).
6° On peut guérir des crises gastriques; je pourrais citer plusieurs cas dans
lesquels, après avoir souffert de ces crises pendant plusieurs années, le
malade en a été enfin délivré, les autres symptômes tabétiques continuant, à
la vérité, leur évolution progressive ; et justement, le sujet que nous avons
devant les yeux offre un exemple de ce genre. Mais on peut aussi en mourir,
et alors la terminaison fatale a lieu pendant la crise, tantôt au milieu de
symptômes de collapsus, avec traits tirés, algidité, crampes, ainsi que l'a
signalé Yulpian ; tantôt à la suite de symptômes comateux ainsi que je l'ai vu
plusieurs fois.
Tel est. Messieurs, suivant moi, ce qu'on pourrait appeler le paradigme des
crises gastriques tabétiques. Il ne sera pas sans intérêt maintenant, je pense,
de relever les principaux traits d'une observation relativement ancienne où
l'on voit l'auteur mettre en relief avec une admirable sagacité les grands
caractères cliniques de ces crises.
C'était en 1842, c'est-à-dire à une époque où l'on ne connaissait rien de
l'ataxie locomotrice progressive ; — il est vrai que l'observateur était un maître,
un grand maître: il s'appelait Graves. — 11 s'agissait, dans ce cas dont j'emprunte
les détails aux intéressantes leçons de M. Buzzard (i), d'un gentleman âgé de
23 ans, — nous avons là un exemple de tabès précoce, — qui, pendant le cours des
années 1829, 1830, 1831 et 1832 a été sujet à des crises douloureuses accom-
pagnées de vomissements dont la durée était de cinq ou six jours environ, et
qui répondaient pour les points essentiels à la description qui vient d'être
donnée. Les symptômes spinaux ne parurent qu'en 1832, c'est-à-dire quatre
1. T. Buzzard, Clinical Lectures on the Diseuses of the nervous System. London 1882,
p. 165, 235, etc.
2. Dcmnnye, Revue de médecine, n" 3. Paris 1882. — Oppenheim, Archiv fiir Psychiatrie,
XX, heft I.
3. Paul Dul3ois, thCïse de Paris. 1868, p. 70-71.
4. Loc. cit,, p. 195.
— 337 —
ans après le début des accidents gastriques, sous la forme d'incoordination
motrice et c'est alors seulement que les douleurs de caractère fulgurant
furent pour la première fois remarque'es. Il est expressément relevé dans
l'observation que, après avoir vomi nuit et jour, pendant une période de cinq
ou six jours, le mabide s'écriait tout à coup, à la fin de la crise qui se termi-
nait comme par enchantement: « Maintenant cela va bien : Nom I am tcell. »
« Le passage d'un état mortel de nausées et de vomissements incessants, à un
sentiment de faim impérieuse était soudain... Tout à l'iieure c'était un pauvre
diable rejetant tout ce qu'il prenait, et souffrant horriblement des constrictions
gastriques des plus douloureuses ; une heure après on le trouve mangeant
n'importe quoi, avec un appétit vorace, et digérant tout, avec la plus grande
facilité (1). »
J'ai voulu, par cette citation, vous faire reconnaître la puissance de résis-
tance qu'offrent, à l'égard des injures du temps, les observations recueillies
par un maître attentif et sagace, et du même coup graver plus profondément
dans votre esprit les traits qui caractérisent cliniquemciit les crises gastriques
tabétiques, lorsqu'elles se présentent sous leur forme typique.
Il semble que lorsqu'on est en présence de cette forme clinique si accen-
tuée, si originale, on ne puisse en aucun cas, se méprendre et qu'on soit
autorisé, sans plus attendre, à conclure à l'existence de la maladie tabétique.
Cependant, il y a six ou sept ans, M. le professeur Leyden, de Berlin (2), a
proposé d'introduire dans les cadres nosologiques, des crises gastriques pos-
sédant cliniquement tous les grands caractères signalés plus haut, mais ne se
rattachant cependant pas au tabès, et devant constituer par conséquent, une
espèce autonome. J'ai pris beaucoup de soin à étudier les faits allégués par
M. Leyden en faveur de l'opinion qu'il soutient, et j'y ai vu signalées « des dou-
leurs rapides dans les membres », accompagnant ou suivant les troubles gastri-
ques; d'autres fois, les malades ont présenté du strabisme; d'autres fois enfin, la
maladie au bout de trois ans a abouti à une « paralysie (?) des membres infé-
rieurs »y etc., etc., de telle sorte que^ malgré la confiance absolue que j'ai dans
la sévérité clinique de M. Leyden, mon impression est, après la lecture de son
travail, que l'existence de crises gastriques en tout semblables cliniquement
à celles du tabès, mais totalement indépendantes, cependant, du tabès, n'est
pas encore chose démontrée.
Tout récemment, mon ami, M. le D'" Debove, dans une communication faite à
la Société médicale des hôpitaux (le 23 janvier 1889) est revenu sur ce sujet
à propos du cas d'un forgeron âgé de 56 ans, qui depuis six ans souffrait de
crises gastriques typiques d'une intensité extrême, durant cinq ou six jours et
4. Loc . cit., idem.
2. Uebei' penodisches Erbrechen ; Gastrischcrisen. — Zcitsch fur klin. Medicin. Berlin 1S82.
— 338 —
reparaissant tous les trois ou quatre mois. La quantité des matières vomies
dans chaque crise est considérable. Etat général grave : cyanose, crampes
dans les mollets, algidité, pouls concentré ; le malade ressemble à un cholé-
rique. Plusieurs fois on l'a cru sur le point de mourir. Amaigrissement
rapide. Les crises cessent tout à coup « comme par enchantement » et elles sont
séparées par des intervalles parfaitement libres de tout accident nerveux ; pas de
douleurs fulgurantes. Les réflexes rotuliens ont persisté : en un mot, aucun symp-
tôme de la série tabétique n'accompagne les crises. M. Debove conclut, d'après
ce cas, comme M. Leyden, à l'existence de crises gastriques indépendantes du
tabès. Je ne puis méconnaître le grand intérêt qui s'attache à cette observation:
néanmoins, en supposant même que quelques-uns des signes tabétiques qui
se dissimulent le plus facilement, tels par exemple que le phénomène d"Ar-
gyll Robertson, n'aient pas échappé à l'observation, je demanderai à rester
sceptique et à attendre de nouvelles observations. Les cas de crises gastri-
ques, et l'on peut en dire autant des crises laryngées, marchant pour ainsi
dire à l'avant-garde, dans l'évolution du tabès, et précédant, presque isolées,
pendant une période de trois, quatre, cinq ans, l'apparition de î'ataxie, ne
sont pas chose rare. Une période de six ans ne dépasse donc pas la mesure
du possible ; qui nous dit que d'un jour à l'autre, la nature des crises gas-
triques déjà vraisemblablement accentuée dans le sens de I'ataxie locomotrice,
chez le malade de M. Debove, ne se révélera pas définitivement, dans tout son
jour, par l'adjonction de quelque symptôme tabétique ostensible et d'une
portée décisive.
Messieurs, ainsi que je vous l'ai fait remarquer bien des fois, il faut s'at-
tendre en clinique à voir les descriptions toujours un peu artificielles du
nosographe s'altérer parfois, dans la réalité concrète, au point même, peut-
être, de devenir méconnaissables et, justement, un des labeurs du clini-
cien est d'apprendre à dépister ces formes frustes, défigurées et à les
ramener aux types d'où elles dérivent. Les crises gastriques tabétiques n'échap-
pent pas, tant s'en faut, à cette règle et, en ce qui les concerae, après avoir
cherché tout à l'heure à dégager les caractères typiques, il nous faut ouvrir
maintenant le chapitre, fort riche encore, vous allez le reconnaître;, des for-
mes anomales. Il me semble que, dans ces derniers temps^ la théorie des acci-
dents gastriques tabétiques a été un peu embrouillée par lainulti[)lication inu-
tile des espèces et le morcellement porté à l'excès ; je crois qu'il est possible
de la ramener, ainsi qu'il va suivre, à une formule très simple.
1° Dans un premier groupe de cas la crise gastri(iue conserve tous les
caractères fondamentaux du type ; elle s'écarte de celui-ci seulement par l'in-
1. Je ne suis pas coiivci'Li encore à la docli'idc des crises qaslriqiiea essentielles, bien que
j'aie lu avec soin les observations rapportées par M, le D«" Reniond de Metz, dans les Archives
de Médecine (juillet 1889, p. 38).
— 330 —
tensité insolite des divers symptômes : ainsi les douleurs gastriques ou d'autre
siège peuvent se montrer véritablement atroces; c'est alors qu'on voit le
mal;ide pousser des cris aOreux, se rouler dans son lit et prendre les altitudes
les plus bizarres de façon à ce que l'accès simule, non plus les accidents de
l'ulcère rond ou la simple gastralgie, mais bien les coliques hépatiques ou
néphrétriquesles plus intenses, voire encore un empoisonnement. D'autres fois
l'anomalie consiste dans la prédominance de ces symptômes de collapsusdont
il a été question plus haut. Le sujet est algide, cyanose, ses traits sont tirés,
il est dans un état de prostration profonde et incapable de rendre compte de
sa situation. Chez un malade de ce genre, auquel j'ai pendant longtemps donné
des soins, et dont les occupations Tobligeaient à voyager sans cesse, les crises
gastriques, toujours accompagnées de collapsus à symptômes graves, étaient
l'objet d'interprétationsdiflerentes,suivantle pays où elles se déclaraient. Ainsi
en Angleterre c'était, croyait-on, de la « goutte remontée à l'estomac » : Goût
in the Stomach > qu'il s'agissait, tandis qu'en Italie c'était d'une '< fièvre perni-
cieuse algide » etc., etc. Je Tavaisengagé à porter toujours avec lui une pan-
carte où se trouvait écrit le vrai diagnostic, destinée à être placée sous les
yeux des médecins au moment de l'attaque afin de leur épargner les tâton-
nements. Je ne sais s'il a suivi mon conseil.
Enfin d'autres fois encore, rindifférence et la stupeur signalées ailleurs pren-
dront les proportions de l'état soporeux ou même du coma, et l'idée pourra
naître, en conséquence, dans l'esprit du clinicien, que c'est une affection céré-
brale organique, une néoplasie intracranienne, par exemple, qui est en jeu;
cela est arrivé dans un cas qui m'a été communiqué par mon interne M. Dutil.
2° Chez quelques tabétiques, les crises gastriques, bien que conservant tou-
jours leur caractère de périodicité, ne sont plus représentées que par la dou-
leur, ou, pour le moins, les vomissements font défaut : alors les accès « sont
constitués, dit M. A. Fournier, qui a bien décrit les cas de ce genre, par la
« succession d'une série de douleurs véritablement crampoî'des,c'esi-k-(\\re par
des sensations douloureuses semblant dues à un état de contracture stoma-
cale, de crampe d'estomac suivant l'expression habituelle. Ces douleurs sont
des plus pénibles, aiguës, atroces même en quelques cas. Mais elles se produi-
sent à sec si je puis ainsi parler, sans déterminer, au moins dans la plupart
des cas, de vomissements alimentaires ou muqueux. Cette sorte de gastralgie
tabétique est de forme essentiellement intermittente. Elle se manifeste par
accès (1). »
Je dois à mon ancien interne, M. le D'" Blocq, la communication d'une obser-
vation qu'il a recueillie, dans le temps, au Val-de- Grâce, dans le service de
M. le D'" Kelsch et qui rentre dans cette catégorie. Il s'agit d'un capitaine
i. A. Fournier, loc. cit., p. 207. •
46
— 340 —
âgé de 40 ans qui, depuis quinze ans était sujet à des douleurs fulgurantes. Il
présentait, depuis quatre ans, des crises gastriques revenant à de longs
intervalles, trois ou quatre fois seulement par année. Celles-ci consistaient
dans la présence de douleurs épigastriques très vives avec inappétence, le
tout accompagné d'un accablement général très accentué. 11 n'y avait pas de
vomissements. La crise durait environ quinze jours. Elle apparaissait tout à
coup;, sans prodromes et se terminait brusquement « comme par enchante-
ment »,
3° Dans un troisième groupe l'anomalie est, si l'on peut ainsi parler, de
sens inverse, c'est-à-dire que les vomissements et autres accidents de la
crise persistant, ce sont les douleurs qui font défaut. Vulpian a fait allusion
aux cas de ce genre (1). Un malade de M. le professeur Fournier était sujet à
des crises durant environ six jours^ qui se caractérisaient par des vomis-
sements répétés avec intolérance absolue de l'estomac pour toute espèce d'ali-
ments, deboissons ou de remèdes. Tout ce qui étaitingéré, sous quelqueforme
que ce fut, était expulsé séance tenante. Une observation du professeur Pitres pu-
bliée dans le Journal de médecine de Bordeaux appartient à la même série (2).
Le sujet est unhomme de 50 ans chez lequel les crises gastriques^ représentées
uniquement par des vomissements accompagnés du malaise qu'ils entraînent
nécessairement ont, pendant près de trois ans, constitué l'unique manifesta-
tion de la maladie tabétique.
4° Quelquefois les crises se rapprochent au point qu'elles deviennent jour-
nalières ; mais en même temps leur durée se raccourcit. Ces cas sont, je crois-
fort rares. Je dois à M. Blocq l'histoire d'un ataxique âgé de 54 ans, autrefois
employé au ministère de la guerre. L'observation a été recueillie comme
l'une de celles citées plus haut, à l'hôpital du Val-de-Grâce, service de
M. Kelsch. Le début de la maladie avait eu lieu il y a onze ans, inauguré
par les crises gastriques en question qui ont persisté, â l'état d'isolement,
pendant sept ans. Ce n'est que depuis quatre ans que les douleurs fulgurantes
sont venues s'y adjoindre. Les crises débutent brusquement, vers 4 heures
du matin à peu près tous les jours, par un sentiment de pesanteur à la région
épigastrique bientôt suivi d'une douleur vive que le malade compare à
celle que produirait la morsure d'un chien furieux. Puis surviennent les
vomissements alimentaires d'abord, après cela bilieux et muqueux. La ces-
sation a lieu brusquement vers 9 heures du matin. La durée est donc, vous le
voyez, de quatre à cinq heures seulement.
5" Cela nous conduit à vous parler de faits qui ne sont pas fort rares,
dans lesquels la longueur de la crise, au lieu d'être de trois, quatre, cinq
jours comme dans les conditions du type, s'allonge extraordinairement de
1. Maladies du système nerveux, loc. cit., p. 322.
2. 27 janvier 1884.
— :ui —
façon à ce qu'elle dure quinze, vingl jours, un mois et même plus, en même
temps que les intervalles se raccourcissent. Ces faits, par une transition
ménagée, nous conduisent à ceux où les accidents vulgaires de la crise à
savoir, les douleurs, les vomissements, l'inappétence,, etc., etc., s'établissent en
quelque sorte en permanence de façon à sévir pour ainsi dire, sans cesse et
sans trêve, pendant une période de plusieurs mois, neuf mois dans un cas
de M. Buzzard (1). Dans les cas heureusement tout à fait exceptionnels où
pareille chose a lieu, le caractère de périodicité qui appartient aux crises
gastriques est encore, malgré la tendance à la continuité, représenté le
plus souvent par des exacerbations de tous les symptômes qui surviennent
de temps et autre, et contrastent avec des périodes d'apaisement.
II
En ce qui concerne les crises gastriques, le cas du malade [que] nous som-
mes préparés maintenant^ par tout ce qui précède, à étudier avec 'profit se
rapproche justement des faits de la dernière catégorie. La périodicité des
crises est bien marquée en effet chez lui, vous allez le voir, par l'apparition
brusque et la cessation également brusque des principaux accidents; mais les
intervalles libres ne sont pas parfaitement accusés. On y voit persister, pou»-
ainsi dire, en permanence, pendant un certain temps du moins, des troubles des
fonctions de l'estomac qui rendent l'alimentation à peu près impossible • de
plus, les crises, chez notre homme, s'éloignent encore du type par la présence
fréquente dans les matières rendues par les vomissements, d'un liquide noir
rappelant la couleur marc de café ; mais nous reviendrons Jà-dessus tout à
l'heure. En dehors de ces particularités les crises gastriques, chez notre
homme, rentrent nettement dans la règle en particulier par ce fait que, durant
plus de trois ans, elles se sont montrées à peu près isolées, indépendantes en
tout cas de l'incoordination motrice, laquelle ne s'est manifestée qu'au bout
de la troisième année.
Nous allons maintenant adresser au malade quelques questions ; ses répon-
ses nous mettront^ je pense mieux à même d'apprécier la réalité objective des
faits sur lesquels je veux appeler votre attention. Vous voyez qu'il s'agit d'un
homme bien constitué, solide d'apparence, fatigué seulement par la maladie
dont il souffre depuis bien longtemps.
S'adressanl au malade : C'est bien le 3 décembre 1883, que votre maladie
d'estomac a commencé ; avant ce jour-là vous étiez bien portant ?
Le malade : Oui monsieur. Je me rappelle la date exactement. Je n'avais
i.Loc, cit., p. 255.
— 342 —
jamais été malade auparavant. Cependant, depuis cinq ou six mois, avant
que le mal ait éclaté, mes digestions étaient pénibles. Le mois qui a précédé la
première crise, j'avais du dégoût pour la nourriture ; quelquefois j'avais des
hoquets.
M. GiiARCOT : Il y a donc eu dans ce cas des prodromes : quoi^qu'il en soit, le
3 décembre 1883, le matin, en se réveillant, il a ressenti tout à coup dans le
ventre des douleurs vives qui ont remonté vers l'estomac et s'y sont fixées.
Bientôt, ces douleurs ont été accompajinées de vomissements noirs, couleur de
suie. Les douleurs étaient à peu près incessantes ; les vomissements noirs se
reproduisaient environ toutes les trois heures. Tout cela a persisté pendant dix
ou douze jours. Après quoi, les douleurs ont cessée ainsi que les vomissements;
mais il est resté de l'inappétence, un dégoût profond pour les aliments ; le
lait, le Champagne le koumis pouvaient seuls être supportés et telle a été pen-
dant fort longtemps la seule alimentation du malade. C'est ainsi qu'il nous a
raconté les choses.
Le malade: Oui, monsieur, c'est bien ainsi que les choses se sont passées.
J'étais tellement faible au sortir de la crise que, pendant plus de quatre mois,
je n'ai pas pu sortir'du lit : d'ailleurs je ne pouvais pas manger et les crises
revenaient de temps en temps.
M. CiiARCOT : Nous verrons cela tout à l'heure ; parlons seulement pour le
moment de la première crise. Ne m'avez vous pas dit que, dans ce moment-là,
vous avez été presque inconscient.
Le MALADE : Inconscient, pas tout à fait, mais fort engourdi ; je ne voyais
rien, je ne pensais à rien, je ne reconnaissais personne. Cela a duré deux
jours. Le premier jour je n'ai pas reconnu mes parents.
M. Gharcot; A partir de cette époque^, les crises ont reparu, à peu près régu-
lièrement tous les mois...
Le malade : Pas précisément tous les mois, monsieur, mais tous les trente-
huit jours.
M. Ciiarcoï: Cela revient à peu près au même, Messieurs, vous le reconnaî-
trez. Ce qui importe, vous l'avez compris c'estla presque régularité qu'ont affectée
les crises dans leur réapparition périodique. — S'adressant au malade : C'est
seulement pendant la durée des crises^ et non dans les intervalles que les
vomissements noirs ont paru?
Le malade : Oui, monsieur, c'est bien cela. Les crises parties, je ne souffrais
l)lus, je ne vomissais plus ; j'étais presque bien. Seulement, je ne pouvais pas
manger, j'étais dégoûté de tout, et j'étais extrêmement faible. Les vomisse-
ments noirs, dans la crise, ne venaient pas toujours tout de suite. J'avais
d'abord des douleurs de ventre remontant à l'estomac, puis survenaient des
nausées ; après cela je rendais ce que j'avais avalé ; les vomissements glai-
reux, jaunes, puis noirâtres se montraient ensuite. Les douleurs et les vomis-
sements sévissaient dans toute leur force pendant quatre ou cinq jours.
— 343 —
Alors, c'était un martyre: cela durait nuit et jour, je ne savais où me mettre,
après cela il y avait un apaisement ; mais, pendant dix jours, j'avais encore
de temps en temps dos douleurs et dos vomissements de toile sorte que je
n'éliiis tout à fait tran(piillc (juc pendant une période de quinze à vingt jours
chaque mois puisque,, comme je vous l'ai dit, les crises revenaient tous les
trente-huit jours.
M. CiiAHcoT : Je vous remercie. Malgré plus dune anomalie qui en modifie
plus ou uioins profondément, à certains égards, la physionomie classique,
vous reconnaîtrez ici, Messieurs, aisément les caractères fondamentaux de
la crise gastrique tabétique. La périodicité typique, entre autres, est parfaite-
ment accusée, malgré la persistance de troubles digestifs dans l'intervalle
des accès. Pour ce qui est des vomissement noirs, ils sont, à la vérité, chose
rare en pareille circonstance, puisque nous ne trouvons à cet égard, dans
les annales du tabès, qu'une seule observation comparable à la nôtre, celle
déjà citée de Yulpian (1). Mais leur présence dans les crises tabétiques n'est
pas faite, je pense, pour dérouter le médecin et il n'est pas nécessaire pour
s'en rendre compte d'imaginer la complication de quelque lésion organique
de l'estomac, étrangère au tabès. Il est à remarquer, en effet, que dans notre
observation, comme dans celle de Yulpian, le vomissement noir n'apparait ja-
mais que dans la période des crises ; cela n'est-il pas de nature à faire penser
que le processus qui dans la muqueuse gastrique prépare son développement
est semblable à celui qui, suivant les observations de M. le professeur Straus,
produit chez certains ataxiques^, de? ecchymoses cutanées, en conséquence des
accès de douleurs fulgurantes (2) ?... S' adressant au malade : Voulez-vous me
dire ce qui vous est arrivé à partir de la quatrième ou cinquième crise,
c'est-à-dire cinq ou six mois après le commencement de tout.
Le malade : Je vous ai dit que j'ai commencé à me lever à la fin seulement
du quatrième mois. J'étais extrêmement faible ; d'une maigreur extrême. Je
n'avais toujours pas faim ; je me nourrissais à peine. On m'a cru atteint
d'abord d'un cancer de l'estomac, et plus tard d'un ulcère simple. On me
traitait en conséquence : j'étais à la diète lactée ; d'ailleurs je ne pouvais
pas prendre autre chose que du lait ; cela a duré trois ans. D'autres disaient
ne pas savoir ce que j'avais. On m'a envoyé plusieurs fois à Vichy, puisa
Chatel-Guyon. C'est là, en 188G, c'est-à-dire trois ans après le débuta qu'on a
commencé à dire que je pourrais bien être un ataxique. En efTet, dans ce
temps-là, j'ai commencé à marcher difficilement en lançant les jambes comme
je le fais aujourd'hui.
M. CuARCOT : C'est bien, mais parlez-nous de vos crises gastriques.
l.Loc. cil. Muladie du syslème nerveux, 1S7'J, p. 271.
2. J. Straus. Des ecciiymoses tabétiques à la suite des crises de douleurs fulgurantes. Archive
de neurologie 1880 -8i, N" 4, p. 536.
es
— su —
Le malade: Monsieur, elles ont continué jusque dans ces derniers temps.
A partir du sixième mois, elle ont commencé à s'éloigner ; elles ne revenaient
plus que tous les trois ou quatre mois, au lieu de revenir comme auparavant
tous les trente-huit jours. Elles ont continué ainsi jusqu'en octobre dernier.
Elles ont donc duré cinq ans en tout. Je ne les ai pas eues depuis cette époque
et j'espère qu'elles ne viendront plus. La dernière a été atroce: j'étais à
Chatel-Guyon : elle a peut-être été provoquée par des lavages de l'estomac
qu'on me faisait à cette époque. Les douleurs ont été terrible s; j'ai eu des
vomissements noirs très abondants ; après cela je suis tombé, m'a-t-on dit, dans
un état très grave. Il paraît que je suis resté sans connaissance pendant près
de trois jours.
M. Charcot : Cependant vous m'avez dit qu'avant cette époque déjà l'état de
votre estomac s'était amélioré.
Le malade : C'est vrai, monsieur. Les crises^ à la vérité,, bien que moins
fréquentes, duraient toujours trois ou quatre jours et elles étaient souvent très
intenses, mais la quantité des matières vomies était moins grande ; cela ne
dépassait pas deux litres par jour. Dans les intervalles j'étais moins faible,
moins dégoûté des aliments. Cependant, ce n'est que depuis ma dernière crise^
c'est-à-dire depuis quatre mois, que mon estomac s'est remis à peu près com-
plètement; depuis ce temps-là, je m'alimente à peu près comme tout le monde,
je mange de la viande saignante, des pommes de terre, je bois du vin
sucré, etc., etc. Je me crois guéri de ce côté-là.
M. CiiARCOT : Je l'espère. Je vous rappelle à ce propos, Messieurs, que les crises
gastriques de Tataxie sont chose curable ; il en est de même des crises laryn-
gées, des paralysies des muscles moteurs de l'œil, des crises vésicales et de
bien d'autres symptômes de la série qui peuvent n'exister que passagèrement,
bien que la maladie persiste d'ailleurs foncièrement et continue progressive-
ment sa marche vers le but fatal. Il n'est guère en somme que l'atrophie ta-
bétique des nerfs optiques, qui, une fois constituée, ne rétrocède jamais, même
temporairement et aboutisse irrévocablement à la cécité absolue.
Messieurs Je vous ai dit au début de cette leçon que, suivant moi, on eût pu
chez notre patient, même dès l'origine de la maladie, reconnaître les troubles
gastriques pour ce qu'ils sont, et éviter de tomber dans l'erreur qui semble
avoir été entretenue avec persistance pendant une longue période de trois
années. Il me paraît, que cette assertion est déjà en grande partie ratifiée par
la description même que vous venez d'entendre de ces accidents gastriques,
puisque, au milieu de tant d'anomalies, les caractères essentiels du type,
peuvent être cependant facilement retrouvés ; elle sera justifiée plus
encore, et pleinement légitimée, par l'exposé qui va suivre. Vous allez
voir, en effet, que, dès le commencement de la maladie, les crises gastri-
ques se sont trouvées associées à quelques symptômes univoques de la série
— 345 —
tabétiqiie, de manière à constituer un complexus parfaitement significatif,
du moins pour un observateur expert en pareilles matières.
S'ndressant au malade : A quelle époque vous a-t-on coupé la luette ? pour-
quoi l'a-t-on l'ait ?
Le malade : Monsieur, c'est un peu après la première crise d'estomac.
J'avais une toux sèche, incessante, fort bizarre et qui étonnait les médecins.
Dans ce temps-là je n'avais pas à la suite des quintes, des suffocations comme
j'en ai eu depuis. Du reste, l'opération ne m'a absolument pas soulagé.
M. CnARCOT : A quelle époque avez vous commencé à avoir la voix rauque,
délonnante comme vous l'avez aujourd'hui? Veuillez prêter. Messieurs, atten-
tion à la voix qu'émet notre malade quand il parle. 11 détonne à chaque ins-
tant ; de plus, de temps en temps, quand la respiration se précipite, vous
entendez, à chaque inspiration, un léger cornage.
Le malade : Je me suis aperçu, monsieur, que j'avaisla voix rauque et basse
lors de ma première crise, c'est-à-dire à la fin de 1883.
M. CuARCOT : Vous le voyez, tout cela date de l'origine du mal. Je vous dirai
immédiatement que l'examen l'ait ces jours-ci, par M. Cartaz, du larynx chez
notre malade, donne la raison de cette dysphonie, de la raucité de la voix et
aussi du cornage. Il existe en effet une paralysie incomplète de la corde
vocale gauche, ou autrement dit, du muscle crico-arythénoidien postérieur
Tout cela, remarquez-le bien, Messieurs, eût pu être reconnu il y a cinq ans.
Le même examen donne, en partie du moins, la raison des crises laryngées
qui, vous allez le voir, ont, dès le commencement, joué un rôle important
dans l'histoire clinique de notre sujet.
Je fais allusion ici à une hyperesthésie très accentuée de la muqueuse la-
ryngée, reconnue également par M. Cartaz. Elle occupe surtout à droite la ré-
gion des cordes vocales supérieures et inférieures ; on serait en mesure très
certainement de provoquer des crises laryngées artificielles si l'on insistait
quelque peu sur la titillation de ces régions...
S'adressant au malade : A quelle époque avez-vous eu la première de ces
grandes crises de larynx qui quelquefois vous jettent à terre sans connais-
sance ?
Le malade : C'était à Vichy, monsieur, en 1884, après ma septième ou hui-
tième crise d'estomac. J'étais près de la source où j'allais boire. J'ai senti un
chatouillement à la gorge, je me suis ensuite mis à tousser de ma toux quin-
teuse et rauque plus fortement que d'habitude et, tout à coup, je suis tombé
à terre absolument privé de connaissance. J'ai été fort étonné quand je me
suis réveillé, couché par terre et qu'on m'a dit ce qui était arrivé.
M. CiiARCOT : La même chose vous est arrivée plusieurs fois depuis, je
crois ?
Le malade : Oui, monsieur, quatre ou cinq fois. La dernière fois il y a un
mois. Mais habituellement les choses ne vont pas si loin. Je sens un chatouil-
— 346 —
lement vers le côté droit du larynx, comme si on me passait à l'intérieur, de
ce côté-là, une barbe de plume ; puis je me mets à tousser d'une toux sifflante
comme si j'avais la coqueluche. Je suis menacé de suffoquer. Mais alors je ne
tombe pas et je ne perds pas connaissance.
M. Cjiarcot, aux auditenrs : Vous venez d'entendre un récit fort intéres-
sant, dans lequel figurent en quelque sorte tous les accidents laryngés
possibles du tabès, accidents permanents à savoir: voix rauque, dysphonique,
cornage ; accidents transitoires et paroxystiques, à savoir : accès de toux « co-
queluchoïde» comme on les a quelquefois appelées; crises laryngées spasmo-
diques avec tendance à la sufl'ocation ; crises laryngées enfin sous forme d'ictus.
La description de ces dernières surtout est fort remarquable^, parce qu'il s'agit
là ensomme d'un accident plutôt rare dans le tabcs.Yous n'oublierez pasque,
ainsi que je l'ai montré depuis longtemps déjà^ Tictus laryngé, ou, autrement
dit, le vertige laryngé comme je l'appelle, n'appartient pas, tants'en faut, exclu-
sivement au tabès. On le trouve en effet, plus fiéquemment peut-être, chez cer-
tains sujets goutteux, atteints de laryngite chronique et aussi chez quelques
asthmatiques. L'arthritis en somme paraît être en jeu dans la plupart de ces
cas (1).
Mais j'en reviens, Messieurs, à notre malade. N'est -il pas clair que tous ces
symptômes laryngés si accentués, si caractéristiques, pour peu qu'on y eût pris
garde et si on les eût considérés soit en eux-mêmes, soit dans leur relation
avec les crises gastriques, eussent suffi pour révéler la véritable nature du mal,
et pour empêcher, en ce qui concerae ces dernières, de tomber dans le dia-
gnostic erroné d'une affection organique de l'estomac. La chose vous parait
évidente maintenant et il n'est guère utile d'insister. Je ferai remarquer seule-
ment que l'existence de douleurs fulgurantes parfaitement accentuées, remar-
quée pour la première fois dès 1885, eût pu dès cette époque contribuer puis-
samment à éclairer la situation.
Il ne me reste plus, pour en finir avec ce cas, qu'à compléter l'observation
par quelques nouveaux détails. L'incoordination motrice, ainsi que je vous l'ai
dit, a paru seulement au commencement de 1880, c'est-à-dire il y a trois ans.
Voici maintenant l'énumération sommaire des symptômes révélés par
l'étude de fétat actuel. La démarche tabétique est, chez le malade, tout à fait
conforme à la description typique : les membres inférieurs sont à chaque pas
comme projetés et retombent lourdement sur le sol en frappant du talon. Le
signe de Romberg est très accentué. Les douleurs fulgurantes occupent non
seulement les membres inférieurs mais encore les trajets nerveux du domaine
^
1. Voir sur les accidents laryngés labctiques, les Lettons du t/iardi 1887-1888, p. 85, 209, 277
et, sur Yictus laryngd en particulier : Progrès médical, 1879, p. 317.
I
— 347 —
cubital, symétriquement des deux côtés. Les réflexes rotulicns sont absents.
Atrophie, également prononcée des deux côtés, des muscles qui remplissent le
premier espace interosseux. Troubles urinaires consistant dans la nécessitéde
faire ellort, de pousser quand on veut rendre les urines. Celles-ci s'écoulent
quelquefois involontairement à la moindre émotion. Anaphrodisie complète,
depuis trois ans. Jamais il n'y a eu de diplopie, mais le signe d'Argyll
Robertson est bien dessiné. Les crises gastriques ont, comme on l'a dit, cessé
d'exister depuis plusieurs mois et nous pouvons espérer qu'elles ne se repro-
duiront pas.
Certes, voilà un pauvre homme chez lequel la terrible maladie tabétique,
semble avoir voulu exercer toutes ses cruautés; j'ajouterai qu'il a été frappé
de très bonne heure, c'est-à-dire vers Tàge de 3(J ans. D'après mon expé-
rience, dans ces cas de tabès précoce, on doit s'attendre à rencontrer presque
toujours dans les antécédents héréditaires des tares nerveuses plus ou moins
accentuées. Il n'en est rien chez notre homme; l'étude de sa famille ne nous
a rien appris. Il est vrai que nous n'avons pas pu être renseignés dans toutes
les directions. Nous avons appris seulement qu'un de ses frères, fort intelli-
gent du reste paraît-il, est un original fieffé. Il a changé deux ou trois fois
de religion : c'est beaucoup !
Il n'y a jamais eu traces de syphilis, et les fatigues corporelles, non plus
que les émotions morales, ne sauraient être incriminées comme causes occa-
sionnelles provocatrices. Notre malade a de l'instruction. Il a exercé tour à
tour la profession d'employé de commerce et d'entrepreneur. Jamais il n'a
travaillé de ses mains et jamais il n'a eu de véritables chagrins.
C'est un de ces cas, vous le voyez, et ils sont fort nombreux encore, où
l'ataxie procède on ne sait d'où, et vient on ne sait comment.
2^ Malade.
Le second malade que nous avons à étudier aujourd'hui est un nomme
Klein, israélite hongrois, âgé de 23 ans. Nous aurons le regret de ne pouvoir
pas l'interroger devant vous ; nous ne pouvons communiquer avec lui qu'à
47
— 348 —
l'aide des quelques mots d'allemand qu'il possède ; et c'est ainsi que nous
avons recueilli, près de lui, les renseignements dont je vais vous faire part,
Je vous le présente comme un véritable descendant d'Ahasvérus ou Carta-
philus comme vous voudrez dire. Le fait est qu'à l'exemple de ces névropathes
voyageurs dont je parlais l'autre jour, il est mû, constamment, par un besoin
irrésistible de se déplacer, de voyager, sans pouvoir se fixer nulle part. C'est
ainsi que^, depuis troisans, il ne cesse de parcourir l'Europe, à la recherche de
la fortune qu'il n'a pas encore rencontrée.
lia d'abord traversé l'Allemagne, s'arrêtant à Dresde, à Leipsick, à Breslau^
àBerlm ; exerçant un instant, dans chacune de ces villes, son métier de tailleur,
dans le but de ramasser quelque argent lui permettant de continuer son
voyage. De Berlin il passe en Angleterre qu'il trouve « triste » et où il ne reste
que deux mois. Delà, riche de 70 schellings, il se rend à Anvers où il s'installe
pendant quatre mois ; mais, l'ouvrage venant à manquer, il part pour Bruxelles
où, à son grand désappointement^ il ne trouve pas de travail.
Bientôt son trésor s'épuise et n'ayant plus que 4 troncs en poche, il prend le
parti de se rendre à Liège, à pied. Mille misères l'attendaient dans ce voyage
pédestre qui n'a pas duré moins de cinq jours. Les deux premiers jours il a
dû marcher sous une pluie battante, à travers des chemins défoncés. Le matin
dutroisième jour, c'était le 2 août 1888, la pluie ayant cessé un instant il se
couche, vers 9 heures^, tombant de fatigue et trempé jusqu'aux os, le long de la
route, sur la terre humide. Là il s'endort lourdement, reposant sur le sol par
le côté droit du corps. Il a dormi jusqu'à ? heures de l'après midi.
Il est certain que, pendant toute la durée de son sommeil, il n'a pas changé
uninstvint de position, car c'est seulement sur le côté droit que ses vêtements
ont été couverts de boue. Au réveil il ressentait, dans toute l'étendue du
membre supérieur droit et dans la cuisse ainsi que le genou du m«3me côté,
des douleurs vives accompagnées d'un sentiment d'engourdissement fort péni-
ble. Illuifallait cependantmalgrétoutse remettre en marche, il n'était qu'à mi-
chemin et, ses ressources pécuniaires étant complètement épuisées, il
ne devait plus compter que sur la charité publique. Il rassembla toutes ses forces
et continua sa route clopin-clopant, traînant sa jambe gauche dont il souf-
frait beaucoup. Enfin il arriva à Liège le cinquième jour, dans un état déplo-
rable et fut reçu à l'hôpital anglais où il resta traité, paraît-il, pour un « rhuma-
tisme » à l'aide de l'électricité. Sa famille lui ayant, sur ces entrefaites, envoyé
quelque argent, il se rend à Spa, toujours à pied, et de là à Verviers où il
entre encore à l'hôpital. Il y éprouva quelque soulagement de sa douleur sous
l'intluence de bains de vapeur locaux qui lui furent administrés. Il quitte Ver-
viers pour Metz où il arrive boitant plus que jamais. L'association Israélite de
cette ville lui donne quelque secours d'argent qui lui permettent de prendre
le train pour Châlons-sur-Marne.
De Châlons, toujours souffrant et boitant, il se met en route à pied pour
— 340 —
Paris, marchant environ quatre heures par jour, et vivant des quelques
aumônes qui lui sont faites par ceux de ses coreligionnaires qu'il rencontre
dans les villes où il s'arrr-to chemin faisant.
Je n'ai pas cru, Messieurs, devoir vous épargner les détails relatifs à
toutes ces pérégrinations singulières parce qu'elles révèlent chez notre
homme, si je ne me trompe, un état psychique particulier qui nous conduit à
le considérer comme un anomal, un déséquilibré. Il était important égale-
ment de bien mettre en relief les misères, les privations, les fatigues exces-
sives dont il a souffert pendant ses voyages, et d'insister aussi sur celte malen-
contreuse matinée du 3 août où il est resté couché, dormant, pendant plusieurs
heures sur la terre humide, reposant par le côté droit du corps : ce sont là,
en efïet, des circonstances qui nous paraissent avoir joué un rôle important
dans le développement de la maladie que nous devons étudier maintenant.
Klein a fait son entrée à Paris le 11 décembre 1888; le lendemain il se pré-
sentait à la Salpêtrière où il a été admis dans le service de la clinique.
Il faisait vraiment peine à voir; déguenillé, sale, pâle, amaigri, tombant de
fatigue et tout ahuri, il présentait vraiment l'image poignante du complet
dénûment. Il avait les pieds meurtris et, pendant plusieurs jours, il ne se sentit
pas le courage de sortir un instant du lit. Enfin, lorsque sous l'influence du
repos et d'une ahmentation à discrétion il se fut un peu remis, l'examen que
nous fîmes de son état nous apprit ce qui suit.
Aucun signe d'une lésion viscérale organique quelconque. En dehors de
l'émaciation, de la prostration et de l'anémie profondes dont il a été question
plus haut, tous les symptômes à relever sont relatifs au système nerveux. Il
existe dans toutes les articulations du membre supérieur droit un certain
degré de rigidité qui dépend d'un spasme musculaire. Le bras est appuyé et
immobilisé sur le côté droit du thorax ; l'avant-bras est fléchi à angle obtus
sur le bras et en même temps fixé dans la pronation forcée. Le poignet est
légèrement fléchi sur l'avant-bras et entraîné dans l'abduction. Les doigts
rigides dans l'extension, sont fléchis en masse^ à angle droit vers la paume de
la main et en même temps fortement déviés vers le bord cubital. (Fig. 71).
Veuillez prendre note, Messieurs, de cette déformation particulière de la
main et des doigts que je vous ai fait remarquer déjà dans des circonstances
analogues à celles que nous rencontrons ici (1). Cette contracture spasmodique
du membre supérieur droit date, paraît-il, des premiers jours qui ont suivi la
journée du 2 août. A cette époque, ce membre était, comme on Ta dit, le siège
de douleurs et d'engourdissements qui ont disparu depuis. La peau du membre
contracture est dans toute son étendue, épaules, bras, avant-bras, main frappée
1. 13e Leçon du mardi^ 1887, 1888, 1889, passim.
— 350 —
d'anesthésie complète et relative à tous les modes de la sensibilité. La limi-
tation de Tanesthésie du côté des parties restées sensibles se fait par une ligne
courbe de façon à déterminer la disposition aujourd'hui bien connue dite en
manche de gigot. L'insensibilité s'étend aux parties profondes. Les déplace-
ments imprimés aux divers segments du membre, les tractions, les tensions,
exercées sur les diverses jointures ne sont pas perçus.
Tous ces caractères sont tellement accentués, tellement nets, qu'on ne sau-
rait douter qu'il s'agit là d'une contracture hystérique. C'est dans l'Hystérie,
dans l'hystérie seule en efTet, autant qu'on sache, que l'on rencontre des trou-
bles de la sensibilité de ce genre aussi accentués et ainsi disposés. Cette pre-
mière impression sera confirmée d'ailleurs par tout ce qui nous reste à dire.
Fig. 71,
Le membre inférieur droit présente, au niveau de la hanche et du genou, une
rigidité comparable à celle que nous venons de relever à propos du membre
supérieur correspondant; c'est là encore la contracture spasmodique qui est en
jeu. Les troubles de la sensibilité sont, également sur ce membre, très nette-
ment accentués et disposés d'une façon caractéristique: Anesthésie cutanée en
manchon se limitant par en haut suivant une ligne parallèle au pli de l'aine et
par en bas suivant une ligne circulaire, perpendiculaire au grand axe du mem-
bre, passant à quelques centimètres au-dessous du genou. (Fig. 72, 73). Les
mouvementspassifsimprimésàl'articulationcoxo-fémorale ne sont pas perçus.
Il n'en est pas de même en ce qui concerne le genou Celui-ci est doulou-
reux lorsqu'on le meut ou qu'on y exerce une pression profonde et la boiterie
qui, aujourd'hui encore, malgré ramélioration survenue de ce côté dans ces
derniers temps, est fort prononcée, dépend non seulement de la rigidité des
articulations, mais encore de la douleur ipii, à chaque pas, se fait sentir dans
351 —
le genou. Cependant pas de tuméfaction, pas d'empâtement, pas de chaleur
révélant l'existence d'un travail inflammatoire. On sait que la boiterie date
des premiers jours de la maladie ; dans ce temps- là les douleurs occupaient.
semble-t-il, toute l'étendue delà cuisse ; aujourd'hui elles se sont^si l'on peut
ainsi parler, concentrées sur le genou.
La recherche des stigmates sensoriels est restée généralement infructueuse.
Pas de rétrécissement du champ visuel. Pas detroubles de l'odoral, de l'ouïe.
Seul l'examen de la langue a fait reconnaître que la sensibilité générale ainsi
— 352 —
que le goût avaient disparu complètement sur la moitié droite de l'organe.
La perte partielle ou totale du goût, soit dit en passant, constitue un stig-
mate qui, d'après ce que j'ai vu, se rencontrerait assez fréquemment chez des
hystériques mâles qui n'en portent pas d'autres. Sa constatation, ne l'oubliez
pas, pourrait par conséquent vous être, le caséchéant, d'un précieux secours,
dans une circonstance difficile.
Pas d'attaques, pas de représentants d'attaques, pas de poinlshystérogènes.
Pour ce qui est de l'état psychique nous n'avons guère à signaler que les
rêves généralement pénibles qui, depuis qu'il est tombé malade, troublent
ses nuits. Tantôt il revoit les scènes de grèves auxquelles il a assisté en Bel-
gique, et il se croit poursuivi par des gendarmes ; tantôt ce sont des chiens
énormes qui se précipitent sur lui, « toujours de droite à gauche (1) » et au
moment où il va être mordu, il se réveille, etc., etc.
On a déjà fait allusion à son instabilité, à sa manie des voyages. Ses ré-
cents malheurs ne l'ont, paraît-il, nullement guéri, car il se propose aussitôt
qu'il sera remis sur pied de partir pour le Brésil. Il est remarquable que, chez
notre homme, on ne rencontre pas de symptômes neurasthéniques bien
accentués ; pas de céphalée, pas de plaque sacrée, pas de confusion de l'es-
prit, pas de vertiges, etc. L'hystérie paraît être chez lui primitive ; pour le
moins c'est elle qui, de beaucoup, domine la situation.
Après nos études de l'an passé et de cette année, je ne crois pas nécessaire
de nous arrêter, Messieurs, à discuter le diagnostic que nous avons formulé
tout à l'heure et dans lequel nous sommes entrés en quelque sorte de plain
pied. Je me bornerai donc à faire ressortir les analogies, qui, suivant moi,
rapprochent étroitement notre cas, des exemples nombreux de paralysies
hystéro-traumatiques, avec ou sans accompagnement de contracture, sur les-
quels j'ai eu l'occasion d'appeler votre attention. Évidemment, c'est d'un fait
rentrant dans cotte catégorie qu'il s'agit chez notre homme. J'imagine que le
contact prolongé des membres droits avec la terre humide en même temps
que la pression à laquelle ils ont été soumis par l'action du poids du corps
doivent être considérés ici comme les équivalents d'un agent traumatique
localement appliqué. La pression a été dans ces membres la cause d'un engour-
dissement paréti(iue, tandis que l'action du froid humide y a occasionné des
douleurs « rhumatoïdes ». Celle-ci et celui-là, conformément à ce processus
d'autosuggestion dont je me suis efforcé plusieurs fois de vous enseignerlemé-
canismc, ont abouti, en conséquence d'une sorte d'action réllexe psychique, à
la production dans les membres intéressés, de la paralysie et de la contrac-
ture, et celles-ci ont revêtu, ainsi que cela est de règle en pareille circons-
tance, tous les caractères des contractures et des paralysies hystériques.
i. 11 nst à remarquer que dans ce cas il n'y a pas de rétrécissement du champ visuel.
— 353 -
L'état mental particulier qui a rendu possible cette évolution, je Tassimile,
vous le savez, à celui qu'on observe dans le somnambulisme provoqué par hypv-
notisation.Chcz notre homme il se sera développé en conséquence de la débi-
litation physique et de la démoralisation profonde qu'il a subies pendant le
cours de ses malheureux voyages.
Il était d'ailleurs, antérieurement peut-être, déjà spécialement prédisposé à la
névrose hystérifiue. Il est israélite, remarquez-le bien, et le fait seul de ses
pérégrinations bizarres nous le présente comme mentalement soumis au
régime des impulsions ; à la vérité, la recherche des antécédents héréditaires
n'a pas fourni de résultats précis, mais il nous a raconté l'histoire d'un de ses
grands-pères mort en 1848 en Russie, « sous le knout (?) » et cette circons-
tance est bien de nature à faire supposer, pour le moins, que sa famille a dû
vivre plus d'une fois sous le coup d'émotions dramatiques.
Quoi qu'il en soit, Messieurs, je ne crois pas que son cas soit grave au pre-
mier chef. Déjà, en eflfet, sous la seule influence de l'amélioration survenue
dans l'état physique et moral de notre malade, en conséquence des soins
hygiéniques qui lui ont été prodigués, nous avons vu les accidents d'ordre
nerveux se modifier rapidement d'eux-mêmes de la façon la plus favorable.
Si les choses continuent à aller de ce train il pourra, comme il l'espère, re-
prendre dans quelques semaines le cours de ses singulières pérégrinations (1).
1. A la date du 10 août, on note que le malade peut être considéré comme à peu près com-
plètement guéri. Les troubles sensitifs et sensoriels ont disparu ainsi que les troubles moteurs.
La santé générale est excellente.
M i;-.M . 1., ... 1.;
AM;AGM:-l'KhMl..Ki:, l'AUlS.
Policlinique du Mardi 5 Mars 1889
SEIZIEME LEÇON
Un cas d'abasie trépidante survenue à la suite d'une
intoxication par la vapeur de charbon.
Messieurs,
Nous allons étudier ensemble un cas qui très certainement excitera votre
intérêt. Il est relatif à un syndrome rare, encore peu connu, ^t qui. mal inter-
prété, pourrait devenir Toccasion d'erreurs fort regrettables. Le complexus
symptomatique dont il s'agit s'est développé à la suite d'une asphyxie par la
vapeur de charbon et, très certainement, en conséquence de cette intoxication.
Mais il y aura à rechercher si les troubles fonctionnels que nous allons
décrire appartiennent réellement à la nosographie de l'intoxication oxy-
carbonée, ou si, au contraire, cette intoxication a joué seulement dans le
développement des accidents pathologiques, le rôle d'une cause occasion-
nelle, en provoquant l'apparition d'un mal auquel le sujet était antérieure-
ment disposé. C'est, Messieurs, je puis vous le dire à l'avance, à cette dernière
opinion que nous serons conduits à nous attacher, après discussion.
I
11 s'agit d'un homme âgé de 41 ans, nommé Ro...el, employé dans une
imprimerie. Il paraît bien constitué et d'apparence assez vigoureuse, un peu
pâle seulement et déprimé mentalement. Je me réservée de vous parler en
temps et lieu de ses antécédents héréditaires, et aussi de ses antécédents per-
sonnels qui sont les uns et les autres, vous le verrez, fort intéressants à con-
naître. Pour le moment, j'en viens de suite à la description des phénomènes
morbides au sujet desquels il est venu nous consulter.
Je vous le présente couché sur un lit; ce n'est pas, Messieurs, qu'il ne puisse
48
— 350 —
pas se tenir debout; mais je tiens à vous bien montrer qu'au lit, il a dans les
membres inférieurs la liberté de tous ses mouvements et ne présente aucun
des signes révélant une affection spinale connue, soit de l'ordre organique,
soit de Tordre dynamique. Ainsi, si je lui dis de mouvoir ses membres dans
diverses directions, il exécute tous les mouvements prescrits avec force et
précision, aussi bien lorsque ses yeux sont fermés que lorsqu'ils sont ouverts.
A tous les efforts que je fais pour plier ses membres ou pour les fléchir, il
résiste admirablement. Donc, tout ce qui est relatif aux mouvements dans
cette exploration paraît être absolument normal. Pas de rigidité, pas de con-
tracture, pas traces de troubles quelconques de la sensibilité cutanée ou pro-
fonde. Les réflexes rotuliens sont normaux; peut-être y a-t-il une légère
tendance à la trépidation par redressement de la pointe des pieds, surtout du
côté droit, mais cela est, en somme, peu accentué ; remarquez une fois de plus
qu'il se retourne dans son lit_, se plaçant à volonté sur le dos, sur le ventre,
avec la plus grande aisance. Et pendant qu'il est encore couché, je vais vous
rendre témoin du fait suivant: c'est un nageur ; eh bien^ vous voyez que sur
mon invitation, il exécute parfaitement les mouvements assez compliqués de
la natation ; vous serez amenés tout à l'heure à comprendre l'intérêt qui
s'attache à cette constatation.
Maintenant le malade, soulevé par des aides, va être transporté du lit sur une
chaise; le voilà assis : je vous fais remarquer que dans cette nouvelle situa-
tion^ il n'existe non plus aucune anomalie motrice dans ses membres inférieurs.
Enfin, je prescris au malade de se lever et de se tenir debout. V'ous le voyez,
la station est ferme, absolument normale ; les yeux fermés, il n'oscille pas
le moins du monde. Il peut se tenir sur un seul pied. Je lui dis d'écarter ses
jambes, de se fendre comme dans l'escrime, il exécute sans hésitation et avec
prestesse tous les mouvements prescrits.
Ainsi, Messieurs, voici un homme qui couché, assis, est tout à fait libre
d'exécuter avec force et coordination parfaite tous les mouvements possibles
des membres inférieurs ; la station debout est absolument normale. Nous
avons suffisamment constaté, d'ailleurs, qu'il n'offre aucun signe d'une para-
plégie soit molle, soit spasmodique, qu'il n'est pas non plus ataxique... En
quoi consistent donc, me direz-vous, ces troubles fonctionnels si particu-
liers dont vous dites le malade atteint ? Ils vont se révéler immédiatement,
Messieurs, lorsqu'il voudra exécuter les mouvements de la marche.
Renuirquez que je l'ai prié de marcher d'un pas ordinaire, seulement un
peu précipita, et le voilà qui part, le corps incliné en avant, les membres
inférieurs raidcs, dans Textension, pour ainsi dire collés l'un contre l'autre,
portant sur la pointe des pieds ; ceux-ci glissent en quelque sorte sur le sol
et la progression se fait par une sorte de lréi»idation rapide rappelant ce que
l'on voit dans certains cas de paraplégie spasmodique lorsque le phénomène
de l'épilepsie spinale y est très accentué. Mais nous savons déjà que ce n'est point
— 3r)7 —
de cela qu'il s'agit ici. Lorsque le sujet est ainsi lancé, il semble qu'il soit
à chaque instant menacé de tomber en avant ; en tout cas il lui est à peu près
impossible de s'arrêter de lui-même. H lui faut le plus souvent s'accrocher à
un corps voisin. On dirait un automate mû par un ressort et, dans ces mouve-
ments de progression raides, saccadés, comme convulsifs, il n'y a rien qui
rappelle la souplesse des actes de la marche normale... Se détourner^ pour
lui, pendant qu'il marche, ou plutôt court ïi petits pas, c'est une affaire
d'état; reculer c'est chose absolument impossible.
Si nous voulons arriver à comprendre le mécanisme de cette marche trépi-
dante, comme je vous proposerai de la désigner, Messieurs, il nous faudra
l'étudier dans les conditions plus simples de ce que j'appellerai <-< la mise en
train ». Le malade étant debout, tranquille, immobile, je le prie de se mettre
de nouveau en marche. Il se montre d'abord tout hésitant, on dirait qu'il
s'essaye et se prépare à accomplir un acte pour lui d'une exécution fort difli-
cile; à chaque pas qu'il veut faire, au moment où le genou se fléchit pour
élever le pied et le porter ensuite en avant, comme c'est la règle dans les con-
ditions normales, il se produit tout à coup un mouvement contradictoire et
brusque d'extension du membre inférieur tout entier, mouvement qui
redresse le genou et a pour effet consécutif de fixer, en quelque sorte, le pied
sur le sol, l'empêchant de s'en détacher. Ce qui vient de se produire sur un
des membres, se produit maintenant de la même façon sur l'autre; il semble à
ce moment que le sujet serait condamné à l'immobilité, les membres infé-
rieurs placés dans l'extension et appliqués l'un contre l'autre, si, pour pro-
gresser il n'usait pas d'un artifice consistant à se dresser sur la pointe des
pieds, en même temps qu'il penche son corps en avant, comme pour s'en-
traîner... Enfin, après quelques essais, le voilà parti et, conformément au
mécanisme que je viens d'indiquer, il glisse sur le sol, plutôt qu'il ne marche,
les jambes raides, ou pour le moins se fléchissant à peine, les pas étant
en quelque sorte remplacés par autant de brusques trépidations.
Cette progression par petits pas précipités rappelle assez bien les mouve-
ments rapides et cadencés de certaines chorées rythmées dont je vous ai
présenté l'an passé plusieurs exemples ; mais la comparaison, remarquez-le
bien, n'a guère de valeur qu'au point de vue pittoresque. Il ne faut pas s'y
laisser prendre. Il y a, en effet, entre les deux ordres de phénomènes une diffé-
rence foncière, capitale : c'est que les mouvements de la chorée rythmée^
et c'est là d'ailleurs un trait commun à toutes les chorées méritant ce nom, se
manifestent en dehors de tout acte volontaire, alors que le sujet voudrait
garder le repos, tandis que, chez notre homme, c'est exclusivement lorsqu'il
veut se déplacer en marchant que les trépidations apparaissent. Jamais elles
ne se produisent involontairement, dans les temps de repos, soit que le malade
se tienne couché ou assis, soit qu'il se tienne dans la station debout. Kn
somme, les mouvements en question ne sont autres que ceux de la marche
— 358 —
elle-même, à la vérité plus ou moins profondément altérés, mais conservant
néanmoins sur un mode précipité, le caractère rythmé qui est propre à cet
acte physiologique.
Ainsi, Messieurs, voilà un homme qui ne sait plus marcher, du moins,
comme on marche dans Tétat normal ; il a désappris la pratique des actes
moteurs de la marche ordinaire. Ils sont remplacés chez lui par les mouve-
ments anormaux, pathologiques que nous avons essayé de décrire. Et, cepen-
dant, contraste frappant, les mousements vulgaires, non étroitement spécia-
lisés des membres inférieurs, tant élémentaires que complexes, — comme
lorsqu'il s'agit de les fléchir, de les étendre, de les diriger vers un point
déterminé, de se tenir debout ou encore de se « fendre », comme dans
l'escrime, — ces mouvements-là, dis-je, ne sont nullement aftectés, ils ont con-
servé toute leur force et toute leur précision.
Il y a plus, et c'est ici surtout, que la singularité du syndrome se révèle
dans son vrai jour. De tous les modes possibles de progression, la marche
ordinaire, normale, vulgaire, comme vous voudrez l'appeler, est pour ainsi
dire le seul qui soit intéressé chez notre malade: ainsi je lui prescris de se
déplacer pour se rendre d'un point à un autre de la salle du cours en sautant
à pieds joints, ovi encore k cloche-pied et \ous voyez qu'il exécute ces actes
complexes prestement, délibérément, sans que ceux-cisoientlemoins du monde
troublés, à aucun moment, par l'intervention intempestive de mouvements
contradictoires. Il en est absolument de même lorsqu'il s'agit de marche?^ à
quatre pattes. A ce propos, notez en passant que lorsqu'il est debout, il peut
fléchir ses genoux pour se baisser et s'accroupir, puis inversement les étendre
pour se redresser, avec la plus grande aisance. C'est ici le lieu de vous rappeler
que, tout à l'heure, étant couché sur le ventre il a exécuté régulièrement les
mouvements de -natation, et en même temps nous relèverons par contre, que
prié par nous de se livrer à une danse qu'il connaissait fort bien autrefois, la
polka, il lui est impossible comme vous voyez, malgré toute la bonne volonté
qu'il y met, de répondre à notre désir.
Mais voici maintenant un dernier trait bien remarquable. Notre homme, je
le répète encore une fois, ne peut pas marcher tranquillement, posément,
comme tout le monde^, c est bien entendu, vous en avez été témoins. Eh bien,
depuis hier, à la suite de leçons ad hoc qui lui ont été données par un des
élèves du service, il est devenu capable de marcher à grands pas, emphati-
quement, à la manière d'un acteur jouant un rôle tragique. C'est ainsi désor-
mais qu'il procède dans les cours de l'hospice, pour se rendre d'un bâtiment
à l'autre, excitant, chemin faisant, conformément à une loi bien connue,
l'hilarité de tous ceux qu'il rencontre (1).
\. Il n'est pas hors de propos d'indiquer sommaire. iicnt cerlaincs anomalies qui s'observent
chez Ro..el, dans rcxéculion de certains mouvements des membres supérieurs et en particulier
— 350 —
Qui eût pu deviner, Messieurs, que les divers mécanismes relatifs aux mou-
vements de progression, tel f[uela marche, le saut, la danse, la nage, etc., etc.,
fussentaussiind(3pendantslcs uns des autres qu'ils paraissent l'ètred'après ce
qui précède, et aussi indépendants d'un autre côté de ceux qui président aux
mouvements vulgaires, non spécialisés des membres inférieurs? Un pareil
isolement, une seniblahle autonomie do fonctionnements en apparence aussi
connexes pouvait-il être prévu à /3?7o?'i? lividemment non. Que les choses
sont réellement ainsi, telle est cependant la conclusion qui s'impose en pré-
sence des faits que nous venons d'exposer et c'est un exemple de plus à citer
parmi ceux qui montrent qu'une analyse clini([ue délicate a souvent le pou-
voir de dégager des faits physiologiques, autrement condamnés à rester dans
le chaos. Lorsque la démonstration en est faite, il n'est plus aussi difficile,
sans doute, de comprendre comment l'une de ces fonctions pourra être
dérangée ou même complètement supprimée, alors que les autres, en tout ou
en partie, continueront à s'effectuer suivant les conditions normales. On ne
saurait oublier que l'enfant n'apporte en naissant que, la prédisposition à
exécuter les mouvements de la marche,, et que, pour arriver à opérer régu-
lièrement cet acte, il lui faut un long apprentissage. 11 lui faudra ensuite par
une éducation nouvelle, apprendre à sauter, à danser, à nager, etc., etc.,
comme il lui faudra apprendre à écrire, à articuler les mots. Tout cela ne
s'acquerra pas, tant sans faut, sans travail et sans efforts ; c'est dire anatomi-
quement et pliysiblogiquement qu'il devra organiser dans les centres nerveux
pourchacunde ces groupesde mouvemcntsspécifiés, systématisés, différenciés,
de la inain. Le inulaJe exi'cule pai'Iailcment à l'aide de ces membres et spécialement des doifjls
de la main les mouvements prénéraux qui lui sont prescrits. Pas d'incoordination, pas de tremble-
ment dans Taccomplissement de ces actes. Mais, au contraire, lorsque tenant la plume il veut
écrire, on voit qu'après avoir tracé quelquesmots, quelques lignes même, parfaitement lisibles et
régulières, il se met à ne plus tracer que des jambages informes, très courts, de plus en plus
rapprochés et qui finissent par se fusionner en une ligne tremblée. 11 est à remarquer que les
premières lignes de la page d'écriture, et les premiers mots de chaque ligne, ainsi que les pre-
mières lettres de chaque mot sont d'une manière générale les mieux tracés, comme si chaque
ligne, chaque mot, étaient pour lui un nouveau départ, une reprise. Il en est des chiffres et des
nombres comme de récriture, et si on lui fait, sur une page, dessiner une série de cercles en
lui disant do s'efforcer de les faire tous de même dimension, on s'aperçoit qu'à mesure qu'ils
se multiplient, ils deviennent malgi'é lui de plus en plus irréguliers et de plus en plus petits.
Ce désordre moteur relatif à récriture nous parait différer complètement de l'agraphie apha-
sique : dans celle-ci il y a perle des images motrices graphiques, des lettres et des mots. Le sujet
qui d'ailleurs a conservé dans les doigts de la main l'exécution normale de tous les mouvements
vulgaires, a perdu précisément et exclusivement la mémoire des mouvements qu'il faut faire
pour donner leur forme aux lettres et pour les assembler sous forme de mots. Chez notre
malade, au contrait-e, les images motrices graphiques subsistent dans toute leur intégrité, ainsi
que cela est démontré par cette circonstance qu'il est capable d'écrire correctement des lignes
entières, et que,^ toujours, le commencement des lignes est parfait. 11 ne s'agit pas non plus de
la crampe des écrivains où, après qu'on a tracé quelques mots, il survient dans certains
muscles de la main des crampes pénibles, qui font qu'on est obligé d'abandonner la plume.
— 360 —
autant de groupes cellulaires distincts, où résideront désormais les «mémoires
partielles » qui présideront à l'accomplissement de chacun de ces actes. Que
ces groupes cellulaires dont les éléments histologiques doivent être agencés^
coordonnés, en vue de la mise enjeu d'un mécanisme spécial, constituent véri-
tablement autant de centres fonctionnellementautonomes, c'est ce que démon-
trent justement les cas du genre de celui que nous avons sous les yeux,
puisqu'on y voit un de ces groupes plus ou moins profondément atteint sans
qu'il y ait participation aucune des autres.
II
La première fois que j'ai remarqué ce singulier syndrome que nous dési-
gnerons, si vous le voulez bien, sous la nom à'abasie — incoordination ou
impuissance motrice relative au mécanisme de la marche, — il se montrait
combiné à Vastasie — incoordination ou impuissance motrice relative à la
station debout — qui pendant un certain temps en a masqué la présence (1).
Vous ne devrez pas vous attendre, soit dit en passant, à rencontrer toujours
dans ce domaine-là, pas plus qu'ailleurs du reste, des formes absolument
pures, des types parfaits.
C'était, je crois, en 1877. 11 s'agissait d'un jeune garçon jusque-là parfaite-
ment bien portant ; il était tombé malade tout à coup, en conséquence de
l'émotion qu'il ressentit un jour que, dans la maison d'éducation où il faisait
ses études, il dut, devant Mgr l'évéque qui la visitait à l'occasion de je ne sais
quelle solennité, réciter quelques vers latins. Au sortir de la cérémonie, il se
coucha avec un grand mal de tête et éprouvant un grand affaiblissement dans
les membres inférieurs. Le lendemain matin, le médecin qui fut appelé trouva
l'enfant sans fièvre, mais dans l'impossibilité absolue de marcher et même de
se tenir debout ; cependant, la remarque en a été faite expressément, il pou-
vait,étant au lit, imprimer à ses membres tous les mouvements possibles, avec
la même force et la même précision que dans l'état normal. Lorsque le jeune
malade me fut amené je constatai également que, couché au lit ou assis, la
force musculaire et la coordination des mouvements était parfaitement con-
servées dans les membres inférieurs ; d'ailleurs pas d'exagération ni d'aboli-
tion des réflexes, aucun des symptômes pouvant révéler une h'sion organique
spinale. Cependant soulevé hors du lit, et soutenu par deux aides dans le
but de l'aider à se tenir debout, il ne savait imprimer à ses membres que des
1. Le3 termes ahasie et aslasie ont été pour la p^erT^i^l•e fois omployôs dans le sens où nous
les prenons ici par M. Blocq,/4/'c/i. de îieurologie,n°* 43 et 44, 1888. Us lui ont été suggérés par
M. Girard, membre de l'Institut.
— 301 —
mouvements bizarres, incoordonnés, contradictoires ; il se laissait « traîner »
et ne pouvait pas marcher : la station debout, lorsqu'on l'abandonnait à lui-
même, était d'ailleurs impossible. Je le fis placer dans un établissement hydro-
thérapi(pie des environs de Paris, où il vécut dans l'isolement,, séparé de sa
famille. Au bout d'un mois un grand changement s'opérait ; l'enfant ne mar-
chait pas encore, mais il pouvait se tenir debout et progresser en sautant
comme nnn pic, à cloche-pied, tantôt sur une jambe tantôt sur l'autre et c'est
ainsi que, pendant quinze jours, il parcourait toute la maison. Il pouvait éga-
lement marcher à quatre pattes et grimper même sur les arbres. A la fin du
deuxième mois, la guérison survint tout à coup. La marche redevint soudain
tout à fait normale. Ce fut comme une révélation. Ce fonctionnement compli-
qué qu'il avait désappris depuis deux mois, il l'avait réappris, en un instant.
Une rechute survint quatre ou cinq mois après, sans cause connue ;
l'impossibilité de se tenir debout et de marcher reparut exactement comme la
première fois. Cette fois la maladie n'a duré qu'un mois. La guérison depuis
s'est maintenue définitivement.
Ajoutés à cette observation, quelques autres faits du même genre que j'ai
observés depuis, sont devenus le point de départ d'une étude que j'ai publiée
en 1883, en collaboration avec mon élève M. Richer, dans le premier numéro
de la Medlctnacontemporanea{n'^ 1, p. 6), journal dirigé par le professeur Sem-
mola. Ce travail a pour titre : Sur une forme spéciale d'impuissance motrice
des membres inférieurs, par défaut de coordination relative à la station et
la marche. C'est le premier essai, si je ne me trompe, d'une description régu-
lière de l'astasie et de l'abasie, fondée sur la comparaison d'un certain nom-
bre d'observations ; mais je tiens à ne pas vous laisser ignorer que la première
mention du syndrome se trouve dans un ouvrage déjà ancien de M. le profes-
seur Jaccoud intitulé : Pcrap lé g ic et ataxie du mouvement (1). Là, sous la
rubrique : Ataxie par défaut de coordination automatique, l'auteur décrit un
trouble moteur consistant en ce que « les mouvements sont normaux lors-
« qu'ils sont exécutés dans la station couchée et assise ; ils ne deviennent
« ataxiques que dans la station debout et pendant la marche ; on voit alors
« des contractions involontaires troubler l'équilibre ou interrompre l'harmonie
« de l'acte fonctionnel, toutes les fois que la plante du pied touche sur le
« sol». M. Jaccoud semble penser qu'il s'agit ici delà mise en jeu d'une hyper-
kinésie morbide de la moelle par le contact de la plante du pied sur le
sol. Cette interprétation ne me paraît pas tout à lait fondée et je crois
même que les cas d'abasie pure, c'est-à-dire ceux dans lesquels la station
reste normale, la plante des pieds reposant cependant sur le sol, suffisent
pour la contredire absolument. Toutefois, si la théorie n'est pas acceptable,
1. Paris 1864, p. G53.
— 362 —
la description du complexus symptomatique,toute sommaire qu'elle soit, n'eu
est pas moins parfaitement exacte et vraiment saisissante.
Après cela, j'ai trouvé dans un ouvrage du professeur Weir-Mitchell, de
Philadelphie, sur les maladies du système nerveux chez la femme, publié
en 1885 (1), le passage suivant : « La malade conserve le libre usage de
« ses membres quand elle est couchée. Mais, debout ou à genoux, l'absence de
« coordination se manifeste immédiatement. La malade tombe alors d'un côté,
« cherche à se redresser, tombe en conséquence de l'autre côté... Les efforts
« dirigés dans le but de rétablir l'équilibre dépassant la mesure, il semble y
« avoir défaut dans l'action antagoniste normale des muscles... Cette form.e
« d'incoordination est relative seulement aux mouvements complexes, elle
« n'apparaît pas dans les cas de mouvements vulgaires des membres ; la
« faiblesse n'y est pour rien, car la malade, assise, montre une force consi-
« dérable. » Evidemment c'est bien de notre abasie qu'il s'agit ici et l'auteur
ne manque pas, du reste ,de différencier le syndrome des autres formes d'in-
coordination motrice avec lesquelles on pourrait le confondre et en particulier
de Tataxie hystérique décrite par Briquet (2) et par Lasègue (3), dans laquelle
le trouble moteur est sous la dépendance immédiate de Tanesthésie et de la
perte du sens musculaire et ne s'observe qu'alors que les malades sont privés
du contrôle de la vue.
Je suis revenu sur cette question de l'abasie dans mon enseignement de
1883-84 à propos d'une observation intéressante dont je reparlerai, et que
vous trouverez exposée et discutée dans le compte rendu de mes leçons
cliniques de cette année-là, publiées en langue italienne par le regretté
D"" Miliotti (4). Vous lirez également avec intérêt quelques faits relatés par
le D"" Erlenmeyer dans son travail sur les convulsions statiques réflexes, lesquelles
paraissent se rapporter au sujet qui nous occupe (5), et aussi un cas fort
intéressantquitrèscertainement s'y rapporte, consigné par le D'" Romei dans la
Gazettadegli ospitali en 1885 sous le nom de « paraplégie infantile du seul acte
de la marche (6). »
Mais le travail où vous trouverez les renseignements les plus complets sur
la matière est celui que mon ancien interne, M. le D"* Blocq, a écrit pour les
archives de neurologie de l'an passé. Nous y trouvons, en outre de quelques
observations personnelles à l'auteur, une discussion approfondie et une
1. Diseasesof nei'v. Si/st. in Women, Philadelphie, 1885, p. 39.
2. Traité de l'hystérie, p. 477.
3. Etudes. 1. 11, p. 25.
4. Gharcol, — Lezioni cliniche dell anno scolastico i883-i?4, rcdallc dal Doit. Dom. Mlliolli
Miliino, 188^j.
5. Erlenmeyer. — Ubrr stulische reflex Krampf, Loipsick, iS8y. p. 808.
6. S. Roinol Parapler/ia infantile net solo dlfo dctla ambulatione {Gazetla degli ospitoli. -
1885, no 70, p. 005.)
— 363 —
excellente mise au point de tous les documents qui se rapportent à la
question (1).
Tout récomment, ces jours-ci même, M. le i)rofcsseur Grasset a commencé
à faire paraître dans le MontpcUler médical, sur un cas d'hystérie mâle avec
astane-abasie, une série de leçons qui exciteront certainement un vif intérêt (2).
III
Actuellement, il ne sera pas hors de propos^ je pense, d'esquisser à gi*ands
traits quelques-uns des faits principaux de l'histoire de Vastasie et de l'abastp
telle qu'elle peut être constituée aujourd'hui d'après les documents, à la vérité
peu nombreux encore, qui sont en notre possession : soit une quinzaine
d'observations tout au plus.
Je rappellerai en premier lieu, l'absence cheztousles sujets où l'aflection se
présente dégagée de complications, d'une altération quelconque dans les
membres inférieurs, des divers modes de la sensibilité, y compris le sens mus-
culaire, des réflexes tendineux, de la nutrition des muscles, etc., etc., et
surtout l'absence d'un trouble quelconque dans l'exécution des mouvements de
ces membres, tant que le malade est couché ou assis. C'est seulement, je le
répète, loi'squ'il se lève, ou lorsqu'il veut se mettre en marche que le désordre
se manifeste; souvent^ le plus souvent peut-être, la station et la marche sont
aflectées simultanément et il peut arriver par conséquent, lorsque l'astasie se
montre complète, absolue, que Tabasie, comme je le faisais remarquer tout à
l'heure, à propos d'une observation particulière, reste pendant longtemps
masquée, dans l'impossibilité où l'on est de la mettre en relief; car, cela est
clair, l'impuissance absolue à se tenir debout entraîne nécessairement celle
de marcher.Mais rabasie,au contraire, peut se montrer parfaitement dans son
jour, quand J'astasie, ce qui se voit fréquemment, reste incomplète. Je ne crois
pas qu'il existe encore une seule observation dans laquelle les mouvements
spécifiés pour la station aient été seuls affectés, ceux de la marche restant
parfaitement indemnes. Mais, par contre, les faits d'abasie isolée, indépen-
dante de l'astasie^ ne font pas défaut, bien qu'ils paraissent rares, et justement
notre cas d'aujourd'hui peut être cité comme un exemple du genre. Après
cela, il importe, en manière de contraste, de faire figurer au premier rang,
dans la caractéristique du syndrome, la conservation souvent parfaite du sou-
venir des actes moteurs coordonnés pour le saut, la danse, la nage_, et autres
1. De l'astasie et de 1 abasie, Arch. de neurologie n»* 43-44, \%S6,
2. Montpellier médical du 17 mars 1889, n» 5.
4<.f
— 364 —
groupes de mouvements complexes associés en vue d'un but spécial pouvant
permettre au malade de se déplacer, de se transporter comme il l'entend d'un
point à un autre.
Un autre fait à relever maintenant, c'est que malgré l'unité foncière du syn-
drome, les phénomènes de l'abasie ou de l'astasie ne se manifestent pas tou-
jours dans la clinique sous le même aspect; à cet égard il y a à considérer
un certain nombre de groupes répondant à autant de types symptomatiques
distincts les uns des autres.
a. .Je signalerai d'abord les cas dans lesquels le malade qui, couché, exécute
cela est bien entendu, avec les membres inférieurs, tous les mouvements de
Tétat normal, se trouve, lorsqu'il veut quitter le lit, dans l'absolue impossi-
bilité de se tenir debout^ ne fût-ce qu'un instant, et s'afïaisse aussitôt sur
lui-même ; puis immédiatement après, ceux où, soutenu par deux aides, il
pourra se tenir debout, mais dans lesquels, aussitôt qu'il s'agira de marcher,
les membres resteront accolés l'un à l'autre, sans raideur toutefois, les pieds
ne se détachant du sol qu'avec peine. On dirait alors un très jeune enfant com-
plètement inexpérimenté encore dans l'exécution du mécanisme de la marche
qui, soutenu par sa nourrice, s'exerce gauchement à esquisser ses premiers pas.
Ces faits-là constitueront ce que j'appellerai, si vous le voulez bien, le groupe
paralytique ou paré tique, suivant le cas (astasie, abasie paralytique).
Dans les cas ci-dessus mentionnés, il semble que la fonction spéciale, mar-
che ou station debout, soit purement et simplement supprimée ou affaiblie,
vraisemblablement en conséquence d'une action d'inhibition sommaire ; il n'y
a pas, à proprement parler, perversion des actes moteurs, incoordination mo-
trice : on ne voit pas, en d'autres termes, les actes moteurs complexes mis en
cause, troublés dans leur fonctionnement par l'intervention de mouvements con-
tradictoires. Il n'en sera plus de même dans les deux groupes qui vont suivre.
6. Chez une malade à la fois astasique et abasique que j'ai observée en
1886 (1), — les mômes faits se sont reproduits chez plusieurs autres sujets du
même ordre que j'ai rencontrés depuis lors, — la station debout était à chaque
instant troublée par de brusques flexions du bassin sur les cuisses et des cuisses
sur les jambes, assez analogues à ce que Ton voit se produire lorsqu'une per-
sonne se tenant raide sur ses jambes reçoit à l'improviste un coup sec sur le
creux du jarret ; cela rappelait fort bien aussi ces effondrements {giving way
ofthe legs) qu'on observe si fréquemment chez les tabétiques dans la période
préataxique.
Dans la marche ces troubles atteignaient leur maximum. En efîet, à chaque
pas que fait la malade, dit l'observation, elle se baisse et se redresse alterna-
tivement par des mouvements brusques et rapides, et à mesure qu'elle avance
i. M. Blocq. toc. cif,, observation IX.
— 365 —
ces secousses se montrent de plus en plus violentes, de plus en plus précipitées.
Par moments il semble que, en raison de l'intensité de ces mouvements, elle
soit menacée de tomber à terre ; on la voit alors faire quelques pas en
arrière^ présentant l'apparence d'une personne qui s'étant butée à un obstacle,
chercheà reprendre son équilibre. Lessecousses dont il est question, rythmées
comme restellc-mcme la marche normale dont elles ne sunt, si l'on peut ainsi
parler, que la caricature ne consistent pas seulement en des mouvements suc-
cessifs d'abaissement et de redressement du tronc. Si on cherche à les ana-
lyser, on reconnaît bientôt ce qui suit : on voit, au moment même où la malade
se baisse^ les cuisses se fléchir sur les jambes et le tronc se fléchir sur le
bassin, la tête éprouvant par rapport au tronc, un mouvement de flexion et de
rotation, et les-avant bras se fléchissent à leur tour sur les bras. Il paraît clair
que ce sont ces mouvements de flexion exagérés et brusques des membres
inférieurs;, substitués à ceux de la marche normale, qui menacent à chaque
pas l'équilibre, occasionnent les mouvements du tronc, de la tête, des membres
supérieurs, et aussi ces mouvements de recul qui peuvent être considérés jus-
qu'à un certain point comme des actes de compensation. La malade en ques-
tion, comme les autres du même groupe, pouvait sans la moindre difficulté
sauter à pieds joints, à cloche-pied, marcher à quatre pattes, etc.,, etc.
Sous cette forme les mouvements anormaux des membres inférieurs, dans
la station et dans la marche, rappelleraient assez bien, en raison de leur ampli-
tude, les grandes gesticulations de certaines chorées ; mais ils s'en distingue-
raient immédiatement, vous l'avez compris, par cette circonstance qu'on les ver-
rait disparaître aussitôt que la malade cesserait de se tenir debout ou de mar-
cher. Jamais ils n'apparaîtront lorsque la malade est assise ou couchée. Ils
sont, en réalité, exclusivement liés en pareil cas au mécanisme de la station
et de la marche, conformément à la définition de l'astasie et l'abasie.
Pour distinguer les faits de ce groupe, je proposerai d'adopter la déno-
mination d'abasie choréiforme (type de flexion).
c. Enfin je désignerai souslenom (Vahasie Irépidante la forme dans laquelle
la marche est gênée par des mouvements d'exécution contraditoire qui rai-
dissent les membres inférieurs, et consiste en une sorte de piétinement, de
trépidation rappelant, mais avec exagération, ce que l'on voit dans certaines
paraplégies spasmodiques. Le cas qui fait l'objet de la présente leçon, ainsi
que celui qui vient d'être publié par M. le professeur Grasset, peuvent être
cités comme des types du genre.
Je ne prétends pas, remarquez-le bien, que la classification que je vous
propose d'adopter en ce moment épuise tous les modes possibles de l'abasie
et de l'astasie et doive être considérée comme délinitivement arrêtée. Loin de
là, je ne la considère que comme un premier essai, un plan provisoire; je
n'ignore pas en effet que sur ces matières nous n'en sommes encore, à beau-
coup d'égards, qu'à la période des études préparatoires. Mais je crois avoir
— 366 —
indiqué cependant les principaux points de repère, ou, si vous voulez, les
grands jalons autour desquels viendront se grouper naturellement les variétés
sans doute fort nombreuses qui pourront se piésenter dans la clinique.
!«. Paralytique ou Parétique.
( 4«> Choréiforme.
(b. Ataxique (avec incoordination \
motrice.) ( ^° Trépidante.
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'insister sur les caractères qui permet-
tront de distinguer cliniquement les troubles moteurs abasiques de ceux qui
se voient dans Tataxie locomotrice, la paraplégie spasmodique, diverses affec-
tions choréiformes, la paraplégie hystérique, etc., etc. Ce sont des points
que nous avons d'ailleurs touchés un instant, chemin faisant ; on ne saurait
d'un autre côté, confondre l'abasie, avec les diverses formes de spasmes fonc-
tionnels ouprofessionnels, comme vous voudrez les appeler, qui peuvent occuper
les membres inférieurs, tels que spasmes des gens qui travaillent à la machine
à coudre, des rémouleurs, des chorégraphes, par exemple. On ne saurait mécon-
naître cependant l'analogie assez étroite qui existe entre ces deux ordres de
faits dans lesquels on voit des mouvements anormaux apparaître exclusive-
ment à l'occasion de l'exécution d'un fonctionnement spécial. Mais il suffira,
pour la pratique, de remarquer que dans l'abasie il n'y a pas à proprement
parler de spasme et que dans certains cas même c'est un état paralytique ou
parétique qui est en jeu.
Le syndrome abasie s'observe surtout dans le jeune âge, entre 10 et 15 ans ;
mais il peut se présenter aussi chez des sujets âgés de 22 à 25 ans, ou beau-
coup plus tard, à l'âge de 41 ans, comme chez notre malade d'aujourd'hui ;
plus tardivement même encore à l'âge de 52 ans, ainsi que cela a eu lieu dans
une des observations recueillies par M. Blocq. Le sexe mâle paraît être affecté
presque aussi fréquemment que le sexe féminin. La plupart des sujets atteints,
qu'ils soient jeunes ou vieux, comptent parmi les prédisposés par hérédité à
contracter des maladies nerveuses. Les troubles moteurs abasiques se mani-
festent d'ailleurs chez eux, quelquefois tout à coup, en conséquence d'une
cause provocatrice telle qu'un traumatisme souvent fort léger, dans lequel
l'ébranlement psychique l'emporte de beaucoup sur l'ébranlement physique ;
ou encore dans la convalescence d'une maladie aiguë (}ui a profondément
débilité l'organisme, d'une fièvre typhoïde par exemple, des suites de couches
difficiles, ou encore de l'intoxication par l'oxyde de carbone comme cela s'est
fait justement, nous le dirons tout à l'heure, chez le malude ici présent.
Quelquefois l'abasie s'associe chez le malade à divers stigmates : hémianes-
thésie, rétrécissement du champ visuel, etc., qui révèlent manifestement l'exis-
— 307 —
tence chez lui de la nr'îvrose hystérique. Mais telle n'est pas la règle et bien
qu'il s'agisse encore, flans ces cas-hi, fort souvent du moins, d'hystérie, l'ataxie
abasi(|ue peut se montrer isolée, àtitre demanifostationmonosymptomatiquede
la névrose, au même titre que les divers bruits laryngés, certaines contractures
et tant d'autres phénomènes du même genre. Quoi qu'il en soit il n'est guère
douteux que dans la grande majorité des circonstances l'abasie relève d'une
lésion purement dynami(]ue. Mais il faut compter sur les anomalies possibles.
S'il est vrai, en efTet, comme tout porte à le croire, que les groupes cellulaires
divers qui président aux mouvements spécifiés pour la marche, la station, le
saut, etc., constituent dans l'axe cérébro-spinal autant de centres distincts les
uns des autres, on peut concevoir que chacun de ces groupes puisse être plus
ou moins gravement intéressé par une lésion organique. Mais, comme il est
vraisemidable qu'en pareil cas, la lésion ne sera pas étroitement localisée
dans tel ou tel des centres en question^ et s'étendra aux parties voisines, on
devra s'attendre à la voir se traduire pendant la vie, i)ar un ensemble de
phénomènes complexes parmi lesquels l'abasie ne jouant peut-être qu'un rôle
effacé, pourra être difficile à reconnaître.
Après cet exposé sommaire des faits, faut-il vous parler de théorie ? A cet
égard, Messieurs, nous n'aurions à vous offrir que des vues hypothétiques
plus ou moins vraisemblables ; rien de parfaitement établi ; vous trouverez
d'ailleurs les considérations que j'ai présentées à plusieurs reprises dans mon
enseignement sur cette question-là, développées avec talent dans le travail
de M. Blocq (1). Je me bornerai ici à relever que, suivant toute probabilité,
les divers appareils relatifs à l'exécution des mouvements de la station, de la
marche, du saut, etc., comportent chacun deux centres ou groupes cellulaires
différenciés dont l'un siège dans l'écorce cérébrale, tandis que l'autre
réside dans la moelle épinière ; ces deux centres étant reliés l'un à l'autre ,
bien entendu, par des libres commissurales. Le groupe spinal, le plus
compliqué des deux, sans aucun doute, est chargé de l'exécution automa-
tique, inconsciente des actes coordonnés pour l'accomplissement de chaque
fonction; tandis que le rôle relativement beaucoup plus simple du groupe
cortical consiste dans l'émission volontaire des ordres prescrivant tantôt la
mise en jeu, tantôt l'accélération ou le ralentissement, tantôt enfin l'arrêt
définitif des actes exécutés par le groupe spinal correspondant. Dans celui-ci,
en d'autres termes, réside Isunthnob^e psychologiquf' des actes sommaires qu'il
faut prescrire soit pour mettre en jeu l'appareil, soit pour en arrêter le
fonctionnement, tandis ([ue la mémoire organiqui', qui préside à l'exécution,
dans tous leurs détails, des mouvements prescrits réside, dans celui-là. Vous
voyez par là que, dans chaque cas particulier, il y aura à se demander si
1. Bloeq, loc cit.
— 368 —
raffection qui vient troubler raccomplissement du fonctionnement normal
doit être cherchée dans l'encéphale ou, au contraire, dans la moelle.
Je compare quelquefois les groupes cellulaires spinaux relatifs à la marche
au saut, à la danse, etc. , aux rouleaux hérissés de pointes des orgues de Barbarie ;
à la disposition variable, pour chaque rouleau, ou, pour chaque partie d'un
rouleau, de ces pointes qui actionnent les flûtes, correspondent des airs diffé-
rents ; les groupes cérébraux, corticaux, seraient, dans cette comparaison,
représentés par les ressorts qu'il suffit dans l'orgue de déplacer d'une certaine
façon pour mettre en action tel ou tel rouleau ou, au contraire, pour en
suspendre le mouvement. C'est ainsi que, dans la marche par exemple, le
centre spinal, correspondant au jeu de ce mécanisme complexe, une fois
activé par le centre cortical, continuera à agir « automatiquement » jusqu'à
ce que survienne l'ordre d'arrêt. On comprend que, dans un appareil de ce
genre, le fonctionnement vicieux puisse provenir d'un changement survenu
soit dans l'organe de la mise en jeu, soit dans l'organe d'exécution. Mais je ne
veux pas insister sur cette comparaison qui ne saurait avoir d'autre prétention
que de vous présenter dans une image aisée à concevoir un agencement
de faits complexes autrement difficile à se représenter mentalement.
IV
Il est temps d'en revenir maintenant à l'étude du cas particulier qui fait
l'objet de la leçon d'aujourd'hui. Nous avons décrit le syndrome à propos
duquel le malade est venu nous consulter et nous avons cherché à le classer, à
le catégoriser. Il convient maintenant de vous faire connaître les circonstances
au milieu desquelles il s'est manifesté, quel a été, en particulier, dans son
développement, le rôle de l'intoxication oxy-carbonée qui, ainsi que je
vous l'ai (lit en commençant, s'est produit antérieurement. C'est ce que nous
rechercherons tout d'abord.
Ro...el, pour le moment employé à l'imprimerie Chaix, gagne environ
6 francs par jour. Il occupe, au dernier étage de la maison qu'il habite, une
petite chambre placée immédiatement sous les toits, sans cheminée et qui ne
reçoit l'air ainsi que le jour que par une croisée à tabatière. Le 15 novembre
dernier, se sentant fatigué, malade, enrhumé, il rentra chez lui de bonne
heure, et sur un réchaud de charbon qu'il alluma, il prépara de la tisane.
Après l'avoir bue, comme il faisait très froid, il ferma le châssis de sa fenêtre
sans avoir pris la précaution d'éteindre le réchaud, puis il se coucha et s'en-
dormit... Trois jours après, il se réveillait dans un des lits de l'Hôtel-Dieu,
fort étonné de s'y voir.
Vous comprenez, sans qu'il soit nécessaire d'insister, ce qui s'est produit là;
- 300 —
il y a eu intoxication oxy-carbonée poussée à un haut degré. Cependont, cette
perte de conscience prolongée pendant une période de trois jours, peut-elle
être considérée comme a[)partenant entièrement au coma qui relève de
l'asphyxie par la vapeur de charbon ? Je ne le crois pas : cet état comateux
autant qu'on sache, ne persiste pas, en général, pendant plus de huit, dix,
douze heures après lesquelles on en guérit ou on^'en meurt ; mais il peut être
suivi par un état d'amnésie relevant, lui aussi, de l'intoxication et qui a été dans
ces derniers temps étudié avec soin par quelques auteurs, en particulier, par
MM. de Beauvais, Bouchereau, Briand et quelques autres. Cette amnésie qui,
dans certains cas, peut avoir le caractère rétrograde, c'est-à-dire faire oublier
au malade les circonstances qui ont préparé l'asphyxie, et qui peut aussi entraî-
ner avec elle une sorte de démence temporaire, s'étend quelquefois à plusieurs
semaines.
Évidemment, quelque chose de ce genre s'est produit chez notre homme;
nous possédons d'ailleurs à cet égard des renseignements significatifs. Ainsi,
un jeune garçon de sa connaissance ayant été le troisième jour de son
séjour à l'hôpital, le voir pour prendre de ses nouvelles, il lui a parlé sans le
reconnaître, et a, d'ailleurs, complètement oublié, depuis, la visite qui lui
avait été faite. Il n'a conservé, du reste, qu'un souvenir assez vague de tout ce
qui s'est passé les quelques jours qui ont suivi. C'est donc assurément de
l'amnésie oxy-carbonée qu'il s'est agi ici et cette amnésie appartient bien et
dûment à la nosographie de ce genre d'intoxication. Peut-on en dire autant
des autres accidents nerveux, et en particulier de l'abasie qui se sont, par la
suite, produits chez notre malade? Il n'en est rien, pensons-nous, mais pour
légitimer cette assertion il nous faut passer rapidement en revue les diverses
afïections du système nerveux qui peuvent être considérées comme relevant
directement de l'agent toxique oxy-carboné, comme créées de toutes pièces
par son action délétère sur l'organisme.
A la vérité, nous ne sommes pas encore parfaitement renseignés sur tous
les points qui concernent cette question-là. On peut tenir cependant pour défi-
nitivement acquis les faits qui suivent : dans l'intoxication par l'oxyde de
carbone, il y a à relever des accidents immédiats parmi lesquels figurent le
coma, puis l'amnésie dont il a été question tout à l'heure ; certaines ancsthésies
absolues occupant les mains et les pieds dont M. le D"" Brissaud a fait une inté-
ressante étude dans sa thèse d'agrégation, et enfin des paralysies périphériques
dont nous devons la dopcription aux importants travaux de MM. Bourdon, l'ini-
tiateur dans la matière (l),Leudet (2), Rendu (3),Lanrereaux (4) et quelques
1. Bourdon. Thèso inaugurale 1843.
2. Leudet. Arch. gén. de médecine 1865, puis, travail lu à l'Académie de médecine 1883
3. Rendu, Société médicale des Hôpitaux 13 janvier 1882.
4. Lancereaux, Union médicale 16 et 19 février 1889.
— 370 —
autres. L'observation communiquée à la Société médicale des hôpitaux par
M. Rendu est, au point de vue clinique, particulièrement intéressante à con-
sulter. Les paralysies en question sont, tantôt des monoplégies, comme cela s'est
vu dans le cas de M. Litten, récemment publié par leProgrès médical (i) ou des
hémiplégies dans lesquelles il peuty avoir participation de laface, ainsi que cela
avait lieu dans l'observation de M. Rendu. Ce sont, en tout cas, des paralysies
avec flaccidité, accompagnées de gonflement, d'empâtement des parties
molles, de coloration rouge ou violacée du tégument, des altérations décrites
sous le nom de peau lisse, de la formation de bulles pemphigoïdes, de vési-
cules d'herpès ou d'autres troubles tiophiques encore. On s'accorde assez
généralement à faire dépendre ces paralysies et les troubles trophiques con-
comitants de l'existence de névrites périphériques. Elles paraissent se terminer
à peu près toujours par la guérison dans un court espace de temps.
Un second groupe comprend des troubles cérébraux apparaissant tardive-
ment, à longue échéance^ un mois peut-être après l'accident qui a déterminé
l'asphyxie, à une époque où le sujet paraissait avoir complètement récupéré
sa santé. On voit alors à celte époque survenir inopinément de l'apathie, de
l'embarras de la parole, des paralysies motrices des membres avec ou sans
contracture; plus tard de la stupeur et enfin le coma précédant la termi-
naison fatale. Ces accidents-là ont été surtout étudiés en Allemagne (2). Ils
sont la conséquence de ramollissements partiels souvent symétriques de la
substance cérébrale, siégeant plus particulièrement dans les noyaux lenticu-
laires et dont un des caractères est de ne pas être subordonné à une lésion
des parois artérielles.
A cela se bornent, pour le moment, nos connaissances précises relative-
ment aux afïections du système nerveux qui peuvent survenir en conséquence
de l'intoxication par l'oxyde de carbone. 11 est toutefois une maladie nerveuse
dont on pouvait s'attendre qu'elle viendrait un jour ou l'autre prendre sa
place ici. On sait aujourd'hui,, par de nombreuses observations, comment les
intoxications, alcoolique saturnine, sulfo-carbonée,etc peuvent occasionner le
développement de la névrose en question. Il était à prévoir qu'il en serait de
même de l'intoxication oxy-carbonée, et justement notre observation pourra,
si je ne me trompe, être citée désormais comme un exemple du genre. Seule-
ment, vous avez compris que l'hystérie développée en pareille cii'constance,
ne saurait appartenir à la nosographie de l'intoxication par l'oxyde de car-
bone au même titre que les amnésies, les paralysies par névrite périphérique,
ou les ramollissements cérébraux dont nous parlions tout à l'heure ; de ces
dernières affections, on peut dire qu'elles relèvent immédiatement de l'action
i . P. 130, 1889.
2. Voir les Iravaiix de Simon, Arch. fur Psychiatrie, t. I; Klebs. Yirch. Arch. Bd. 32. 18C8;
Volchen, Berliner Klein. Woch.
— 371 -
exerc(3C sur l'organisme par l'agent toxique et qu'elles ont véritablement été
créées par lui, tandis que celui ci, dans le cas de l'hystérie, ne saurait être
considéré que comme une cause occasionnelle qui [»rovoque accidentellement,
en quelque sorte comme le ferait par exemple un traumatisme, la manifes-
tation de la névrose chez un sujet prédisposé. Les amnésies, les paralysies
en question, méritent véritablement, [>ar conséquent, d'être qualifiées du nom
d'oxy-carbonécs pour bien marquer la dépendance étroite où elles sont vis-à-
vis de l'action toxique, tandis que l'hystérie, pour s'être développée à la suite
et en conséquence de lintoxication, n'en conserve pas moins son individualité
propre et son indépendance: elle n'est pas pour cela modifiée en rien d'essen-
tiel ; elle reste après l'application de la cause toxique ce qu'elle eût été, si elle
se fut développée spontanément, variable dans ses formes, mais toujours la
même au fond.
C'est ici le lieu, je pense, de vous faire connaître les antécédents tant héré-
ditaires que personnels de notre malade. Ils sont les uns et les autres parfaite-
ment significatifs ainsi que vous allez le voir.
Son père s'est suicidé par pendaison. Cela a été, paraît-il, un suicide par
amour. Il était adonné aux boissons alcooliques qu'il prenait fréquemment en
grand excès. Il rentrait souvent ivre à la maison et alors, se livrant à de vio-
lentes colères, il cassait tout chez lui. Devenu veuf il s'amouracha d'une
femme qui l'abandonna bientôt, et c'est le désespoir que lui causa cet abandon
qui le conduisit au suicide.
Le malade connaît mal ses parents du côté paternel ; sur leur compte il ne
peut rien dire de précis.
Sa mère n'était pas nerveuse ; elle est morte à 60 ans, hydropique.
Une sœur de sa mère a été internée à l'asile d'aliénés de Saint- Yon, près
Rouen. Les autres oncles ou tantes du côté maternel ne sont pas connus.
Ro...el a eu neuf frères et deux sœurs, la plupart morts en bas-âge. Il ne
lui reste plus qu'un frère. Ce frère s'est fracturé plusieurs fois l'une des cuisses
sous l'influence de causes banales, insuffisantes à produire de tels résultats
dans les conditions de l'état normal. Il éprouve depuis quelques années dans
les membres inférieurs, des douleurs très violentes, apparaissant brusquement
et revenant sous forme d'accès : parfois si ces douleurs le prennent pendant
qu'il marche, les jambes fléchissent tout à coup, involontairement et il est
menacé de tomber à terre. Il n'est guère douteux qu'il s'agisse là d'une afl'ec-
tion tabétique.
Ce frère a eu six enfants dont quatre sont morts en bas-àge. L'une des
50
— 372 —
fillettes qui ont survécu, âgée aujourd'hui de onze ans et demi, est sujette à
des crises de nerfs, pendant lesquelles elle se débat très fort. On" dit que la
première crise se serait produite à la suite d'une peur ?
Il ne sera peut-être pas hors de propos en manière de résumé de placer
devant vous un tableau synoptique où vous pourrez embrasser d'un seul coup
d'œil les principaux faits de l'histoire pathologique de cette famille, où la
mort prématurée a sévi tant de fois, et dont les membres qui ont survécu
portent avec eux pour la plupart une tare nerveuse plus ou moins accentuée :
PÈRE
Alcoolisme — Suicide par amour (?)
Pendaison.
H enfants morts en bas âge.
MÈRE Tante
0 Aliénée — Internée dans
un asile.
Frère Notre malade
Ataxique. hystérique abasique.
6 enfants
4 morts en bas âge.
1 fille
hystérique.
Les antécédents personnels ne sont pas moins riches de faits intéressants.
Etant enfant, vers l'âge de 5 ans Ro...el eut une nuit, pendant son sommeil
— j'expose ici son propre récit — « une grande peur ». Il se vit en rêve, cou-
ché au pied d'un mur élevé qui se présentait à sa gauche. Il était étendu sur
le dos et regardait avec étonnement cette muraille qui lui paraissait énorme,
lorsque tout à coup par-dessus la crête il aperçut l'extrémité d'une échelle
dressée de Tautre côté. Sur l'échelle se présenta un homme, au visage ensan-
glanté, portant dans ses mains un pavé énorme qu'il lui laissa lomber sur la
tête... Le malheureux enfant se réveilla en sursaut, tout épouvanté. A partir
de cette époque, pendant une longue période de huit ou dix ans, presque toutes
les nuits, ce même cauchemar se reproduisit toujours à peu près à la même
heure, avec une régularité presque mathématique. A peine Ro...el s'était-il
endormi que la muraille se dressait sur sa gauche, puis apparaissait l'échelle,
puis l'homme à la face couverte de sang, et enfin le pavé venant frapper sa
tête : à ce moment là, il se réveillait poussant des cris affreux, et sa mère
accourait pour le tranquilliser. J'appelle votre attention sur ces rêves terri-
fiants, reproduisant toujours la même scène, stéréotypés en quelque sorte,
qui viennent parfois avec une régularité implacable troubler le sommeil. On
les voit figurer souvent chez les enfants issus de nerveux cl qui ont été eux-
mêmes, plus tard, victimes de maladies nerveuses diverses.
A partir de l'âge de 14 ans, il est devenu sujet à des migraines qui le font
beaucoup souffrir et qui reviennent à peu près tous les dix ou quinze jours.
Elles ne durent pas plus de vingt-quatre heures.
— 'M'A —
C'est un homme intelligent; bien qu'il n'ait fréquenté l'école que jusqu'à
l'âge de 15 ans, il s'est acquis une certaine instruction. Il a même des goûts
littéraires assez élevés, et certaines tendances poétiques, surtout dans le genre
élégiaque. Dans sa petite bibliotli(';que, figurent les œuvres de Chateau-
briand, de Molière, de Lamartine, et surtout d'ilégésippe Moreau, dont il
aime à apprendre par cœur certaines tirades.
Il est timide, impressionnable, craintif ; d'une complexion délicate. Il a dû
quitter presque aussitôt, après l'avoir embrassée, la profession de serrurier en
bâtiments, parce que le métier était trop dur pour lui et que, d'ailleurs, il
était sujet à éprouver de terribles vertiges lorsque travaillant, à une certaine
hauteur, il devait passer sur une planche étroite. C'est à partir de ce moment-
là qu'il a commencé à travailler dans une imprimerie
C'est un original, vivant assez retiré. 11 est célibataire et paraît n'avoir
jamais eu l'envie de se marier.
Malgré tous ces indices qui accusent suffisamment ses tendances neuropa-
thiques, il n'avait jamais été véritablement malade, lorsqu'il y a trois ans il
éprouva un profond chagrin qui « remua tout son être ». Son meilleur ami,
celui chez lequel il avait placé toute son afîection, toute sa confiance et qu'il con-
sidérait comme le plus honnête homme du monde, fut surpris en flagrant délit
de vol et condamné à deux ans de prison. A la suite du choc moral qu'il res-
sentit ^ans cette circonstance, sa santé fut complètement bouleversée ; depuis
lors, dit-il «je ne suis plus le même homme qu'autrefois ». De fait il est devenu
morose et cherche la solitude. Souvent le soir, lorsqu'il rentre chez lui après
son travail, il sesentenvahi par une grande tristesse et éprouve un malaise indé-
finissable. « Je sens alors mon cœur qui se serre^ dit-il, je me sens suffoqué,
puis tout à coup je pleure abondamment, après quoi je me sens soulagé. » Ces
espèces de crises le prennent fort souvent ; il lui arrive journellement de
pleurer, à la moindre émotion. « Quand j'entends lire un passage pathétique,
je me mets à sangloter ».
A ces troubles divers, il faut ajouter un sentiment de grande faiblesse ; il est
devenu apathique^, sans entrain, sans courage et travaille lentement.
Il y a quelques mois, un jour qu'il traversait une place, il fut pris du
malaise dont il a été question tout à l'heure^ puis de sufTocation. Bientôt sa
vue se troublaetil s'affaissa sans connaissance. On dut le transporter chez lui.
Lorsqu'il reprit ses sens, il pleura abondamment et la crise cessa. Ces atta-
ques avec perte de connaissance n^ont pas reparu depuis cette époque. Mais
il est toujours resté fort sujet à ces accès de tristesse et à ces « petites crises
de nerfs » pendant lesquelles il suffoque et verse des torrents de larmes.
Telle était la situation, lorsque survint l'asphyxie du 15 novembre. Nous en
sommes restés, vous ne l'avez pas oublié, dans l'exposé des suites de cet acci-
dent, au moment où le malade, après une période amnésique que nous avons
— 374 —
considérée comme relevant de l'intoxication par l'oxyde de carbone, revient
définitivement à lui.
Il s'aperçoit alors qu'il portait sur chacune des jambes, à la partie externe
des mollets, une brûlure profonde, produite par l'action de sinapismes quilui
avaient été appliqués pendant la période comateuse. Ces brûlures avaient
été recouvertes d'un pansement fixé à l'aide d'un certain nombre de tours de
bande. Or il raconte, remarquez bien cela, qu'à la vue de ces plaies larges et
profondes, qui guérissaient difficilement et des pansements qui les recou-
vraient, il lui vint dans l'esprit que peut-être il en avait pour toute sa vie, et
qu'il était fortement menacé de ne plus pouvoir marcher. « J'avais la tête
très faible^ dit-il, en ce moment et nuit et jour j'étais obsédé par cette idée
que je ne pourrais plus marcher. C'était devenu une idée fixe. »
Cependant il commença à se lever le deuxième jour après l'accident, et il
put se promener un peu dans les salles de Thùpital. Mais il se sentait très
faible des jambes et il y éprouvait une certaine raideur. Néanmoins, cinq
jours après, il put quitter l'hôpital et, les jours qui suivirent, bien que ses
« mauvaises idées » lui revinssent de temps en temps, il se sentait un peu ras-
suré sur les suites de son asphyxie, en voyant qu'il était capable de faire, sans
trop de peine, d'assez longues courses.
Mais voilà qu'un certain jour, le 10 décembre 1888 — l'asphyxie avait eu lieu
vingt-cinq jours auparavant — il se rencontre dans la rue, sur un trottoir, face
à face, avec un homme qui marchait en sens inverse. Il s'arrêta tout à coup
et se détourna pour lui livrer passage * mais quand il voulut reprendre sa
route, il s'aperçut, non sans en éprouver une grande émotion, qu'il lui était
devenu impossible de marcher «comme tout le monde ». Il piétinait sur place
absolument comme il le fait aujourd'hui. Gela ne dura cette fois que quelques
secondes ; mais les jours suivants le même phénomène se reproduisit de temps
à autre, d'abord seulement à Toccasion de la rencontre d'un obstacle, puis
spontanément, sans cause apparente. Cette difficulté à marcher, ces tressau-
tements sur place, ces trépidations se répétèrent de plus en plus fréquemment
et_, en fin de compte, Ro...el devint absolument incapable, à un moment donné,
de sortir dans la rue sans le secours d'un aide. Bientôt, l'abasie trépidante
telle que nous l'avons décrite en commençant était définitivement constituée ;
elle s'était établie en quelque sorte en permanence et c'est alors (jue le malade
s'est présenté à la Salpêtrière pour im[)lorer notre secours.
Je n'ai pas voulu omettre, Messieurs, dans ce récit, un seul des incidents,
quel([ue insignifiants qu'ils aient pu vous paraître, qui se sont produits chez
notre homme à partir du jour où a eu lieu l'asphyxie. Par là j'ai voulu vous
mettre à môme d'apprécier par vous-même le rôle éminent ([u'adû jouerchez
lui l'élément « psychi([ue », dans le développement des symptômes abasiques.
N'oubliez pas les précédents : à l'origine des choses, tares héréditaires névro-
- Mo ^
pathiques foii accentuées ; les dispositions nerveuses du sujet se révèlent en
conséquence dès l'enfance, par des [>hénornènes d'ordre pathologique à savoir
les terreurs nocturnes, les cauchemars persistant durant plusieurs années
et par ces tristesses sans motifs, ces attendrissements faciles, ces tendances
poétiques même qui, sans dépasser les limites de l'état physiologique, mar-
quent cependant un acheminement vers les frontières de la maladie. Ces fron-
tières sont décidément franchies à la suite du '< chagrin de cœur >> qu'il a
ressenti si vivement il y a trois ans et qui Ta si profondément ébranlé à la
fois physiquement et moralement. Alors l'état morbide s'est décidément cons-
titué et la forme névropathique qu'il a revêtue n'est point difficile à caracté-
riser : crises de sutTocation suivies de larmes, revenant presque tous les jours
et éclatant au milieu d'accès de tristesse profonde qui le portent à recher-
cher la solitude, et pendant lesquels, fréquemment, il éclate en sanglots. Une
fois se produit une véritable attaque de nerfs précédée d'aura et accompa-
gnée de perte de connaissance.
Il n'est pas nécessaire d'insister ; évidemment, bien qu'il n'y ait point là de
stigmates, pas d'anesthésies sensorielles ou sensitives, pas de plaques hypé-
resthésiques, c'est la névrose hystérique qui est en jeu.
C'est au milieu de ces circonstances, en quelque sorte préparatoires, que
l'intoxication oxy-carbonée, en produisant dans cet organisme déjà si forte-
ment ébranlé une perturbation plus profonde encore des centres nerveux, est
venue fournir en quelque sorte le dernier appoint ; c'est alors, dans la conva-
lescence de la maladie toxique, que sont apparus les symptômes abasiques
qu'il faut considérer maintenant comme relevant non pas de l'intoxication
mais bien de la diathèse hystérique dont ils sont, cela est vrai, une manifes-
tation rare, peu connue encore, mais parfaitement caractérisée, cependant,
nosograp hiquement .
On peut aller plus loin, pensons-nous, et chercher à pénétrer, jusqu'à un
certain point du moins, le mécanisme suivant lequel ce singulier syndrome
s'est produit, et pourquoi c'est celui-là qui est apparu de préférence à toute
autre détermination hystérique.
N'oubliez pas que notre malade était déjà, avant l'asphyxie, sous le coup de
la diathèse hystérique et remettez-vous en mémoire les caractères que pré-
sentait son état mental au moment où sortant du coma d'abord, puis après
cela de l'amnésie toxiques, il a repris, à peu près mais bien imparfaitement
encore sans doute, la possession de lui-même. X'était-il pas psychiquement
dans des conditions particulièrement favorables soit aux «suggestions» venant
du dehors, soit aux « autosuggestions », au même titre que les prédisposés
à la suite d'un ébranlement traumatique, collision de chemin de fer, ou tout
autre. « J'avais la tête très faible », dit-il en rappelant les souvenirs de cette
époque; j'ai cru en me sentant si déprimé et en voyant les grandes plaies qui
couvraient mes jambes et ne guérissaient point que, désormais, je ne pouvais
— 370 —
plus marcher ; c'était chez moi comme une ide'e fixej'y pensais nuit et jour.»
D'ailleurs la douleur produite par les plaies, la gêne et le sentiment de cons-
triction, occasionnés par les appareils de pansements, semblaient à chaque
instant, avec la faiblesse réelle des membres inférieurs, venir corroborer cette
idée qui, au moment où le hasard lui a fait dans la rue rencontrer un obstacle,
a pris chez le malade le caractère d'une image « forte » et s'est objectivée sous
la forme de l'abasie. C'est là en somme, vous le reconnaissez, le mécanisme
que nous avons bien des fois invoqué pour expliquer le développement de
ces «paralysies i^sy chiques » ^« dépendent on Idea» comme les appelle Reynolds,
qui, chez les sujets doués des aptitudes morbides que confère la diathèse
hystérique, se produisent en conséquence d'un ébranlement traumatique, d'une
émotion vive ou encore d'une préoccupation obsédante.
Mais, me direz-vous, pourquoi, dans un cas, est-ce l'abasie qui se manifeste,
tandis que dans un autre ce sera la paraplégie avec le concours des troubles
plus ou moins accentués de la sensibilité qui en général l'accompagne? A cela,
je suis obligé de l'avouer, je me vois fort embarrassé de répondre catégori-
quement. Peut-être, veuillez le remarquer, n'y a-t-il pas si loin de la para-
plégie hystérique totale, qui embrasse, et annihile pour un temps tous les
modes d'activité . motrice et sensitive des membres inférieurs, à l'abasie qui
par une sorte d'analyse ou de dissection, comme vous voudrez dire, n'attaque
et ne compromet que ceux des mouvements de ces membres, qui sont spécia-
lisés pour un genre particulier de fonctionnement : la marche. Je relèverai
d'ailleurs, et c'est par là que je terminerai, que, chez les sujets capables
d'entrer dans le grand hypnotisme, on peut, ainsi que Fa rappelé M. Blocq
dans son intéressant travail, produire expérimentalement, pour ainsi dire à
volonté, suivant la nature de l'injonction, tantôt l'abasie et tantôt, au con-
traire,, la paraplégie complète. D'après les résultats obtenus dans ces expé-
riences, il y a lieu de penser, dit M. Blocq — et, à cet égard, je suis complè-
tement de son avis — qu'en pareil cas l'injonction « tu ne peux plus marcher»
suggère, chez le sujet, l'idée d'une impuissance motrice complète, portant sur
l'ensemble des mouvements des membres inférieurs, et de fait se manifestant
])ar une paraplégie plus ou moins absolue ; tandis que la sentence « tu ne sais
plus marcher» suggérera seulement l'idée d'une impuissance relative, limitée
aux mouvements de la marche et dont l'incoordination abasique sera en
quelque sorte la traduction clinique. C'est ainsi que dans ce domaine où l'élé-
ment psychique d'idéation joue évidemment un rôle considérable, à des varia-
tions à peine accentuées qui nous paraissent représenter des nuances fort
délicates, répondront peut-être, dans la réalisation objective, des phénomènes
en apparence séparés par des différences radicales.
J'en viens maintenant à ce qui concerne le pronostic : à en juger par ceque
nous savons de l'histoire naturelle de l'incoordination motrice abasique, notre
- 377 —
homme doit guérir et pout-<Hre guérira-t-il promptomont: je craignais même,
je vous l'avoue, ces jours-(ù, que cette heureuse solution ne se manifestât trop
rapidement, avant la leçon, de telle sorte que j'aurais été ainsi privé du plaisir
de vous rendre témoins, de visu^ d'un syndrome fort original et qui du reste
paraît être assez rare. C'est qu'en effet, il s'agit ici d'une lésion purement
dynami([ue, car rien ne permet de supposer que, par exception, l'ahasie relève
chez lui d'une lésion organique. Il bénéficiera donc du caractère purement
hystérique de l'affection, et, laissant de côté les réserves qu'il convient tou-
jours de faire, en pareille matière, surtout quand il s'agit de l'homme — je
le répète une fois de plus devant lui, dans l'espoir qu'il appréciera l'impor-
tance de ce verdict favorable : il guérira.
Il guérira, vous l'entendez bien, de l'accident local, du syndrome; je ne
parle pas ici pour le moment de la maladie tout entière.
Qu'allons-nous faire pour l'y aider? Les toniques et l'hydrothérapie con-
tribuerontà relever lesforccs prostrées. Simultanément, contre l'accident déter-
miné par « auto-suggestion » nous emploierons « la suggestion » de sens con-
traire, soit à la faveur de l'hypnotisation si celle-ci est praticable, soit, s'il en
est autrement, tout simplement à l'état de veille, et, dans ce dernier cas,
après que le malade aura été pleinement rassuré sur l'issue des événements,
il s'agira surtout, vous l'avez compris, de le rééduquer, de lui apprendre à
nouveau ce qu'il a désappris. Et, pour en venir là, nous ferons tous nos efforts
pour réveiller chez lui, par tous les moyens possibles, la représentation
mentale, à la fois visuelle et motrice, des mouvements de la marche normale.
•oco. deiaSoo. daTyo. - T^oiiet. 8. r. Camya^i-.e Prainiira. l'an*.
Policlinique du Mardi 12 Mars 1889
DIX-SEPTIÈME LEÇON
l^'^ Malade. — Nouvel examen du malade atteint d'abasie
trépidante présenté dans la dernière leçon.
2^ Malade. — Chez une femme : paraplégie alcoolique avec
rétractions fibro -tendineuses.
3' et 4^ Malades. — Hystérie et dégénérescence chez Thomme.
Messieurs,
Je vous présente de nouveau le sujet atteint d'abasie trépidante, qui a fait
l'objet de la leçon de mardi dernier. Cet homme guérira, vous disais-je.
ou, pour parler plus exactement, les troul)les abasiques qui font son tour-
ment disparaîtront rapidement, très rapidement peut-être et même j'expri-
mais devant vous la crainte qu'ils ne disparussent un peu trop tôt, de façon
à vous priver de l'avantage de les étudier à loisii', de visu. Eh bien, Messieurs,
nos prévisions se sont on grande partie réalisées, car aujourd hui, ainsi que
vous pouvez le constater, et cela date de quelques jours déjà, notre homme
peut marcher normalement ou peu s'en faut ; la propulsion trépidante
ayant à peu près complètement disparu.
Veuillez remarquer toutefois que lorsqu'il se met à marcher, il y a au départ
encore pas mal d'hésitation et que lorsqu'il veut tourner sur lui-même on
voit reparaître à un certain degré cette trépidation qui autrefois s'étendait
à tous les mouvements de la marche. Elle se manifeste encore lorsque, pen-
dant qu'il marche, on vient inopinément le pousser par derrière. En somme,
le résultat observé n'est pas encore absolument parfait puisque le trouble
moteur se retrouve, à un certain degré, dans certains actes relatifs à la
marche ; mais ce qui est obtenu déjà se perfectionnera rapidement, je l'espère,
et peut-être pourrai-je dans quelques jours vous montrer le malade compté-
— 380 —
tement débarrassé de ces troubles de la marche qui, jusqu'à aujourd'hui,
n'avaient pas cessé même un instant d'exister durant une période d'environ
trois mois.
Vous me demanderez maintenant de vous dire comment ce résultat important
a pu être obtenu? Je vous rappellerai qu'en terminant la dernière leçon j'ins-
sistais sur ce fait que, du moment où î'abasie chez notre sujet reconnaissait
pour point de départ une cause psychique ayant agi suivant le mécanisme de
l'auto-suggestion, c'était particulièrement sur des procédés visant cette
origine qu'il fallait compter, sans négliger toutefois bien entendu la médication
indirecte s'adressant au relèvement des forces physiques. Ce que la suggestion
a fait, la suggestion devra le défaire; voilà certes une formule fort encoura-
geante : mais il ne faut pas la prendre au pied de la lettre et maintes fois vous
aurez l'occasion de reconnaître qu'en ces matières les résultats ne sont pas aussi
faciles à obtenir que le pensent certains simplistes.
Quoi qu'il en soit, voici comment nous avons procédé : le malade soumis à
l'emploi du fer et des toniques a reçu tous les jours une douche froide. Mer-
credi dernier, le lendemain de la leçon, on Fa soumis à une tentative d'hyp-
notisation par la fixation du regard, les autres procédés ayant échoué. La
séance n'a pas duré moins d'une demi-heure. Le seul résultat obtenu a été
de provoquer chez le malade une grande fatigue, des lourdeurs de tête, des
douleurs dans les orbites. J'avoue que ces essais ont été faits un peu par acquit
de conscience ; nous ne comptions pas beaucoup sur leur efficacité. Nous
avons appris en effet depuis longtemps que, chez les hystériques mâles, — je ne
parle que de ceux qui fréquentent les hôpitaux de Paris, — l'hypnotisation
qui, ailleurs, assure-t-on, produit de si merveilleux eiïets, ne réussit guère.
Mais si la suggestion hypnotique nous échappe le plus souvent en pareil
cas, il n'en est pas toujours tout à fait de même de la suggestion à l'état de
veille. Le malade avait été déjà fort influencé sans doute par ce qu'il avait
entendu dire durant la leçon. Vous savez que tout ce que nous y avons dit
était fait pour le persuader qu'il guérirait, et qu'il guérirait rapidement. Les
élèves du service lui avaient prodigué à leur tour leurs encouragements, et ils
s'étaient attachés en ou ire à lui persuader qu'en regardant bien attentivement
les autres marcher devant lui il réapprendrait bientôt à marcher lui-même.
Cette rééducation s'est faite, en effet, en quelques leçons; déjà le jeudi, la marche
était devenue plus délibérée et plus correcte, la trépidation plus rare. De
nouveaux progrès, les leçons de marche continuant toujours, se sont effec-
tués les jours suivants, et aujourd'hui vous savez comment sont les choses.
En présence de ce résultat, nous n'allons pas imj)rudemment entonne
le chant de victoire ; nous n'ignorons pas en effet combien dans la caté-
gorie des accidents hystériques les résultats sont incertains, les récidives
faciles; il pourrait bien se faire qu'à la moindre émotion, le désordre reparût
et je vous in fait i-ciiiaïqucr tout a Thouie i)lusieurs fois que si, pondant qu'il
— 381 —
marche, on vient inopinf''ment pousser le malade par le dos, les trépidations
rej)ai;iissoiit pour un tornps. Nous pouvons ospf'Tci- toutefois qu'à la longue
IV^motivité et la su^gestibilili'! s'atténueront à uicsurc que les forces repa-
raîtront, et qu'alors notre malade sera suflisaminent fçuéri pour pouvoir, sans
danger, rentrer dans la vie commune.
2« Malade.
Voici une femme nommée Be... eut, âgée de quarante ans, que nous avons
admise à la Salpétrière, dans le service de la clinique le 20 février dernier,
c'est-à-dire il y a une vingtaine de jours. Elle avait été d'abord, il y a trois mois
envoyée de son domicile à l'hôpital Bichat, où bientôt elle fut prised'un délire
violent. Ce délire — remarquez bien tous les détails qui vont suivre, ils ne sont
pas étrangers à la cause — ce délire^ dis-je, a motivé son évacuation sur
Sainte-Anne avec un certificat portant : << atteinte de manie aiguë, elle
trouble lé repos des autres malades. »
Elle ne resta à Sainte-Anne que quelques jours pendant lesquels le délire
initial s'était calmé. Ou la fit alors passer à Villejuif ; les renseignements
fournis sur son compte par le médecin de Sainte-Anne, dans une note ad hoc,
faisaient connaître qu'elles était atteinte d'un léger afïaiblissement intellectuel
avec excitation passagère, loquacité, insomnie, faiblesse musculaire. » Peu
après l'admission à Villejuif, les dernières traces de l'excitation disparurent ;
ce fut désormais cette faiblesse musculaire déjà remarquée à l'asile Sainte-
Anne qui devait occuper le premier plan et cette faiblesse, Messieurs, s'éleva
très rapidement à la hauteur d'une véritable paraplégie d'un genre spécial
dont les premiers débuts, ainsi que nous l'apprendront les renseignements
fournis ultérieurement, remontent à quatre ou cinq mois.
C'est en raison de l'existence de cette paralysie, dont je veux vous
laisser le soin de faire vous-mêmes le diagnostic à mesure que l'exposé des
symptômesvasedérouler, que la malade nous a été bienveillamment adressée par
notre collègue M. le docteur Briand, pour en faire le sujet d'une démonstration
clinique.
Donc, l'étude de la paraplégie en question va nous occuper principalement
ici, mais nous ne négligerons pas cependant, et pour cause, les troubles
— 382 —
cérébraux, aujourd'hui atténués et relégués en quelque sortesur le second plan.
Ils sont, vous le remarquerez bientôt, fort intéressants à connaître car ils
pourront contribuer dans une certaine mesure àaccuser la caractéristique du cas.
Cette paraplégie porte à la fois sur les membres inférieurs et les supérieurs,
prédominant toutefois de beaucoup dans ceux-là ; il est intéressant de reniar-
quer même, dès à présent, qu'aux membres supérieurs, aux mains surtout où
elle était assez accentuée lors de l'admission de la malade à l'hôpital, elle
tend chaque jour à s'atténuer. Il n'est pas difficile toutefois, aujourd'hui
encore, de la mettre en évidence ainsi que nous le ferons tout à l'heure.
Occupons-nous tout d'abord de ce qui est relatif aux membres inférieurs.
Les lésions à relever portent à la fois sur le mouvement et sur la sensibilité. Il
y aura lieu aussi d'accuser l'existence concomitante de troubles trophiques. Vous
étesfrappés tout d'abord, en examinant la malade, de voir que les jambes sont
en permanence et symétriquement fléchies sur les cuisses et celles-ci sur le
bassin. Cette attitude,ellenepeutd'elle-mêmelamodirier que très légèrement, à
l'aide de quelques mouvements obscurs et très limités qui se passent dans les
jointures de la hanche et du genou. Elle n'est certainement pas le fait,
remarquez-le bien, d'une contracture spasmodique des muscles, d'origine
spinale. L'observateur n'éprouve pas, en eff'et, lorsqu'il cherche soit à produire
l'extension, soit à exagérer la flexion, cette résistance élastique, à peu près
égale dans lesdeuxsens, qui est la caractéristique de ce genre de contracture
de plus les réflexes rotuliens sont complètement supprimés, contrairement
à ce qui aurait lieu, nécessairement, s'il s'agissait d'uneparaplégie spasmodique,
et il n'y a pas non plus de trépidation par redressement brusque de la pointe
des pieds. On constate, au contraire, lorsqu'on cherche à produire l'extension
des membres fléchis, une résistance brusquement et sans transition portée
à son maximum, toute mécanique si l'on peut ainsi parler, et qui très évidem-
mentdépend dece que les tendonsdes muscles fléchisseurs se sontraccourcls en
même temps que , peut-être, s'est faite une production péri -articulaire de tissu cel-
lulo-fibreux. Le fait de cette formation de nouveau tissu fibro- cellulaire autour
de la jointure et du raccourcissement des tendons fléchisseurs, cause pour la
majeure partie de l'attitude spéciale que présentent les membres inférieurs, doit
être noté parvous soigneusement ; nous aurons à y revenir dans un instant.
Remarquez maintenant,je vous prie, l'attitude des pieds. Ils sont tombants,
dansl'équinisme, avec une tendance très marquée à l'adduction, surtout pro-
noncée lorsque la malade fait effort pour les redresser; ce qui tient à cette cir-
constance anomale, dans l'espèce, que le jambier antérieur n'est pasafl'ecté au
même degré, tant s'en faut, que le sont les péronicrs. Quoiqu'il en soit, dans
l'ensemble, l'action des muscles extenseurs est généralement très faible et le
sujetrésiste mal quand on veut malgré lui produire la flexion i>lantaire dupied.
Cette même faiî)lesse d'action des muscles extenseurs se retrouve aux mem-
bres supérieurs, en ce qui concerne les mouvements du poignet. La main est
— 383 —
tombante, beaucoup moins à proportion que les pieds cependant, et la résis-
tance que la malade peut opposer à la flexion qu'on lui imprime est facile-
ment vaincue.
C'est ici le lieu de noter l'amaigrissement énorme et rapidement développé,
qu'ont subi les masses musculaires, aux jambes particulièrement, mais aussi
aux cuisses. Il ne s'agit pas là d'une simple émaciation, mais d'une diminu-
tion de volume des masses musculaires correspondant à certains troubles
trophiques révélés par l'électro-diagnostic. Il existe, en effet, une réaction de
dégénération bien nette sur les muscles antérieurs de la cuisse et sur les
muscles péronniers et même, sur certains d'entre eux, les choses sont poussées
assez loin pour qu'il y ait abolition complète de l'excitabilité électrique dans
tous ses modes (i).
Messieurs, j'espère que, dans votre esprit, vous avez convenablement
groupé déjà les faits qui viennent d'être successivement exposés, à savoir
1. Examen électrique pratiqué par le D^" Vigouroux.
. Nerfsciatique poplité externe.
Droit. 20 él. 46 degr. KSZ.
Gauche. 19 él. 50 degr. KSZ.
Muscle vaste interne.
Dr. fai'adiquement et galvaniquement : néant.
G. Farad. 100 millim. Galv. 19 él. 150 deg. KS = AS.
Jambier antérieur.
Dr. Farad. 80 millim. Galv. 18 él. 70 degr. KS > AS.
G. Farad. 95 millim. Galv. 18 él. 80 degr. KS.
Extenseur commun des orteils.
Dr. Farad, néant. Galv, 18 cl. 80 degr. KS < AS. conlnction lente
G. Farad, néant. Galv. 19 él 39 degr. KS < AS.
Long péronier latéral.
Dr. Farad, néant. Galv. 18 él. 70 degr. néant.
G. Farad, néant. Galv. 20 él. 120 degr. néant.
Court péro7iier latéral.
Dr. et g. néant.
l'êdieux.
Dr. Farad, et galv. néant.
G. Farad. 70 millim. Galv. 26 él. 70 degr. KS. < AS.
Jumeau externe.
Dr. Farad. 70 millim. Galv. 27 él. 130 degr. K S seul.
G. id. id. Galv. 30 él. id. id.
Jumeau interne.
Dr. Farad. 85 millim.
Gauche Farad. 70 millim..
Aux membres supérieurs, pas d'anomalie évidente.
Résumé: Diminution ou abolition deTexcitabilité (Longpéronnieriat.) et altération qualitaUve
(Extenseur comm-un des orteil» et pédieux).
— 384 —
surtout la non-existence de la contracture spasmodique, l'absence de réflexes
rotuliens et du phénomène du pied ; la paralysie affectant d'une façon pré-
dominante les extenseurs des pieds et des mains symétriquement; la réaction
de dégénération très accentuée dans la plupart des muscles paralysés, etc.;
si cela est, vous avez bien vite reconnu que ces faits, considérés dans leur
ensemble suffisent, en grande partie, pour caractériser une classe de parah^sies,
relevant, ainsi que certaines études récentes tendraient à l'établir, non
pas d'une lésion spinale, mais bien d'une lésion des nerfs périphériques,
classe dans laquelle, en tout caS;, le premier rang est occupé par les paraly-
sies toxiques.
Mais examinons les choses plus attentivement encore, et peut-être retrouverons-
nous dans l'étude plus minutieuse des phénomènes cliniques présentés par
notre malade, quelques nouveaux traits nous permettant de suivre de plus
près la ligne qui doit nous conduire au diagnostic étiologique.
Nous ne reviendrons pas sur les troubles trophiques musculaires déjà
signalés, mais nous vous ferons remarquer que la peau des genoux, collée en
quelque sorte aux parties sous-jacentes, est lisse et luisante, et que s'il n'y
a pas de gonflement œdémateux des jambes et des pieds, ces parties-là
prennent lorsque les membres inférieurs sont, durant quelques minutes, restés
pendants, une teinte violacée très prononcée, j'insisterai enfin tout particu-
lièrement sur ce fait, déjà signalé plus haut, qu'il existe au niveau de certaines
jointures, des rétractions fibro-tendineuses, cause d'attitudes vicieuses per-
manentes, lesquelles rétractions, remarquez-le bien, se sont produites avec une
extrême rapidité puisqu'elles ne datent certainement pas de plus de deux ou
trois mois. Eh bien, Messieurs, les troubles trophiques qui viennent d'être
énumérés, et particulièrement les rétractions fîbro-tendineuses_, désignent
particulièrement, dans la classe des paralysies par névrites périphériques,
celles qui relèvent (\.q,V intoxication alcoolique.
J'ai insisté sur le rôle important que jouent ces rétractions dans la
clinique des paralysies alcooliques, dans une leçon que \q Bulletin médical
a publiée il y a environ deux ans (1), et à laquelle je vous prie de vous
reporter : le lujet en vaut la peine. Là, j'ai montré que les productions
cellulo-fibrcuses capables d\amenerdes déviations et de nécessitera un moment
donné, — lorsque la paralysie est guérie, — une intervention chirurgicale,
peuvent s'observer dans les circonstances les plus diverses. Ainsi, on les voit se
produire chez certains sujets, dans diverses paraplégies spasmodiques et en
particulier dans celles qui sontla conséquence de lapachyméningite cervicale
hypertrophi([ue ou du mal vertébral de Pott. On peut les voir aussi survenir
dans certains cas de contracture hystérique, là où très certainement il n'existe
1. Numéro du 23 mars 1887
— 385 —
pas de lésion spinale Jipi)réciable i)ar nos moyens actuels d'investigation
anatonii(iuo.
« Pounpioi, tout «H;int ô^^^al (r.iilleurs dans ces cas, du moins en appa-
rence^ la coniplicatiuii lilii-u-tendineuse se pruduit-elle cliez cei tains Mijets
et non chez les autres ? Qu'ont donc de particulier les sujets chez lesfjuel
elle se produit? S'agit-il là d'une influence diathésique, d'un élément
rhuniatisinal, arthritique que présenteraient ces sujets ? On sait que certaines
rétractions fibreuses indépendantes de toute paralysie, comme la rétraction
de rai)onévrose palmaire, par exemple, relèvent, au moins souvent, d'une
influence arthritique. C'est là un point qu'il serait intéressant d'éciaircir et
sur lequel, malheureusement, je ne suis pas en mesure de donner pour le
moment de renseignements précis. » Ainsi m'expriniiiis-je il y a deux ans, et
je ne vois rien à ajouter à ce que j'ai dit alors; mais je tiens à relever tout
spécialement le rôle que, dans cette même leçon, j'attribuais à la rétraction
fibro-tendineuse dans les paralysies alcooliques.
La rétraction en question, disais-je alors, n'est pas exclusivement propre
aux paraplégies spasmodiques: elle peut se montrer encore dans des para-
lysies où la déformation ne dépend pas d'une contracture spasmodique des
muscles ; tel est le cas de la paralysie alcoolique. H y a dans ces cas-là,
vraisemblablement en conséquence d'une névrite périphérique, qu'on ditpri-
mitivement développée, une atrophie des muscles extenseurs suivie d'une
chute du pied, analogue à la chute du poignet qu'on observe dans la
paralysie saturnine ; rien ne retient la flexion du pied;, qui est flottant, ballot-
tant, que l'influence de la pesanteur.
« Dans d'autres cas cependant, la prédominance des fléchisseurs, moins
profondément affectes que les extenseurs, oppose une légère résistance bientôt
vaincue ; là même il ne s'agit pas d'une déviation spasmodique, mais d'une dévia-
tion paraly'bique ; la tonicité des musclesles moins altérés est seule enjeu pour
maintenir la déformation. Il est enfin un troisième ordre de faits, dans lequel
cette fois l'équinisme ainsi produit, est maintenu désormais parle fait de la
rétraction des tendons d'Achille, combinée avec la production du tissu flbreux
périarticulaire. J'ai observé deux cas de ce genre dans lesquels, après gué-
rison de la paralysie, l'intervention chirurgicale, entre les mains de M. Ter-
rillon, a été nécessaire pour produire le redressement du pied. L'opération
dans ce cas, comme d'ailleurs dans les cas de paraplégie spasmodique aux-
quels on a fait allusion plus haut, a eu lieu en plusieurs temps. La section du
tendon d'Achille n'a pas suffi pour obtenir le redressement; il a fallu, à deux
ou trois reprises, produire l'extension forcée et déchirer les brides fibreuses
périarticulaires. Les malades, d'ailleurs, ont parfaitement guéri. »
Aujourd'hui, Messieurs, je puis ajouter que si ces rétractions, ainsi qu'on l'a
vu, ne sont pas un fait absolument constiint dans les [)aralysies alcooliques,
elles y sont cependant un fait très friMpunil ; (pio, de plus, elles ne se voient
— 386 —
pas autre part au même degré, de telle sorte que, quand dans une paralysie
présentant d'ailleurs les caractères que nous avons relevés plus haut, on voit les
rétractions fibro-tendineuses se produire très rapidement, on est conduit
à penser que l'intoxication alcoolique est en jeu.
J'ajouterai également que le tendon d'Achille ainsi que les tissus périarti-
culaires de l'articulation tibio-tarsienne ne sont pas, en piireil cas, les seules
parties qui puissent être affectées; les tendons des fléchisseurs de la jambe
et le tissu fibro-cellulaire qui entoure le genou peuvent être, eux aussi, le
siège des rétractions qui déterminent et maintiennent les déformations (1); c'est
ce que démontre justement le cas que nous avons sous les yeux.
A ce propos, remarquons en passant que la présence fréquente des rétrac-
tions dans la paralysie alcoolique, n'est pas chose faite pour surprendre lors-
qu'on sait que d'autres troubles trophiquesou vaso-moteurs, tels que Tœdème,
l'empâtement, la peau lisse, les lésions des ongles enfin, y sont vulgaires.
Nous voilà donc déjà, par la seule considération des phénomènes cliniques,
amenés à conclure que, suivant toute vraisemblance, pour ne pas dire plus,
la paraplégie que nous avons sous les yeux n'est autre qu'une paraplégie
alcoolique. Mais peut-être, en poursuivant notre analyse clinique, rencontre-
rons-nous encore de nouveaux documents propres à corroborer nos prévisions
à cet égard.
En réalité,Messieurs,rétude des troubles de la sensibilité présentés par notre
sujet, va fournir à l'appui de notre thèse des arguments à peu près décisifs.
Vous avez remarqué peut-être que dans les manœuvres d'exploration aux-
quelles, à plusieurs reprises, ont été, chez notre malade, soumis les membres
inférieurs, elle a le plus souvent manifesté des signes de douleur ; c'est qu'en
effet, ces membres sont douloureux, hyperesthésiés. et il y a à distinguer, sous
ce rapport, les douleurs ou sensations pénibles, anomales en tout cas, qui se
produisent spontanément et celles qui se manifestent seulement par le contact
ou par la pression.
Les premières, fort accentuées, consistent en des piqûres se produisant
fréquemment et en un sentiment de brûlure, occupant principalement les
jambes et les pieds. Ces sensations douloureuses s'exaspèrent la nuit ; la
malade s'en plaint amèrement, « on dirait que mes jambes sont dans du feu »,
tels sont les termes dans lesquels elle s'exprime à ce sujet. Elles contri-
buent pour une bonne part à déterminer les insomnies dont elle souffre, et
1. C'est à ces rétractions qu'était dû le recroquevillement des membres inférieurs observé par
M. Lancereaux, dans un cas de paralysie alcoolique. Dans ce cas, il y avait flexion de la jambe
sur la cuisse, et de la cuisse sur le bassin élevée à un très haut dc^^ré. Cette double flexion même
était portée à son extrême limite aux genoux, car les muscles du mollet étaient appliques sur
les muscles postérieurs de la cuisse. Voir : Brissaud, Des paralysies Icviques, thèse d'agrég.
Paris, 1886, p. 25.
— 387 —
peut-être sont-elles aussi en grande partie la cause de ce recrorpievillement
des membres inférieurs, de ces attitudes vicieuses, signalées au commence-
ment, et qui peu à peu se seront fixées, en quelque sorte, par suite de la
Fil?. ^4 l'^i.s:. '^r>
Distribution des troubles de la sensibilité cutanée chez la nommée Be ...eut.
formation des" brides fibreuses périarticulaires et de la rétraction des
tendons.
Pour ce qui est des douleurs provoquées, elles se manifestent par un simple
contact même léger de la peau, sur les pieds principalement et sur le tiers
inférieur des jambes ; elles se manifestent également, et d'une façon plus
accentuée, lorsqu'on exerce une pression un peu forte sur les masses muscu-
— 388 —
laires, principalement aux mollets. Ainsi les masses musculaires^ elles aussi,
remarquez-le bien, sont douloureuses.
Il est intéressant de relever que les excitations portant sur la peau de la jambe
et du pied sont perçues avec un retard qui peut aller jusqu'à trois secondes;
que les sensations douloureuses produites par ces excitations, contact ou pin-
cement, ne sont pas exactement rapportées, lorsque les yeux sont fermés, au
point excité, mais presque toujours un peu au-dessus ; que ces diverses exci-
tations, quelles qu'elles soient, se traduisent uniformément par un sentiment
de brûlure qui se répand au-dessus et au-dessous du point où elles ont été pro-
duites et qui leur survit pendant quelques secondes. Remarquons enfin que ces
troubles de la sensibilité se retrouvent avec tous leurs caractères, quoique
fort atténués, toutefois, aux membres supérieurs^, plus particulièrement sur
la partie inférieure des avant-bras et sur les mains où ils atteignent leur maxi-
mum (voir les fig. 74 et 75).
Eh bien, Messieurs, il me semble que, en ajoutant à ce qui a été dit plus
haut des troubles moteurs et des troubles trophiques observés chez notre malade,
les troubles particuliers de la sensibilité que nous venons de relever, nous
avons de quoi compléter le tableau clinique de la paralysie alcoolique. C'est
bien d'elle qu'il s'agit décidément dans notre cas; je ne crois pas qu'il existe
de paralysies autres que celle-là dans lesquelles on retrouve ce même con-
cours si caractéristique de circonstances; si ce n'est peut-être — d'après quel-
ques observations que j'ai faites chez des sujets venant du Brésil ou de Tistlime
de Panama, — dans certains casdeBeribjri-Sec, affection essentiellement exo-
tique, que, dans le diagnostic, il sera généralement facile d'éliminer. J'ajou-
terai que, même après la constatation faite chez notre malade, à un moment
donné, d'une chute de la paupière, puis d'une inégalité pupillaire aujourd'hui
encore présentes, avec signe d'Argyll Robertson, il est impossible égale-
ment de ne pas éloigner, dores et déjà, l'idée du tabès. Remarquez eu parti-
culier chez notre malade le caractère des douleurs qui ne rappelle en rien la
description classique des douleurs fulgurantes; l'absence des troubles vési-
caux, la réaction des masses musculaires, les rétractions fibro-tendineuses,
et enfin le mode d'évolution de la maladie, pour ainsi dire subaigu et
qui contraste singulièrement avec la marche éminemment lente et traînante
de l'ataxie locomotrice progressive.
Malgré tout, peut-être persiste-t-il encore quelque doute dans l'esprit
de plusieurs d'entre vous; et peut-être aussi pensez-vous que nous avons
bien tardé à interroger la malade, dans le but d'obtenir d'elle des
aveux nous permettant d'asseoir le diagnostic, cette fois sur des bases iné-
branlables. Kh bien, je vous ferai remarquer à ce propos qu'il s'agit ici d'une
femme et que, dans mon expérience du moins, jamais les femmes alcooliques,
alors même que vous les prendriez en flagrant délit, n'avoueront leur vice.
Or, notre malade d'aujourd'hui n'échappe pas à cette règle; elle nie tout.
— 3S9 —
effrontément; ce n'est donc pas, vous le voyez, de ce c6té-là qu'il faut atten-
dre la lumière. Sans doute nous avons à ce sujet des renseignements abso-
lument précis qui nous apprennent que depuis longtemps elle se livre à la
boisson ; mais ce n'est [kis d'elle que nous les tenons, remarquez-le bien ; ils
nous ont été fournis par sa famille.
D'ailleurs n'allez pas croire que ces réponses toujours négatives des alcoo-
liques du sexe féminin lorsqu'on les interroge sur leurs habitudes dévie, soient
constamment le fait d'une dissimulation systématique, voulue et prémé-
ditée. 11 faut, pour être équitable, tenir compte de l'état d'hébétude et
d'amnésie dans lequel sont plongés la plupart des sujets de cette catégorie.
Et justement, celui que nous avons sous les yeux peut être cité comme un
type du genre. 11 est certain, ainsi que cela résulte des interrogatoires auxquels
nous l'avons maintes fois soumise depuis qu'elle a été admise dans nos salles,
qu'il existe dans ses souvenirs de nombreuses lacunes; il lui est, par exemple,
impossible de reconstituer exactement les grandes époques de son existence.
Elle ne peut déterminer la date à laquelle son mari est mort ; tantôt elle
dit que cet événement, qui a cependant changé de fond en comble ses
conditions d'existence, date de quelques mois seulement, tandis que d'autres
fois elle le fait remonter à plusieurs années ; jamais du reste elle ne tombe
juste.
Il est des jours où elle pousse des cris toute la nuit, se plaignant avec amer-
tume de ses « brûlures » qui l'ont empêchée de dormir et, le lendemain,
elle viendra prétendre qu'elle n'a pas soufl'ert et qu'elle a passé une nuit
excellente. Ces variations d'un jour à l'autre dans le récit des faits
qui la concernent doivent nous rendre indulgents et nous porter à croire que
vraiment, par moments, elle oublie peut-être les écarts auxquels elle s'est
livrée. Quoi qu'il en soit, Messieurs, cette amnésie que je viens de relever
chez notre sujet est, je le répète, un fait assez caractéristique et que vous
devrez vous attendre à rencontrer fréquement chez les individus atteints de
paralysie alcoolique. Il enest demême des [rêves particuliers, et pour ainsi dire
classiques, qui, chez eux, jouent un rôle important. Ils sont fort bien formulés
chez notre malade ; ainsi, tantôt elle voit des animaux bizarres et effrayants
qui la menacent ; tandis que d'autres fois, comme par contraste, elle entend
de la musique, voit des illuminations, nombre de personnes joyeuses et
parées ; elle croit en un mot assister à une fête. L'autre jour elle était per-
suadée qu'en effet une grande fête de nuit était donnée par le directeur de
l'hôpital ; et même, l'illusion persistant quelque temps après le réveil, elle
voulut à toute force se lever pour aller y prendre part. On rencontre, vous le
savez, de semblables rêves chez les hystériques non alcooliques. Mais ce n'est
pas d'hystérie qu'il s'agit ici certainement. C'est bel et bien l'alcoolisme
qui est en jeu ; cela va être rendu évident, une fois de plus, par l'exposé que
nous allons vous présenter des luiLécédeTits de notre malade.
— 390 —
Son père était un alcoolique ; il est mort à l'âge de cinquante-huit ans. Elle
aune tante maternelle âgée de soixante-douze ans qui, depuis longtemps, est
en enfance.
Elle est aujourd'hui âgée, comme on l'a dit de quarante ans; elle n'avait
jamais été malade dans son enfance, et nous ignorons si elle a présenté, dès
cette époque, des stigmates névropathiques.
Elle avait vingt-cinq ans, lorsqu'elle s'est mariée à un limonadier. Dans le
café qu'elle dirigeait avec sonmari, elle tenait le comptoir, et c'est dans ces
circonstances qu'elle a contracté l'habitude de boire. Son mari étant mort
en 1882, elle a abandonné son établissement et s'est mise à faire de la cou-
ture ; mais entraînée par sa funeste passion elle ne faisait que boire, surtout
de « l'amer Picon » et du cognac. Elle ne travaillait guère. La misère vint.
Pendant longtemps on ne remarqua pas que sa santé fût en rien altérée ;
mais il y a quatre ou cinq mois apparurent les premiers phénomènes d'intoxi-
cation. Tous les renseignements qui vontsuivre ne viennent pas, bien entendu,
de la malade; ils nous ont été communiqués par son beau-frère, qui durant
cette période l'a suivie de près. Ce furent des troubles intellectuels qui ou-
virent la scène ; elle était excitée ; ne savait plus ce qu'elle disait : la nuit
elle ne dormait guère ; elle était tourmentée par des rêves pénibles dans les-
quels elle se croyait poursuivie par des animaux. Elle avait même parfois,
étant parfaitement éveillée, des hallucinations de la vue. Ainsi, en décembre,
elle crut un soir voir tout •à-coup,sur le mur de sa chambre, courir une grosse
araignée noire; elle se mit, une bougie àla main, à la poursuite de cet animal
imaginaire qu'elle voulait à toute force attraper et brûler. Habituellement, elle
se plaignait, surtout la nuit, de démangeaisons, siégeant principalement aux
membres inférieurs; elle éprouvait la sensation d'eau bouillante qui lui cou-
lait sur les jambes et qui la brûlait. Elle disait souvent qu'on lui « coulait du
feu dans les genoux. »
L'affaiblissement des membres inférieurs remonte à peu près à la même
époque. La malade ne s'en inquiétait guère, elle l'attribuait à « des varices »
dont elle avait souffert déjà pendant ses grossesses. Déjà, en décembre, elle
éprouvait beaucoup de difficultés à monter son cinquième étage. Il lui arri-
vait souvent de sentir ses jambes tléchir tout à coup et se dérober sous elle.
Le i*"" janvier son beau-frère a constaté qu'il lui était littéralement impos-
sible de monter seule dans son lit. Il a remarqué en même temps que la pau-
pière de son jeil droit était tombante.
Elle était vraiment dans un état pitoyable lorsqu'elle est entrée à l'hôpital
liichat, vers le 5 ou (> janvier. C'est là, ainsi (pie nous l'avons dit, qu'a éclaté
le délire bruyant vraisemblablement sousl'inlluence de l'abstention à laquelle
elle aura été soumise.
Vous savez le reste : de Bichat elle a passé à Sainte-Anne, et de Sainte-Anne
à Yillcjuif, service de M. le D"" nriind, où le diagnostic a été forniuh' ainsi
— 391 —
qu'il suit : « Alcoolisme chronique avec aiï'aiblisseineut des facultés intellec-
tuelles. ParapU'g'ie alcoolique avec atrophie ». On ne saurait mieux dire et
vous avez compris sans qu'il soit nécessaire de plus insister, que c'est bien de
cela qu'il s'agit.
Depuis que la malade est entrée dans nos salles il s'est produit chez elle de
l'amélioration sur toute la ligne : La mémoire est toujours fort en défaut sans
doute et je ne crois pas du reste que jamais, les choses allant au mieux, elle
se rétablisse complètement ; mais l'insomnie est moins prononcée et il y a
moins de rêves pénibles. D'un autre côté, un retour très accentué des mouve-
ments s'est produit du côté des membres supérieurs et pour ce qui est des
membres inférieurs la malade commence à pouvoir un peu partout leur
imprimer volontairement quelques mouvements. Les troubles de la sensi-
bilité sont eux aussi beaucoup moins prononcés qu'ils ne l'étaient à
l'époque où nous avons examiné le sujet pour la première fois. Au train dont
vont les choses, je ne doute pas qu'avec le concours du temps et de l'électri-
sation méthodique, on ne parvienne à obtenir de ce côté des résultats très
satisfaisants. Toutefois, quand les mouvements seront redevenus possibles, il
faudra de toute nécessité, nous l'avons fait prévoir, pour que la malade
soit mise en mesure de se tenir debout et de marcher^ procéder chirurgicale-
ment au redressement des parties.
On pourra dire alors que la guérison a été obtenue; oui, sans doute ; mais
vous n'ignorez pas qu'en pareille matière, il y a à considérer le chapitre des
récidives. Elles sont, hélas ! presque fatales. Vous connaissez le proverbe :
« Qui a bu boira ». Il répond bien à la réalité des choses et je vous ai raconté
souvent l'histoire d'un <;as dans lequel j'ai vu la paralysie alcoolique chez un
« gentleman » guérir trois fois; mais, chaque fois après la guérison;,le malheu-
reux retombait bientôt dans son vice. Il a terminé l'histoire en se suicidant.
A part la question des récidives, le pronostic de la paralysie alcoolique
d'après ce qui a été dit vous paraîtra plutôt favorable; je crois qu'il l'est en
réalité dans la majoT'ité des cas, lorsqu'il s'agit d'un premier accès et que les
choses n'ont pas été poussées trop loin. 11 importe que vous sachiez cependant
que, de temps à autre, on rencontre des cas de paralysie alcoolique se présen-
tant absolument avec toutes les apparences de ceux qui guérissent, et qui
néanmoins, inopinément, sans que rien puisse le faire prévoir, prennent tout
à coup la plus mauvaise tournure; le pouls s'accélère, la resi)iration se préci-
pite, les extiémités prennent une teinte bleuâtre, et en un mot, par le fait de
l'intervention de troubles bulbaires que rien ne peut conjurer, survient rapide-
ment la terminaison fatale (l).Deux fois j'ai assisté, non pas inqiassible, je vous
1. Voir sur la paralysie alcoolique, la Le(;on du mardi (3 murs 1888.
— 392 —
prie de le croire, àl'évolution de cedrame; d'abord chez une jeune etbelle Amé-
ricaine de vingt-trois ans, puis plus récemment chez une femme de trente ans
environ qui a été admise dans le service. Je ne vous fatiguerai pas parl'énumé-
ration des moyens mis en œuvre pour arrêter les progrès du mal : ils sont
hélas ! tous restés sans effet.
3e E-j. 4e Malades.
Je vais maintenant, Messieurs, faire passer sous vos yeux, pour les soumet-
tre à votre examen clinique, deux malheureuses créatures bien dignes d'exci-
ter la compassion. On peut dire que l'une et l'autre ont été touchées du doigt
par la fatalité antique, aujourd'hui remplacée par la fatalité héréditaire ; ils
pourraient s'écrier l'un et l'autre :
« Qu'avons-nous fait, ô Zeus, pour cette destinée?
« Nos pères ont failli ; mais nous qu'avons-nous fait ? (t)
Tous deux sont des dégénérés (2), des déséquilibrés, desfaiblesintellectuelle-
ment et moralement, surtout l'un d'eux qui a commis plusieurs délits ; mais
soit dit entre nous, je les crois bien peu responsables l'un et l'autre du mal
qu'ils ont pu faire, ou qu'ils pourraient faire. Malgré quelques tentatives
louables de la part de leurs parents, ils n'ont pu ni l'un ni l'autre acquérir la
moindre instruction ; ils ne savent ni lire, ni écrire. Dans la société, comme
bien vous pensez, leur famille n'appartenant pas aux classes privilégiées, ce
sont des déclassés ; de fait ils n'ont pas de domicile fixe et ils vivent en exer-
çant des profession? douteuses, interlopes. L'un d'eux est saltimbanque ; il se
dit « artiste ». La vérité est que son art consiste à faire «. l'homme sauvage »
dans les baraques de foire; l'autre gagne bien pauvrement son pain de chaque
jour en chantant dans les rues.
Voilà qui est fort bien, direz-vous ; le tableau promet d'être piquant. Mais
où voulez-vous en venir; en quoi tout cela peut-il concerner votre enseignement?
Eh bien, Messieurs, ce que je tiens à vous montrer, c'est que les deuxpau-
1. Les Ei-innycs. 2'> p. V. p 44. 18s9,
2. Voir sur la combinaison de l'hystério avec les diverses formes de la déi,a^néresceuce
mentale plusieurs travaux inspirés par M . le D*" Jiallet : — Marquezy : L'homme hystérique^
Bulletin médical, août. — Tabaraud. Des rapports de la dégénérescence mentale et de
r hystérie, ihèsQ. de |\-iiis, noveml)re 1888.
— ;j93 —
vres hères que je viens de vous présenter sont Tun et Taulre sous le coup de
la diathèse hystérique. Ils on portent, vous allez le voir, l'un comme l'autre les
inar(iucs non niéconnaissahlcs : attafpH'S et stifçniatos permanents. Où l'hysté-
rie va-t-olle se nicher? Je vous l'ai montrée bien souv(;nt, dans ces derniers
temps dans la classe ouvrière, chez les artisans manuels, et je vous ai dit
qu'il fallait la chercher encore sous les haillons, chez les déclassés, les men-
diants, les vagabonds ; dans les dépôts de mendicité, les pénitenciers, les
bagnes peut-être !
Vous verrez qu'un jour, tout compte fait, en raison de l'extension singu-
lière que semble prendre l'hystérie mule dans les classes inférieures de la
société à mesure qu'on apprend ci la mieux connaître, on en viendra à poser
la question suivante : la névrose hystérique est-elle vraiment, comme on l'a
cru, comme on Ta prétendu jusqu'ici, plus fréquente chez la femme que chez
l'homme (1)? Toujours est-il que, quelle que soit la solution qui, dans l'avenir,
sera donnée à cette question, nous voilà dès à prés(3nt amenés bien loin de
ridée que nos prédécesseurs des siècles passés se faisaient de riiy?5térie. lors-
qu'ils n'y voyaient qu'une « suffocation utérine ».
I
Occupons-nous d'abord de « l'homme sauvage », G'estunnomméLap.. sonne:
il est aujourd'hui âgé de 48 ans. Sa physionomie est ({uelque peu en rapport
avec la profession qu'il exerce. Il a, en effet, comme vous voyez, l'air abi-uti,
stupide, renfrogné, féroce même. En réalité, il est vraiment terrible dans de
certains moments, et il a alors commis plusieurs fautes graves, pour lesquels,
du reste, il a (Hé sévèrement puni par la loi militaire. H paraît s'être fort
amendé depuis lors.
Je ne vous parlerai de son histoire, de ses antécédents qu'il ne nous a contés
lui-même que sous toutes réserves. Ce n'est pas qu'il mente, à ce que je sup-
pose, et il me paraît au moins fort vraisemblable ({ue les « gros faits » de sa
vie se sont passés en réalité comme il nous le raconte. Mais nous nous som-
mes facilement aperçu, en l'interrogeant à maintes reprises, qu'il n'a pas de
mémoire et qu'il enchevêtre les faits les plus éloignés par la date où ils se
sont produits. Voici en résumé, d'après la criti([ue que j'ai faite des docu-
ments qu'il m'a fournis, l'histoire de notre homme, telle que je vous propose
de l'admettre.
Il affirme qu'il n'y a pas eu dans sa famille d'antécédents nerveux. A cet
égard, je me permettrai de ne pas l'en croire. Il est même impossible que
1. Voir" à ce sujet rEtiide statistiriue drjà citée du D*" Marie, Progrès médical p. 68, 87,
juSllet 1889,
— 394 —
cela soit: d'ailleurs^ dans la recherche de ses antécédents, le chemin est
coupé; il ne connaît pas du tout la famille de son père.
Sa mère et sa tante sont mortes de maladie cardiaque. Celle-ci avait
fréquemment souffert du rhumatisme articulaire. Nous trouvons là, pour le
moins, les marques de l'élément arthritique, qui, si fréquemment, concourt
au développement héréditaire des affections névropathiques.
A l'âge de douze ans, il aurait été atteint d'une fièvre typhoïde grave. C'est
de cette époque qu'il faut faire dater sa faiblesse intellectuelle et son amnésie-
Ce qu'il avait, antérieurement à cette maladie, appris à l'école il l'a depuis
complètement oublié et n'u, jamais pu le réapprendre. Il avait toujours eu
d'ailleurs des goûts de vagabondage; il aimait à courir les champs, et évitait
autant que possible de se rendre à l'école.
Il avait dix-huit ans lorsque, n'ayant pu apprendre aucune profession, il
s'engagea dans la marine. Il fit là six ans de service, sans encombre et il allait
être libéré, lorsqu'à la suite, à ce qu'il assure, d'une discussion avec un ad-
judant, il jette cet officier par dessus-bord et se trouve par suite con-
damnéàmort. Sa peine fut commuée, paraît-il, en dix ans de travaux forcés :
en conséquence, il fut envoyé en Algérie où, pendant huit ans, il a été occupé
à travailler sur les routes. Il finit son temps à la Nouvelle-Calédonie.
C'est de son séjour en Algérie que datent la plupart des tatouages carac-
téristiques dont il aie corps couvert. Voyez, il porte sur le côté gauche de la
poitrine une « croix d'honneur » imaginaire ; sur son avant-bras gauche on
lit l'inscription suivante « mort aux gendarmes. » Au beau milieu du tronc,
un peu au-dessus du sternum, se présente une figure de femme, décemment
couverte qu'il dit être la nuit. Pourquoi la nuit ? il n'a jamais pu le dire. Je
signalerai encore, sur le bras droite le dessin d'un homme « en costume de
mousquetaire » destiné à représenter, paraît-il, le gouverneur de la colonie
pénitentiaire, et un peu plus bas celui d'un autre homme en costume
« d'Ecossais » ? J'aurais à signaler encore bien d'autres tatouages^ plus ou
moins bizarrement placés, mais la plupart d'entre eux sont tels que leur des-
cription blesserait l'honnêteté ! c'est pourquoi je passe outre. Tout cela,
Messieurs, est-il assez absurde ? mais remarquez-le bien, pour nous médecins
l'examen de ces inscriptions, de ces images symboliques bizarres, n'est
pas à dédaigner. On peut dire, en effets qu'elles sont parfaitement dans la
situation, et qu'elles font en quelque sorte partie de la caractéristique de
l'état mental de notre homme.
Il avait environ trente-cinq ans lorsqu'il fut mis en liberté. Les dix années
qui ont suivi sa libération ont été marquées par des incidents patholo-
giques nombreux et qu'il nous faut mettre en relief. Les mille francs, prove-
nant de son « prêt », qu'il avait touchés, furent bientôt dépensés en orgies
de boisson. C'est à cette époque que commencent à paraître les délires
surtout nocturnes où il voit des animaux féroces, des lions surtout qui le
— 395 —
menacent et contre lesquels il se défend à l'aide d'un couteau dont il
frappe les murs. Une fois, il s'en est frappé lui-même au bras gauche, pro-
duisant une lar^e blessure dijiit il porte encore la cicatrice.
C'est vers la même époque qu'ont commencé à paraître des crises nerveuses
convulsives, qui n'ont pas cessé de se manifester de temps à autre depuis et
que nous allons retrouver par la suite.
Pendant cette longue période de dix années, les excès alcooliques n'ont pas
manqué d'aller leur train et en consécpience, Lap.. sonne n'a pas cessé de
fréquenter, tantôt les hôpitaux lorsque les accidents nerveux dont il souffrait
le laissaient à peu près calme, tantôt l'asile Sainte-Anne ou encore Bicétre
lorsqu'il était pris de délire bruyant.
Cependant, dans les intervalles de ces crises, il s'est livré, car, après tout, il
fallait vivre, à des professions diverses : il y a cinq ou six ans, il a dil cesser
de servir les maçons, comme il le faisait depuis son départ de la Nouvelle-
Calédonie, parce que — remarquez bien ce détail caractéristique, — il était
devenu faible de tout le côté droit, du membre supérieur surtout : les objets
qu'il portait lui tombaient, dit-il, de la main droite, « lorsqu'il ne les regar-
dait pas ». Cette parésie de la main droite, avec perte du sens musculaire,
nous allons la retrouver tout à l'heure telle quelle, cinq ou six ans au moins
après le moment où elle a été pour la première fois remarquée.
Après avoir quitté les maçons, Lap.. sonne a été « employé de ménagerie v
dans les fêtes publiques. Dans ce temps-là, dans le but de s'élever dans la pro-
fession,il a fréquenté les cours d'un nommé M... s'intitulant artiste et demeu-
rant rue des Quatre-Chemins à Aubervilliers où il enseigne les trucs de bate-
leurs. C'est chez ce professeur qu'il a appris à avaler des sabres, des étoupes
enflammées, à manger du verre cassé, etc., etc. — Il a par la suite figuré dans
l'établissement bien connu du décapité parlant. Mais, dans le cours des der-
nières années c'est surtout, dans le rôle <^< de l'homme sauvage ^ (ju'il parait
dans les foires des environs de Paris. Là, on le montre enfermé dans une
cage de fer, tout noirci des pieds à la tête, portant un bonnet de plumes, et
des chaînes aux pieds ; là, au grand ébahissement des badauds, on le voit,
manger en rugissant de la viande crue, voire même, à ce qu'il prétend —
mais peut être à cet égard se vante-t-il — des lapins vivants.
Qui eût pu penser que ce «terrible cannibale » n'est après tout qu'un malheu-
reux névropathe, un hystérique ! Cela est cependant ainsi et chez lui, vous
allez le reconnaître, les caractères de la névrose hystérique sont on ne peut
plus nettement accentués.
Voici d'abord l'exposé de ce qui est relatif aux stigmates permanents (Voir
fig. 76, 77, 78). Il y a une hémianesthésie droite relative à tous les modes de
la sensibilité et à peu près absolue. Perte du sens musculaire dans le membre
supérieur droit. 11 ne peut rendre compte les yeux fermés des divers dé})lace-
mentsqu'on imprime aux différents segments de ce membre, et les articulations
— 396 ^
peuvent y être brutalement tordues ou distendues sans que le sujet en ait la
moindre notion.
Il y a parésie des membres supérieur et inférieur du côté anesthésié (côté
droit). Le dynamomètre donne 20 pour la main droite, oo pour la main
iiçauche.
N'allez pas croire que cette insensibilité de tout un côté du corps, qui, suivant
toute probabilité date de fort loin, ait été pour quelque chose dans le choix
qu'il a fait de la profession de bateleur expert dans l'art d'avaler des sabres,
L.Nl
— :m —
du verre pilé, des e'toupes entlammées,etc. En effet, ainsi que cela arrive chez
la plupart des hystériques, il est resté sans se douter de son existence jusqu'au
moment où elle lui a été révélTM; par les explorations nd hoc auxquelles nous
l'avons soumis. D'ailleurs, ainsi (jue nous l'avons dit, l'anesthésie est exacte-
ment limitée au seul côté droit du corps, nième en ce qui concerne le voile du
palais et le pharynx.
Les troubles sensoriels ne sont pas moins accusés. L'examen du champ vi-
suel décèle ({u'à droite il y amaurose complète, tandis qu'à «gauche existe un
rétrécissement du champ visuel très prononcé (à 15"). Il y a de plus microme-
1)
G
sii .Na> j'
... KaI
Fiff. 78. — Amani'oso à droite.
galopsie ; pas de diplopie monoculaire. L'odorat est obnubilé du coté droit.
Rien à noter relativement au goût et à l'ouïe. 11 n'y a pas de points ou plaques
hystérogènes.
Nous ne sommes pas encore tout à fait renseignés sur la forme que pré-
sentent les attaques convulsives qui se reproduisent chez lui de temps à autre,
assez fréquemment, paraît-il, depuis six ou sept ans. Il en a eu trois ou quatre
seulement depuis son entrée àThùpital. Voici d'après la relation des gens du
service qui ont assisté à quelques-unes d'entre elles ce qu'on a observé géné-
ralement. Ces attaques se sont régulièrement produites toutes vers quatre ou
cinq heures du soir. Il y a une aura : le malade se plaint de mal de tète, de
confusion dans l'esprit, de tristesse ; il ressent des battements dans les tempes
et des bruits d'oreille épouvantables : tout cela dure environ une demi-
— 398 —
heure. Après quoi, s'il n'a pas pris soin de se coucher, il tombe à terre, tout à
coup, comme une masse; alors surviennent les convulsions épileptoïdes, toni-
quesd'abord, puis cloniques ; il y a de l'écume à la bouche, pas de morsure de la
langue, pas d'urination involontaire. Un léger stertor termine la scène; après
cela, le malade revient à lui assez rapidement et se relève en se frottant les
mains et en se grattant la poitrine, comme si la peau de ces parties était le
siège d'une vive démangeaison.
D'après la description que nous venons d'en donner, ces accès doivent être
considérés comme représentant une anomalie prévue et classée des attaques
hystéro-épileptiques, consistant en ce que la période dite épileptoïde se pré-
sente à l'état d'isolement, ou en d'autres termes n'est suivie, contrairement à
la règle du type, ni de la phase « des grands mouvements » ni de celle « des
attitudes passionnelles ». Vous savez qu'à ne les considérer qu'en elles-mêmes
et indépendamment des circonstances concomitantes, ces attaques ainsi
réduites à la phase épileptoïde, ne sauraient être distinguées de l'accès comitial
qu'en ce qu'elles sont précédées d'une aura caractéristique plus ou moins pro-
longée et que, suivant une règle qui souffre cependan* quelques exceptions,
la morsure de la langue et Turination involontaire y font défaut.
Mais d'après les renseignements que nous avons recueillis auprès du malade
lui-même, notre homme aurait de temps en temps alternant avec les précédents
d'autres accès qui rappellent exactement cette fois l'image classique de l'atta-
que épileptique, à savoir : apparition plutôt la nuit^ début soudain sans pro-
dromes, morsure de la langue, urination involontaire, stertor prolongé,
abrutissement au sortir de la crise, etc., etc. Si cela est réellement, il s'agirait,
vous l'avez compris, d'hystérie et d'épilepsie coexistant chez notre homme,
mais vivant chez lui en quelque sorte séparément, côte à côte, sans promis-
cuité; combinaison qui dans la nomenclature, depuis longtemps usitée dans
cet hospice, est désignée sous le nom d' hystéro-épilepsie à crises séparées.
Après cet exposé des faits, il ne sera pas hors de propos. Messieurs, d'indi-
quer sommairement, en manière de résumé,, quelques-uns des principaux
enseignements qui en découlent.
J'ai placé devant vos yeux une malheureuse créature sans intelligence, sans
mémoire et sans jugement ; faible aussi moralement, bien entendu, et émotive;
manifestement marquée en un mot au sceau de la dégénérescence mentale,
telle que Morel l'a comprise. Vous avez vu notre homme, i)endant une bonne
partie de son existence, placé constamment sous le coup des impulsions mor-
bides qui plusieurs fois l'ont poussé à l'accomplissement d'actes délictueux;
puis livré à lui-même il mène une vie errante, vagabonde et exerce des pro-
fessions à peine avouables. Sur ces entrefaites l'alcoolisme était intervenu, et
sur ce fonds admirablement préparé pour en favoriser et en grandir l'action,
il exerce des ravages. C'est alors que, sous l'influence puissante de cet agent
— :m) —
provocateur, l'hystérie upparaiL avec les attaques et les stigmates qui lui sont
propres, puis aussi peut-être, du mônie coup, l'épilepsic avec les accès qui tx
caractérisent.
Voilà certes une série d'événements qui se succèdent et s'enchaînent suivant
les lois d'un déterminisme implacable; et, dans cette évolution en quehpie
sorte logique, des épisodes pathologiques rien n'est fait, j'en suis sâr, pour
vous surprendre, préparés que vous êtes à en comprendre la raison, par nos
études antérieures.
Comment le médecin pourra-t-il espérer intervenir utilement dans cette
triste afiaire : peut-être autrefois, eût-on pu tenter d'opposer une digue aux
envahissements successifs du mal; mais, aujourd'hui que les destinées sont
accomplies,le mieux sera, je pense,de chercher à obtenir l'admission dumalheu-
reux « homme sauvage » dans un asile où il trouvera protection contre ses
propres écarts en même temps qu'il sera mis dans l'impossibilité de nuire
aux autres.
Il
J'en viens au second malade du groupe. C'est un pauvre diable, âgé df vingt-
quatreans,portantlenomdeRo... eau.Oh! la nature, la nature immorale comme
certains philosophes pessimistes l'appellent, ne l'a pas ménagé. Lui aussi est
un dégénéré, et cette fois l'hérédité nerveuse nous sera facile à établir. Son
intelligence est faible, pour ne pas dire plus ; il n'a jameais pu apprendre à lire ;
sa marche est gênée par l'existence de deux pieds-bots congénitaux et on lui
voit au cou de nombreuses traces de scrofule. De plus, il bégaye horriblement
comme vous aurez dans un instant l'occasion de le constater. Cependant, mal-
gré cela, avec la permission des autorités compétentes, il vit de la profession
de chanteur des rues, dans la banlieue de Paris. Voyez, il porte constamment
dans sa poche son pauvre livret de licence, sale, crasseux « à vous tirer des
larmes. » Quand il parle, il ne peut pas assembler deux mots de suite, tant il
bégaye ; mais quand il chante, quand il chante « la Fauvette ^> par exemple
— car par une ironie du sort, c'est la tendre romance qu'il cultive spéciale-
ment — c'est une autre afïaire ; cela va tout seul, paraît-il, et sans accrocs. Il
est donc abnslque, si vous voulez, de la langue et des lèvres pour l'arti-
culation parlée, il ne l'est plus quand il s'agit de l'articulation chantée ; fait
bien connu du reste.
C'est ainsi qu'il gagne sa vie, bien maigrement, couchant par-ci par-là. pour
quelques sous, dans des garnis infimes, et quelquefois aussi pour rien à la
belle étoile. 11 raconte avec emphase que, pendant un mois, il a occupé une
chambre qu'il a payée dix francs, oh ! c'était du luxe ! Les alfaires allaient ^i
— 400 —
bien dans ce temps-là ; il ne s'est plus, depuis lors, jamais trouvé à pareille
fête.
Dans la règle il ne mange pas tous les jours à sa faim. Il ne gagne guère
chaque jour, en elFet, plus de vingt sous et encore faut-il compter sur la
morte-saison.
Malgré tout, Messieurs, c'est un garçon placide, rangé, résigné, plutôt
bienveillant et j'ajouterai inoffensif, ou il me tromperait forl.
Les choses ont été pour lui, tant bien que mal, jusqu'à il y a deux mois. A
cette époque il a commencé à s'affaiblir considérablement et, en même temps,
sont survenues des attaques qui n'ont pas cessé depuis de se reproduire de
temps à autre. Telle est la raison pour laquelle il est venu demander son
admission à la Clinique.
Voici du reste son histoire : son père avait pour profession d'aller chercher
des champignons dans les bois des environs de Paris, surtout à Meudon. Il
bégayait encore plus que son fils ; c'est dire qu'il pouvait à peine parler.
C'était un ivrogne abominable, méchant, qui ne cessait pour ainsi dire pas de
battre sa femme et ses enfants. La pauvre malheureuse était, paraît-il, très ner-
veuse. Elle est morte pendant le siège.
Après la mort de sa mère, l'enfant fut réduit à mendier dans les rues de
Paris et, bientôt ramassé sur la voie publique, il fut interné à Mettray. Le seul
incident pathologique à signaler chez lui, avant son internement, c'est une
chute soudaine avec perte de connaissance, dont la durée aurait été d'une
heure, survenue au moment où, pendant le siège, une bombe éclatait non loin
de lui. Il était alors âgé de cinq ans. Pendant son séjour à Mettray,il n'a jamais
été malade. Il dit n'y avoir jamais souffert ; il trouve seulement que la viande
y était^fort mauvaise, et assure que généralement parmi les détenus, personne
n'en voulait manger. Aujourd'hui depuis qu'il est libre, il n'en mange pas beau-
coup plus ; cela coûte trop cher. On a essayé de l'instruire, mais il avait, dit-
il, « la tête trop dure » ; il n'a jamais pu rien apprendre.
Il a été libéré à l'âge de vingt et un ans, il y a donc trois ans de cela. C'est
depuis cette époque qu'il exerce le triste et peu lucratif métier que vous savez.
En somme, on peut dire que depuis ce temps il vil littéralement dans la misère,
ne mangeant guère que du pain, et encore pas tout son soûl et ne buvant que de
l'eau. Pendant les premières années, sa constitution a résisté aux effets de ce
déplorable régime ; mais il y a dix mois la dépression physique est survenue
et c'est vraisemblement sous son intluence que, la prédisposition héréditaire
aidant, l'hystérie a paru.
Elle est représentée chez notre malade sous ses deux grands aspects. Les
stigmates permanents consistent en une hémiamUgésie gauche avec légère
obnubilation du sens musculaire du même côté : fait remarquable mais qui
n'est pas sans exemple, le champ visuel de ce même côté gauche est normal
— 401 —
tandis que du C(')té droit, il est rétréci ;ï 50". En même temps, encore de ce côté-
là, il y niicroméi^alopsie et dyschromatopsie ; pas de diplopie monoculaire. Le
goiil et Todorat sont manifestement obnubilés ii gauche.
Fig. 79.
Fig. 80.
La peau du scrotum à gauche est très sensible i\ la moindre pression ; le
testicule correspondant est plus douloureux encore et quand on comprime un
peu fortement soit le testicule lui-même, soit les téguments qui le recouvrent,
le malade éprouve la sensation de quelque chose qui lui remonte vers la
poitrine et vers le cou où il éprouve un sentiment de suffocation. A ce propos.
— 402 —
je ferai remarquer que Ro...eau n'est pas^ tant s'en faut, un libidineux : il
n'est nullement tourmenté par les désirs charnels et il n'a eu de rapports
sexuels qu'une seule fois, et encore ?
Un autre point hystérogène existe au niveau de la fosse iliaque droite : il est
situé profondément et il faut soumettre la région à une compression un peu
D
Fi^. 81, — Champ visuel de l'œil droit, celui de l'œil j,Muche est normal.
forte pour déterminer les phénomènes de l'aura. Cette région devient doulou-
reuse au mouient où se produit spontanément la sensation d'aura qui précède
les attaques convulsives.
La première de ces attaques s'est produite en juin 1888, sans cause occasion-
nelle connue ; il n'avait été ni ému, ni eiïrayé^ ni contrarié. Elles n'ont pas
cessé de se reproduire depuis, de temps à autre, assez fré(|uemment. Ce sont,
en somme, des attacjues classiques précédées d'une aura qui part tantôt de la
fosse iliaque droite, tantôt du testicule gauche, tantôt de la jambe droite,
tantôt de ces divers points en même temps. La période épileptoïde est en gé-
néral très courte; le perte de conscience incomplète. Il n'y a pas de grands
mouvements, si ce n'est une esquisse assez nette de l'arc de cercle; pas d'atti-
tudes passionnelles. Les accès sont en général isolés, et ne durent pas plus de
huit u, dix minutes en tout. Une fois, à la suite d'une de ses attaques, le ma-
lade aétéfra})pé d'une hémiplégiogauche incom[)lèteavec légère contracture de
la main, tandis ([ue le membre inférieur gaucho, flasque, traînait sur le sol à
— 403 —
la manière d'un corps inerte suivant le mode classique. De cette hr'imiplégie
gauche il ne reste aujourd'hui que des traces légères.
C'est de celte époque (pie date la première apparition, assure le malade,
d'un phénomène peu connu encore dans l'histoire de l'hystérie et qui ici est
fort accentué. Je veux parler d'une atrophie musculaire, sans accompagne-
ment de secousses fibrillaircs, sans exagération ou diminution des réflexes
tendineux, portant sur l'avant-bras droit, surtout sur la cuisse et la jambe du
même côté, et qui paraît s'être développée très rapidement. Il y a sur la jambe
et la cuisse de ce côté, comparées aux parties correspondantes du côté gauche
une différence de 2 centimètres (1). Nous avons, M. Babinski et moi, appelé
depuis longtemps l'attention sur les atrophies musculaires qui se produisent
dans le cours de l'hystérie, et ([ui ne relèvent que de sa seule influence ''1).
Maislecasd'aujourd'hui présente quelque chose d'imprévu. En général, en effet
c'est du côté où se montrent la paralysie motrice et les troubles de la sen-
sibilité que siège l'amyotrophie hystérique, tandis ({ue dans notre cas, elle
occupe, au contraire, le côté opposé. Mais, il faut bien le reconnaître, nous en
savons encore fort peu sur ce genre d'atrophie musculaire, et avant de vouloir
légiférer définitivement sur son compte, nous devons savoir attendre que les
observations se multiplient.
Messieurs, en dehors des quelques particularités sur lesquelles j'ai insisté
chemin faisant, l'intérêt du cas que nous venons d'étudier ensemble, me parait
consister surtout en ceci : il montre bien, si je ne me trompe, que parmi les
agents provocateurs de l'hystérie, à côté des grandes perturbations morales,
des traumatismes, des intoxications, etc.^ il y a lieu de placer la misère, la
misère avec toutes ses duretés, toutes ses cruautés. Certes, dans le domaine
étiologique, elle constitue un élément dont on ne saurait méconnaître la puis-
sance et c'est là surtout ce que je tenais à faire ressortir.
1. Voicile résultat des mensurations faites à qualre travers des doigts, au-dessus et au-dessous
du coude et du genou.
Périmètre du bras droit, 24'-''^' — Bras gauche 24''-"
— de l'avant-bras droit, 25 '^^'-" — avant-bras eraiiche, 27 «'•■
— de la cuisse droite, 37 ^"^ — de la cuisse gauche, 39^'^"
— de la jambe droite, 32^'° — de la jambe gauche, 34 *^"=.
2. Babinski. De l'atrophie musculaire dans les paralysies hystériques. .\rch. de Neurologie
vol. 11, juillet 188(i, p. 1.
o*
IMr. NOIZBTTE, 8, RUE CAMPAGNE-PREMIÎ^RE, PARIS.
Policlinique du 19 Mars 1889
DIX-HUITIEME LEÇON
1'' Amyolrophie spinale progressive survenue à Tâge de 3 4 ans
chez un honrime qui à l'âge de 2 ans, avait été atteint de
paralysie spinale infantile.
2° Chez un homme de 24 ans : Epilepsie, Hystérie majeure
et Morphinomanie combinées.
Messieurs.
Le premier cas qui, aujourd'hui, va être soumis à notre examen est relatif
à une amyolrophie généralisée, de forme progressive, développée chez un sujet
qui, dans Tenfance, avait été frappé de paralysie spinale aiguë. alTection dont
il porte encore les reliquats. De quel genre d'amyotrophie progressive s'agit-
il chez ce malade? Existe-t-il une relation entre la maladie de l'enfance et
celle qui s'offre actuellement à notre observation: et, si cela est, quel est le
genre de cetterelation? Telles sont les questions intéressantes qui vont se pré-
senter à nous, chemin faisant, et dont nous essaierons de trouver la solution.
I
Il s'agit d'un nommé Ni. .las Du..nt, âgé de 40 ans, d'apparence assez vigou-
reuse et exerçant autrefois la profession de bijoutier en acier que la maladie l'a
obligé d'abandonner il y a 3 ans. Malgré l'intirmité produite par la paralysie
infantile, laquelle gène l'action des membres inférieurs, il a toujours pu
marcher depuis l'âge de 3 ou 4 ans, tant bien que mal, et, plus tard, il a pu
travailler habilement de ses mains, dans une profession dont l'exercice est,
paraît-il, assez fatiguant.
55
— 408 —
Voici ce qu'il raconte concernant cette paralysie d'enfance dont il sera
question plus d'une fois encore par la suite. Elle se serait développée très
rapidement vers Tàge de deux ans, et elle aurait envahi du même coup les
deux membres inférieurs et le membre supérieur droit, et dans ces membres
l'impuissance motrice aurait été, pendant plusieurs mois, absolument com-
plète. Puis est survenue, suivant la règle, la période de rétrogression ou de ré-
trocession, comme vous voudrez l'appeler. C'est alors que le membre supérieur
droit, tout d'abord se dégage ; il devait cependant, par la suite, pendant
longtemps se montrer un peu plus faible que le membre correspondant. Puis
cela a été le tour des cuisses. Mais, pour ce qui est des jambes, elles sont res-
tées depuis l'époque considérablement atrophiées, l'une et l'autre, surtout la
gauche. De plus il s'était formé à droite un pied bot, tandis qu'à gauche le
pied est demeuré flasque, ballant dans toutes les directions. Un examen som-
maire vous fait reconnaitre la forme conique des membres inférieurs, la co-
loration violacée et les rugosités que présente la peau des jambes et des pieds,
en même temps que Fapplication de la main sur ces parties vous}' fait per-
cevoir une sensation de froid très caractéristique.
A propos du développement de cette maladie d'enfance, je relèverai que
les tares nerveuses ne font pas défaut dans la famille du malade. Sa mère,
d'après le récit qu'il nous donne, était atteinte d'une«maladie de nerfs» qui la
faisait se tenir le corps courbé en avant; quand elle marchait elle allait sou-
vent plus vite qu'elle ne le voulait; ses mains tremblaient. Ces quelques traits
suffisent pour nous faire reconnaître qu'il s'est agi là de la paralysie-agitante
ou maladie de Parkinson. Ajoutons qu'un des frères de notre homme est épi-
leptique. Ces faits, vous l'avez compris, pourraient servir d'arguments en
faveur de la thèse que je soutiens depuis longtemps, à savoir : que la paraly-
sie spinale infantile est moins une maladie accidentelle, contingente, micro-
bienne surtout comme on l'a voulu prétendre, qu'une maladie d'hérédité ner-
veuse. Ils pourront contribuer peut-être du même coup à éclairer la genèse
des incidents pathologiques qui se sont produits par la suite vers Tâge de
36 ans.
Veuillez vous remettre en mémoire. Messieurs, la situation d'un sujet chez
lequel, comme c'est la règle, la paralysie infantile a laissé subsister après
elle, pour toute la vie, une impuissance motrice plus oumoins accusée d'un ou
plusieurs membres. L'anatomisteconstaterait, vous le savez, chez un tel sujet,
dans certaines régions de la moelle épinière, les vestiges de la myélite centrale
aiguë, cause de tousles désordres. Ils se présenteraient là, sous la forme d'un
tissu cicatricielplus ou moins étroitement localisé dans les cornes antérieuresde
substance grise, constituant, on peut le dire, une lésion indélébile: je l'ai
pour mon compte rencontrée plus de 00 ans après la cessation de la maladie
qui lui avait donné naissance. A ces lésions spinales, à titre de faits consé-
cutifs, correspondent dans les membres paralysés, une atrophie dégénérative
— 4(>9 ~
des troncs nerveux émanant des parties altérées des cornes antérieures, l'atro-
phie des muscles auxquels ces nerfs se distribuent et enfin, dans certains cas,
une altération de nutrition des os, s'accusant par une fragilité anormale. Cet
état du tissu osseux dans les m(;mbres affectés peut expliquer que trois
fractures se soient produites à diverses é[)oqueschez notre homme, la première
tïTagede 14 ans portant sur les deuxosde la jambe gauche, la seconde à i'àge
de ^iO ans sur l'humérus du coté droit, et la troisième enfin, trois ans plus tard
sur le même humérus. A propos de la troisième fracture, il est intéressant de
faire remarquer cettepersistance, jusqu'à l'âge mûr, delà fragilité osseuse surce
membre supérieur droit qui, un instant frappé de paralysie complète, s'était
cependant, dans la période de rétrocession, à peu près complètement dégagé.
Pour ce qui est de l'atrophie des nerfs et des muscles signalée plus haut, il
faut y voir des lésions fixées, définitives, dont on ne doit attendre aucun retour
agressif. Elles sont comme les reliquats d'un processus morbide éteint
pour toujours et qui, passez-moi le mot, ne se rallumera plus. Peut-on en dire
autant de la lésion cicatricielle de la moelle épinière ? Cela certes, n'est pas
aussi démontré. On sait bien que dans la paralysie spinale aiguë de l'enfance
il n'y a pas, à proprement parler, de récidives à craindre; c'est une maladie
qui ne nous attaque qu'une fois dans la vie. On comprend d'ailleurs que le
processus de la téphro-myélite aiguë ne puisse plus se reproduire jamais, au
moins sur ces régions des cornes antérieures où les cellules motrices ont été
irréparablement détruites. Mais le tissu cicatriciel qui dans ces régions là
s'est substitué à la substance grise ne peut-il pas être considéré comme un
foyer permanent d'irritation latente où, sous de certaines influences, l'incendie
pourra s'allumer et se communiiiuer de proche enproche aux parties voisines?
Ainsi se produiraient, par propagation, des lésions spinales nouvelles évoluant
soit dans le mode subaigu, soit dans le mode chronique et occupant princi-
palement, du moins à l'origine, les cornes antérieures. Cesont là des questions
qui se présentent naturellement à l'esprit et dont nous aurons justement à
nous occuper tout spécialement dans la suite.
II
Ainsi que nous l'avons dit il n'y a qu'un instant, M., las quoique infirme, a
pu, jusque dans ces derniers temps, gagner sa vie en exerçant sa profession de
bijoutier, et pendant cette longue période il n'avait éprouvé aucune maladie,
aucune indisposition sérieuse. Mais voilà qu'il y a 4 ans, 34 ans après l'époque
où la paralysie spinale infantile a cessé d'évoluer, sans qu'une cause appré-
ciable soit intervenue, il s'aperçoit que son épaule droite, puis le bras du
— 410 -
même côté s'afTaiblissent; si bien que Texercice de sa profession, d'abord gêné,
devint bientôt impossible. Un an après surviennent dans ces parties des four-
millements; en même temps l'atrophie des muscles intéressés y devient des plus
évidentes. Un peu plus tard, l'épaule d'abord, puis le bras gauche subissent
exactement le même sort. Enfin, c'est le tour des cuisses où les fourmillements
ainsi que l'atrophie musculaire se montrent également, et, en conséquence
de celle-ci, l'affaiblissement se prononce progressivement dans les membres
inférieurs au point que la station et la marche en deviennent de plus en plus
difficiles.
Ainsi, je le répète, le malade ayant atteint l'âge de 36 ans, on voit ce mem-
bre supérieur droit qui, 34 ans auparavant, après avoir été un moment
sérieusement impliqué dans la paralysie infantile, s'était à peu près complè-
tement dégagé, restant seulement un peu plus faible que son congénère, sur
lequel plus tard, il s'était produit deux fractures, on voit dis-je, ce membre,
devenir le siège d'une amyotrophie localisée d'abord dans l'épaule et l'avant-
bras, puis se répandant sur les parties symétriques du membre supérieur
gauche, épaule et avant-bras, et en dernier lieu apparaissant dans les membres
inférieurs où elle occupe les cuisses.
Telle a été, d'une façon sommaire, l'évolution du mal dont nous pouvons
actuellement étudier les effets. Mais avant d'entrer dans les détails, je dois
vous prévenir que l'histoire clinique de notre homme figure déjà dans la
science deux fois, comme s'il s'agissait de deux sujets difTérents. Ainsi, le cas
publié dans la Gazette médicale du 7 janvier 1888, par mon interne d'aujour-
d'hui, M. Dutil, est, je m'en suis assuré, relatif au même individu que celui
dont Tétude, faite par M. le D"^ Rémond de Metz, a paru récemment dans le
Progrès médical [il ']d.ïiy\QY 1889). Je dois à l'obligeance démon collègue
M. Debove, d'être mis en mesure de vous présenter, actuellement, ce même
malade déjà étudié séparément, avec grand soin, par les deux auteurs que je
viens de vous citer et dont j'aurai l'avantage de pouvoir utiliser les observa-
tions.
Nous avons déjà parlé de l'amaigrissement considérable qu'aux membres
inférieurs présentent les jambes par le fait de la paralysie d'enfance ; il sem-
ble que les masses musculaires aient en grande partie disparu. La peau qui
les couvre, est comme on l'a dit, froide, rugueuse, écailleuse, d'une teinte vio-
lacée. Les cuisses présentent relativement un volume assez considérable ; le
malade affirme néanmoins que depuis (|uelque temps elles ont notablement
diminué de volume. On voit, surtout le sujet étant debout, toute la masse mus-
culaire du triceps et le couturier constamment agités par des secousses fibril-
laires qui s'exagèrent sous l'iniluence du moindre choc. — N..las, se plaint
que, depuis quoique temps, la marche et la station lui sont devenues difliciles.
Il descend maintenant les escaliers avec peine. Par moment, les triceps fémo-
raux se relâchant, il est mena:é de s'airaisser. La station est instable ; il est
— 411 —
obligé à clmqiie instant de se tenir aux objets environnants et de changer de
place.
Au bras droit, les muscles du moignon de réi)aule sont atrophiés, y compris
les sus et sous épineux et le sous-scapulaire. Du deltoïde il semble ne rester
presque plus rien, et au travers de ce qui en persiste on arrive à sentir très
facilement les surfaces articulaires. Le malade ne peut pas étendre 1 avant-
bras sur le bras sans s'aider de la pesanteur ; le biceps est très atrophié mais
se dessine encore à l'état de corde sous la peau. L'adduction, et l'abduction
du bras sont impossibles, il en est de même de l'élévation. L'avant-bras est
amaigri, mais considérablement moins que le bras ; la supination est impos-
sible, la pronation très incomplète. Les muscles de l'épaule et du bras sont
agités de tremblements fibrillaires presque incessants. La main parait géné-
ralement amaigrie quand on la compare îi celle du côté opposé, mais sans
prédominance bien marquée sur les éminences thénar et hypothénar.
A gauche même atrophie, seulement moins prononcée, de l'épaule et du
bras, mêmes secousses fibrillaires. Le malade peut encore lever ce bras en l'air,
mais quand il est placé dans l'extension, le triceps ne suffit plus à le maintenir
et le poing retombe bientôt de tout son poids sur l'épaule. L'avant-bras est
beaucoup moins atrophié que celui de l'autre côté. La main paraît à peu
près normale.
Telles sont les principales particularités que l'examen des membres nous
permet de constater. A la face, pas le moindre signe d'atrophie musculaire :
les lèvres ne paraissent pas grosses ni allongées en museau ; siffler est pour
le malade chose facile; les yeux sont ouverts également des deux côtés et se
ferment complètement. Il en est de même pour ce qui concerne les muscles
du cou ; leur examen ne donne que des résultats négatifs. Au tronc, les pecto-
raux ont légèrement diminué de volume et on y voit des secousses fibrillaires.
Les autres muscles de la face antérieure du tronc et de l'abdomen ne sem-
blent pas altérés. Les muscles des gouttières vertébrales et de la masse sacro-
lombaire ne semblent pas avoir été atteints ; les muscles fessiers sont également
encore assez volumineux.
Aux cuisses, et aux membres supérieurs, les réactions électriques sont
d'une façon générale assez peu modifiées, si ce n'est cependant sur la plupart
des muscles très atrophiés, les deltoïdes par exemple, où la réaction tant gal-
vanique que faradique est absolument nulle.
Il importe de relever en terminant ce bref exposé de l'état actuel de notre
homme que les réflexes tendineux nuls chez lui aux genoux, se montrent
normaux, plutôt faibles, aux membres supérieurs ; qu'il n'existe en aucun
point du corps, à part les fourmillements dont il a été question, aucun trouble
permanent de la sensibilité cutanée ou profonde ; pas d'auesthésie cutanée,
en particulier, pas de thermoanesthésie. Aucune modification pupillaire.
D'après ce qui précède, vous voyez que la maladie qui s'est manifestée pour
— 412 —
la première fois chez notre homme il y a un peu plus de quatre ans, peut être
appelée sommairement du nom d'amyotroph^e progressive. Mais de quel
genre d'atrophie musculciire à marche progressive s'agit-il ici ? L'affection
myopathique est-elle la conséquence d'une lésion primitivement développée
dans la moelle épinière, ou est-elle, au contraire, primitive elle-même et
indépendante de toute lésion des centres nerveux ? Après quoi, la myopathie
étant classée, catégorisée, il nous faudra encore rechercher si elle se rattache
vraiment par une relation quelconque à la lésion spinale datant de l'enfance.
Ce sont là, vous le savez, les questions dont nous devons nous appliquer
maintenant à chercher la solution.
III
MaiS;, au préalable, je crois utile de vous remettre en mémoire l'arrangement
que j'ai proposé d'adopter dans le temps, pour classer les diverses formes
d'atrophie musculaire à évolution progressive.
A. Le grand groupe des amyotroj)hies spinales chroniques progressives^ comme
je l'ai appelé, comprend des affections diverses autrefois confondues sous la
dénomination commune d'atrophie musculaire progressive. C'est, vous le
savez, l'anatomie pathologique surtout qui a permis d'établir qu'il ne s'agit
pas là d'an groupe homogène. En effet les lésions qu'on peut rencontrer
dans les cas qui portent en clinique cette dénomination d'atrophie musculaire
progressive, sont très variées. Elles ont toutefois, en commun, un trait par-
ticulier qui constitue, pour ainsi dire, le caractère anatomique fondamental
du groupe. C'est la lésion des cornes antérieures de substance grise et,
plus explicitement, l'altération atrophique des cellules motrices de la région.
a). Une première catégorie à distinguer dans ce groupe, comprend les cas
qui répondent cliniquement au type décrit par Cruveilhier et surtout Duchenne,
de Boulogne et Aran (type Duchenne-Aran) ; ils sont caractérisés anatomique-
mcnt par une b'sion exactement, systématiquement, limitée aux régions anté-
rieures de la substance grise et laissant parfaitement indemnes tous les
autres départements de la moelle épinière, substance blanche et substance
grise. J'ai proposé d'appliquer à ce typed'amyotrophie spinalela qualification
de protopathique. Sa constitution qui, je le répète, reproduit en quelque sorte
dans le mode chroni(iuo, la paralysie spinahMnfantile, est relativement fort
simple. Ainsi l'élément anatomo-pathologiciue est représenté : i° dans la
moelle par une lésion systénîati([ucment limitée aux cornes grises antérieures;
l'altéi'ation des grandes cellules nerveuses étant d'ailleurs une condition
nécessaire, sine qua non, et parfois la seule lésion appréciable ; 2° dans les
— 413 —
racines motrices et les nerfs moteurs, par une atrophie, conséquence de la
lésion spinale; 3° enfin (l;ms les muscles par des lésions trophiques également
consécutives à l'altération des coiiies antérieures et d'où procède à propre-
ment parler toute la symptoniatologie de l'afTection.
A). Les choses sont plus compliquées dans une seconde catégorie d'ainyo-
trophies spinales clironi<j[ues(iue,par opposition à la précédento, je désignerai
sous le nom de deuléi-opathiques. Ici, en elTet, la lésion des cornes antérieures
etdes cellules nerveusesestnécessairement présente aussi, mais elle n'est qu'un
fait de seconde date, consécutif. La lésion originelle siège encore dans la moelle
épinière, mais elle s'est développée primitivement en dehors de la substance
grise ; ce n'est ([ue secondairement, par extension, que celle-ci a été à son tour
envahie. A la vérité, lorsque cet envahissement s'est opéré, la même série de phé-
nomènes et, en particulier, l'atrophie progressive des muscles se manifeste ; tou-
tefois, on le comprend, ces symptômes amyotrophiques se trouveront en quel-
que sorte surajoutés, danslaclinique, à ceux de la maladie s[)inale primitive.
On comprend aisément combien l'ensemble symptomatique résultant de
ces diverses combinaisons, pourra se montrer complexe et variable, car_, de
fait, il n'est peut-être pas une lésion élémentaire chronique de la moelle épi-
nière qui ne soit susceptible, à un moment donné de son évolution, de s'étendre
à la substance grise antérieure et d'y déterminer l'atrophie des cellules mo-
trices. Parmi les diverses affections qui peuvent venir figurer dans cette classe
des amyotrophies spinales deutéropathiques, je signalais la pachyméningite
cervicale hypertrophique, la sclérose tabétique des faisceaux postérieurs, divers
types de myélite centrale spontanée ou traumatique, Thydromyélie ou syrin-
gomyélie, certaines tumeurs intraspinales, la sclérose en plaques et enfin la
maladie que j'ai désignée sous le nom de sclérose latérale amyotrophique.
Aujourd'hui, après l'épreuve du temps, je ne vois vraiment rien d'essentiel
à changer, dans tout ce qui précède.
B. Un second groupe fondamental doit comprendre les cas dans lesquels
une myopathie généralisée à marche progressive se développe indépendam-
ment de toute lésion de la moelle épinière et, le plus souvent aussi, des nerfs
périphériques (1). Autrefois je n'avais à citer, comme exemple du genre, que
la paralysie dite pseudo-hypertrophique, laquelle peut évoluer, on le sait bien
i. Leço7i.s sur les maladies du système fierveiLc etc. t. II. Voir onzième leçon, p. 213 et
quatorzième leçon p. 283.
<« Je ne puis me dispenser de vous entretenir... de certaines amyotropliies qui ne relèvent pas
<r d'une lésion spinale el qui sont susceptibles cependant... de se généraliser et d'affccier une
« marche progressive. Parmi les amyotrophies de ce groupe, je citerai seulement à titre
« d'exemple, la maladie dite paralysie pseudo-hypertrophique... Je me propose de montrer qu'en
« matière d'amyotrophie progressive, il faut se garder de céder à l'envie de tout expliquer par la
« lésion des cornes spinales antérieures. Cette lésion a son domaine pathogénique, fort vaste déjà,
« il ne faut pas l'étendre à l'excès si l'on ne veut pas courir le risque de tout compromettre ».
— 414 —
aujourd'hui, sans qu'il y ait apparence d'hypertrophie, et même se montrer
constamment marquée par une atrophie manifeste de la plupart des muscles
affectés. Les travaux de MM. Erb, Landouzy el Déjerine et quelques autres
ont récemment étendu singulièrement les limites du groupe. Celui-ci, en
effet, doit embrasser aujourd'hui, en outre de la paralysie myosclérosique de
Duchenne, non pas comme espèces distinctes à mon avis, mais bien comme
formes cliniques intéressantes à considérer séparément, le type juvénile
d'Erb et le typs Duchenne-Landouzy-Déjérine. La dénomination d'amyotro-
phies ou, si vous voulez, de myopathies primitives^ par opposition à celles qui
méritent le nom de spinales, convient pour désigner cette classe.
A quel groupe, à quel genre, à quelle espèce appartient l'amyotrophie
observée dans notre cas? C'est ce qu'il nous faut examiner maintenant. A pre-
mière vue et sans y regarder de plus près, la localisation de l'atrophie dans
les muscles des épaules et des bras, les avant-bras et les mains étant relati-
vement préservés, de manière à figurer ce qu'on appelle en myopathologie
le Type scapu/o-humeral, conduirait à la rattacher au groupe des myopathies
primitives, où ce type est en quelque sorte classique. Mais en examinant les
choses attentivement, on voit se présenter un certain nombre de faits, consti-
tuant autant d'arguments qui ne permettent pas de s'arrêter à cette solution.
Contre elle, on peut faire valoir en premier lieu l'existence, chez notre sujet, de
secousses fibrillaires très intenses et généralisées à tous les muscles atrophiés
ou en voie d'atrophie. Or, pareille chose ne se voit dans aucune des formes de la
myopathie primitive. Dans celle-ci, les secousses fibrillaires sont éminemment
rares, très discrètes en tout cas, et quelques auteurs même, — peut-être à la
vérité vont-ils trop loin — prétendent que leur absence est pour la myopa-
thie primitive, un caractère absolu. Peu nous importe, du reste; les secousses
en question sont dans notre cas, je le répète, on ne peut plus accentuées; et à
ce degré, on peut l'affirmer, on ne les rencontre que dans les amyotrophies de
cause spinale.
Un autre point à relever chez N.,.las, c'est l'intégrité absolue des muscles
de la face ; tandis que, comme on sait, chez les myopathiques du type Lan-
douzy-Déjerine une atrophie de certains muscles faciaux amenant la gêne
des mouvements des lèvres, et faisant obstacle à l'occlusion complète des pau-
pières, est en quelque sorte la règle. Il ne faut pas oublier non plus que la
myopathie primitive est, sauf de trèsraresexceptions, une maladie infantile ou
pour le moins juvénile ; or, vous savez que notre malade n'a vu apparaître les
premiers symptômes de l'amyotrophie progressive qu'à l'âge de trente-six ans.
Enfin, la constatation chez lui de laréaction électrique de dc'genérescencedans
quelques-uns des muscles les plus profondément lésés, ainsi que la participa-
tion à l'atrophie des sus et sous-épineux, sous-scapulaircb et des fléchisseurs
de favant-bras, peuvent être cités encore comme autant de caractères qui
n'appartiennent pas au groupe myopalhique.
— 415 —
Pour mieux accuser le contraste j'ai fait placer à côté de N...las, un
nommé G..nat, chevrier de sa profession, qui présente les symptômes classi-
ques de la myopathie primitive. Le premier signe qui l'ait frappé est qu'il ne
pouvait plus siffler ses chèvres ; ce sont donc les muscles de la face qui ont été
prison premier. Aujourd'hui, l'atrophie porte sur les muscles des épaules et
des bras_, et elle s'y montre h un haut degré : type scapulo-huméral. Il est à
remarquer que les sus, sous-épineux, sous-scapulaire ainsi que les fléchis-
seurs de l'avant-bras sont parfaitement conservés; il en est de même des mus-
cles de la main et de l'avant-bras; l'examen le plus attentif ne fait recon-
naître sur les muscles affectés, aucune trace de secousses fibrillaires. Vous le
voyez, les analogies entre les deux cas sont superficielles, elles ne portent pas
sur le fonds.
C'est donc en résumé parmi les amyotrophies de cause spinale qu'il faut
ranger le cas de notre homme. Mais ici, il y a de?, distinctions à établir. S'agit-
il de l'une des formes quelconques des amyotro, hies spinales deutéropathi-
ques? Evidemment non. En effet, les diff'érente^ affections spinales, — tabès
syringomyélie, sclérose en plaques, etc., etc., — -qui, comme nouslerappelions
il n'y a qu'un instant, peuvent accidentellement envahir les cornes anté-
rieures de substance grise et produire en conséquence l'amyotrophie, sont
mises hors de cause par ce seul fait, que les complexus symptomatiques
qui leur appartiennent en propre, font ici complètement défaut. La sclérose
latérale amyotrophique elle-même, à laquelle il est naturel de songer toutes
les fois qu'il se présente une atrophie musculaire à marche progressive, non
accompagnée de troubles marqués de la sensibilité, doit être immédiatement
écartée. Nous avons en effet relevé avec soin chez notre malade l'absence de
contractures, de rigidité musculaire et aussi d'une exagération même minime
des réflexes tendineux ; nous aurions pu vous faire remarquer en outre qu'on
ne rencontre chez lui aucune trace de la lésion bulbaire, qui, plus de trois ans
après le début des symptômes d'amyotrophie dans les membres, ne manque-
rait pas d'exister, ne fût-ce qu'à l'état rudimentaire, s'il s'agissait véritable-
ment delà sclérose latérale amyotrophique.
En conséquence de ces éliminations successives, notre cas se trouve tout
naturellement classé, vous l'avez compris, dans la catégorie des amyotrophies
spinales protopathiques.Ici, je vous le rappelle, la lésion spinale d'où procède
l'atrophie musculaire est systématiquement localisée dans les colonnes anté-
rieures de substance grise, sans participation aucune, soit des cornes posté-
rieures ou des commissures, soitdes faisceauxblancs, tandis que, cliniquement,
le tableau symptomatique répond à ce que j'ai proposé d'appeler du nom
de type Aran-Duchenne : marche lente de l'amyotrophie progressive, absence
de troubles permanents de la sensibilité, pas d'exagération des réflexes tendi-
neux ; participation bulbaire non constante, toujours très tardive en tout cas;
secousses fibrillaires en général très accusées ; absence de rigidité muscu-
50
— /il6 —
lairedanslcs membres, et àplus forte raison de contractures, etc., etc. ; c'est bien
là l'ensemble des faits que nous a révélés l'examen de notre homme. Il est
cependant un point par lequel la symptomatologie s'éloigne chez lui de la
règle : c'est que l'amyotrophie s'est d'abord localisée sur les épaules et les
bras, tandis que dans les cas classiques du type Duchenne-Aran, c'est géné-
ralement par les muscles des éminences thénar, hypothénar et de Favant-
bras que le début s'opère. Mais on ne saurait voir là, évidemment, qu'une
anomalie d'ordre secondaire ; et d'ailleurs, s'il est vrai que le type scapulo-
huméral appartienne à la caractéristique de la myopathie primitive, il n'est
pas sans exemple^ cependant, ainsi que Vulpian l'a montré, qu'on le rencon-
tre, par exception à la vérité, dans l'amyotrophie spinale protopathique.
IV
Il ne nous reste plus désormais qu'une question à toucher. La tephro-
myélite antérieure chronique développée chez notre malade à l'âge de
trente-six ans, a-t-elle une relation quelconque avec la tephro-myélite anté-
rieure aiguë qu'il a subie dans l'enfance, à l'âge de deux ans, c'est-à-dire
trente-quatre ans auparavant; et si cette relation existe réellement, en quoi
consiste-t-elle?
Je crois, Messieurs, que la relation existe en efTet, et, en faveur de l'opinion
que je soutiens, je ferai valoir que les cas semblables au nôtre, c'est-
à-dire dans lesquels une amyotrophie progressive survient chez des indi-
vidus qui dix, quinze, vingt ans auparavant ont été atteints de paralysie
infantile spinale, ne sont pas tout à fait rares et qu'ils constituent déjà en noso-
graphie un groupe cohérent, c'est-à-dire dont tous les composants présentent
en quelque sorte un air de famille. Plus haut je vous ai dit, et je maintiens
l'assertion, que la paralysie atrophique infantile ne récidive point, à propre-
ment parler. Gela est vrai. Messieurs, en tant qu'elle ne se reproduit pas sous
forme de tephro-myélite antérieure aiguë. Mais, par contre, chez les sujets qui
portent en eux les reliquats ineffaçables de la lésion spinale infantile, il n'est
pas très rare, je le répète, de voir se manifester à échéance plus ou moins
longue, des symptômes de tephro-myélite qui évoluent cette fois, tantôt sous
la forme subaiguë ainsi que MM. Landouzy et Dejérine en ont fourni un
exemple intéressant, suivi d'autopsie ; tantôt, plus fréquemment, sous la
forme chronique. Ainsi, vous le voyez, l'existence passée d'une te phro-myélite
antérieure survenue dans l'enfance, semble constituer, en (quelque sorte, une
prédisposition au développement ultérieur de la forme subaiguë et plus parti-
culièrement de la forme chronique de la lésion systématique des cornes anté-
rieures de substance grise. Ce sont, vous l'avez compris, les faits du dernier
genre, ceux où il s'agit de la tephro-myélite antérieure chronique, qui, en
— Ul —
raison de l'étroite analogie qui les rattache au nôtre, nous intéressent plus
particulièrement. Leur histoire se trouve tracée tout au long dans un intéres-
sant mémoire de MM. Ballet (;t Dutil, [)ul>lié en 1884 dans la Revue de méde-
cine, sous ce titre signilicatif : '< Vfj qunli/ucs accidents spinaux de termines par
la prcsencn^ dans la moelle, d'un ancien foyer de myélite infantile (1). »
Je vous renvoie pour les détails à ce travail et je me bornerai ici à vous
dire d'une façon générale et sommaire ce ([ui est commun aux cas qui y sont
étudiés. — En général, le début de Tamyotrophie chroni(iue s'est fait dix,
quinze, vingt ans après l'époque où a sévi la paralysie de l'enfance. Le plus
souvent, ce sontles membres inférieurs qui ontété le siège primitif de l'atrophie
progressive ; mais il existe un certain nombre d'observations où Ton voit, comme
cela s'est produit chez N...las, les membres supérieurs pris les premiers.
Conformément à ce qui est la règle dans le type Aran-Duchenne, les muscles
des éminences thénar et hypothénar, sont, en tant qu'il s'agit des membres
supérieurs, atteints en premier lieu; mais plusieurs fois, ainsi que cela a eu
lieu chez notre malade, c'est la localisation scapulo-humérale qui s'est pré-
sentée tout d'abord. Plusieurs fois, on a relevé avec soin l'existence de se-
cousses fibrillaires, et l'absence des troubles delà sensibilité. Enfin, je ne vois
pas qu'il y ait dans ce groupe d'exemples d'une rétrocession, voire même d'un
temps d'arrêt dans l'évolution des symptômes amyotrophiques.
Vous le voyez, sur tous les points essentiels, notre cas se confond avec ceux
qui composent le groupe dont nous venons d'indiquer les principaux carac-
tères ; car on ne saurait vraiment considérer comme constituant une diffé-
rence capitale ce fait que, chez notre homme, l'apparition de l'amyotrophie
a été plus tardive que chez les autres sujets. Il n'y a là en définitive qu'une
question du plus au moins.
La conclusion de tout ceci doit être, si je ne me trompe, ({ue, contrairement
à une opinion assez généralement répandue, les individus qui ont subi autre-
fois les atteintes de la paralysie infantile spinale, ne sont pas pour cela à
l'abri de manifestations spinales nouvelles, se produisant à une époque plus
ou moins avancée de leur existence ; et, du même coup, il y a lieu de relever
que parmi ces manifestations, les plus habituelles, les plus classiques, si l'on
peut ainsi parler, ont avec la paralysie infantile un trait commun : c'est ([ue,
comme dans celle-ci, le substratum anatomique consiste en une lésion systé-
matiquement localisée dans les cornes antérieures de la substance grise. Il y
y a cette différence, toutefois, que dans la maladie d'enfance, la lésion évolue
constamment suivant le mode aigu, tandis que c'est le mode chronique qu'elle
affectera au contraire, dans la maladie de l'adulte.
1. Voir sur le même sujet, E. Thomas. De l'atrophie iiiusculaire progressive, consériitive
à la paralysie infantile, Thèse de Genève 1886. — Sattlcr. Contribution à iètude clinique de
quelques accidents spinaux consécutifs à In. tephromyélite antérieure aiguë. Thèse de Paris, 188:>.
— 418 —
Il paraît bien difficile, après ce qui vient d'être exposé, de ne pas reconnaître
que l'apparition successive chez un même sujet, dans les circonstances indi-
quées plus haut, de l'amyotrophie spinale infantile d'abord, puis de l'amyo-
trophie de l'adulte, ne saurait être le fait d'une coïncidence purement fortuite.
11 y a, à n'en pas douter, un lien causai qui rattache d'une façon quelconque
les deux événements pathologiques l'un à l'autre : il est possible que l'affection
la plus récente procède directement de la plus ancienne suivant les lois d'un
mécanisme qu'il s'agira de détermmer ; il est possible aussi que l'une et l'autre
relèvent au contraire, séparément, d'une cause commune capable de mani-
fester son influence, suivant l'époque de la vie, par des eff'ets différents. A
laquelle des deux hypothèses faudra-t-il s'arrêter ? C'est ce qu'il s'agit d'exa-
miner maintenant.
A propos d'un cas recueilli dans mon service en 1872 par M. Raymond, alors
mon interne, et communiqué par lui à la Société de biologie vers la même
époque, j'ai émis le premier peut-être l'opinion que les lésions cicatricielles
des cornes antérieures que laisse après elle la tephro-myélite aiguë de l'en-
fance, représentaient des foyers mal éteints, pouvant se rallumer sous de cer-
taines influences et propager ensuite l'inflammation aux parties avoisinantes de
la moelle épinière. Cette théorie peut sans doute s'adapter légitimement à l'in-
terprétation de certaines observations dans lesquelles, la te phro-myélite infantile
ayant définitivement paralysé un membre, on voit, longtemps après, le membre
du côté opposé se prendre à son tour lentement et s'atrophier. Dans ces obser-
vations, la paralysie atrophique de nouvelle formation est restée localisée
dans le membre qu'elle a envahi, ainsi que cela a eu lieu justement dans l'ob-
servation de M. Raymond ; elle parait n'avoir pas eu de tendance à se géné-
raliser. Mais cette théorie « de l'épine morbide » me paraît tout à fait inac-
ceptable, au moins comme élément principal, lorsqu'il s'agit du cas que nous
considérons particulièrement en ce moment. Là l'amyotrophie progressive
répond, ainsi que nous l'avons dit, au type Duchenne-Aran, et suppose, par
conséquent, une lésion systématiquement limitée aux cornes antérieures spi-
nales. Or, il serait impossible, do comprendre qu'une lésion développée, en
quelque sorte accidentellement, autour d'un foyer circonscrit, et propagée
par la voie diffuse des éléments de la névroglie, au hasard des circonstances,
puisse se conformer à une localisation aussi étroite et ne pas se répandre, çà
et là, sur la substance grise postérieure et les faisceaux blancs. Il est bien plus
vraisemblable que le système des cellules motrices est dans la tephromyélite
antérieure chronique, comme il l'avait été autrefois dans la tephromyélite
antérieure aiguë, le premier siège du travail morbide (1). C'est au voisinage
1, Conforniémcal à l'opinion que M. Charcot a soutenue dès l'origine, M. John Rissler dans
un travail fort intéressant, fait sous la direction du P' Wising, a montré qu'une altération
primitivement développée dans les cellules ganglionnaires est le point de départ des lésions
de la paralysie infantile spinale. (Nord. med. Arkiv. Stockholm 1880. Bd. XX n° 22.)
— 419 —
immédiat de ces éléments histologiques et en conséquence de « l'irritation >
qu'ils lui transmettent, qu(3 la névroglie des cornes antérieures vient à son
lour, secondaironient, prendre part au processus morbide. Chez les sujets
prédisposés, probablement par hérédité névropathique, à contracter successi-
vement, dans l'enfance, la tephromyélite antérieure aiguë, puis dans un âge
plus ou moins avancé, la tephromyélite antérieure chronique, il y aurait lieu,
d'après ce qui précède, d'admettre l'existence d'une sorte de vulntîrahiiUé
native du système des cellules motrices , vulnérabilité que les causes provo-
catrices mettraient en jeu, tantôt sous la forme d'un processus aigu, tantôt
sous celle d'un processus chronique, suivant les circonstances. Si cela est,
dans les cas que nous considérons ici et parmi lesquels flgure notre malade,
la myélite aiguë de l'enfance, et la myopathie progressive survenue par la
suite, représenteraient en quelque sorte deux épisodes logiquement enchaînés
d'une même histoire pathologique.
C'en est assez sur la théorie, considérons maintenant le côté pratique. Je
n'ose pas vous dire que nous soyons en mesure, soit par l'application de
l'électrisation méthodique, soit par l'application répétée de révulsifs
sur la région spinale, ou par tout autre moyen, d'arrêter la marche fatalement
progressive de la myopathie. A cela, je vous l'avouerai, je ne crois guère.
Mais je crois que nous pouvons compter pour le moins sur l'évolution
lente et marquée parfois par des temps de répit, qui caractérise le type
Duchenne-Aran. Certes il n'en serait pas de même si l'affection des
muscles se rattachait à la sclérose latérale amyotrophique. Dans celle-ci,
vous le savez, la terminaison fatale, annoncée par l'invasion des symptômes
bulbaires ne se fait pas attendre plus de trois, quatre, cinq ans, rarement
plus. Il n'était pas inutile, je crois, de nous arrêter un instant sur le
diagnostic de ces deux espèces morbides que rapprochent des analogies symp-
tomatiques lesquelles pendant longtemps les ont fait confondre l'une avec
l'autre, mais dont le pronostic, quoad vitam^ en somme, est si différent.
2« Malade (1).
Vous avez devant vous un malade qui présente trois éléments nosographi-
ques superposés, combinés, mais qui ne se confondent pas. Ils vivent là, sé-
1. Cette partie de la leçon a été recueillie par M. Dutil, interne dans le service de la Clinique.
— 420 —
parés, chacun pour son compte. Le premier de ces éléments est l'Épilepsie
vraie, le mal comitial; le second, c'est THystéro-épilepsie à crises mixtes ou
Grande Hystérie, et le troisième enfin est une névrose artificielle que le ma-
lade a créée lui-même, une névrose toxique, la Morphinomanie.
Il est clair que de cet assemblage d'espèces morbides résulte un état com-
plexe, une confusion de symptômes qui au premier abord paraît inextricable.
Cependant, je crois pouvoir vous dire qu'à l'aide de l'analyse clinique nous
serons à même de séparer ces éléments et de vous montrer comment ils se
sont développés côte à côte, sans s'altérer mutuellement, sans s'influencer le
moins du monde. C'est là, vous le savez, un genre de problème que nous
aimons à aborder. C'est de la pure clinique après tout. Le rôle du clinicien,
n'est-il pas de s'attacher aux choses telles qu'elles se présentent dans la na-
ture et de les simplifier, si c'est possible, sans les altérer? Mais, je dois d'abord
vous présenter notre malade.
C'est, vous le voyez, un homme plutôt vigoureux d'apparence. Il se nomme
Gu..aud, et est âgé de 24 ans. 11 exerce la profession de chaudronnier. Il est
pâle, il a les yeux hagards, l'air triste et morne. K a ses raisons pour cela;
n'oubliez pas qu'il est morphinomane. Ses antécédents héréditaires sont-ils
intéressants à signaler? L'hérédité vous dira presque tout. C'est en quelque
sorte dans un drame de famille que nous allons entrer.
Du côté paternel, il a un oncle aliéné qui est interné dans un asile. Son
père est tuberculeux.
Sa mère se mord la langue, elle a des attaques qu'on peut considérer com-
me des attaques d'épilepsie. Une de ses sœurs est épileptique, comme lui.
Voilà certes un tableau de famille chargé de lares névropathiques graves.
COTÉ PATERNKL
Ongle, aliéné
A Tasile d'Ang-ers
S 'EUR
O
PÈRE
Tuberculeux
Sœur
Épileptique
Père de mère, nerveux
COTÉ MATERNEL
Mère
Épilepsie
Se mord la lanc-ue
Notre malade
Ilyslérique
cl Epileptique
— 421 —
Venons k son histoire personnelle. Il avait 7 ans à peine lorsqu'il commen-
ça à avoir des attaques qui d(';jà présentaient les caractères très significatifs
qu'elles ont encore aujourd'hui. C'est toujours la nuit qu'elles survenaient
vers deux ou trois heures du matin. Dans ces attaques, qui ne laissaient
d'ailleurs dans l'esprit du malade aucune espèce de souvenir, il se mordait la
langue et urinait au lit. C'était le mal comitial dans toute sa pureté terrible.
Les accès étaient nombreux ; il en avait deux ou trois par semaine. Les cho-
ses allèrent ainsi, avec quelques améliorations momentanées produites par
l'emploi du bromure, jusqu'à l'âge de vingt ans. Survient alors une fièvre
typhoïde d'une extrême gravité. Pendant la convalescence, divers accidents se
sont produits sur lesquels nous reviendrons plus tard. Je signalerai seule-
ment pour le moment un certain état mélancolique qui persista longtemps.
Au sortir de cette fièvre typhoïde, les accès convulsifs reparaissent avec
une intensité nouvelle, présentant toujours les mêmes caractères. S'il fallait
une autre preuve pour vous démontrer que c'est bien d'épilepsie qu'il s'agis-
sait, je m'adresserais à certaines recherches faites par M. Lépine d'abord,
puis par M. Mairet, de Montpellier et qui ont été reprises ici dans mon ser-
vice par MM. Gilles de la Tourette et Gathelineau. Il y a longtemps qu'on
a constaté chez les épileptiques une certaine élévation de température à la
suite des accès. Il était donc intéressant de savoir ce que donnerait l'ana-
lyse des urines; or, on est arrivé à reconnaître que les accès étaient suivis
d'un accroissement de la quantité de l'urée. Un homme urine, par exemple,
25 grammes d'urée; après une attaque on en trouve 30 ou 35 grammes : il y a
donc une élévation du taux de l'urée qui semble coïncider avec l'élévation
de la température. De même la quantité des phosphates terreux et alcalins
s'accroît, tandis que le rapport des phosphates terreux vis-à-vis des phospha-
tes alcalins reste dans les conditions normales. Ces données ont un grand
intérêt au point de vue de la théorie et aussi au point de vue du diagnostic.
Elles constituent, en quelque sorte les caractères chimiques de l'épilepsie.
Eh bien, notre malade qui donne en moyenne 21 granines d'urée à l'état
normal, fournit 35 grammes d'urée et 2 grammes de phosphate, le jour d'une
attaque.
Il est donc épileptique et voilà dûment constaté, chez notre malade, le
premier élément nosographique auquel sont venus s'ajouter l'Hystéro-épilep-
sie et la Morphinomanie.
II
En procédant à un examen méthodique de notre sujet, nous avons reconnu
chez lui l'existence d'une anesthésie cutanée complète, qui embrasse toute
— 422 —
l'étendue du corps, à Texception de la plante des pieds où la sensibilité
est seulement émoussée, et de la région sous-ombilicale où l'on constate
une hypéresthésie particulière dont nous reparlerons parce qu'elle offre un
Fig. 82. — a. Anesthésie ^généralisée pour le contact,
la douleur, le chaud et le froid.
6. Plaque hypéresthésique sous ombilicale.
c. Points hystérogènes.
Fig-. 83 — a. Anesthésie.
b. Hypoanesthésie.
très grand intérêt au point de vue du diagnostic. Je tiens à vous montrer jus-
qu'à quel point cette anesthésie est parfaite. Vous voyez qu'on peut traverser
— 423 —
la peau du malade de part en part avec uneaiguille_, promener un bloc de glace
à la surface du dos sans qu'il tressaille le moins du mon«le. Il ne sent ni le
contact, ni la douleur, ni la température. Otte am[)0ule que vous apercevez
sur son épaule a été produite hier par le contact de la plaque m«Hallique du
D
Exl ^\
s. .N,i:
Fig. 84.
thermomètre de surface qu'on avait trop chaufîée et il ne s'en est nullement
aperçu. Le sens musculaire est également afTecté chez lui, mais pas d'une
façon complète. Cette anesthésie est évidemment de nature hystérique. Quelle
est la maladie organique qui pourrait produire une pareille insensibilité?
Si nous examinons les choses de plus près, nous trouvons que le goût,
l'odorat sont perdus, que l'ouïe est obnubilée, qu'il y a un rétrécissement con-
centrique permanent, très prononcé du champ visuel (voirie schéma fig. 84).
Tout cela est encore hystérique. Un neuropathologiste fort distingué de Ber-
lin, M. Oppenheim, a émis l'opinion qu'on ne pouvait pas se servir du rétré-
cissement du champ visuel pour distinguer l'hystérie de l'épilepsie, parce qu'il
se rencontrait chez les épileptiques. Oui^ sans doute, le rétrécissement du champ
visuel se retrouve dans l'épilepsie, et nous le savons bien, comme phénomène
transitoire après l'attaque. 11 peut même se rencontrer à l'état permanent dans
l'épilepsie. Sur 74 épileptiques que nous avons examinés l'année dernière, à ce
point de vue, avec le concours de M. Parinaud, nous en avons trouvé 11 qui le
présentaient. Mais en même temps nous avons trouvé chez ceux-là des points hys-
térogèneSjdcs attaques d'hystéro-éjjilepsie ou des équivalents de ces attaques;
par conséquent, il s'agissait là d'une combinaison des deux névroses et non
57
— 424 —
d'autre chose. Lorsque vous constatez, comme nous l'avons fait plusieurs fois,
une hémianesthésie et des stigmates chez un individu atteint de sclérose en
plaques, ou chez un myopathique, direz-vous que c'est la sclérose en plaques
ou la myopathie progressive qui en sont la cause? Mais non, l'hystérie, sachez-
le bien, peut se combiner, s'associer avec une foule d'autres affections et en
particulier avec l'épilepsie. Eh bien, chez ce malade, nous n'avons pas seule-
ment les stigmates de l'hystérie, nous en avons aussi les attaques. Je vous ai
montré qu'il était insensible partout, excepté sur le ventre, au-dessous de
l'ombilic. Il y a là deux choses à considérer: la région qui est tout entière
hypéresthésique et deux plaques hystérogènes (voir le schéma fig, 82). Si je
presse sur ces deux points, vous voyez les yeux du malade devenir fixes,
hagards, et si vous l'interrogez en ce moment précis, il vous répond: « Gela
monte, j'ai de la pression dans l'estomac, je ne puis plus respirer, j'ai mal à
la tète, cela me serre le front; j'ai des bruits d'oreilles. » Si on insistait on lui
donnerait une attaque. Mais quelle attaque lui donnerait-t-on? Assurément
pas une attaque d'épilepsie. En résumé, nous avons ici des stigmates très
accentués, des points hystérogènes, dont la pression détermine la production de
l'aura. Ce malade n'aurait point d'attaques convulsives que cela nous suffirait,
remarquez-le bien, pour dire : c'est un épileptique qui a quelque chose déplus
que son épilepsie; il a de l'hystérie. Mais il a, je le répète, des attaques d'hys-
térie qui surviennent spontanément et de ces attaques voici la description :
C'est au sortir de sa fièvre typhoïde qu'il est tombé dans la grande hystérie;
c'est alors que sont apparues cette anerihésie, ces douleurs de ventre, ces
crises qu'il ne connaissait pas auparavant. En quoi consistent-elles, en quoi
diffèrent-elles des crises épileptiques? Le malade les a distinguées lui-même.
Il les appelle ses crises de jour. Je lui ai demandé comment elles étaient faites
et voici ce qu'il m'a répondu : « Ce sont des crises qui commencent par quelque
chose qui me part du ventre, de l'estomac et qui me remonte à la tête. J'ai le
temps de me garer: c'est absolument ce que vous m'avez fait l'autre jour... »
Un jour je lui ai fait cette pression sur l'abdomen dont vous venez de voir
l'eftet. Il a reconnu son a^^ra et il a manifesté le désir de se coucher. Poursui-
vant sa description, le malade nous a appris que ces crises-là sont très fortes
en ce sens qu'il se débat énormément, qu'il faut deux ou trois personnes pour
le tenir, tandis que dans les crises qui viennent la nuit, il n'est jamais tombé
de son lit; qu'enfin, il ne se mord pas la langue et n'urine pas sous lui comme il
le fait dans ses crises de nuit. Ce sont bien là, si je ne m'abuse, des attaques
d'hystérie. Il y a encore un autre caractère qui nous manque et dont je vous
parlerai tout à l'heure. Je voudrais auparavant, puisque l'occasion s'en pré-
sente, vous rappeler la grande différence (jui existe suivant moi, dans la
forme, comme d'ailleurs dans le fond, entre l'attacjue d'épilepsie et l'attaque
d'hystéro-épilepsie.
Mon respect pour la tradition m'a fait jadis maintenir cette dénomination
— 425 —
d'hystéro-épilepsie; mais elle me ^êne fort, je vous l'avoue, car elle estabsurde.
Voilà un malade qui est sous le coup de deux afîections foncièrement diffé-
rentes, et elles portent lo m«*'me nom. 11 n'y a pas le moindre rapport entre
l'épilepsie et riiystjîro-cpilepsie même à crises mixtes. Ce qu'on doit dire de
cet homme, c'est qu'il est à la fois hystérique et épileptique. C'est une erreur
de dire qu'il est hystéro-npileptique, si l'on prend la signification du terme au
pied de la lettre. A ses crises de jour, qui sont des attaques de grande hys-
térie, l'épilepsie, le mal comitial, ne prend aucune part; et inversement,
l'hystérie n'intervient d'aucune façon dans ses crises de nuit : pendant le
sommeil de la nuit, vers trois heures du matin, je suppose, le voilà qui
tout à coup se raidit, ses yeux sont hagards, convulsés, il se mord la langue,
puis il se met à ronfler; cela dure un certain temps et c'est fini. Voilà l'ac-
cès d'épilepsie dans sa simplicité.
L'attaque d'hystéro-épilepsie n'est pas faite comme cela. J'en ai bien souvent
redit ici les caractères et retracé les phases. Cette fois, pour ne pas me répéter,
je vais prendre une description très fidèle, très artistique, parfaite en un mot,
qui nous vient d'Allemagne. Je l'ai trouvée dans la Gazette hebdomabaire de
Berlin; elle est accompagnée de dessins on ne peut plus fidèles et significatifs ;
ils sont la reproduction de photographies instantanées représentant un homme
en proie à une attaque d'hystéro-épilepsie. (1).
L'auteur est un chirurgien major assisté dans l'observation d'un médecin
attaché à la clinique d'Heidelberg, et le sujet un grenadier de l'armée alle-
mande âgé de 23 ans, en garnison à Carlsruhe. L'hystérie mâle n'est donc pas
vous le voyez, comme on l'a donné à entendre, un produit de nationalité ex-
clusivement française. J'ai dit ici un jour, en plaisantant, que je serais
enchanté de voir constater l'hystérie chez un cuirassier prussien. Eh bien
voilà un grenadier allemand qui est hystérique. On en trouvera, j'en suis
convaincu, dans toutes les armées du monde. Voici l'histoire : Ce grenadier
avait désiré ardemment assister aux obsèques de je ne sais quel duc ; on le
retint à la caserne et ce futlà, pense-t-on, la cause occasionnelle de sa ma-
ladie. Il tombe en attaque ; on le transporte au lazaret; les médecins étudient
avec beaucoup de talent et une grande sincérité d'observation tout ce qui se
passe et photographient toutes les attitudes du malade
Dans la première phase le sujet a les yeux fixes, c'est l'aura ; l'attaque va
commencer. Que se passe-t-il? Il a malà la tête, il entend des bruits dans les
oreilles etc. C'est la reproduction à peu près exacte de ma description dans
le premier volume de mes leçons, t^ui date de 1872.
La première phase, disent ces messieurs, ressemble tellement à l'épilepsie,
\. Oberslabarlz D"- Andrrc in Karlsriihe iind D"- Knoblaiirh Assistent an iler psychiatriîchen
Klinik in lleidelberg : Ueber einen Fall vonfh/stero-Epilepsie hei einem Manne. In Berliner
klin. Wochenschrift. N' 10, 11 marz 1889, p. 204.
— 426 —
qu'il n'y a pas de différence apparente. Yoilà l'origine de cette dénomination
d'hystéro-épilepsie. Le malade se comporte comme un épileptique, en ce
Fig. 85. — Ans der Période der contorsionen.
Fig. 86, — Mouvements de salutation.
sens qu'il [)résente une période de convulsions toniques puis de convulsions
cloniques, mais il en diffère en général par quelques points ; habituel-
lement, il ne se mord pas la langue et n'urine i)as, et si l'on intervient
violemment par des cris, ou bien en comprimant certaines zones, l'attaque
- 427 —
s'arrête, tandis qu'on narre le jamais l'accès d'épilepsie vraie par des procédés
de ce genre. En un mot ainsi que je l'ai depuis bien longtemps iiroclamé,
Tépilepsie n'est là que dans la forme.
Dans une seconde phase, le sujet s'agite, se tord dans tous les sens, fait de
grands mouvements de salutation, s'arc-boute de manière à former Tare de
cercle ouvert en avant (Emprosthonos). C'est la phase des grands mm-
vements^ des contorsions ou encore du clownisme, que nous avons si souvent
décrite. Fig. S5, SG, 87.
Pig. 87. — Arc de cercle. Emproslhotonos.
Voici enfin la troisième période, celle des attitudes passionnelles, comme
je l'appelle. Celles-ci sont dirigées en quelque sorte par des hallucinations
dont elles représentent la formule motrice. En bon militaire qu'il est, le sujet
tire des coups de fusil, s'escrime à coups de baïonnette contre un ennemi ima-
ginaire; après cela, il menace du poing, prend l'attitude du crucifiement, etc.
Bientôt, l'attaque se termine, et, après un moment de calme, il s'en produit
une seconde, une troisième etc. semblables en tout à la première. En général,
les crises d'hystéro-épilepsie, vous le savez, s'enchaînent en séries. Voilà ce
qu'on appellel'hystéro-épilepsie à crises mixtes. Sachez qu'il n'y a dans tout
cela que l'apparence deTépilepsie. La première phase qui seule est éi)ileptique,
non dans le fond, mais dans la forme, est, comme tout le reste, hystérique et
rien qu'hystérique. Fig. 88, 89,90, 91.
428
vous
Il paraît exister un autre caractère distinctif, d'ordre chimique celui-là
us disais tout à l'heure que dans l'épilepsie, MM. Lépine et Mairet
-là. Je
ont
; r
M'^'M
^(J ^)\ /////■
"i^ -2/
Fig. 88. — Période der Halluciimtionen.
Fi g. 89. — Période der Ilallucinationen.
constaté une augmentation du taux de l'urée urinaire. MM. Gilles de la Tou-
rette et Cathelineau ont fait des recherches intéressantes dont les résultats,
s'ils venaient à se confirmer, constitueraient une véritable découverte. La
phase épileptoïde de la grande attaque d'hystérie est si bien une sim^de appa-
— 429 —
rence que si l'on «Hudie les urines des hystéro-épileptiques, au lieu d'y
trouver un accroissement du taux de l'urée, on constate au contraire que
Fig. 90. — Période der Hailucinalionen.
Fig. 91. — Période der Ilalluciaationen.
l'urée a diminué. On n'a pas encore eu l'occasion de faire l'analyse des urines
de notre homme lors de ses attaques hystéro-épileptiquos, mais nous avons ici
depuis longtemps unemalade quiest comme lui, àlafoisépileptiqueethystéro-
épileptique.Chez cettefemme, le chiffre normalde l'urée estde 18gr.6Ô; or, à
— i30 —
la suite de ses crises d'hystérie, ce chiffre descend à 14 gr. Après les accès
d'épilepsie^ au contraire, l'urée remonte à 22 gr. 40 et les phosphates
s'élèvent de 1 gr. 80 à 2 gr. Si cette observation remarquable se confirme,
elle sera la plus belle preuve de ce que j'affirme depuis bien longtemps, à
savoir que dans l'hystéro-épilepsie il n'y a pas trace d'épilepsie, il n'y en a
que l'apparence. Quand les deux maladies cohabitent chez un même indi-
vidu, elles vivent séparément ; il n'y a pas de mélange entre elles, pas de
fusion, pas d'hybridité.
III
Nous arrivons au troisième élément nosographique que présente notre ma-
lade, à la névEose artificielle qu'il a créée en lui, la morphinomanie.
Et d'abord, qu'est-ce qu'un morphinomane ?
Pour une douleur quelconque, un individu se fait une injection de mor-
phine. Le médecin a l'imprudence de lui laisser une seringue entre les mains
et il contracte l'habitude de s'administrer plusieurs injections par jour.
Bientôt, il lui devient impossible de s'en abstenir sans tomber dans de états
très pénibles et quelquefois très graves. Il se fait une injection le matin au
réveil, une avant le déjeuner, une autre avant le dîner, une autre enfin avant
de se coucher, en somme quatre ou cinq dans les 24 heures. Si pour le dé-
morphiniser^, quelqu'un lui enlève sa seringue, si on ne lui donne pas la dose
du médicament qu'il s'est habitué à prendre chaque jour — la dose d'ailleurs,
jusqu'à un certain point, importe assez peu, — alors va commencer une
scène lamentable. Notre homme d'aujourd'hui est morphinomane à 30 centi-
grammes par jour. C'est ladose moyenne. Ilest des sujets morphinomanes qui
en prennent plus, beaucoup plus; d'autres, par contre qui en prennent beau-
coup moins. Ladose, comme vous voyez varie suivant les sujets ; mais, je le
répète, une dose de 0^ 30 centigrammes en 24 heures, est chose vulgaire dans
l'espèce. Voici comment notre malade est arrivé à cet état :
Vous savez comment, après sa fièvre typhoïde, il est devenu hystérique. Il
paraît qu'au début il a souffert d'une hypéresthésie très douloureuse de tout
le cùté gauche du corps, et c'est sa sœur, épileptique comme vous savez, et
morphinomane elle-même qui, à ce propos, lui a montré l'usage de la mor-
phine. Il a commencé par avoir des vomissements; il se refusait à continuer.
Sa sœur l'a encouragé et il a fini par s'y faire. Les douleurs ont disparu, mais
il est devenu morphinomane. Il n'est pas inutile de vous montrer comment il
distribue les 30 centigrammes qu'il absorbe chaque jour.
Au réveil, vers 7 heures, il se sent considérablement prostré, affaibli; si on
ne lui donnait pas alors sa première injection, il serait incapable de se lever.
— i:u —
A 11 heures et demie, le besoin de la morphine commence a se faire sentir;
il éprouve certains symptômes que je vous (lirai bientôt. Apr^s cette deuxième
injection, il mange un peu ; troisième injection à 3 heures ; quatrième injec-
tion à 0 heures qui lui permet de dîner — U-s morphinomanes ne mangent pas
beaucoup, et pour la plupart ils seraient complètement incapables de prendre
des aliments sans l'injection préalable ; — cinquième injection à 8 heures
du soir. Vers minuit, il prend ^0 gouttes de laudanum pour passer, tant bien
que mal, le reste de la nuit. Je dis tant bien que mal parce que, pour peu
qu'il dorme, surviennent bientôt des rêves où il voit des animaux menaçants,
l'enterrement deson père auquelil assistela nuit, sans lumière, et autres images
sinistres. Ces rêves procèdent-ils de l'hystérie ou de la morphinomanie ? Des
deux peut-être.
Nous appelons périodes d'euphorie les périodes pendant lesquelles le malade
n'éprouve pas le besoin de morphine. Lorsque le morphinomane espace conve-
nablement ses piqûres et s'arrange de façon à ce que les périodes d'euphorie
se confondent les unes avec les autres, il n'y a pas de diagnostic à faire ; le sujet
n'éprouve aucune souffrance marquée, aucune gêne, il ne profère aucune
plainte.
Mais lorsque les périodes d'euphorie sont séparées par des entr'actes d'amor-
phinisme,dilors les malades accusent une série de troubles qu'il faut bien con-
naître. Notre malade est, en ce moment, au début de la période de besoin. Elle
s'annonce chez lui entre autres par un phénomène particulier. C'est un trem-
blement d'un genre spécial, qui ressemble à quelques égards au tremblement
des alcooliques. Comme ce dernier, qui apparaît quand l'alcoolique est à jeun
d'alcool, il se montre dans la période d'amorphinisme et s'apaise après la prise
du médicament. Il est surtout accusé aux mains. Nous avons étudié graphi-
\V\g. 92. — a. TiMco pris un quart d'heure après Tinjection de morphine.
quement ce tremblement : il est assez irrégulier. Nous avons compté qu'il y
avait six ou sept oscillations par seconde. Vous savez qu'il y en a de 7 à 9 dans
le tremblement vibratoire de la maladie de Basedow. Ce n'est donc pas un
tremblement rapide au premier chef. 11 persiste, maisHrès faible, dans la pé-
riode d'euphorie. Dès que le besoin de morphine se fait sentir, ce tremble-
ment s'accroît; les oscillations deviennent alors, progressivement, plus grandes
58
- 432 ~
et un peu plus rapides. Ce tremblemenl a été signalé d'ailleurs par la plu-
part des auteurs qui ont décrit les symptômes de l'amorphinisme. On le
trouve déjà étudié avec quelque soin dans la thèse de M. Jouet faite en 1883,
sous ma direction. Il n'existe pas, je m'en suis assuré, dans tout les cas, même
les plus invétérés. Mais il y a d'ailleurs bien d'autres symptômes d'amorphi-
nisme que vous devez connaître parce qu'ils vous permettront de découvrir la
maladie quand les malades s'en cachent, ce qui est d'ailleurs assez fréquent.
•'^^^^M'^r^^^^^'^^^'^'-^^^'^h^-m^H^^
Fig". 93. — b. Tracé pris 2 heures après rinjection.
Fig. 94. — c. Tracé pris 4 heures et demie après l'injection.
Voici ce qui se passe le plus communément, dans les périodes amorphini-
ques. Le malade accuse des sueurs froides, une inquiétude vague, il baille
sans cesse, il est pris de coliques et va cinq ou six fois à la garde-robe, pres-
que coup sur coup ; c'est la diarrhée du morphinisme. 11 se gratte de tous
côtés. Puis des troubles psychiques se manifestent. Il devient insolent, il veut,
il exige absolument qu'on lui fasse ses piqûres ; il s'emporte et se livrerait
volontiers à des actes de violence si on ne lui cédait point. C'est un véritable
délire. Parfois il est pris de vomissements et tombe en syncope. Si on lui fait
une injection de morphine, tout rentre rapidement dans l'ordre.
Comment peut-on démasquer un morphinomane qui veut vous cacher qu'il
prend de la morphine ? Il y a une dizaine d'années, je fus appelé auprès d'une
dame qui ne pouvait plus quitter sa chambre depuis trois ou quatre ans. Elle
avait eu, à cette époque, un phlegmon du bassin très douloureux et depuis
elle traînait, se plaignant de ceci, de cela : elle avait vu je ne sais combien de
médecins ; j'étais peut-être le neuvième et tout d'abord_, je ravoue,je ne com-
prenais rien à l'affaire. Les consultations de mes collègues, qu'on m'avait com-
muniquées, ne m'apprenaient rien non plus. En interrogeant le sujet dans
tous les sens, je finis par découvrir une chose : c'est que la maladie évoluait
— 433 —
chaque jour en cinq actes, séparés par des entr'actes de calme et de bien être.
Gela me frappa et me remit dans l'esprit ce qui se passe chez les nombreux
morphiiioiTianes ({uo j'ai l'occasion de voir journellement à la Salp»'trière. Je
dis tout d'un coup : « vous avez une seringue de Fravaz? > Et aussitôt je vis
la rougeur s'étendre sur son visage et sur celui de son mari. Elle nia, tout
d'abord. — « Montrez donc vos bras ; vous vous faites des injections de mor-
phine. Depuis quand ? » — Et elle me répondit : « C'est depuis que j'ai eu ma
maladie du ventre. » La maladie << du ventre » avait depuis longtemps dis-
paru ; mais la malade était devenue morphinomane : elle n'avait pas autre
chose.
Quant à notre homme, il présente tous les phénomènes du morphinisme au
degré le plus élevé; et le voilà épileptique, hystéro-épileptique et morphino-
mane. Nous voudrions tâcher de faire quelque chose pour lui. Mais, par où
commencer ? Toutes les fois qu'un individu est en puissance de la morphine,
il n'y a pas un autre remède à placer chez lui. La morphine n'admet pas de
médication satellite ; elle règne en maîtresse absolue sur les organismes qu'elle
détient. Il faudra donc le démorphiniser, soit par la méthode de suppression
brusque, soit en diminuant progressivement les doses. Mais rien n'est plus
difficile ; les succès sont rares et les récidives fréquentes. J'ai la conviction
d'ailleurs que jamais le malade ne voudra se laisser faire. Et puis, en admet-
tant qu'on parvienne à le délivrer de la morphine, il lui restera ses deux au-
tres maladies, tenaces elles aussi, à quel degré, je n'ai pas besoin de vous le
dire ; l'hystérie peut-être autant que l'épilepsie.
En somme, je crains fort que ces trois éléments morbides qui se sont déve-
loppés chez cet homme ne continuent à vivre côte à côte encore pendant bien
longtemps.
(TS. de tt S*o. d* Typ. . t^oiiiT'. ,8, r. Campagao- Première, t'arit.
Policlinique du Mardi 28 Mai 1889
DIX-NEUVIÈME LEÇON
Accidents nerveux provoqués par la foudre.
Messieurs,
Je saisis avec empressement Toccasion qui m'est offerte de vous présenter
un sujet chez lequel nous pouvons étudier ensemble divers troubles nerveux
qui relèvent plus ou moins directement de la fulguration.
L'accident dont notre malade a été victime, s'est produit le 7 mai dernier,
c'est-à-dire il y a vingt jours à peine. L'affection qui en a été la conséquence
est donc, vous le voyez, de date toute récente, et, d'après les renseignements
que nous avons en notre possession, il nous est permis d'affirmer que les
principaux symptômes s'offrent à nous, à l'heure qu'il est, tels qu'ils se sont
montrés le lendemain même de l'orage du 7 mai ; ils ne paraissent pas, j'y
insiste, avoir subi depuis lors la moindre modification.
Messieurs, M. Boudin auquel on doit une série de travaux intéressants con-
cernant la foudre, considérée principalement au point de vue de l'hygiène
publique, pouvait dire en 1855. « Ce qui caractérise les effets de la foudre,
c'est l'imprévu, le protéiforme^, le contraste, l'opposition, le mystérieux (1). »
Le tableau était un peu forcé, sans doute, déjà pour l'époque, et le mystère
d'ailleurs tend chaque jour à disparaître, au fur et à mesure que les faits, qu'il
enveloppe de son obscurité, sont amenés à la lumière et méthodiquement
étudiés. Il n'en est pas moins vrai toutefois, qu'aujourd'hui encore, c'est une
bonne fortune pour le médecin, en particulier pour le neuropathologue, de
pouvoir étudier à loisir un homme intelligent, sincère^ qui a vu la foudre de
près et en a ressenti les effets assez durement.
Il y a longtemps que, parmi les accidents pathologiques que la fulguration
1. M. Boudin. De la fondre considérée au point de vue de Vhistoire,de la tnédecine légale
et de Vhygiene publique. Extrait des Annales d'Hygiène publique^ Paris, 1855.
o
9
— 436 —
peut produire chez l'homme, on a signalé des troubles nerveux divers et plus
particulièrement des paralysies. Dans l'espèce, celles-ci ne sont point très
rares. La plupart des foudroyéS;, quand ils ne sont pas tués sur le coup, à
part quelques cas exceptionnels où la mort survient après quelques jours, en
sont quittes pour des accidents nerveux, en général bénins et de courte
durée, parmi lesquels figurent au premier rang les paralysies. Mais quels
sont exactement les caractères cliniques de ces paralysies des foudroyés ou
kerauno-paralynes, comme vous voudrez les appeler? Présentent-elles, vérita-
blement, quelque chose de spécial, leur appartenant en propre; ou bien ren-
trent-elles au contraire, tout simplement, dans les cadres vulgaires des
paralysies traumatiques ? C'est ce qu'on ne saurait encore décider péremp-
toirement, faute d'observations et de descriptions suffisamment précises et
méthodiques, et c'est là incontestablement une circonstance bien faite pour
accroître^ à nosyeux_, l'intérêt qui s'attache au cas actuel.
Je vais maintenant exposer, avec détails, tout ce que le malade sait, tout
ce qu'il nous a dit sur la maladie pour laquelle il est venu nous consulter, et
sur les diverses circonstances au milieu desquelles elle s'est développée. Vous
serez par là mis en mesure d'apprécier à leur juste valeur les faits sur les-
quels je veux surtout appeler votre attention. Mais, auparavant, je dois vous
faire connaître ce qu'était le sujet avant l'accident du 7 mai.
D... cy, c'est ainsi qu'il se nomme, est âgé de 45 ans. Il exerce la profession
de garçon de recette attaché à une papeterie. 11 est entré à la Salpêtrière, le
22 mai, c'est-à-dire il y a six jours.
En ce qui concerne ses antécédents de famille, il nous apprend qu'un de ses
oncles, du côté paternel, était emporté, violent à l'excès. Du côté maternel, il
y a à signaler une tante tellement impressionnable, qu'elle tremblait « de tous
ses membres, à la moindre émotion » ;c'est tout. Mais il y a lieu de remarquer
que, relativement à ses grands-parents, le malade ne peut fournir aucun ren-
seignement. Il les a à peine connus.
Le récit de son histoire personnelle nous a fourni des faits dignes d'intérêt :
D...cy est né à La Martinique où il a passé les premières années de son enfance.
Puis il a habité Lyon où son père, officierd'int'anterie, se trouvait en garnison.
Là il a reçu de l'instruction ; il a fait ses classes au collège jusqu'à la philo-
sophie. Toujours il s'était montré calme, froid même, difficile à émouvoir,
lorsque, dans le cours de sa dernière année d'études, ayant été un jour mo-
lesté et humilié par un de ses professeurs, qui lui avait « tiré les oreilles », il
— VM —
riposta par un soui'llet et fut en conséquence, suivant les règlements, chassé de
l'établissement. H était alors Agé de IH ans. Furieux, son père l'obligea à s'en-
gager. Il j)artit comme soldat dans l'infanterie de marine. Iiient(jt il prit part
à l'expédition du Mexique, et, dans cette campagne, assista au siège de San
Lorenzo, à la bataille de Puebla, « où la foudre, dit-il, tonnait autant que le
canon », et à la prise de Mexico.
Libéré du service militaire à 25 ans, il s'engagea deux ans après, dans les
équipages de la flotte. Sur ces entrefaites, la guerre franco-allemande écla-
tait. D... cy lit campagne dans l'armée de la Loire : il assista aux combats de
Patay, de Coulmiers, de Marchenoire. Enfin, lors de la répression de l'insur-
rection de la Commune de Paris, par l'armée de Versailles, il prit part à la
prise du cimetière du Père-Lachaise où les « obus pleuvaient dru ». Il y fut
blessé à la jambe gauche, peu grièvement d'ailleurs par ur. éclat d'un de ces
projectiles.
J'ai tenu, messieurs, à vous faire connaître tous ces détails afin de vous
bien montrer que notre malade n'était rien moins à cette époque qu'un débile,
un pusillanime. Certes, dans ce temps-là, il n'était pas homme à prendre
peur de l'orage. Dans cette eérie d'aventures que nous venons d'énumérer et
dont quelques-unes ont été fort dramatiques, il a certainement entendu de
rudes canonnades, et assisté à des spectacles autrement terrifiants que ceux
que peut donner un orage avec ses éclairs et ses coups de foudre ; jamais
cependant sa santé n'en avait été troublée : mais alors il n'était pas dans
l'état d'affaiblissement, d'opportunité morbide où nous allons voir qu'il est
tombé depuis, et où il se trouvait justement lorsque la foudre, en le frappant
le 7 mai dernier, a déterminé chez lui la maladie qu'il nous faudra tout à
l'heure étudier.
Après la guerre D... cy navigua longtemps comme maître timonier à
bord des paquebots transatlantiques. Il y a un an, en mai 1888, il abandonna
définitivement la marine et entra comme garçon de recettes dans un établis-
sement de papeterie. Jusqu'alors, à part l'énurésie et les terreurs nocturnes
auxquelles il est resté sujet dans l'enfance jusqu'à l'âge de 5 ans, il n'avait
jamais présenté aucune marque neuropathique; il n'est d'ailleurs ni syphilitique
ni alcoolique. Mais bientôt devaient survenir des chagrins, puis des fatigues
physiques exceptionnelles qui changèrent du tout au tout la situation.
La mort de ses parents, celle de sa mère en particulier (|ui fut inopinée et
à laquelle il ne put assister, l'avaient déjà profondément ébranlé lorsque,
au mois de décembre dernier, l'exercice de sa profession qui paraît-il, est
assez pénible déjà en temps ordinaire, l'obligea, à cause des recouvrements
de fin d'année à subirdes fatigues excessives, lise « surmena » dansPacception
la plus générale du mot. Peu à peu ses forces allèrent en déclinant; il perdit
du même coup son entrain et sa vigueur d'autrefois, il était déprimé, triste,
mélancolique, et, en même temps, il se sentait vite fatigué : il éprouvait
-^ 438 —
quelque peine à monter les escaliers, les jambes lui semblaient faibles,
comme paralysées, les pieds souvent « butaient » en marchant. Il se plai-
gnait d'une sensation de poids et de constriction sur le crâne ; ses digestions
étaient pénibles, son estomac se gonflait après le repas et il était pris alors
d'invincibles envies de dormir. En un mot, les symtômes de la neurasthénie
cérébro-spinale s'étaient nettement accusés chez lui ; et, cependant, il con-
tinuait, malgré tout, à se livrer tant bien que mal, à ses occupations, très
fatigué toutefois et surtout très préoccupé de son état.
Vous le voyez, messieurs, je tiens à vous le faire bien remarquer, la santé
nerveuse de D... cy était incontestablement déjà fort ébranlée, lorsque, il y a
vingt et un jours, il fut frappé parla foudre dans les circonstances que nous
allons étudier.
II
Donc, c'était le 7 mai dernier ; il suivait à piedlagrand'route qui conduit de
Noisy-le-Sec à Paris, revenant de Noisy où il était allé faire des recouvre-
ments. Il marchait sur un des côtés du chemin, ayant le fossé à sa droite et
notez le fait, cherchant des yeux, dans les champs voisins un pied de bruyères
blanches qu'il avait remarqué en allant à Noisy et qu'il se proposait de
cueillir pour l'apporter à Paris... S'adressant au malade : Veuillez nous dire
le reste. Quelle heure était-il lorsque l'orage a éclaté ?
Le MALADE. C'était entre 3 et 4 heures de l'après-midi. Le ciel était
noir, le tonnerre grondait depuis quelque temps déjà. Je n'y portai pas
grande attention tout d'abord. Mais tout à coup, il se produisit un coup
beaucoup plus fort et beaucoup plus rapproché que les autres, et alors, je ne
sais pourquoi, j'ai pris peur; il me vint à l'idée que je pourrais bien être
foudroyé, et je pressai le pas : d'ailleurs il commençait à pleuvoir. J'avais peut-
être fait 300 ou 400 mètres, lorsque survint un second coup extrêmement
sec: j'ai vu l'éclair et j'ai entendu le coup en même temps, du moins je le
crois, car il y a à cet égard un peu de vague dans mon esprit ; mais ce que je
me rappelle bien c'est que le bruit ressemblait à un coup de canon accom-
pagné du fracas que feraient en tombant sur le sol des milliers d'assiettes.
M. CiiARCOT, aux auditew's :\em\lez prêter, messieurs, une attention particu-
lière aux détails qui vont suivre.
Au malade : C'est alors que, comme vous l'avez dit, vouf avez vu la foudre de
près ? Veuillez nous conter cela en détail.
Le MALADE : A l'instant même où j'entendais éclater au dessus de ma tête le
bruit que je vous ai dit, j'ai vu sur la route, à ma gauche, un peu en arrière de
— a:vj —
moi, peut-être à une distance de 2 ou 3 mètres, une boule de feu très
brillante et qui tourbillonnait. Elle avait à peu près laforme et les dimensions
d'un petit baril de bière, c'est-à-dire peut être 50 centimètres de long ;
c'est du moins TefTet que cela ma fait.
M. CiiAHcoT:Pouvez-vous dire si le globe de feu vous est apparu avantou après
que s'est produit le grand bruit d'assiettes brisées ?
Lk maladk :Acet égard je ne puis rien préciser, tout ce que je puis dire,
c'est que, de la boule de feu il s'est dégagé trois bouffées, trois petits nuages
Fig. 95. — D'après un croquis fait par le malade. — «, le fossé ; 6, la route ; c-, le baril
lumineux ; d, le Sujet, e e' e", les nuages do fumée.
de fumée grisâtre, d'une odeur acre, suffocante, prenant à la gorge, qui se
dirigeait vers moi. Gela ressemblait aux flocons de fumée qui sortent de la
cheminée d'une locomotive lorsqu'elle se met en marche. L'odeur était celle
du soufre ou mieux de la poudre brûlée. Tout cela a dû se passer bien vite,
car à peine avais-je aperçu sur ma gauche la boule de feu, que je me sentais
frappé à la jambe gauche, renversé à terre, et bientôt après je perdais connais-
sance.
M. CoARcoT : Parlez-nous de ce choc que vous dites avoir ressenti dans la
jambe gauche.
Le malade: Je l'ai ressenti au moment même où la boule defeu m'est apparue.
Il m'a semblé qu'on m'assénait un coup violent, comme avec une planche ou
— 440 —
un gros bâton. Cela s'est fait sentir surtout dans le pied gauche au-dessous
des chevilles, mais aussi en même temps dans la jambe et la cuisse gauches,
le côté gauche du tronc et même de la tête. Les parties où j'ai ressenti le choc
m'ont paru aussitôt lourdes, pesantes, comme engourdies.
M. CiiAïiCOT, aux auditeurs : Avant-hier, j'ai faitplacer le malade sur le tabou-
ret électrique et on a tiré d'une de ses mains à l'aide de la pomme, une
forte étincelle. Il assure avoir parfaitement reconnu la sensation particulière
de choc qu'il vient de décrire. « C'était tout à fait cela, a-t-il dit, en petit. ».. .
Mais continuons l'exposé des faits, sans plus de commentaires ; la critique
viendra plus tard. Au malado : Dites-nous, je vous prie, ce qui s'est passé après
la secousse ressentie dans le côté gauche du corps.
Le malade : Monsieur^ ainsi que je vous l'ai dit, à partir de ce moment-là
mes souvenirs deviennent plus vagues. Il me semble que j'ai été attiré ou
poussé du côté delà boule de feu, en tous cas j'ai été renversé; j'ai dû faire
un demi-tour sur moi-même en pivotant d'abord sur le côté gauche; c'est du
moins ce que je crois d'après ce qu'il me semble avoir éprouvé et aussi lorsque
je songe qu'en me réveillant, je me suis trouvé sur la route, couché sur le
dos^ le tête près du fossé, tournée du côté de Noisy, et les pieds par consé-
quent du côté de Paris.
M. Charcot: Vous avez un instant perdu connaissance?
Le MALADE : Oui, monsieur, complètement, pendant huit ou dix minutes peut-
être, mais je ne puis rien affirmer là-dessus.
M. Charcot : Vous avez compris, messieurs, que l'analyse seule, procédé tou-
jours un peu artificiel, a permis de séparer tous ces faits, qui, suivant toute
vraisemblance, se sont succédé avec une rapidité telle qu'on pourrait les dire
presque simultanés. Quoi qu'il en soit, nous voici arrivés au moment, où cou-
ché sur le dos, en pleine route, le malade reprend, au moins en partie, pos-
session de lui-même. Au malade : Continuez votre récit.
Le malade : Quand je me suis réveillé, je ne me suis pas bien rendu compte
tout d'abord de l'endroit où j'étais, ni de ce qui était arrivé : j'étais tout aba-
sourdi. J'avais uriné dans mon pantalon. Je me rappelle bien que je me suis
efforcé en vain, à deux reprises, de me dresser sur mon séant. Ce n'est qu'à la
troisième fois que j'y suis parvenu. Une fois assis, je regardai de tous côtés
autour de moi et je me mis à trembler et à pleurer, comme un enfant. Il y a
longtemps que cela ne m'était arrivé.
M. Charcot : 11 n'avait ni tremblé, ni pleuré à Puebla alors que tonnerre et
canon à l'envi faisaient rage, il n'avait pas pleuré non plus au Père Lachaise,
lorsqu'un obus est venu éclater près de lui. Mais depuis qu'il a été « touché »
par la foudre, une transformation radicale s'est produite en lui : le voilà devenu
émotif à l'excès, pleurard ; désormais sous l'infiuence de la moindre émotion
on le voit fondre en larmes, .lu malade: Vous êtes-vous souvenu enfin de ce
qui s'était passé avant que vous ne fussiez renversé ?
— 4 il —
Le malauk : Oui, monsieur. Je me suis rappelé presque aussitôt que la foudre
était tombée prôs de moi, que j'avais été fra])pé, renversé, tout ce que je vous
ai raconté en un mot. Je me suis tfité de tous les côtés, j avais peur d'avoir
quelque chose de cassé ou de brûlé. Je me suis aperçu que je n'avais rien de
« visible » et j'ai repris un peu confiance, mais j'ai eu grand mal à me mettre
sur mes jambes ; elles me semblaient excessivement lourdes; on aurait dit
que j'avais à ti-aîner des boulots. La gauche surtout^ avait peine à me porter;
elle était tout en^'ourdie, comme cela arrive quelquefois lorsque, assis surune
chaise, on s'est comprimé le nerf de la cuisse en dormant dans une mauvaise
position. Elle se dérobait sous moi ; je ne la sentnisplus guère, elle me parais-
sait gonflée ; je ne savais pas si, oui ou non, elle portait sur le sol. Cepen-
dant, j'ai pu me mettre en route et tout en boitant, je précipitai le pas, comme
un fou, ne sachant pas trop où j'allais : c'est presque instinctivement que je
me suis dirigé sur Paris, car il me semble que j'aurais pu tout aussi bien, ne
sachantpastrop ce que je faisais, retourner du côté de Noisy, tant j'étais ahuri.
M. Cuarcot: Le voilà donc qui se met en marche, boitant^ traînant la jambe
gauche, tout tremblant, obsédé, assure-t-il, constamment par une odeur de
soufre et la sensation de quelque chose d'acre qui le tenait à la gorge, et dans
un état mental sur lequel il importe d'attirer votre attention. Il avait fait
environ un kilomètre lorsqu'il recontra devant une auberge une voiture qu'il
reconnut pour appartenir à un de ses amis. Il entra dans la maison où il fut
accueilli par son ami qui, intervenant ici comme témoin, nous a raconté
dans tous les détails la conversation singulière qui a suivi leur rencontre...
L'ami le voyant tout pâle, tout tremblant^ les habits souillés par la boue et en
désordre, lui demande : « Qu'est-ce que tu as? — R. Qu'est-ce que ça te fait,
espèce de J... f. — D. Mais qu'as-tu donc? — R. J'ai que je suis f..., je suis
f..., j'ai failli être tué par le tonnerre. » En ce moment, il s'est assis. On lui
a offert à boire, mais il a refusé. Par moments, il répondait tout de travers aux
questions qui lui étaient adressées et prononçait des paroles sans suite.
Tantôt il répétait plusieurs fois : « Je voudrais bien avoir mon bouquet de
bruyères blanches. » Tantôt il disait : « Je suis f.., je suis f... » et il se mettait
à pleurer. « Il n'y avait rien à en tirer, dit son ami : Je pris le parti de le
prendre dans ma voiture et de le ramener à Paris à son domicile. »
Nous avons maintenant des renseignements sur ce qui s'est passé, lorsque
D... cy est arrivé chez lui vers 8 heures du soir, par le récit que nous a commu-
niqué labonne du marchand d(; vinchez lequel il demeure. M. D...cy,^< nousa-t-
elle dit, était très pâle lorsqu'il est arrivé à la maison ; il tremblait, il avait
les yeux égarés, il a refusé de manger et s'est couché. Je suis restée près de
lui jusqu'à^ heures après minuit. 11 disait des choses sans suite ; par moments
il ne répondait pas, et regardait fixement le plancher, toujours sur le même
point ; puis il se mettait à pleurer. Enfin il a paru s'endormir et je l'ai quitté.
Le lendemain matin, je l'ai trouvé tout aussi agité que la veille, surtout après
— 442 —
qu'il a eu reçu la visite de son patron qui lui a dit : « Vous avez eu bien de la
chance ,il y a eu, à ce qu'on m'a dit, un homme de tué. ^ Alors M. D...cy a eu
comme une crise de nerfs ; il s'est mis à trembler et à pleurer ; puis il s'est
caché la tête dans ses draps et s'est tourné du côté du mur ; il pouvait à peine
parler tant il bégayait. » — S^idressant au malade : Tout cela est-il exact?
Le malade : Monsieur, je le crois ; il me semble bien me rappeler la plupart
des choses qu'on vous a dites ; mais tout cela n'est pas bien précis dans mon
esprit.
M. Gharcot : Avez-vous vraiment dormi cette nuit-là?
Le MALADE : A peine, monsieur; à chaque instant j'avais des explosions de
larmes; j'avais la gorge serrée et je sentais des battements dans les tempes.
A peine étais-je assoupi que je révais d'éclairs, d'orage et je me dressais tout
à coup sur mon lit croyant entendre le. bruit du tonnerre.
M. Charcot: C'estbien. Veuillez nous dire, actuellement comment s'est passé
la journée du 8 mai.
Le malade: Après la visite de mon patron qu'on vous a contée, j'ai voulu
me lever; mais une fois debout j'ai failli tomber : il me semblait que ma
jambe et ma cuisse droites étaient en coton; elle ne me portait pas ; elle était
bien plus faible que la veille ; elle s'est cognée contre l'angle de ma table de
nuit et je m'y suis fait une assez forte contusion. C'est alors que je me suis
aperçu qu'elle était complètement insensible, car bien que le coup ait été assez
fort, je n'avais ressenti aucune douleur ; alors je me suis pincé la peau de
toutes mes forces et je n'ai absolument rien senti. Cependant j'ai voulu me
forcer, je suis parvenu à sortir de ma chambre, et je suis même descendu
dans la rue, traînant la jambe, mais après quelques pas, je n'en pouvais plus,
et j'ai dû rentrer chez moi. Je suis resté couché quelques jours et enfin, j'ai
pris le parti de me rendre à l'hôpital Saint-Antome d'où, le lendemain de mon
arrivée, j'ai été envoyé ici.
M. GiiARCOT : Il nous a été bienveillamment adressé par mon collègue et ami
M. Hanot qui a pensé à juste titre que le cas pouvait nous intéresser. Il a été
admis dans le service de la clinique le 22 mai, c'est-à-dire seize jours après la
fulguration.
m
Tel est, messieurs, le récit du malade, récit complété et contrôlé, comme
vous l'avez vu, dans sa dernière partie, par la personne qui a reconduit Da..cy
h son domicile, immédiatement après l'accident et par celle qui l'a vu le soir
même, ainsi que le lendemainmatin.il nous faut chercher maintenant à
apprécier les diverses circonstances de ce récit, à les mettre en place, à en trouver
— AW —
lalogique, en quelque sorte, et à déterminer surtout jusqu'à quel point elles con-
cordent avec ce que nous ont appris, relativement à la foudre et à ses effets
sur l'homme, les observations colligées par les auteurs compétents ; et, à ce
propos, je ne saurais trop vous recommander la lecture du très intéressant
Traité de la Foudre, de Sestier, publié par le D' C. Mehu (1), ouvrage fort
consciencieux^oùse trouventcatégorisés,concernantla foudre et la fulguration,
une immense quantité de documents de bon aloi,etqui,on peut le dire, renferme
sur ces questions-là, tout ce qu'on savait de positif, à l'époque toute récente
encore où il a paru. Du résultat de la comparaison que nous allons faire entre
ces documents antérieurs et ceux que nous devons actuellement soumettre à
l'épreuve de la critique, dépendra en grande partie, vous l'avez compris, la
conliance que ces derniers devront nous inspirer.
A ce propos, il importe de relever tout d'abord que notre homme recon-
naît volontiers le vague de ses souvenirs, relativement à certaines parti-
cularités de l'événement dont il a failli être victime, notamment surtout
en ce qui concerne l'ordre de succession des incidents, bien qu'il ne varie
jamais, cependant, sur les points fondamentaux. Toujours il s'est montré
modeste dans ses assertions ; jamais il n'a cherché à nous les imposer abso-
lument. Ce sont là, si je ne me trompe, des circonstances qui déposent en sa
faveur. Déplus, il nous affirme, et, à cet égard nous avons toute raison de
croire qu'il est sincère, que jamais, soit dans ses lectures soit dune autre
manière, il n'a reçu d'informations spéciales sur la foudie envisagée comme
météore et considérée dans ses diverses formes ; qu'il ne connaît guère enfm,
du phénomène de la fulguration que ce qu'en sait le vulgaire et ce qu'en ra-
content de temps à autre les « faits divers » publiés par les journaux.
Ces renseignements contribuent évidemment à établir la valeur morale du sujet,
source principale de nos informations. Maintenant vous allez être amenésà recon-
naître, après discussion, que si son histoire s'écarte à beaucoup d'égards, de ce
qu'on sait des cas de fulguration vulgaire, elle se rattache par contre, étroitement,
même par les menus détails, à un groupe de faits, exceptionnels sans doute,
mais parfaitement cohérents et nettement déterminés cependant ; et nous
trouvons là encore, à mon avis, une nouvelle garantie de la véracité du récit
de notre malade.
Il est une première objection qui,sans aucun doute, pendant la durée del'ex-
posé,se sera plusieurs fois présentée à votre esprit. D...cy assure avoirentendu
le coup de tonnerre et avoir vu la foudre. Or, l'on admet^ en général, vous le
savez, que jamais la foudre n'atteint celui qui voit l'éclair et entend le coup.
Cette croyance qui, je crois, remonte jusqu'à Pline, n'est pas. tant s'en faut,
dénuée de fondement : elle a été confirmée par une foule de faits relatés dans
les travaux d'Arago,de Boudin, dans le livre de Sestier, etc., etc., mais elle n'est
4. Paris, 186(^). 2 vqI. iii-8'\
6J
— .4U —
pas, malgré tout, applicable à tous les cas. Elle n'est légitime qu'en tant qu'il
s'agit des faits de fulguration produits par la foudre vulgaire, dite en zig-zag.
Il est certain, en effet, que la plupart des sujets frappés par cette espèce de
foudre, quand ils ne sont pas tués sur le coup, déclarent qu'ils n'ont rien vu,
rien entendu et ne savent rien, absolument rien de ce qui s'est passé. Mais
même dans ces conditions-là, il ne faut pas voir là une règle tout à fait géné-
rale : on compte des exceptions. Il est possible, tout d'abord^ qu'un individu
frappé par la foudre en zig-zag et qui aura vu l'éclair, en ait perdu le sou-
venir au moment où il reviendra à lui, en conséquence de cette amnésie
rétrograde qui se produit fréquemment par le fait de chocs traumatiques
suivis de perte de conscience. Mais il y a mieux : on cite des cas parfaitement
authentiques où le foudroyé se rappelle, en revenant à lui, la vive lumière qui
l'a douloureusement ébloui et peut-être aussi le pétillement et la sensation de
brûlure qu'il aura éprouvés à la fois (1). D'ailleurs, à côté du foudroiement
général, ily a lieu de placer la fulguration partielle, dans laquelle le sujet, même
lorsqu'il est plusou moinsgrièvement blessé, peut ne pas perdre connaissance,
ou pour le moins ne pas la perdre sur le coup. Il voit la lueur de l'éclair, il
entend le bruit du tonnerre, il se sent frappé sur telle ou telle partie de son
corps et assiste en un mot à toutes les phases de l'accident. « Un homme
observé par leD'' Gabard fut très grièvement blessé par la foudre ; il se sentit
fortement saisi ; il devint immobile et il s'aperçut que son gilet brûlait ; mais
il ne perdit pas connaissance, et son intelligence resta intacte pendant les
diverses périodes de Taccident. »
« Un matelot à bord de la remorque Le Londres, était occupé àla manœuvre
sur le mât de hune, quand la foudre le blessa ; et, bien qu'il sentît ses jambes
raides et hors d'état de lui rendre service, il eut la présence d'esprit de se
tenir aux cordages avec une main et d'éteindre avec l'autre la flamme qui
consumait son pantalon (2). »
« Les foudroyés sont parfois seulement étourdis par la décharge électrique .
Un jcuue homme cité par M. Biot, fut atteint par l'étincelle qui, sans le bles-
ser, fondit cependant plusieurs objets métalliques qu'il portait sur lui ; il
n'éprouva au moment du choc qu'un étourdissement, un éblouissement qui ne
dura ({ue sept à huit secondes (3.) »
Je pourrais citer nombre de faits du même ordre démontrant que l'asser-
tion de Pline ne doit pas toujours être prise au pied de la lettre. D'ailleurs,
je le répète, tout ce qui a été dit sur cette perte de conscience immédiate des
foudroyés et sur l'absence totale de souvenir après l'accident, n'a trait qu'à la
foudre vulgaire ou foudre en zig-zag.
1. Cas de M. Marie, oestier, t. II. p, 85.
2. Seslicr, t. II p. 95.
3. Id. loc.cit.
— 445 —
Les événements ont une marche beaucoup moins rapide quand il s'agit do
la foudre en globe. Ces derniers météores ont une évolution relativement
lente et l'homme peut, avant d'en être fn4)i)é,les voir quelquefois tout à loisir
après avoir entendu la décharge électrique qui les a produits (li. Pour ne
parler ici que de la foudre rjlohulaire ou en boule, comme on l'appelle encore,
vous savez comment les choses se passent en général en pareil cas. On voit
un éclair, on entend le bruit du tonnerre, et l'on aperçrjlt presque aussitôt un
corps lumineux, incandescent, fixe ou au contraire en mouvement, plus ou
moins volumineux. « M. Meunier (2) se trouvait dans une rue de Paris (la rue
Montholon), lorsqu'un éclair ordinaire fut presque immédiatement suivi d'un
coup de tonnerre ; alors apparut une boule énorme et lumineuse qui éclata au
milieu de la rue... » « Un ouvrier tailleur entend un grand éclat de tonnerre
et, bientôt après, un globe lumineux sort doucement de la cheminée, se pro-
mène dans la chambre et remonte par la même cheminée. » « Le 1" septem-
bre 1881 vers midi, un orage passe sur la ville (Yelletri ; la foudre tombf
près de la station du chemin de fer et presque au même instant, sur un point
opposé de la ville, une femme vit descendre du nord-ouest, avec une inclinaison
d'environ 45*», une balle de feu, rouge comme un charbon incandescent ; le
globe se mouvait assez lentement pour être parfaitement suivi de l'œil. Il vint
frapper sur le pavé de la rue où il éclata avec un grand fracas (3;. »
Pour ce qui est du globe lui-même, les uns le corhparent pour la forme et
les dimensions, à la lune^ au soleil, à un gros œuf, à une balle d'enfant. Sui-
vant d'autres, « la masse ignée et foudroyante, aurait été du volume d'un
enfant nouveau-né, d'un baril ordinaire^ d'un tonneau (4). » Veuillez remar-
quer, je vous prie, cette comparaison avec un baril relevée par Sestier ; par
une coïncidence qui, dans l'espèce, ne manque certes pas d'intérêt, c'est jus-
tement, vous ne l'avez pas oublié, celle que notre malade a invoquée pour
nous dépeindre le corps lumineux et tourbillonnant qu'il a vu, après l'éclair
et le coup de tonnerre, paraître à quelques pas de lui.
N'oubliez pas également ces petits nuages de fumée grisâtre d'une odeur
acre, suffocante, prenant à la gorge qui, suivant le récit du malade, se déga-
geaient de la masse incandescente ; l'odeur était^ il y insiste, celle du soufre
1. Seslioi't. II, p. 82.
2. Id. t. I. p. 166. Sur la foudre globulaire consultez, en outre du livre de Sestier, les tra-
vaux de M. Gaston Planté et en particulier la note qu'il a communiquée i\ l'Acadt'mie des
Sciences le 11 août 1884 (voir la Nature p. 196. 12* année 188i, 2« semestre} : consultez
aussi les intéressantes observations consignées par le savant directeur de l'observatoire météo-
rologique de Vellelri, M. le professeur Ignazio Galli, dans divers numéros du Bulletin mensuel
de la Société météorologique italienne. i^Série II. vol. V. n"» Mil. Agosto 1885 p. 125 et série II,
vol. I n* X. 1881, p. 215.)
3. Gain, loc. cit. p. 214, 1881. Voir également, dans la Xature, 1876, 2« semestre, p. 280, la
description de l'orage du 24 juillet, par G. Planté.
4. Sestier t. I, p. 150.
— 440 —
ou mieux de la poudre brûlée. Gela, remarquez-le bien, concorde encore par
tous les points avec ce qu'enseignent les auteurs compétents. « La foudre en
globe dit Sestier, répand dans l'atmosphère, près du sol et surtout dans les
maisons, une odeur le plus ordinairement sulfureuse.... » Suivant M. Peltier,
« l'odeur sulfureuse ou nitreuse qui accompagne la foudre globulaire, est beau-
coup plus intense que celle de la foudre linéaire. Souvent aussi, la boule ful-
minante répand ou fait naître dans les lieux qu'elle parcourt une vapeur ou
une fumée ordinairement sulfureuse, parfois tellement épaisse, qu'elle semble
menacer l'homme de suffocation. Au moment où une boule de feu descen-
dait dans une noue de plomb, le toit fut entouré d'une vap eur si semblable
à de la fumée, qu'on crut le grenier en feu (1). > Suivant M. le Prof. Galli qui
s'est particulièrement occupé de la foudre globulaire, l'odeur qu'elle répand est
surtout celle de la poudre brûlée (2) et, c'est dans ces termes mêmes, vous le
savez que^ D...cy s'est exprimé pour rendre compte des sensations olfactives
qu'il dit avoir éprouvées.
Par ce qui précède, vous êtes mis en mesure de reconnaître que les descrip-
tions données par les auteurs du singulier météore de la foudre globulaire se
trouvent reproduites en quelque sorte trait pour trait dans le récit de D...cy.
L'éclair, le coup de tonnerre, l'apparition du globe de feu, la fumée, l'odeur
suffocante enfin, rien n'y manque. Après cela, il n'y a pas à en douter, je
pense, c'est bien à l'évolution de ce phénomène de la foudre en globe, phé-
nomène rare, peu connu des laïques, mystérieux encore pour les savants,
mais dont la réalité toutefois n'est pas à diicuter, que notre malade a assisté.
Une autre question ^e présente. D...cy a-t-il été réellement frappé par la
foudre comme il l'affirme et comme semblent l'établir d'ailleurs diverses cir-
constances de son récit, à savoir entre autres, la rude sensation de choc
qu'il a éprouvée tout à coup dans le membre inférieur gauche, la chute, puis
la perte de conscience qui ont suivi, et enfin la paralysie de ce membre cons-
tatée lors du réveil ?Tout cela à la rigueur pourrait être considéré, me direz-
vous, comme une conséquence fort indirecte de la fulguration, comme résul-
tant, par exemple de l'ébranlement psychique produit par la seule apparition
terrifiante du météore.
En faveur de cette interprétation, on arguera peut-être de l'absence, chez
notre homme, de toute marque de fulguration imprimée soit sur sa peau soit
même sur ses vêtements. Mais ce ne saurait être là, tant s'en faut, un argument
décisif, car l'on sait que même chez les sujets tués sur le coup par fulgura-
tion ces marques peuvent faire absolument défaut ; c'est ce qui a été constaté
entre autres, par M. le professeur Tourdes [S\ sur un homme foudroyé à,
1. Siialier t. I. p. 152.
2. J. Galli, loc. cit. 1885. p. 120.
3. Dict Encyclopédique de Dechambi'C, art. Fui .^ii ration, p. 307.
— Mt —
Nancy le 18 juillet 1873, mort sur le coup : on a trouvé seulement sur cet
homme une petite déchirure à peine roussie du pantalon, et une rupture de
l'une des bottes. On comprend aisément qu'un choc beaucoup moins violent,
aura pu se produire, chez notre homme sans laisser de traces aucunes, même
sur les vêtements.
On pourra encore rappeler que, plusieurs fois, la foudre globulaire a pu
paraître presque au contact de l'homme et le toucher même, assure-t-on.sans
produire aucun accident de fulguration. Mais c'est là sans doute une excep-
tion rare, et l'on peut citer nombre de faits où, dans ces conditions là, même
sans éclater, elle a produit des lésions diverses plus ou moins sérieuses, la
syncope etc. « Ce n'est pas toujours, dit Sestier (1), que les effets de la foudre
globulaire sont innocents. » Souvent il arrive qu'elle frappe de mort ceux
qu'elle atteint, et il cite le cas du physicien Richman, l'événement de Chàteau-
neuf-les-Moutiers, celui de Feltri où soixante-seize personnes furent tuées ou
blessées par la chute de la foudre en globe. « D'ailleurs les lésions produites
sur l'homme, par la foudre en globe, ne diffèrent pas, ajoute-t-il, de celles que
cause la foudre vulgaire. Suivant M.Gaston Planté (2), le globe fulminaire
n'est point dangereux par lui-même ; « mais sa présence est néanmoins re-
doutable, car il amène l'électricité de la nuée orageuse avec laquelle il com-
munique d'une manière latente ou quelquefois visible, comme à l'extrémité
des trombes et révèle le lieu d'élection de son écouleuient. v
On pourrait enfin faire remarquer que la distance à laquelle, par rapport
au sujet, a paru la masse lumineuse, deux mètres environ, à ce qu'il assure,
est peu favorable à l'idée d'une action directe, mécanique, exercée sur le
membre inférieur gauche, le globe n'ayant pas éclaté, du moins au moment
où le choc a été ressenti. A ce propos, je suis heureux de pouvoir invoquer
l'autorité du savant directeur de l'Institut météorologique de Yelletri, M. le
Prof. Galli qui, sur ce sujet de la foudre globulaire dont il a fait une étude
spéciale, a bien voulu me fournir de précieux éclaircissements (3J. Il pense
que, même dans les conditions indiquées par le récit de notre malade, il se
peut qu'une décharge se soit détachée du globe pour venir frapper un des
membres.
En ce qui concerne la chute et la perte de connaissance, il est moins facile,
peut être, d'éliminer l'influence de l'émotion. Je ferai valoir toutefois que le
globe fulgurant a pu à un moment donné éclater, comme c'est à peu près la
règle, et, par le fait d'une action à distance bien connue dans l'histoire de la
1. T. I. p. 163.
2. Noie à l'Académie des sciences, 11 août 1SS4.
3. Communication écrite.
— i'iS —
foudre en général, et de la fuudre globulaire en particulier (1), déterminer la
sidération, sans que le sujet, devenu inconscient aussitôt que frappé, en ait
pu rien entendre. Qu'il ne se soit pas agi ici, tout simplement, d'une syncope
émotive, ou encore d'une attaque hystérique de même origine, cela est rendu
fort vraisemblable, d'un autre côté, parce fait que notre homme s'est réveillé
ayant uriné sous lui, circonstance qui semble révéler un ébranlement vrai-
ment profond de l'organisme.
Mais, de tous les arguments à invoquer en faveur de l'opinion que D...cy a
été, comme il le croit, frappé physiquement, matériellement, électriquement
par la foudre, un des plus puissants, si je ne me trompe, doit être tiré de la
description de la paralysie produite chez lui, autant qu'on en peut juger, au
moment même où il a ressenti le choc. Ses caractères cliniques, en effet, nous
le verrons dans un instant, concordent en effet sur tous les points avec ceux
qu'on assigne, ajuste titre je crois, aux paralysies déterminées par la ful-
guration dans des circonstances où l'action physique de celle-ci n'est pas con-
testable. C'est un point sur lequel je vais insister dans un instant.
Auparavant, je voudrais revenir en quelques mots, parce qu'il y a là encore
à signaler quelque chose d'assez typique, sur l'état mental que le malade a
présenté à la suite de l'accident, à partir du moment où, reprenant ses seni:., il
s'est trouvé couché sur le bord de la route. Le voilà, lui brave autrefois,, de-
venu affolé, terrifié; il pleure, il tremble, il se lamente, il prononce au mo-
ment où il rencontre son ami des jurons, des paroles grossières; il l'insulte.
Puis ce sont des phrases sans suite, incohérentes, enfantines au premier chef.
Tantôt il se dit presque mort et, un instant après, il exprime le regret de
n'avoir pas pu cueillir le bouquet de bruyère blanche qu'il cherchait sur le
bord de la route au moment où la foudre a éclaté... Singulière préoccupation
chez un homme qui se croit avoir un pied dans la tombe. Ceci concorde fort
bien, il faut le remarquer^, avec ce queditSestier des troubles psychiques immé-
diats produits parle foudroiement. Il est presque constant, assure-t-il, que les
individus frappés par la foudre éprouvent des troubles plus ou moins pro-
fonds, plus ou moins durables dans leurs facultés intellectuelles, tels sont :
l'étourdissement, la stupeur, la perte de connaissance, la perte de la mémoire,
l'incohérence dans les discours, le délire quelquefois furieux (2). « Une jeune
femme blessée au^bras, sort frénétiquement de sa chambre, et parcourt la
\. L'explosion des ^:lol)cs fulmiiiah-es peut joter à Icrre des personnes qui se li'ouvcnl à une
distmice de 200 à 300 mètres, comme cela a eu lieu dans la soirée du 20 septembre IS'ib (pf Galli,
communication écrite). Dans l'orage du i" septembre 1881, à Vellelri, la foudre globulaire a
éclaté sur le pavé de la rue, devant une maison où se trouvaient plusieurs personnes. Un
homme qui était au 2» étage de la dite maison, se sentit frappé sur la nuque et fut étourdi
pendant quelque temps. (P' GalIi. Bolletino mensuale.) Série II, vol. 1, n°10,p. 214 :1881.
2. Sestier t. II. p. 97-99.
— 449 —
maison en jetant des cris (Marc Stella). Une servante se trouve dans la cuisine
au rez-de-chaussé lors(iue la foudre y pénétre; dans s(hi effroi, elle saute par
la fent'lre (Fellstrôm). Dans le trouble de leur esprit, les foudroyés se livrent
souvent à des actes bizarres constituant un véritable délire. «Quatre hommes
s'étaient réfugiés sous un appentis, au moment où la foudre tombe à 25 ou
30 pieds ; on voit l'un d'eux se baisser comme pour ramasser quelque chose
avec ses deux mains, se redresser, élever les bras, puis se baisser de nouveau
et répéter cette manœuvre à plusieurs reprises. Ensuite, s'adressant aux per-
sonnes présentes : «. La foudre leur dit-il est si épaisse sur la terre qu'on en
peut remplir une corbeille à blé » (Linsley). C'est là ce qu'on a quelquefois
appelé le délire des foudroijés. Il prend parfois un caractère furieux. Une
chose assez remarquable, c'est que le plus grand nombre des observations qui
signalent ce genre de délire, se rapportent a des soldats, ou à des marins.
Notre malade, ne l'oubliez pas appartenait à cette classe. Il était fort coura-
geux autrefois et habitué à braver le danger. « Un marin blessé par la foudre
resta plus d'un quart d'heure dans un état de mort apparente ; à peine rap-
pelé à la vie, il jela des regards efTarés autour de lui ; puis, tout k coup, il
voulut s'échapper de son lit. On l'y retint de force; alors commencèrent ûes
plaintes, des gémissements, des pleurs accompagnés d'un tremblement de
tout le corps. Dans ses invocations fréquentes et ferventes, il appelait la Sainte
Vierge à son secours. Son anxiété, sa terreur étaient extrêmes, comme s'il avait
encore sous les yeux le tableau du péril auquel il venait d'échapper ou qu'il eût
redouté d'en être atteint une seconde fois». « Lorsque le docteur Brillouët eut
repris en partie ses sens, il éprouva un tel accès de fureur qu'il frappait la terre
avec son couteau de chasse, dont il voulait percer les bateliers du bac qui étaient
venus le secourir » (l)..rai tenu à citer ces faits parce qu'ils rappellent fort bien
ce qui s'est produit chez D..cy, lorsqu'il a repris ses sens, et nous avons relevé
que chez lui, l'état mental en question s'est prolongé jusqu'au moment où, fort
tard dans la nuit, il a fini par s'endormir. Il ne saurait vous échapper qu'il
y a lieu de se demander si ce trouble psychique mérite véritablement d'être
spécifié sous la dénomination de délire des foudroyés, et s'il ne faut pas voir
là tout simplement, comme le suggère du reste Sestier lui-même, un délire de
terreur ou d'épouvante comme vous voudrez l'appeler.
J'en viens aux quelques détails, que je crois utile de vous présenter main-
tenant, relativement à ce qu'on sait sur les paralysies des foudroyés, \o\is
n'ignorez pas que ces paralysies peuvent être jusqu'à un certain point repro-
duites expérimentalement. Il y a longtemps même qu'on s'est occupé d'étudier
les efTels de la fulguration artificielle chez les animaux, caries observations
de Troostwyck et Krayenhafï" datent de loin. Plus récenuuent, Di-ehanibre
1. Tous ces exemples sont empruntés à Sestier, loc. cit., t. II, p. 99, 100, 101.
— 450 —
dans son excellent article Fulguration, du Dictionnaire encyclopédique des
sciences médicales (1), et le professeur Nothnagel dans un mémoire fort intéres-
sant inséré dans les archives de Virchow (2), sont revenus sur ce sujet. Il faut
naturellement distinguer, dans ces expériences, les effets de la fulguration
générale de ceux de la fulguration partielle ; c'est dans ce dernier cas surtout
que les paralysies kerauno-expéi'imentales ont été étudiées. Que le choc
électrique ait été dirigé sur un membre dans le sens de la longueur ou trans-
versalement, les paralysies produites immédiatement après le choc, sont
marquées 1° par les troubles de la sensibilité à savoir : anesthésie cutanée et
profonde ; 2° par des paralysies motrices plus ou moins prononcées^ avec
diminution temporaire de l'excitabilité électrique. Un des caractères de ces
paralysies, c'est que, quoi qu'on fasse, elles ne sont pas durables. Elles ne
s'accompagnent d'aucune lésion organique appréciable et guérissent, sponta-
nément en général, en fort peu de temps, quelques heures^ un jour à peine.
Ce résultat est d'autant plus remarquable que les animaux, ainsi que l'ont
reconnu tous les auteurs qui se sont occupés de la question, sont relativement
très sensibles aux effets de la foudre, et sont souvent tués dans des circons-
tances où l'homme ne reçoit qu'une commotion (3).
Mais ce sont surtout, vous l'avez compris, les kerauno-paralysies de
l'homme qui nous intéressent plus particulièrement. Bien que nous ne possé-
dions paS;, à cet égard, des observations toujours très explicites, les faits publiés,
malgré bien des imperfections, sont en général suffisamment concordants
pour qu'on puisse relever un certain nombre de caractères cliniques qui
paraissent propres à ce genre de paralysies. Il suffît, pour s'en convaincre,
d'étudier avec soin et de comparer entre elles les nombreuses relations concer-
nant ce sujet qu'on trouve réunies et méthodiquement groupées, dans l'inté-
ressante monographie de Sestier (4).
Ces paralysies d'ailleurs, dans l'espèce, paraissent être un fait commun. Il
est rare qu'un individu foudroyé d'une façon quelconque n'en soit pas
atteint à un certain degré.
Un de leurs caractères est que le début est soudain, etd'emblée, remarquez-
le bien, elles atteignent leur maximum. Dès l'instant qui suit le choc, ou bien
dès le réveil, s'il y a eu perte de connaissance, la paralysie existe, complète
ou incomplète suivant les cas.
Elles portent à la fois sur la sensibilité et sur la motilité. Il est très rare
pour le moins que la sensibilité ait été conservée. Sestierne cite que deux cas
1. Dicl. de Dechambre, t. VI, 4* séi-ie, p. 2S5, 287.
2. Ziii' Lehre von denWirkungen des Ùlitzes auf den thierischen Korper. In Virchow's
Archiv. Achtzig. Bd., 1880, p. 327.
3. Voir Toiirdes : Art. Fulguration du dict. de Dcchambre. Cas de Vincent et autres
p. ;-'03, et Sestlcr, Vassim.
4. Loc. cit. . II, p. 112; art. 3. Paralysie des foudroyés.
— 451 —
de ce genre. On n'y voit pas, même dans les cas les plus intenses, et alors qu'il
s'agit d'une forme paraplégique, de paralysie de la vessie et du rectum, non
plus que des eschares. En somme, il paraît s'agir là, à peu près toujours,
ainsi que l'indiquent encore d'autres caractères, de paralysies périphériques.
Leur siège et leur étendue sont généralement en rapport avec le siège et
l'étendue des lésions produites par l'étincelle ; ainsi, si la lésion atteint le bras,
c'est le bras qui sera paralysé ; ce sera le pied au contraire si c'est lui qui
porte la marque du choc électrique ; enfin, si la foudre sillonne tout le côté
gauche du corps, il y aura hémiplégie gauche plus ou moins complète. Mais
il est des cas où la paralysie s'étend bien au-delà du point frappé par la fou-
dre; ainsi, chez un homme qui portait une toute petite plaie sur la cuisse gau-
che, la paralysie s'étendait à tout le membre inférieur gauche ; elle occupait
les deux membres inférieurs sous forme paraplégique, dans un cas du même
genre. Enfin, la paralysie affecte quelquefois des individus qui sans avoir- été
blessés jiar l'étincelle, se sont seulement trouvés dans sa sphère d activité à une
distance plus ou moins considérable. Tel est le cas de ces deux personnes para-
lysées momentanément, dans une maison où la foudre frappa de mort une
vieille dame et sa nièce, à Borlington (1).
La paralysie peut revêtir la forme d'une hémiplégie, d'une paraplégie ou
encore, et c'est le cas le plus fréquent, d'une monoplégie pure. Dans un cas, il
s'est agi d'une paralysie alterne. « Une femme fut atteinte par la foudre près
de Montargis ; en tombant elle crut qu'elle avait le bras et la jambe cassés.
Lorsque le D"" Gastillier arriva auprès d'elle, il la trouva paralysée de l'extré-
mité supérieure droite, depuis l'épaule jusqu'au bout des doigts, et de l'extré-
mité inférieure gauche, deiiuis l'articulation ilio fémorale jusqu'aux extrémités
des orteils. Les muscles des membres étaient mous et flasques. Depuis l'articu-
lation du poignet droit jusqu'à l'extrémité des doigts, et depuis l'articulation
dupiedgauche jusqu'au bout des orteils, la perte du sentiment suivait celle du
mouvement. Elle était totale. Quatre jours après, la malade éprouva des four-
millements dans les parties paralysées, fourmillemerxtsquilui étaient insup-
portables. Le septième jour, elle commença à mouvoir le bras droit. la main et
les doigts, et la sensibilité se manifesta en même temps à lajnain droite et au
pied gauche. Le neuvième jour, le bras avait acquis assez de force pour se ser-
vir de béquilles et venir au secours de la jambe paralysée; cela dura pondant
dix ou douze jours, après quoi on ne pouvait plus distinguer les parties qui
avaient été paralysées. 11 importe de remarquer,ajoute l'auteur decette obser-
vation (2), pour se rendre compte decette hémiplégie croisée, queja femme dont
on vient de parler fut directement blessée par la foudre au pied gauche qui fut
dépouillé de son épiderme dans une petite étendue, et qu'elle tenait la main
1. Cosmos, t. XIX, p. 31, lS(îl, .'.ans Scsticr, loc, cit. t. II, p. 113.
2. Girault, dans Seslier, loc. cit., t. II, p. IN.
a
4ô:i
droite appuyée sur un panier plein d'herbes porté par un âne qui fut tué par
Texplosion électrique. » J'ai tenu adonner en entier la relation de cette obser-
vation parce qu'elle est une des plus explicites du groupe et qu'elle signale un
grand nombre de faits intéressants au premier chef. Voici encore un fait du
même genre rapporté par mon savant confrère le professeur de Quatrefages (1).
« Lorsque M. Roaldès eut été atteint par la foudre, les membres inférieurs et le
bras droit étaient entièrement privés de sensibilité et de mouvement. Bientôt un
fourmillement se manifesta, et il ne tarda pas à retrouver le pouvoir de re-
muer légèrement les parties naguère paralysées ; trois heures après l'accident,
le malade put, en s'aidant du bras d'un de ses amis, monter sur le comble de
sa maison pour y inspecter les dégâts causés par la foudre. »
Un autre caractère est que, dès le début de ces paralysies, on peut le dire,
tout le mal est fait ; elles ne s'aggravent pas dans la suite, ou en d autres
termes elles n'ont aucune tendance progressive ; elles restent un moment sta-
tionnaires ; puis on les voit s'amoindrir et disparaître.
Leur durée est dans la règle fort courte. On voit, par les 28 observation ras-
semblées par Sestier, que la paralysie n'a pas dépassé 24 heures dans 12 cas,
c'est-à-dire dans la moitié des cas. Plusieurs fois elle a duré seulement une
domi-heure, trois quarts d'heure, deux heures ; il est très exceptionnel qu'elle
ait duré plus de huit jours, et l'on doit signaler comme des cas très rares ceux
dans lesquels elle a persisté deux ou trois mois.
Vous voyez qu'en somme, par les grands côtés, les paralysies par fulgura-
tion chez l'homme et celles artificiellement produites chez les animaux par
rétiiîcelle électrique, paraissent identiques.
Il nous faut rechercher maintenant messieurs, si la paralysie ou mieux la
parésie — car il s'agit là d'une forme légère — observée chez notre homme,
appartient au type que nous venons de décrire. Elle s'y rapporte en réalité par
son apparition immédiate, antérieure même à la perle de conscience survenue
à la suite du choc ressenti par le malade; elle était déjà parfaitement cons-
tituée au moment du réveil qui a eu lieu seulement quelques minutes après et
telle qu'elle est restée jusqu'au lendemain : elle s'y rapporte encore par la
concomitance de troubles de la sensibilité. L'anesthésie cutanée ou profonde
n'a pas été, à la vérité, constatée directement, à ce moment-là ; le malade ne
s'en est aperçu que le lendemain matin. Mais il n'est pas douteux que dès
l'origine, le sens musculaire, pour le moins, a été iflTecté, puisque suivant le
récit de D...cy, sa jambe gauche, au moment où il s'est relevé pour se mettre
en marche se dérobait sous lui ; il ne la sentait plus guère, elle lui paraissait
gonflée: « Jene savais, dit-il, si oui ou non elle portait sur le sol. » Voilà qui
est suffisamment explicite ; mais il est un point, cependant, et un point
capital, par lequel la paralysie de notre malade s'éloigne du tableau classique :
2. Soïl i;7, loc. cit. p. 1 15.
— Vï.i —
c'est que, au Vwm de s'atténuer progressivement, comme cela parait être la
règle, elle est allée, au contraire, en s'aggravant de telle sorte que le lende-
main de l'accident, lorsque le malade a voulu se lever, il Ta trouvée beaucoup
plus accentuée que la veille ; la station et la marche étant devenues à peu
près impossibles. C'est ici, messieurs, le lieu d'entrer dans une nouvelle
discussion, après avoir relevé un certain nombre de faits que, à dessein, nous
avons jusqu'à présent laissés dans l'ombre.
IV
Il résulte donc de l'observation du cas, messieurs, que la paralysie de notre
homme qui n'était pour ainsi dire qu'ébauchée après le choc, s'est trouvée
en quelque sorte confirmée et notablement aggravée le lendemain de la
fulguration et c'est en cela justement que consiste la grande anomalie que je
viens de relever ; mais si nous examinons les choses de plus près, nous allons
bientôt trouver l'occasion d'en signaler d'autres.
Etudions d'abord Tétat actuel du membre paralysé ; il ne diffère aujourd'hui
en rien d'essentiel de ce qu'il était justement le lendemain de l'accident, alors
que le malade, après une nuit agitée par des rêves terrifiants, a voulu sortir
du lit. Nous avons dit qu'à ce moment-là ce membre avait beaucoup de peine
à le porter, et que la station ainsi que la marche étaient devenues beaucoup
plus difficiles que le jour précédent. C'est un peu après que l'aneslhésie
cutanée a été bien et dûment constatée, le malade s'étant cogné le membre
contre un meuble, assez durement et n'ayant cependant éprouvé aucune dou-
leur; à la suite de quoi s'étant pincé vigoureusement il reconnut que l'insen-
sibilité était complète. Vous pouvez constater aujourd'hui, à l'aide des pro-
cédés usuels, cette anesthésie cutanée qui occupe en avant la partie antém-
externe de la cuisse et de la jambe gauche, et s'étend en arrière sur la fesse,
sur le tiers externe de la cuisse, sur le tiers inférieur de la jambe et sur le
pied (voir le schéma fig. 9(i); elle porte à la fois et à peu prés au même degré
sur le tact, la sensibilité à la douleur et à la température. Les notions du sons
musculaire sont notablement obtuses, mais non totalement supprimées en ce
qui concerne les mouvements de l'articulation de la hanche et de celle du
genou, ceux de la première surtout.
Veuillez remarquer la grande cicatrice ovalaire, luisante, gaufrée, qui se
voit au niveau du tiers inférieur de la cuisse gauche, un peu au dessus du
genou. C'est la trace d'une brûlure assez profonde, produite par l'application
d'une cuilller chaufTée au rouge. Cette application a été faite subrepticement,
sournoisement, à l'insu du médecin en- chef, de l'interne et bien entendu du
sujet lui-même, dans le service où D .. cy a séjourné un instant avant d'être
— 454 —
admis à la Salpêtrière, par un jeune élève assez peu scrupuleux, vous le
voyez, dans le choix des moyens de recherche clinique. Il espérait se con-
vaincre, paraît- il, et convaincre tout le monde, à l'aide d'une expérience
vraiment décisive, de la non-existence de l'insensibilité annoncée par le
/u-
Fig. 96.
Analsfésie. La distribution est à peu près la
même en ce qui concerne la perte des autres
modes de la sensibilité : tact, température.
— b, plaque hystérogène.
Fier. 97.
malade. Ce jeune homme est sans doute un de ces « esprits forts » élevés à
l'école du nihilisme en matière de pathologie nerveuse, dont le nombre
tend à décroître chaque jour à mesure que l'ignorance recule. Entre nous,
il me paraît avoir grand besoin de quelques bonnes leçons de déontologie
médicale. Toujours est-il que son attente a été trompée, car devant l'expé-
rience brutale à laquelle il a été soumis à son insu, D.. cy n'a pas bronché :
il ne s'est aperçu absolument de rien.
— 4.J0 —
Voici maintenant ce qui est relatif à la paralysie motrice. Le malade
marche en boitant, sans frotter le sol du pied, sans traîner le membre après
lui à la manière d'un corps inerte : sa boiterie parait tenir surtout à un défaut
d'énergie dans les mouvements de l'articulation de la hanche. C'est dans cette
jointure, principalement, que les mouvements de flexion et d'extension sont
très afl'aiblis. Le réflexe tendineux est normal ; il n'y a pas d'amaigrissement du
membre.
Cette même anesthésie, relevée à propos du membre inférieur gauche, se
rencontre tout aussi prononcée sur une bonne partie du membre supérieur du
même côté^ en particulier au niveau de l'épaule, et en même temps
B
G
Nas
Fig. 98.
tous les mouvements de ce membre sont manifestement plus faibles qu'à
l'état normal, ceux surtout qui se passent dans l'articulation scapulo
humérale. Tandis que l'exploration dynamométrique donne 24 kilos pour
la main droite, elle ne donne que 15 pour la main gauche.
Vous le voyez, en somme, dans tout ce qui précède nous ne relevons rien
qui ne puisse rentrer dans la caractéristique des paralysies par fulguration,
mais voici maintenant une série de faits qui sortent évidemment du cadre.
En portant l'investigation clinique en dehors de la sphère des membres, nous
avons reconnu ce qui suit.
Tout d'abord l'anesthésie révélée par l'examen des membres du côté gauche
se retrouve sur la partie postérieure du tronc du même côté et, encore à
gauche, sur la moitié du cou, en avant comme en arrière, ainsi que sur la moitié
— 450 —
de la tête, de telle sorte qu'il s'agit là d'une hp.mianesthésie, incomplète
à la vérité, mais fort étendue encore, cependant. Cette constatation devait
nous conduire à l'examen des organes des sens. Il nous a fait reconnaître
l'existence d'un affaiblissement très prononcé de l'ouïe, de l'odorat et du goût
à gauche, en même temps que le pharynx est insensible de ce même côté.
Le champ visuel est un peu rétréci à droite (à 70°)_, beaucoup plus rétréci à
gauche (30"). Il ya diplopie monoculaire et micromégalopsie de l'œil
gauche ; pas d'achromatopsie.
Vous avez pu remarquer lorsque j'ai examiné le malade, l'existence chez
lui d'un bégaiement assez prononcé dont il a été déjà question. Il est apparu
le lendemain de l'accident, peu après qu'il eut reçu la malencontreuse
visite de son patron qui, tout en le félicitant d'avoir échappé à un si grand dan-
ger,lui raconta quelques faits de foudroiement suivis de mort. Ces propos, vous
le savez, l'émurent vivement et, sur-le-champ, il ressentit comme une boule
qui lui montait à la gorge, puis des battements dans les tempes ; enfin la
vue se troubla et il eut « une faiblesse ». Tout cela se termina par une crise de
larmes : c'est depuis lors que le bégaiement s'est établi.
Ces divers troubles à savoir : sensation de boule, battement, des tem-
pes, etc, etc, appartiennent vous l'avez compris, à Vaura hystérique. Ils se
sont renouvelés sous forme d'accès, un grand nombre de fois depuis : à deux
reprises même, ils ont été suivis de perte de connaissance absolue, mais le
malade ignore si, dans ces circonstances, il a eu des convulsions. Il existe
d'ailleurs chez notre malade, au dessous du rebord costal du côté gauche,
une plaque hystérogène dont la compression détermine d'une façon très mani-
feste l'apparition de Vaura hystérique. Ajoutez à tout cela des traces suffisam-
ment accusées de spasme glosso-labié : la langue est tirée vers la droite, la
lèvre supérieure du côté gauche est plus relevée qu'à droite; puis, un cer-
tain nombre de symptômes d'ordre neurasthénique, tels que douleur en casque,
la plaque sacrée, la dyspepsie nerveuse, etc, et vous aurez rassemblé une
collection de faits dont la signification clinique ne saurait vous échapper.
Evidemment, nos dernières constatations nous obligent à sortir du
cadre des paralysies par fulguration : elles nous ont fait retrouver en
effet, chez notre foudroyé, la plupart des phénomènes nerveux que nous
avons vus se produire tant de fois, dans nos récentes études, à la suite des
grands ébranlements psychiques et physiques, de traumatismcs divers, des
collisions de chemin de fer en particulier; et, à propos de ces dernières, ne
peut-on pas dire qu'elles sont à beaucoup d'égards, comparables aux accidents
de fulguration, tant par la soudaineté de l'événement, le caractère terrifiant
au premier chef des circonstances, que par la violence extrême de la commo-
tion,, mécanique dans un cas, électrique dans l'autre, En somme, nous trou-
vons réunis chez notre homme, tous les éléments fondamentaux de ce comple-
xus névropatbique qu'on a, dans ces derniers temps, voulu considérer comme
'1 0 /
représentant une névrose à part, dite traumatique, et où, quant à moi, je ne
puis décidément voir autre chose que la névrose hystérique, une et indivisible,
combinée souvent, mais non nécessairement, tant s'en faut, à la névrose neu-
rasthénique.
Quoi qu'il en soit, l'hystérie ou la ne'vrose traumatique, cemme vous voudrez
l'appeler — dans l'espèce cela me paraît être parfaitement indifférent, — est
présente dans notre cas, douée de tous les caractères qui la distinguent
cliniquement. Hémianesthésie sensitive et sensorielle, avec rétrécissement très
prononcé du champ visuel : zone hystérogène; aura suivie de perte de con-
naissance, de crises de larmes ; attaques incomplètes mais très suffisamment
formulées cependant ; bégaiement ; état mental particulier mais fort vulgaire
dans les formes les plus diverses de l'hystérie virile et, quelle qu'en ait été la
cause provocatrice: n'y en a-t-il pas là assez pour lever tous les doutes et légi-
timer absolument le diagnostic? A quoi bon discuter, cola est clair comme le
jour et il faudrait être bien « préoccupé » pour ne pas voir les choses telles
qu'elles sont dans la réalité : notre malade est un hystérique et l'on peut ajouter
que l'hystérie développée chez lui, par le fait de la fulguration, ne porte pas
avec elle, dans ses manifestations cliniques, de marques vraiment spéciales,
capables de dénoncer son origine.
Après cela irons-nous, de suite, affirmer que tous les accidents névropa-
thiques qu'on a observés dans ce cas, ont été, dès les premiers commence-
ments, d'ordre hystérique ? Evidemment non. Il convienten, effet, de faire tout
d'abord la part de l'élément neurasthénique développé sous rintluence d'un
excès de travail et de chagrin qui, ainsi que nous l'avons expressément signalé,
préexistait à l'accident. Et puis, il faut se demander si les premiers lioubles
nerveux apparus immédiatement après la fulguration, au moment du choc
reçu sur le membre inférieur gauche, ne relèvent pas directement de la com-
motion électrique. Eh bien, messieurs, relativement à ce dernier point, mon
opinion est qu'il y a eu véritablement chez notre sujet, au moment même où il
dit avoir ressenti le coup, paralysie par fulguration, et c'est sur cette paralysie
que, ultérieurement la paralysie hystérique est venue se greffer. Vous pré-
voyez certainement, et sans qu'il soit nécessaire d'insister, comment, d'après
moi, les choses se seraient passées : il s'est produit, réellement, le 7 mai, au
moment où, à la suite d'un grand coup de tonnerre, le globe de feu a paru sur
la route, un choc électrique, local, immédiatement suivi d'une esquisse de
paralysie dans le membre frappé. Puis à la faveur de l'état préexistant de
neurasthénie cérébrale,créé par des chagrins et un surmenage récents, l'hystérie
s'est bientôt développée, sous l'influence de la commotion physique et de
l'ébranlement psychique qui l'a accompagnée, celles-ci jouant, par rapport à
la névrose, le rôle d'agents provocateurs.
Remettez-vous un instant devant l'esprit, l'état mental du sujet pendant la
soirée et la nuit qui ont suivi l'accident : égaré, terrifié, tremblant, pleurant
— 458 —
comme un enfant, puis rêvant de tonnerre et d'éclairs, sachant qu'il avait été
frappé par la foudre et de ce fait paralysé d'un membre, en proie d'ailleurs
aux pressentiments les plus sombres, il a dû, vous le concevez aisément, dans
un pareil état d'esprit qui ne s'éloigne sans doute pas beaucoup de celui que
produit l'hypnotisme, compléter, si l'on peut ainsi parler, la paralysie
hystérique déjà existante, et l'amplifier en conséquence d'une auto-sugges-
tion^ ou autrement dit, d'une sorte de rumination mentale. C'est ainsi que
la paralysie est venue se superposera l'ébauche de paralysie déterminée par
le choc électrique et c'est dans ce temps-là aussi, vraisemblablement, que se
seront manifestés les stigmates sensitifs et sensoriels, les attaques précédées
d'aura spéciale, et autres marques révélatrices de la diathèse hystérique.
Il était du reste à prévoir que les fulgurations partiellcis ou générales, lors-
qu'elles rencontreraient chez les victimes un terrain préparé, devraient
déterminer ce développement d'accidents hystériques, tout comme elles déter-
mineraient l'apparition d'affections nerveuses d'un autre ordre, la chorée,
l'épilepsie par exemple, etc., etc., si la prédisposition était autre. C'est ainsi
que les choses se passent dans les chocs par collision de trains et il n'y a
aucune raison pour qu'elles ne se passent pas de même dans les cas de fulgu-
ration.
Toujours est-il que, comme on voit, la foudre doit, ainsi qu'on pouvait s'y
attendre, figurer parmi les agents provocateurs de l'hystérie, et même il est
singulier que les faits à l'appui de cette proposition, ne se rencontrent pas,
dès à présent, en plus grand nombre dans les recueils scientifiques. Je pourrai
cependant, dans un instant vous citer trois cas de cet ordre. Trois cas, c'est
peu; mais je dois avouer que mes recherches, à ce sujet, n'ont pas été très
étendues; d'ailleurs, j'en suis convaincu, le nombre de ces faits se multii»liera
très certainement, si à l'avenir on étudie, à la lumière de nos connaissances
actuelles concernant l'hystérie, l'hystérie masculine surtout, les troubles ner-
veux divers qui s'observent chez les foudroyés.
La première des observations auxquelles je faisais allusion tout à l'heure
appartient à M. le professeur Nothnagel (1). Il s'agit d'un forgeron âgé de
36 ans, observé pour la première fois, le 24 octobre 1879. Six ans aupara-
vant, vers 10 heures du soir, revenant chez lui pendant un oragC;, il fut frappé
par la foudre et resta sans connaissance. Lorsqu'il revint à lui, sa main droite
était insensible, presque incapable de mouvement et portait sur sa face dor-
sale une plaque brune de la dimension d'un thaler environ. On le traita par
l'électrisation. 11 avait été électrisé pendant six semaines sans succès, lorsqu'un
jour, tout à coup, inopinément, la sensibilité et le mouvement reparurent.
Six ans après, pendant qu'il travaillait de son métier, son marteau lui parut
lourd et bientôt se reproduisit, comme la première fois la paralysie du mou-
1. Virrhow's Archiv., 4880, t. LXXX, p. 345.
— 459 —
vement et de la sensibilité dans la main. Le malade est sorti de la clinique,
guéri, quatre mois seulement après. A l'époque où il a été admis à rh(jpital,
on a relevé ce qui suit. Il y a un peu d'atro^ihie des interosseux, de l'émi-
nence ihénar et hypothénar ; les mouvements du poignet et des doigts sont
très faibles; im[)()ssil)ilité d'écarter les doigts et de fermer le poing complète-
ment. L'anesthésie de la main est complète : << on peut lui planter une aiguille
dans la main, lui appliquer les courants induits les plus énergiques ou le pin-
ceau électrique, y placer de la glace ou de l'eau chaude, lui appuyer sur la
main de tout le poids du corps avec le talon de la botte, il ne sent rien.
Sens musculaire complètement aboli ; il ne se rend nul compte des mouve-
ments qui, lorsqu'il a les yeux clos, sont imprimés à ses doigts. Les limites
de cette anesthésie sont très spéciales. Elle comprend la main entière et cesse
un peu au-dessus du pli du poignet par une ligne droite circulaire passant
au niveau des apophyses styloïdes. Les courants continus étnnt restés sans effet,
on appliqua au voisinage de la main un gros aimant; au bout de trois quarts
d'heure de cette application, il se produisit un fourmillement dans la main
et bientôt après la sensibilité y reparut. Après six ou sept nouvelles applica-
tions de l'aimant, la guérison était complète.
L'auteur de cette relation qui est, comme chacun sait, un observateur des
plus distingués, ne manque pas de reconnaître qu'il existe des analogies
frappantes entre la paralysie observée chez ce malade et les paralysies hysté-
riques : même invasion brusque, même guérison soudaine; même mode de
limitation de l'anesthésie par une ligne droite circulaire (anesthésie en forme
de gant), pourrions-nous ajouter aujourd'hui. « Mais comment admettre que
l'hystérie soit en cause chez un homme robuste ? A peine est-il besoin d'émet-
tre cette hypothèse : elle sera naturellement repoussée du premier coup. » A
l'heure qu'il est, on ne saurait plus avoir de pareils scrupules et l'on recon-
naîtrait,assurément,que c'est bien de l'hystérie qu'il s'est agi chez cet homme,
au moins dans le second épisode de son histoire.
La deuxième observation a été présentée par M. Gibier de Savigny, alors
interne des hôpitaux, à la Société de Biologie et reproduite dans la Revue
médicale française et étrangère, n° du 19 mars 1881 (1); Le sujet est un homme
de 28 ans exerçant la profession d'infirmier à l'hôpital du Midi. Il est issu d'un
père émotif qui a eu plusieurs crises nerveuses (?) et d'une mère également
nerveuse mais sans crises. Lui, a été autrefois atteint de rhumatisme articu-
laire aigu. Cinq ans avant l'époque où il a été observé, la foudre tomba à 8 ou à
10 mètres de lui et fit une grande brèche dans un mur voisin. Il fut renversé et
perdit connaissance une demi-heure. Lorsqu'il revint à lui, il rendit du sang par
le nez, la bouche et les oreilles. Son membre supérieur droit était paralysé.
1. Noteaur un cas de monoplégie brachiale droite produite par la foudre. Guérison. Réap-
parition passagère de la paralysie à l'occasion de chaque orage.
62
— 460 —
insensible et flasque. La paralysie dura telle quelle pendant trois mois, mais
ce ne fut qu'au bout de six mois que le membre récupéra complètement ses
fonctions normales et encore ne peut-on pas dire que laguérison ait été abso-
lument complète, puisque, depuis lors, la paralysie reparaît pendant quelques
heures à Foccasion de chaque orage.
Dans l'intervalle de ces récidives^, le membre droit est parfaitement normal
sous tous les rapports et particulièrement en ce qui concerne la sensibilité et
le mouvement. Mais lorsque survient un orage, à mesure que le bruit du
tonnerre se rapproche, on voit, à la suite de quelques prodromes parmi
lesquels figure la sensation dans l'œil droit d'un cercle lumineux présentant
les couleurs de l'arc-en-ciel (scotome scintillant ?) on voit, dis-je, la paralysie
se reproduire sur le membre supérieur droit avec perte complète de la sensi-
bilité et du mouvement. Gela dure environ deux heures en moyenne, après
quoi surviennent des fourmillements qui précèdent à courte échéance le
retour à l'état normal. On a plusieurs fois essayé mais, sans succès, de déter-
miner, en dehors de l'orage, le retour de cette paralysie, par l'application sur
le membre de l'électrisation faradique. Plusieurs fois le malade en question a
éprouvé des crises convulsives, débutant par la main droite et suivies de perte
de connaissance (attaques hystériques ù forme d'épilepsie partielle).
La caractéristique de la névrose hystérique saute aux yeux dans ce cas :
c'est d'elle évidemment que relève cette paralysie récidivant à l'occasion des
orages. Mais « peut-on songer, dit l'auteur, à l'hystérie chez l'homme! » Plutôt
que de s'arrêter à cette interprétation, cependant si naturelle^ il aime mieux
imaginer je ne sais quelle lésion cérébrale en foyer, localisée je ne sais com-
ment, et jouissant delà propriété singulière de se raviver, à chaque orage,
sous l'influence de « l'électricité atmosphérique » !
La troisième observation du groupe est de date toute récente. Elle ne se
rapporte pas exactement à la fulguration, mais à un phénomène connexe. Elle
a été communiquée à la Société de Biologie par le D'" Onimus, en J887 (1).
Lors du dernier tremblement de terre de Nice, un employé du télégraphe avait,
au moment où survinrent les premières secousses, le médius et l'index en
communication avec les parties métalliques d'un appareil électrique dont les
fils conducteurs sont, sur une étendue de 000 mètres, enterrés à une profon-
deur de 1 m. 50. 11 ressentit en ce moment-là, une secousse dans la main droite,
éprouva une sorte d'éblouissement et resta étendu, immobile sur son siège,
pendant peut-être dix minutes. Le lendemain, une paralysie incomplète pour
le mouvement, mais très prononcée en ce qui concerne la sensibilité, s'étendit
à ce membre tout entier. En môme temps^des contractions librillaires se voient
\. Soc. de. Biologie, 1887-88. Paralysi'i pav courant électrique d'origine tellurique. —
Guinon, Thèse de Paris, 1889, p. 68.
— 461 —
dans le côté gauche de la face, et, de ce mèm« c/ité, se produit un blépharo-
spasme.
L'auteur ne songe môme pas ù la possibilité de la présence de l'hys-
térie dans ce cas, bien qu'«3lle y soit facile à reconnaître; il n'y voit qu'une
paralysie par courant électrique d'origine toUurique. Quatorze mois après
l'accident, la guérison n'est pas encore parfaite. Malheureusement cette très
intéressante observation est restée fort incomplr'te au point de vue clinique.
Pourquoi n'avoir pas recherché l'anesthésie par moitié, les points hystérogènes,
le rétrécissement du champ visuel et autres stigmates qui peut-être étaient
présents, et dont la constatation aurait éclairé la situation? C'est encore là un
de ces cas dans lesquels la connaissance des travaux récents relativement à
l'hystérie mâle eût rendu quelques 5:ervices.
Les trois observations qui viennent d'être relatées sont,comme on voit, com-
parables à. celle qui fait l'objet de la présente étude, en ce sens que, dans
toutes, à une paralysie produite par la commotion électrique, est venue se
surajouter, à diverses échéances, la paralysie hystérique. Les cas dans lesquels
l'hystérie s'est développée à l'occasion d'un coup de tonnerre sont plus vul-
gaires sans doute, et il ne serait probablement pas fort difficile, à la suite de
quelques recherches, d'en aligner un certain nombre (1) ; mais je n'ai voulu
parler ici que de ceux où la paralysie s'est produite immédiatement à la suite
du choc électrique et comme conséquence directe de celui-ci. Or, ces cas-là
sont rares quant à présent, j'ai tout lieu de le croire.
Messieurs, après tout ce qui précède et en manière de conclusion, je vous
demande la permission de formuler deux propositions qui me paraissent
résumer ce qu'il y a de plus important à retenir dans les enseignements
fournis par notre observation et par celles du même ordre que nous avons dû
invoquer pour la bien mettre en valeur :
1° Dans les cas de fulguration, en outre des accidents nerveux qui relèvent
directement de la commotion électrique, il faut s'attendre à voir souvent
l'hystérie intervenir tôt ou tard.
2° Lorsqu'une fulguration partielle aura déterminé la production d'une
paralysie relevant directement de l'action électrique, si l'hystérie, par suite,
entre en scène, la paralysie hystérique pourra se superposer et ensuite se
substituer à la paralysie primitive.
1. Les spasmes de la face et des paupières, Taphoaie, le mutisme., le bégaiement, certaines
formes de tremblements et autres accidents qui appartiennent si fréquemment à la symptoma-
tologie de l'hystérie, sont souvent cités parmi les troubles nerveux qui se développent en
conséquence de la fule^uration. Voir iSestier, t. II, sect. il .
— 462 —
A partir du 28 mai, jour où D...cya été présenté au cours, jusqu'au 23juillet
date de sa sortie, il a été régulièrement soumis au traitement suivant
Inapplication de la douche froide g-énérale tous les matins, 2° électrisation
statique tous les deux jours (bains électriques), 3° bromure de potassium à la
dose de 3 ou 4 grammes par jour ; 4° régime tonique.
Le 29 mai, jour d'orage le malade s'est plaint une demi-heure environ avant
qu'on ait entendu le premier coup de tonnerre, d'un malaise inexprimable et
d'envies de pleurer ; puis au moment où le tonnerre s'est rapproché il a été
pris d'une sensation de constriction à la gorge, d'angoisse respiratoire, de
battements dans les tempes Gela a duré quelques minutes ; il était environ
4 heures du soir. En ce moment-là, il est allé s'étendre sur son lit : bientôt
après il s'est mis à s'agiter sans perdre connaissance, puis il a pleuré ; à
chaque instant, il répétait qu'il n'en pouvait plus, qu'il étouffait, qu'il voulait
s'en aller. Cette agitation, ces pleurs ont persisté pendant toute la durée de
l'orage qui n'a cessé que vers 8 h. 1/2 du soir ; alors D.. cy s'est endormi
jusqu'au lendemain.
Le o juillet, vers cinq heures du soir, sans nouvel orage, awrapuis quelques
convulsions et enfin perte de connaissance; après quoi est survenu un sommeil
très profond dont on n'a pas pu le tirer ni en lui frappant sur les joues, ni en
le secouant fortement. Il ne s'est réveillé que le lendemain matin, très calme
d'ailleurs.
Ledl juillet, le malade ditque son états'estfortamélioré ; quesajambegauche
estplus forte; eneffet,il sauteà« cloche p^ed » surlepied gauche, ce qu'il ne
pouvait pas faire autrefois. L'épreuve dynamométrique donne, pour le membre
siipérieurdroit, 25 kilos etpour le gauche 17. Le rétrécissement du champ visuel
n'a pas varié. L'anesthésie du membre inférieur gauche persiste telle qu'elle était
au moment de l'entrée du malade, mais au membre supérieur gauche et à la
face elle est beaucoup moins accentuée qu'alors. Le point hystérogène existe
toujours, mais il faut exercer sur lui une pression beaucoup plus forte pourpro-
voquer le phénomène de l'aura.
Le 23 juillet, le malade dit qu'il se sent aussi fort de la jambe gauche que
de la droite. Le dynamomètre donne pour la main droite 27 kilos et 19 pour
la gauche. Il n'y a plus d'anesthésie ni à la téte_, ni au tronc, ni au membre
supérieur gauche. Au membre inférieur gauche, il n'existe i)lus qu'une large
plaque d'anesthésie occupant les faces antérieure et externe de la cuisse. Le
rétrécissement clu champ visuel persiste, mais on ne le retrouve plus qu'à
gauche où il est seulement de 40. Ls goût et l'odorat sont tinijours abolis à
gauche. Evidemment, l'émotivité est beaucoup moindre qu'elle ne l'était il y
a quelques jours seulement.
Le malade a voulu absolument sortir ce jour- là fort amélioré sans doute,
mais non complètement guéri.
I.MI'. NOIZKTIE, 8, KUK CAMI'AGNK-I'UliMll-.UK, PARIS.
Policlinique du Mardi 4 Juin 1889
VINGTIEME LEÇON
l*^"" el 2° Malades. — Deux malades, étudiées comparative-
ment : V Tics généralisés simulant la chorée chro-
nique ; 2" Chorée chronique dite d'Huntinglon ; — on
insiste sur les difficultés du diagnostic.
3% 4® et 5® Malades. — Cas d'abasie : 1^ Abasie paralyti-
que chez un homme de 44 ans ; 2** Abasie trépidante
chez un homme de 49 ans ; 3" Même forme chez un
vieillard de 75 ans.
Messieurs,
Dans notre première leçon du mardi de la présente année scolaire (1), j'ap-
pelais votre attention sur ce que j'appelle volontiers le grand tic convulsif,
par opposition au petittic convulsif ou tic vulgaire, et je relevais qu'entre ces
deux formes il n'y a pas, tant s'en faut, un abîme. La différence, en efifet, est
seulement dans le degré d'intensité et de généralisation des troubles moteurs.
Ainsi, il se peut faire qu'un individu qui, dans l'enfance, n'a eu que des tics
légers, les voie empirer, dans un âge plus avancé, au point qu'ils arrivent à
constituer une infirmité détestable. De plus, les modifications psychiques,
telles que impulsions, obsessions, idées fixes, doutes, scrupules, terreurs mor-
bides, qui sont un accompagnement si fréquent du tic convulsif, se rencon-
trent à peu près également dans ces deux formes.
J'insistais en outre sur ce point_, que les mouvements convulsifs appelés tics,
quelque complexes et bizarres qu'ils puissent paraître, ne sont pas toujours.
1. Leçon du mardi 23 octobre 1888.
— 464 —
comme on est porté à le croire lorsqu'on y regarde superficiellement, déré-
glés, incoordonnés, contradictoires au premier chef. Ils sont, disais-je, au
contraire systématisés en général, en ce sens qu'ils reparaissent toujours les
mêmes chez un même sujet, et, de plus, ils reproduisent, en les exagérant
cependant, certains mouvements automatiques complexes, d'ordre physiolo-
gique, appliqués à un but; ce sont en quelque sorte, en d'autres termes, la
caricature d'actes, de gestes naturels. Ainsi parmi les tiqueurs, les uns sem-
blent vouloir expulser à l'aide d'une brusque expiration nasale, un corps
étranger engagé dans le nez; les autres, à l'aide de ce mouvement d'occlusion
brusque des paupières que vous connaissez, semblent protéger leurs yeux
contre l'invasion d'un corps étranger ; un autre encore se gratte comme pour
combattre la sensation d'une démangeaison intense; il en est d'autres enfin
qui reniflent ou crachotent ou se frappent le front, le visage, la poitrine
comme dans un acte de contrition, ou encore, élèvent le bras comme dans un
mouvement de défense. On n'en finirait pas à cet égard, si l'on voulait tout
dire, même sommairement. Toujours est-il que, comme vous le voyez, le
mouvement complexe du tic n'est pas absurde en soi ; il est absurde, illogique,
parce qu'il s'opère hors de propos, sans motif apparent. L'acte de se gratter
se produit alors qu'il n'existe pas de démangeaison, le clignotement a lieu en
l'absence de tout corps étranger, etc., etc. — Ajoutons à cela que les mouve-
ments des tics sont brusques, rapides^ instantanés, et qu'ils n'ont pas, par
exemple, la lenteur des gesticulations choréiques; qu'ils ne sont pas continus,
mais surviennent par accès plus ou moins répétés et plus ou moins longs, que
les malades peuvent souvent, pour un temps, les arrêter par un elïort de la
volonté, que souvent aussi, en même temps qu'ils sont sous le coup de leurs
secousses grimaçantes, ils profèrent fréquemment des exclamations ou des
mots entiers fort communément orduriers, et vous aurez accumulé des carac-
tères cliniques tellement particuliers qu'ils paraissent devoir permettre de
distinguer, à coup sûr, la maladie des tics de toutes les autres espèces d'af-
fections convulsives.
4c Vous voyez, » disais-je après l'exposé de ces caractères, dans cette même
leçon à laquelle je vous renvoie, « jusqu'à quel point les secousses comme
électriques du tiqueur se distinguent profondément des gesticulations lentes
et permanentes des sujets atteints delà chorée deSydenham. Entre le tic et la
chorée il y a un abîme : ne l'oubliez pas, car il s'agit là d'affections auxquelles
on donne quelquefois, bien à tort, le même nom et dont le pronostic est bien
différent. »
Si j'ai rappelé tout ce qui précède, messieurs, c'est parce que j'y trouve
l'occasion de revenir un instant sur ce que la proposition que je viens de repro-
duire renferme de trop absolu. Sans doute, nosographiquement, les tics et la
chorée représentent bien, comme je vous l'ai dit, deux affections radicalement
distinctes, en même temps (jue, cliniquement, les troubles moteurs quiappar-
— 4(îo -
tiennent à Tune, diffèrent foncièrement de ceux qui appartiennent à l'autre;
tout cela est parfaitement exact. Il n'en est pas moins vrai qu'en pratique,
dans des circonntancea; rares à la Tenté, et seulement, bien entendu, lorsqu'on
ne regarde pas les choses de très près, la confusion est possible. Elle est pos-
sible, par exemple, lorsque les tics se sont généralisés en quelque sorte à
toutes les parties du corps, et se montrent sans repos et sans trêve, pour ainsi
dire d'une façon continue ; si alors, je le répète, on n'y regarde pas d'un peu
près, on peut croire que c'est lachorée qui est enjeu.
l'"^ ET 2' Mal.vdes
L'étude comparative des deux malades que j'ai fait placer, côte à côte, sous
V3S yeux, justifiera pleinement les réserves que je viens d'émettre. En effet,
messieurs, vous le reconnaissez, à ne considérer que les mouvements invo-
lontaires, incessants, généralisés, que présentent les deux sujets, les analo-
gies paraissent fort étroites entre les deux cas. L'une de ces femmes, cependant,
est atteinte de chorée chronique, tandis que l'autre est sous le coup des tics
généralisés; eh bien, chez l'une, comme chez l'autre, vous voyez ces mouve-
ments occuper à la fois la tête, le tronc, les membres à peu près au même
degré; leur nombre chez celle-ci, comme chez celle-là, est de 25 à 30 environ
par seconde, etc., etc. ; en un mot, la ressemblance est telle, à tout prendre,
que la plupart d'entre vous hésiteraient, j'en suis sûr, à formuler le diagnos-
tic; et, de cette hésitation, messieurs, vous n'auriez pas trop à rougir, car je
vous dirai, entre nous, qu'un médecin versé dans les études neuropatholo-
giques, a tout récemment, à la vérité à la suite d'un examen un peu sommaire,
désigné comme atteinte de chorée chronique, celle des deux malades qui au
contraire, je vais vous le démontrer dans un instant^ otlre un exemple remar-
quable de tics généralisés.
C'est justement dans la difficulté qu'il peut y avoir à distinguer ces deux
cas, que gît l'intérêt de la situation, et nous allons nous appliquer en consé-
quence, à mettre maintenant bien en relief les caractères qui nous permet-
tront d'établir, à coup sûr, cette distinction.
L'une de nos malades, la nommée .1... est âgée de 21 ans, l'autre, la nom-
mée Ch... a dépassé sa 51' année,
— iOO —
Si vous examinez ces deux femmes très attentivement, tour à tour, à plu-
sieurs reprises, cherchant à reconnaître en quoi consistent chez elles les mou-
vements involontaires, vous finirez par discerner que chez Ch., la plus âgée, il
s'agit de gesticulations relativement lentes, comme arrondies, pour ainsi dire,
tandis que chez l'autre, la plus jeune, ce sont des mouvements brusques, sac-
cadés que l'on observe : au premier abord, cela ne saute pas aux yeux, il faut
é*re prévenu pour le constater ; mais cela devient tout à fait évident, au con-
traire, si vous consultez les tracés obtenus à l'aide des appareils enregistreurs
que je fais placer sous vos yeux et qui représentent graphiquement les mou-
Fig. 99.
Tracés reproduisant les mouvements involontaires de la tête chez une malade atteinte de tics
convulsifs, et chez une choréique chronique, enregistrés d'aprfis la méthode graphique de
M.vrey. Le cylindre enregistreur est animé d'une vitesse moyenne et fait un tour en dix
secondes. — A, maladie des tics; B, chorée chronique. (Communiqués par M. Outil, interne
de la Clinique des maladies du système nerveux.)
vements involontaires de la tête chez les deux sujets. Le premier tracé A,
montre bien la brusquerie, l'instantanéité, l'étendue, la répétition coup sur
coup des mouvements chez J...; tandis que le tracé B fait bien voir que chez
la malade Gh., les mouvements n'ont plus cette brusquerie, cette soudaineté ;
ils ne se répètent pas coup sur coup, mais à intervalles plus ou moins espa-
cés. On pourrait dire que, dans le premier cas, les mouvements sont en quel-
que sorte angulaires; qu'ils sont au contraire arrondis dans le second. Vous
voyez par là le service signalé que pourra rendre, en pareille circonstance,
l'application de la méthode graphique pour Tinierprétation des cas difficiles.
Autre différoncc : examinez comparativement les deux malades pendant
une assez longue période de temps, et vous reconnaîtrez que chez Gh..., la plus
âgée des deux, les mouvements ne cessent jamais, même un instant, de sepro-
_ 407 —
duire, — ils ne s'arrêtent, en réalité, que pendant le sommeil, — tandis que
chez J..., on les voit de temps en temps, s'arrêter complètement, pendant une
période de 4, 5 minutes et même plus.
J..., par un effort de la volonté peut momentanément arrêter les mouve-
ments, ceux de la main, par exemple, prendre une plume et écrire.
Ch..., ne peut en faire autant ; écrire lui est chose absolument impossible, à
peine même peut-elle tenir un instant la plume qu'elle a prise en main.
Vous avez pu remarquer que pendant toute la durée de notre examen,
Ch..., est restée absolument silencieuse, tandis que J... de temps en temps a
poussé des bruits laryngés expressifs : on dirait tantôt un grognement d'impa-
tience, et tantôt un cri provoqué par une douleur soudaine. Il arrive parfois
que c'est un juron qu'elle profère ainsi involontairement.
Enfin, il ne vous a certainement pas échappé que chez Ch..., les mouve-
ments involontaires ne sont autres que des gesticulations incoordonnées, illo-
giques, absurdes, tandis, que chez J..., leur caractère de coordination et de
reproduction stéréotypée peut par moments être mis en relief ; ainsi, de
temps à autre^ elle se frappe successivement et toujours dans le même ordre,
le côté droit de l'abdomen, puis la poitrine, puis le front du même côté ; un
instant après, on la voit saisir un pli de sa robe de la main droite, au niveau
de cette même région de l'abdomen, que tout à l'heure elle frappait du poing,
en extraire du fil et le déchirer ; aussi cette robe, en ce point, ainsi que la
parti du jupon qui est au-dessous, sont-ils dans un état de délabrement pitoya-
ble ; ajoutons qu'en raison des coups répétés qu'elle y porte, la peau du
ventre elle-même, dans la région correspondante, est couverte d'ecchymoses.
D'autres fois, elle secoue brusquement son tronc et ses membres et frappe le sol
du pied, de manière à figurer un mouvement de grande impatience, etc., etc.
Inutile d'insister plus, vous avez certainement reconnu par tout ce qui
précède que c'est chez J... qu'existe la maladie des tics, et vous avez pu vous
convaincre du même coup, que lorsqu'ils se généralisent et tendent à la con-
tinuité, de façon à rappeler la chorée chronique, les tics, à ne considérer
même que ce qui est relatif aux mouvements, peuvent encore, à l'aide de
certains caractères, être distingués, sans trop de difficultés, des gesticulations
chroniques.
Mais la différence fondamentale qui sépare les deux états morbides
apparaîtra surtout dans son véritable jour si, au lieu d'envisager seulement
un des aspects de la maladie, on s'attache à en embrasser l'histoire tout
entière.
Ch..., la plus âgée des deux malades — elle a plus de 51 ans — nous est
connue déjà. Je vous l'ai présentée fan passé comme atteinte de chorée chro-
nique ou chorée d'Huntington. Je vous rappellerai à ce propos que, suivant nous,
la chorée dite d'Huntington ne constitue pas une maladie spéciale, autonome,
distincte foncièrement de la chorée infantile, ou chorée de Sydenham; mais
— 4()S —
que, au contraire, elle se rattache à celle-ci, qu'elle représente sous la forme
chronique (1). Mais ce n'est pas cela qui importe pour le moment ; nous devons
surtout nous attacher actuellement à mettre en reliefles traits qui permettront
de différencier le cas de Ch..., de celui que nous allons considérer tout à
l'heure. Eh bien, nous ferons valoir à cet égard, que le début de la maladie
s'est fait à 33 ans seulement, tandis que les tics, en général, font leur
première apparition dans l'enfance ; que notre malade compte dans sa
famille quatre cas de chorée chronique, en outre d'un certain nombre d'exem-
ples de névropathie d'une autre espèce : qu'enfin, les modifications psychiques
concomitantes des troubles moteurs sont accusées ici dans le sens
de la démence et qu'elles n'ont, par conséquent, aucune relation directe avec
celles qui accompagent si vulgairement les tics convulsifs.
J., notre seconde malade^ est, comme on l'a dit, âgée de 21 ans seulement, et
chez elle les tics ont commencé à paraître à l'âge de 12 ans. Ils se sont pré-
sentés d'abord sous la forme de tics vulgaires, consistant dans de brusques
mouvements des paupières, puis ils ont occupé la tête et les membres supé-
rieurs. — Déjà à cette époque, les bruits laryngés et la coprolalie s'étaient
accusés. La malade ne pouvait pas souffrir qu'on lui poi'tât inopinément une
main sur l'épaule, sans tressauter.
Une accalmie s'est produite après l'apparition des règles, à l'âge de 13 ans.
Elle a duré jusqu'à il y a trois ans; à cette époque J..., qui s'était mariée
à 17 ans, éprouva de grandes contrariétés. Elle eut, bientôt après, une fausse
couche, et à la suite les tics reparurent.Ua accouchement survint il y a un an ;
et c'est à ce moment-là que les mouvements convulsifs ont acquis l'intensité
que nous leur voyons aujourd'hui. Ils se montrent depuis lors, tellement
généralisés et tellement continus en quelque sorte, qu'ils simulent jusqu'à
un certain point ainsi qu'on l'a vu, la chorée chronique. L'écholalie est
actuellement très accusée et, de plus, la malade involontairement répète sou-
vent à haute voix les paroles qu'elle entend prononcer autour d'elle (écho-
lalie). Elle présente aussi de l'échokinésie ; si l'on imite devant elle, dans
les moments où elle est relativement calme, les gestes qu'elle a l'habitude
de faire, elle les reproduit malgré elle et l'on peut provoquer ainsi un accès
de mouvements involontaires. Il y a encore à noter, chez elle, de l'arithmo-
manie : il lui arrive en eflet de compter automatiquement, quand elle marche,
les pavés sur lesquels elle pose les pieds. Elle est violente, sujette à des co-
lères enfantines survenant pour les motifs les plus futiles. Le soir, elle se sent
prise de terreurs folles et, avant de se coucher,elle examine tous les recoins de la
chambre pour s'assurer que personne ne s'y trouve caché. — Rien d'ailleurs
qui ressemble à un affaiblissement réel des facultés inlellectuclles. Les marques
1 Voir à ce sujcl, les leçons du mardi, 4887-1888—17 cl 24 juillet; et J. Huet ; De la chorée
chronique, thèse de Paris, 1889,
-- 409 —
nôvropatlii([ucs ne font pas défaut dans la fainill*'. M.iis il n'y a à cet égard
rien de bien accentué. Sa mère est très nerveuse, sujette à des colères sans
frein : elle a plusieurs fois, dans des accès de jalousie, cherché à s'empoi-
sonner; son grand-père maternel est, assure-t-elle, mort de chagrin à la suite
de revers de fortune; elle a un frère sujet à de grands emportements. La
chorée chronique ne figure pas, comme vous voyez, dans les accidents héré-
ditaires.
Cette histoire abrégée de nos deux cas^ suffit, je pense, pour vous permettre
de reconnaître que les ressemblances qui paraissaient au premier abord les
rapprocher étroitement, sont tout extérieures, toutes superficielles. Elles
sont dans la forme et nullement dans le fond. Il y a lieu en somme, d'établir
entre les deux ordres de faits une séparation radicale.
Messieurs, la chorée chronique passe, et c'est de toute justice je crois, pour
une maladie incurable; son évolution est fatale, et la thérapeutique est im-
puissante à l'arrêter, ne fut-ce qu'un instant, dans sa marche progressive. Il
n'en est pas tout à fait de même de la maladie des tics ; elle aussi est des plus
fâcheuses, en ce sens qu'on ne saurait dire qu'on la guérisse jamais ; mais on
peut compter cependant sur des temps d'arrêt, souvent fort longs, sur des
attermoiements, soit spontanés, soit provoqués par une thérapeutique appro-
priée; l'hydrothérapie, la gymnastique rationnelle, l'isolement peuvent être
signalés entre autres, parmi les moyens capables en pareils cas de rendre des
services. Vous voyez qu'il n'était pas sans intérêt d'apprendre à bien distin-
guer, l'un de l'autre, deux états morbides dont le pronostic est si différent.
3^ 4"^ ET 5^ Malades.
Dans la leçon du mardi 5 mars de cette année (p. 364\ en vous parlant
de Vabasie^ je relevais expressément, que malgré l'unité foncière de ce syn-
drome, les phénomènes qui s'y rattachent ne se manifestent pas toujours
dans la clinique sous le même aspect et, à cet égard, il y a, ajoutais-je, à con-
sidérer un certain nombre de groupes répondant à autant de types sympto-
matiques, distincts les uns des autres.
Je suis entré dans cette même leçon dans quelques détails fi propos du
— 470 —
groupe de l'abasie trépidante, dont je vous présentais un bel exemple, et j'y
faisais allusion, en passant, au groupe de l'abasie choréiforme ; mais j'avais
signalé tout d'abord « les cas dans lesquels le malade qui couché, exécute,
avec les membres inférieurs, tous les mouvements de l'état normal, se trouve,
lorsqu'il veut quitter le lit, dans l'absolue impossibilité de se tenir debout, ne
fût-ce qu'un instant, et s'affaisse sur lui-même ; puis le même malade, immé-
diatement après, s'il est soutenu par deux aides, pourra se tenir debout ; mais
aussitôt qu'il s'agira de marcher, les membres resteront accolés l'un à l'autre,
sans raideur toutefois, les pieds ne se détachant du sol qu'avec peine. On
dirait alors un très jeune enfant complètement inexpérimenté encore dans
l'exécution du mécanisme de la marche, qui, soutenu par sa nourrice, s'exerce
gauchement à esquisser ses premiers pas ». Je vous ai proposé, vous ne l'avez
peut-être pas oublié, de désigner ce groupe de faits sous le nom d'abasie para-
lytique.
Ainsi, à côté des abasies trépidante et choréiforme, il y a lieu de placer
l'abasie paralytique et justement c'est sur un exemple du dernier genre que
je vais actuellement appeler votre attention.
Il s'agit d'un homme âgé de 44 ans, nommé Cher... ni qui exerce la pro-
fession d'artiste dramatique. Ses antécédents de famille sont fort significatifs
et méritent d'être relevés avec quelque soin.
Il serait le petit-fils, du côté paternel, du grand musicien qui porte le même
nom que lui ; sa mère le lui aurait affirmé, mais un mystère semble régner
sur ce point.
Son père était artiste dramatique ; il a été tué à Blidah en 1851, lors d'une
révolte des Arabes. Il a été fort peu connu de son fils, qui avait à peine 7 ans
lorsque cet événement eut lieu.
Du côté maternel : grand'mère « nerveuse », c'est tout ce qu'on en sait ;
elle serait morte d'hémorragie cérébrale. Le grand-père de ce côté n'a pas été
connu du malade.
Sa mère exerçait, elle aussi, la profession d'artiste dramatique. Elle se
livrait avec excès à l'usage des boissons alcooliques : elle est morte à l'âge de
57 ans, à l'hôpital Saint-Antoine.
Un des frères de sa mère, comédien, avait la mauvaise habitude de boire
beaucoup d'absinthe; il est mort également à l'hôpital Saint-Antoine.
Voici maintenant ce qui concerne les antécédrnts personnels de notre
homme. Jusqu'à l'âge de 34 ans, il n'avait jamais été malade; sa santé était
parfaite, seulement il était très nerveux, très émotif; d'ailleurs élevé par sa
mère, dans le théâtre, il avait été excessivement gâté dans son enfance. Il
pleurait pour les motifs les plus futiles. Il lui arrivait souvent au théâtre,
quand il y allait comme spectateur, de pleurer au moment des scènes pathéti-
ques : le cœur lui battait, il se sentait serré à la gorge et se mettait à san-
i^lotor. Par un contraste^ singulier, quand il est au delà de la raiiipo, faisant
— 471 —
son métier d'acteur, il ne s'énicul jamais hors de propos, comme comédien. Il
joue les comiques, les« queux-rouges » comme on dit dans le métier; Arnal
et Aicide Touzé sont les types dont il essaie de se rapprocher. Il n'a jamais
pu par suite, dit-il, d'un vice de prononciation, aborder les personnages
sérieux. 11 n'est jamais parvenu d'ailleurs, dans sa profession, à s'élever au-
dessus des rangs les plus modestes.
Les premiers accidents nerveux bien caractérisés qu'il ait éprouvés remon-
tent à dix ans. Il apprit à cette époque-là que sa femme le trompait : il en
éprouva un très violent chagrin, et un jour en sortant d'une répétition, il
sentit quelque chose qui lui montait à la gorge et l'étoufTait. Peu après survin-
rent dos battements dans les tempes, puis un tremblement général très
violent, entrecoupé de sursauts, de brusques détentes : pas de perte de con-
naissance. La crise se calmait de temps à autre ; puis les accidents nerveux
reparaissaient comme de plus belle. Pendant près de 8 jours, il a du rester à
la chambre.
A partir de cette époque, des attaques analogues se sont reproduites, une
fois tous les six ou huit mois, toujours à la suite de contrariétés et d'émo-
tions, et c'est à peu près constamment vers minuit ou une heure du matin,
après le spectacle, qu'elles ont éclaté.
C'est, il y a deux ans, en avril 1887, encore à la suite d'une grande émo-
tion, que s'est pour la première fois produit le syndrome abasle paralijtir/ue
que nous allons pouvoir étudier dans un instant. Ch... ni était alors à Angou-
lême, régisseur d'un concert-théâtre où il jouait la comédie et chantait. Il apprit
tout à coup que le régisseur de cet établissement, ayant fait de mauvaise
affaires, s'était enfui subrepticement. Alors survint une de ces crises de trem-
blement précédé d'une aura caractéristique, auxquelles il était devenu sujet
depuis 8 ans : celle-ci dura environ 2 jours ; pendant ce temps le malade ne
put pas quitter le lit.
Les accidents nerveux, au bout de cette période,, s'étant amendés, il voulut
un matin, se croyant guéri, se lever pour retourner à ses occupations, mais à
son grand désappointement, à peine ses pieds avaient-ils touché le sol, quil
s'affaissa et tomba lourdement sur les genoux. L'abasie et l'astasie s'étaient
constituées telles que nous les retrouvons aujourd'hui : en effet, il est parfaite-
ment établi par le récit du malade que, lors de cette première atteinte, les
membres inférieurs, qui, lorsqu'il s'agissait de la station, ne pouvaient pas le
supporter, étaient capables cependant, dans le lit, d'exécuter tous les mouve-
ments possibles avec force et précision. L'abasie-astasie a duré alors près de
quatre mois, durant lesquels il ne s'est pas produit de nouvelles crises de
tremblement, précédées d'aura. Le malade a été traité à l'hôpital d'Angou-
lême ; les applications de pointes de feu, les bains alcalins, sulfureux, sont
les principaux agents qui y ont été employés. L'amélioration ne s'est produite
que très lentement, progressivement. Le fait est que, pendant deux mois, le
64
— 472 —
séjour au lit a été à peu près absolu et que, pendant deux autres mois, la
station et la progression n ont été possibles qu'avec le secours de béquilles.
Puis vint une période où la marche pouvait s'exécuter simplement à l'aide,
d'une canne. Mais il importe de remarquer que jamais depuis lors, la gué-
rison n'a été absolument complète.
Il a été impossible à Gh...ni, depuis cette époque, de remonter sur la
scène, et il a dû se résigner à faire le métier de régisseur dans les cafés-con-
certs. C'est qu'en efTet, bien qu'il pût se tenir debout etmarcher,run ou l'autre
de ses membres inférieurs était exposé à se dérober sous lui, de temps en
temps, inopinément, et plusieurs fois ces effondrements l'ont précipité à terre.
Les choses étaient ainsi, lorsqu'à la fm de l'année dernière^ le 13 novem-
bre 1888, en apprenant une nouvelle perte d'argent, qui cette fois le plon-
geait définitivement dans la misère, i] fut pris derechef d'une crise de trem-
blements semblable aux précédentes, et qui, elle aussi, se répéta à peu près
incessamment durant une période de deux ou trois jours. Au bout de ce temps,
les crises ayant cessé, le malade voulut sortir du lit, mais l'astasie s'était re-
produite dans toute son intensité première et, aujourd'hui, nous retrouvons,
après huit mois, le syndrome dont il s'agit, tout aussi développé qu'il
l'était à l'origine.
Vous reconnaîtrez facilement, messieurs, que lorsque notre malade est cou-
ché sur le brancard, ou assis sur une chaise, les divers mouvements qu'on lui
prescrit sont exécutés par ses membres inférieurs avec une énergie et une
précision qui ne laisse rien à désirer, aussi bien lorsque les yeux sont ouverts
que lorsqu'ils sont clos. J'ajouterai que l'exploration de ces membres ne fait
reconnaître aucune particularité indiquant l'existence soit de l'ataxie loco-
motrice, soit au contraire de la paraplégie spasmodique ; ainsi, les réflexes
sont présents ; ils ne sont pas exagérés; il n'y a pas de rigidité des mem-
bres ; le phénomène du pied n'existe pas ; pas de douleurs dans ces membres;
pas de troubles urinaires, etc., rien en un mot qui révèle l'une quelconque
des lésions organiques spinales connues.
Il y a à observer seulement, dans ces membres, un léger tremblement vibra-
toire, qui existe également dans les membres supérieurs, et qui, bien qu'il
s'exagère manifestement à l'occasion des divers mouvements exécutés, ne les
trouble pas notablement.
Maintenant deux personnes sont forcées de soulever Ch... et de le soutenir
sous les aisselles, afin qu'il puisse essayer de se tenir debout. Vous voyez que
la station est impossible et que, dans les efl*orts qu'il fait pour se tenir sur ses
membres inférieurs, ceux-ci se placent dans l'extension puis, un peu après, se
fléchissent au niveau des genoux, de façon que les pieds ne portent plus sur le
sol. C'est là, vous l'avez compris, le phénomène de l'astasie dans toute sa
singularité. Celle-ci implique nécessairement l'abasie ; car on ne saurait mar-
cher, (lu moins de la marche ordinaire, lorsqu'il est impossible de se tenir
— 473 —
doboiiL Mais, rcmarquez-lc bien — car c'est là un Irait hion particulier — l'im-
piiissaiico motrice ii'cist pas relative, chez notre homme, à tous les modes de
station ou de i)rogrcssion: ainsi nous lui prescrivtjns de se mettre à genoux ;
vous voyez qu'il est capable de se tenir fort bien, dans cette [iosition, le tronc
droit et sans que les fesses portent sur ses talons et si nous lui disons de pro-
gresser ainsi, il exécute ce genre démarche, sans difficulté et sans l'inter-
vention de mouvements contradictoires ; il progresse aussi, vous le voyez,
s< à quatre pattes » à peu près comme le ferait un sujc-t normal. Knfin, étant
assis sur une chaise, il peut, se transporter, cette fois, à peu près
sans le secours des membres inférieurs, par des mouvements qu'il imprime
à son siège à l'aide des mains.
Telle est, messieurs, Tastasie-abasie paralytique : c'est sous cette forme, je
vous l'ai dit, que le syndrome m'est apparu la première fois que je l'ai
remarqué. C'était chez un jeune garçon âgé d'une douzaine d'années (i).
Je suis porté à croire qu'il se rencontre à cet âge plus fréquemment que
chez ladulto.
Tout récemment,messieurs,leD''Brunon a publié dans le n" 9^(1" mai 1889),
de lu Normandie médicale un intéressant exemple de ce genre dont je crois
devoir vous faire connaître les principaux traits ; il rappelle de tous points
notre cas d'aujourd'hui, bien qu'il s'agisse d'un enfant de 8 ans.
Au sortir d'une éruption papuleuse discrète, qui fut désignée sous le nom
de rougeole, bien qu'il n'y eut pas de fièvre, on remarqua que cet enfant « ne
tenait pas sur ses jambes. Il lui était en effet impossible de marcher et de
se tenir debout. Quand on essayait de le mettre sur ses pieds, ses membres
inférieurs fléchissaient et se dérobaient sous lui. Il serait tombé si on ne
l'avait pas soutenu sous les bras ». L'enfant étant replacé sur son lit, dans le
décubitus dorsal, rien ne pouvait faire remarquer dans les membres infé-
rieurs, un trouble fonctionnel quelconque. Sans effort, il soulevait les mem-
bres au-dessus du plan du lit. Pas la moindre apparence d'ataxie, le pied
était dirigé très sûrement vers le point que l'on désignait avec la main ;
l'enfant se faisait un jeu de cet exercice. Les réflexes étaient normaux. Les
fonctions des réservoirs étaient intactes. « Pendant quatre jours l'examen,
â la visite du matin, donne les mômes résultats. Deux élèves étaient obligés
de soutenir l'enfant sous les bras et quand on lui disait de marcher, les
jambes s'agitaient comme celles d'un enfant en lisières, il riait lui-même en
regardant ses pieds...,» quelques jours après, il y avait un progrès notable.
L'enfant pouvait marcher seul, mais très lentement. Les progrès furent
ensuite très rapides.
Il semble, d'après ce que j'ai vu, qu'à cet âge l'astasie paralytique ait une
1. Lcron (lu rn.iidi .") tniirs 1889. iù*" lo(;on, p. 3(3 ).
— 474 —
tendance habituelle à se terminer rapidement par la guérison; il n'en est pas
tout à fait de même chez l'adulte, et je vous ferai remarquer^ à ce propos,
que chez notre homme, elle dure déjà depuis 8 mois et ne paraît pas prête à
s'amender.
Le plus souvent, autant qu'on sache, l'abasie et l'astasie, quelle qu'en soit
la forme, doivent être considérées comme se rattachant à la diathèse hystéri-
que ; mais le plus communément, à ce qu'il parait, elle se présente là à titre
de manifestation isolée, sans concomitance de stigmates sensitivo-sensoriels
ou d'attaques (1). Il n'en est pas ainsi chez notre homme; chez lui, d'abord,
les attaques avec aura caractéristiques sont chose vulgaire et de plus, en fait
de symptômes permanents, il y a à noter une hémianalgésie droite, avec
anesthésie très nette de la cornée de ce même côté, mais sans rétrécis-
sement bien marqué du champ visuel ; un tremblement des extrémités dont
il a déjà été question et enfin une diminution du goiH et de l'odorat, sur la
moitié droite.
INotre homme est donc manifestement un hystérique, tout ce que nous ob-
servons chez lui, l'astasie comme le reste, relève de l'hystérie, et c'est comme
hystérique qu'il devra être traité à l'aide des moyens que nous avons en notre
possession, et sur l'application desquels il nous paraît inutile d'insister à nou-
veau , pour le moment.
Je ne voudrais pas abandonner ce sujet de l'abasie paralytique sans vous
signaler les difficultés qu'il pourrait y avoir, dans certains cas particuliers, à
la distinguer de ce que l'on pourrait appeler l'abasie ou l'astasie relevant
d'une lésion organique du cervelet. C'est, vous l'avez compris, àce qu'on appelle
l'ataxie ou incoordination cérébelleuse que je fais allusion ici. Et vous savez
qu'elle s'observe surtout dans les cas où il y a participation du vermis. Dans
ces cas, comme dans ceux que nous étudions ici, le malade étant au lit, peut,
vous le savez, déployer dans les mouvements de ses membres inférieurs une
grande force musculaire et il n'existe dans ces mouvements aucune trace d'in-
coordination; mais, lorsqu'il est question de se tenir debout et de marcher,
c'est tout autre chose. Deux cas peuvent alors se présenter: tantôt le malade peut
encore, tant bien que mal, se tenir debout et marcher tout en titubant comme
un homme ivre et alors le diagnostic est en général facile. D'autres fois, la sta-
tion et la marche sont, comme dans notre cas d'aujourd'hui, absolument
impossibles, et lorsque le sujet, étant soutenu sous les aisselles, fait des efforts
pour se tenir debout, il s'affaisse sur lui-même. Il ne serait pas difficile de
trouver dans la science un certain nombre d'exc^mples de lésions cérébelleuses,
accompagnées de cette impuissance motrice relative à la marche, i'ai)|)e-
1. Voir la 16* leçon, p. 3'i7
— 475 —
lant vous le voyez, la symptomalologie du syndrome astasie paralytique (i).
Ici l'œuvre de diagnostic pourra rencontrer des difficultés très sérieuses et,
pour la mener à bien, il faudra le plus souvent considérer les circonstances
concomitantes: c'est ainsi que les douleurs de tête fixes et intenses, accompa-
gnées de vomissements, la présence d'une névrite optique, les vertiges de
translation, etc., révéleraient la lésion cérébelleuse, tandis que la coexistence
des stigmates sensitivo-sensoriels ou d'attaques caractéristiques contribuerait
à démasquer l'origine hystérique des accidents.
11 importait de vous signaler cctécueil,que vous rencontrerez peut-être plus
d'une fois, dans la pratique, et qu'il vous faudra chercher à éviter à tout prix.
Les circonstances m'amènent, messieurs, à vous parler maintenant de deux
autres cas d'abasie qui ont été ces jours-ci admis dans le service. Vous voyez
comment des faits cliniques, qu'on croyait des plus rares, semblent tendre à
devenir presque vulgaires, lorsqu'on a appris à les reconnaître et qu'ils ont
enfin fixé l'attention. Cette fois, comme dans l'exemple qui a fait le sujet de
notre 16° leçon de la présente année c'est, dans les deux cas, de l'abasie
trépidante qu'il s'agit.
Le premier est relatif à un homme de 49 ans nommé Sal...ès, autrefois con-
tremaître dans une fabrique de papiers peints^ à Epinal.
Vous constatez, [-ar la démonstration que j'en fais devant vous, que chez
lui le syndrome abasie est quelque peu efïacé;, en ce sens qu'il n'est point
permanent. Vous retrouvez bien ce contraste entre l'intégrité parfaite des
mouvements des membres inférieurs lorsque le malade est couché ou assis, et
leur vicieuse adaptation aux mouvements de la marche qui constitue, en
somme, le caractère le plus saillant du trouble abasique; mais cette incoordi-
nation spéciale à la marche, je le répète, ne se montre pas constante : il faut
souvent, pour la mettre en relief, la provoquer à l'aide de certains artifices.
En général, elle s'accuse très évidente quand le malade, après, avoir marché
pendant quelque temps, se prépare à s'asseoir, ou encore lorsqu'étant assis il
se lève et se prépare à marcher. Dans ces circonstances-là, on voit se dessiner
parfaitement cette progression trépidante que nous avons minutieusement
décrite, à propos du cas de Ro...el, dans la leçon du mardi 5 mars, à laquelle
je vous renvoie pour les détails (2), Elle se manifeste encore à coup sûr quand
il essaie de marcher à reculons et aussi lorsque, pendant qu'il s'avance, mar-
chant à peu près régulièrement, on cherche à lui faire obstacle en appliquant
légèrement une main sur le devant de sa poitrine. Il s'agit donc là en quelque
1. Voir sur ce sujet de l'astasie céi-éhelleuse, Dreschfeld, Five Cases of cerebel/ar Disen^ic
1882. — Cuvrion, Hémorroffie cérébelleuse. Thèsede Paris, 1875.— Bernhdirdi. lUm (Jeschivulsle
p. 239, lîerliii. — Voii- oussi Dur henno de lîoulogno ot Nothnaurel.
2. Le(; ):\; cla iiiudi 1 -^s'.', p. :},'>()- '3ô 7 .
— 170 —
sorte d'un état mixte, rappelant ce qu'on voit dans les cas ou l'abasie, après
s'être montrée absolue pendant une période de temps plus ou moins longue,
commence à s'amender : alors les phénomènes de la marche normale repa-
raissent par épisodes, d'abord, puis ils tendent progressivement à se substituer
aux phénomènes anormaux pour prendre enfin décidément, à un moment
donné, le dessus D'ailleurs, chez notre homme, vous retrouvez cette facilité à
progresser à quatre pattes, ou à pieds joints que nous avons signalée déjà
dans d'autres circonstances.
Voilà pour le côté descriptif; il s'agit maintenant de faire connaître les
conditions dans lesquelles s'est développé ici le syndrome abasie, et de cher-
cher à en déterminer la signification clinique, si possible. Pour ce faire, il nous
faut exposer, ne fût-ce qu'en quelques mots, les principaux traits de l'histoire
de notre malade,
Il y a chez lui quelques antécédents héréditaires à signaler : la mère serait
morte d'une maladie de la moelle épinière ; ses jambes étaient complètement
paralysées et, dans les derniers temps, il s'était produit chez elle une large plaie
à la région sacrée. Un de ses cousins germains, du côté maternel, a été un
grand buveur d'absinthe. Il était sujet à des accès « de manie furieuse ». Puis
Taliénation serait devenue permanente.
Lui-même pendant son enfance, vers l'âge de 6 ou 7 ans, aurait été sujet
à des hallucinations hypnagogiques terrifiantes ; il voyait souvent, avant de
s'endormir apparaître devant lui un fantôme vêtu de blanc. Plus tard il a
toujours été excessivement émotif, colère, emporté, se chagrinant pour des
riens et pleurant pour les motifs les plus futiles.
Il n'avait jamais été malade cependant, à proprement parler^ lorsqu'il y a
huit ans, il fut tout à coup, sans perte de connaissance, frappé d'une hémiplé-
gie qui prédomina dans le membre inférieur gauche et le retint trois jours au
lit. La paralysie motrice ne fut pas de longue durée et, depuis longtemps, il
n'en reste plus de traces ; mais dès l'origine^ des troubles cérébraux sérieux
se sont produits et depuis, ils ont persisté toujours à un certain degré, si bien
que tout travail lui est devenu complètement impossible.
La mémoire surtout a été profondément altérée ; elle l'est encore aujour-
d'hui à peu près au même degré. Il embrouille tous les événements de sa vie et
ne se souvient pas le lendemain de ce qu'il a dit ou fait la veille ; dans l'es-
pace de quelques minutes il répète dix fois la même chose, et souvent il hésite,
bredouille et émet des paroles incohérentes. En somme, c'est un être désor-
mais fort dégradé intellectuellement et devenu totalement incapable de se
conduire lui-même ; c'est un dément.
Dans quelles circonstances les phénomènes abasiques se sont-ils produits
chez lui? c'est ce qu'il a été impossible d'établir. Sa femme assure qu'elle les a
remarqués il y a deux ou trois ans déjà et que, depuis cette époque, ils n'ont
pas cessé d'exister tels que nous les retrouvons aujourd'hui. Il ne paraît pas
— .477
qu'à cette époque aucun incident soit survenu,capable d'en expliquer le déve-
loppement. L'examen attentif que nous avons fait du sujetlors de son admission
à l'hôpital nous a fait reconnaître ce fjui suit : il existe un rétrécissement du
cliaiiip visuel ti-ès di'veloppé dans l(3s doux yeux, à 40" (voir le schéma;, sans
D
G
N..'.
Fiff. 100.
dyschromatopsie, sans diplopie monoculaire, et en outre une hyperesthésîe
superficielle et profonde répandue sur la plus grande partie de la moitié
gauche du corps. La tête seule , et les extrémités, main et pied, sont ex-
ceptés. Les frictions, même légères, sont très douloureuses, vraiment insup-
portables sur la scrotum et le testicule gauche, sur le cordon et dans les
régions avoisinantes ; pli de l'aine, flanc, hypogastre. Néanmoins, quelque
insistance que Ton mette à pincer, à comprimer les régions en question, on
ne provoque pas les symptômes de l'aura hystérique. Celle-ci ne se manifeste
pas non plus spontanément, et il n'y a rien dans l'histoire classi(iue du cas
qui ressemble à des attaques. — Pas d'anesthésie pharyngée, le goût, l'odorat,
l'ouïe sont à l'état normal des deux côtés. La paralysie motrice d'autrefois,
ainsi que nous l'avons déjà dit, n'a laissé aucune trace, aucune modification
des réflexes tendineux dans les membres du côté gauche. Le dynamomètre
donne ^6* pour la main droite et 25 pour la main gauche.
Vous avez certainement compris, messieurs, que la question à résoudre
est celle-ci : l'hémi-hyperesthésie ainsi que le rétrécissement du champ
visuel que nous venons de signaler, sont-ils l'expression d'un état hysté
rique développé ily a deux ou trois ans et auquel serattacherait à titre de consé
queuce plus ou moins directe, le syndrome abasie; ou, au contraire, ces
troubles sensitifs et sensoriels relèvent-ils d'une lésion organique en foyer,
- 478 -
localisée dans les parties postérieures de la capsule interne de façon à in-
téresser surtout le faisceau sensitif? Dans ce dernier cas, les troubles de la
sensibilité en question seraient vraisemblablement contemporains des
¥\g. 101. Fig. 102.
Dislribulion et intensité de rilypercslhésic suivant les régions.
troubles moteurs hémiplégiques, survenus il y a huit ans, et qui reconnai-
traientlamômeoriî'ine : seulementlalésionorganique, probablement un foyer
de ramollissement ischémique localisé, comme on Ta dit, dans lapartie posté-
rieure de la capsule, n'aurait affecté le faisceau moteur que légèrement, tran-
— Alii —
sitoirement, par compression, tandis qu'elle aurait compromis plus ^'ravement
et d'une farori peut-être définitive, le faisceau sensitiffl . Dans la seconde
hypothèse, à laquelle je suis fort enclin à me rattacher.bien que je ne me sente
pas en mesure, je l'avoue, de l'établir sur des arguments absolument décisifs,
quelle serait la raison de la coexistence du syndrAme abasie ?
Il n'est guère douteux, ainsi que je vous le disnis dans la leçon du 5 mars
à laquelle je vous ai renvoyés déjà (2) que^, dans la grande majorité des cir-
constances,l'abasîe relève de l'hystérie. '^ Mais,ajoutais-je,il faut compter sur
les anomalies possibles. S'il est vrai en efîet, comme tout porte à le croire,
que les groupes cellulaires divers qui président aux mouvements spécifiés,
pour la marche, la station, le saut, etc., constituent dans l'axe cérébro-spinal
autant de centres distincts, topographiquement comme fonctionnellement,
les uns des autres, on peut concevoir que chacun de ces groupes puisse être
plus ou moins gravement intéressé par une lésion organique. >-> Mais comme
il est vraisemblable qu'en pareil cas, la lésion ne sera pas étroitement loca-
lisée dans tel ou tel des centres en question et s'étendra aux parties voisines,
on devra s'attendre à la voir se traduire, pendant la vie, par un ensemble de
phénomènes complexes parmi lesquels l'abasie pourra figurer à titre d'élé-
ment concomitant.
Or c'est justement ce qui se sera produit, je pense, chez notre homme ;
l'abasie figure chez lui, je le suppose, comme le résultat d'une extension des
lésions primitivement développées dans la capsule interne et probablement
dans les régions antérieures des hémisphères, lésions d'où relèvent l'hémi-
plégietransitoire,rhémi-hyperesthésie et les troubles psychiques. Cette exten-
sion aura eu pour résultat d'intéresser certaines régions encéphaliques non
encore connues, mais que l'étude méthodique de cas semblables au nôtre per-
mettra sans doute de déterminer un jour. J'ai l'impression, ajouterai-je, que
si la démarche « à petits pas » bien connue comme s'observant chez certains
sujets atteints de ramollissement cérébral en foyer, avec ou sans localisation
hémiplégique, était étudiée plus attentivement qu'elle ne l'a été jusqu'à ce
jour, on y trouverait probablement, associés peut-être à d'autres troubles
moteurs, les éléments du syndrome abasie trépidante.
Mais je ne voudrais pas insister plus longuement sur ce fait clinique, dont
l'intérêt principal est qu'il nous conduit à signaler des questions pendantes,
des desiderata, et qu'il montre bien que dans la séméiologie des troubles de
la marche, il reste beaucoup à faire.
1. Sur l'hémianesthésic sensitivc et sensorielle par lésion de la capsule interne, voir les
Leçons de mardH887-1888. pp. 288-296 et l'appendice, p. 586.
2. 1889, p. 367.
«5
— 480 —
J'en viens donc à l'exposé du second fait, où nous allons rencontrer encore,
ainsi que je vous l'ai annoncé, le syndrome abasie trépidante.
Le sujet est ce brave homme, âgé de 75 ans, nommé Cr...t, que je viens de
faire paraître devant vous. Il est d'aspect vigoureux, vous le voyez, et commeon
dit, parfaitement conservé pour son âge, du moins en apparence. Voici son
histoire en abrégé; elle est fort simple, du reste, vous allez le reconnaître.
Il n'y a pas dans la famille d'antécédents héréditaires qui méritent d'être
signalés. Jamais^ àpartune fièvre d'Afrique, Cr...t, n'a subi de maladie. Il a
servi comme soldat en Afrique pendant douze ans, de22à34ans; de34 à 56 ans
il a été employé comme gardien de prison à Melun, et de 56 à 68 ans comme
surveillante Mazas. Il a pris sa retraite en 1882. « J'ai toujours eu, dit-il,
une santé magnifique.» C'est un homme régulier, marié, père de deux enfants ;
il n'a connu ni la syphilis, ni l'alcoolisme. Il paraît très soumis aux pratiques
de l'hygiène; il a toujours fait un fréquent usage du tub et des bains de
rivière. 11 n'est pas du tout ce qu'on appelle un nerveux et n'a jamais donné
de signes d'émotivité maladive. Il ne paraît présenter, à l'heure qu'il est^
aucune marque de déchéance intellectuelle autre que celle que la sénilité
entraîne à peu près nécessairement avec elle.
Les premiers désordres relatifs aux mouvements de la marche ont com-
mencé à paraître chez lui il y a six ans, sans cause connue, progressivement,
sans accompagnement de vertiges ou de troubles cérébraux quelconques. Il
se produisit alors, dans les mouvements de la hanche gauche, une certaine
génc accompagnée d'un sentiment de pesanteur qui l'obligeait lorsqu'il montait
un escalier à s'appuyer sur le mur, de la main gauche. En marchant,il y avait
une légère boiterie, ou plutôt un certain désordre de la marche, consistant
principalement en ce que toujours il était forcé de porter le premier le pied
gauche en avant, le pied droit suivant par derrière; il procédait ainsi à petits
pas. Le membre supérieur gauche n'a jamais présenté, dans l'exécution des
mouvements, aucun trouble appréciable.
Les choses sont restées telles quelles pendant cinq ans; c'est il y a huit
mois seulement que l'état actuel s'est constitué, encore sans qu'aucune cause
occasionnelle puisse être invoquée. Cr...t a commencé à ressentir, â cette
époque, un sentiment de pesanteur à la nuque et à l'occiput, sur les épaules
et le devant de la poitrine. « Il lui semble qu'il porte une chape de plomb. »
Il ressent déplus une < lourdeur » comparable à celle qui occupait autrefois
exclusivement la hanche gauche, dans toute l'étendue des deux membres infé-
rieurs. D'ailleurs^actuellement,le désordre des mouvements relatifs à la mar-
che, autrefois localisé comme on l'a dit dans le membre gauche, s'étend éga-
lement, vous allez le reconnaître bientôt, au membre inférieur droit.
Etudions tout d'abord l'état des mouvements des membres inférieurs lorsque
le malade est couché ou assis. Vous voyez que dans ces conditions-là, en ce qui
concerne la force et la précision, les mouvements d'ensemble ou les actes
- AHi -
partiels ne laissent rien à désirer. Il n'y a ni paralysie, ni ataxie. Les réflexes
patellaires sont parfaitement normaux des deux c/ités et la sensibilité y est
indemne dans tous ses modes. Aucun trouble des fonctions vésicales.
Le malade se tient debout parfaitement, et, au premier abord, dans cette
attitude rien d'anormal ne s'observe chez lui; mais si Ton vient à le pousser
même légèrement parles épaules, il oscille, et l'on voit alors, dansles efforts
qu'il fait pour se remettre en situation, survenir dans ses membresdes mouve-
ments de flexion bientôt suivis d'une extension rapide, qui représentent en
quelque sorte le premier germe de la trépidation que nous allons voir, tout à
l'heure, se substituer à la marche normale. Quoi qu'il en soit, lorsqu'il s'agit
de se tenir sur un seul pied, de sauter à pieds joints ou à cloche-pieds, démar-
cher h quatre pattes, tout cela s'exécute parfaitement, si ce n'est peut-être que
le sujet, bien certainement en raison de son âge, se montre un peu '^lourd > dans
l'accomplissement de ces actes divers :Cr...t est bon nageur, et lorsque placé à
plat ventre sur un lit, on le prie de figurer les mouvements de la natation, il
s'en tire, vous le voyez, plutôt brillamment.
Étudions maintenant ce qui se passe à l'occasion de la marche vulgaire.
Vous voyez se produire, dès l'origine, une trépidation, un piétinement sur
place, qui remplace les mouvements normaux et gêne singulièrement la pro-
gression ;puis le sujet, faisant efl'ort, porte son tronc enavant; alors la trépi-
dation se précipite en même temps que les pieds frottent sur le sol et l'allure
devient plus rapide. L'analyse montre que ce piétinement résulte de ce
que la flexion du genou suivie d'élévation du pied_, qui, dans la marche nor-
male, inaugure chaque projection du membre en avant, est interrompue
ici par un mouvement d'extension brusque, qui maintient la jambe rigide.
Gela fait que le malade progresse les jambes raides, en précipitant l'allure de
manière à rappeler, à quelques égards, certaines formes de la démarche spas-
modique. Nous retrouvons donc exactement, vous le voyez, chez Cr...t,tous les
caractères de l'abasie trépidante relevés avec soin, à propos de l'observation de
Ro... (16 leçon) que nous considérons comme un type parfait dans l'espèce.
Seulement, chez G...t, contrairement à ce qui existait chez R. lorsque nous
vous l'avons présenté pour la première fois, Pallure trépidante fait place par
moments, à la marche normale ; il est vrai qu'après quelques pas^ elle ne
tsÈrde pas à reparaître soit d'elle-même, soit sous l'influence d'une légère
impulsion imprimée au sujet, par exemple en le poussant par les épaules. A
cet égard, le cas présent se rapproche beaucoup, vous le voyez, de celui dont
il a été question précédemment.
Cr...t nous fournit l'occasion de vous faire constater une fois de plus ce fait
intéressant au premier chef, que les désordres abasiques concernent exclu-
sivement la marche vulgaire, commune, automatique par excellence: tandis
que les autres modes moins usités de la marche, plus étudiés par consé-
quent et non automatiques au même degré, s'opèrent au contraire réguliè-
— 482 —
rement. Ainsi notre homme, qui a été militaire, n'a pas oublié le pas marqué
dit « pas ordinaire ». Une, deux, une, deux ! vous le voyez, cela va parfaite-
ment ; il procède ainsi sans que les trépidations apparaissent un seul
instant. Tel n'est pas cependant le mode de progression qu'il emploie dans la
pratique pour se transporter d'un point à un autre. Dans les rues, pour rem-
placer la marche vulgaire interrompue chez lui, à chaque instant, par les
piétinements que vous savez, il s'est arrêté,, après bien des tâtonnements, aune
allure plus rapide et plus commode sans doute, mais passablement extraor-
dinaire par contre, et éminemment ridicule ; si bien qu'il ne manque jamais
d'exciter, partout oùil passe, l'hilarité bruyante des gamins. Ainsi il procède à
très grands pas, faisant presque le « grand écart » en avant, courant et sautant
plutôt qu'il ne marche et portant vivement devant lui ses bras étendus,
comme pour s'entraîner; de plus, à chaque trois pas, il appuie fortement sur le
sol une canne qu'il tient de la main gauche, et à l'aide de cette manœuvre il
semble se « donner de l'élan ». Tel est le mode de progression singulier à
l'aide duquel il parcourt journellement les rues du quartier Picpus qu'il
habite, au grand ébahissement des passants qui ne manquent guère pour la
plupart, cela va sans dire, de le considérer comme un fou ou, pour le moins,
comme un original fieffé.
A n'envisager que les troubles de la marche considérés en eux-mêmes et indé-
pendamment des autres faits cliniques quis'y observent, le cas de notre homme,
en ce qui concerne la netteté, l'originalité du syndrome abasie, ne le cède en
rien aux exemples les plus caractéristiques du genre. Mais par contre, à
d'autres égards, il diffère très notablement de ces cas typiques. Nous ne
trouvons pas ici, en effet, les tares nerveuses héréditaires, les antécédents
névropathiques, l'accompagnement de phénomènes manifestement hysté-
riques, non plus que l'influence de causes provocatrices puissantes, émotives
ou autres, qui, dans la règle, appartiennent à ces derniers. Rien detout cela, je
le répète, ne se rencontre chez Cr...t, et à part le sentiment de pesanteur qu'il
dit éprouver derrière la tête, sur les épaules, dans les membres, et certaines
sensations de marcher comme sur un tremplin, ou un « sommier élastique >^
dont il se plaint parfois, on ne lui trouve aucun symptôme d'ordre nerveux
surajoutée l'abasie. Entre autres, pas de troubles permanents de la sensibi-
lité, pas de rétrécissement du champ visuel, de parésie, rien enfin qui rap-
pelle l'attaque hystérique sous une forme quelconque. Il faut dire encore que,
chez lui, l'incoordination motrice relative à la marche ne parait pas être,
comme chez la plupart des autres, un accident plus ou moins fugace et transi-
toire, toujours de pronostic relativement favorable; il en soulïre en effet
depuis tantôt cinq ans, d'une façon permanente ; elle parait s'être plutôt
aggravée dans ces derniers temps et ne semble pas par conséquent devoir
céder de sitôt. Enfln, on ne doitpas l'oublier, il s'agit d'un vieillard de 75 ans,
et, à cet î\ge, bien que ce ne soit pas 1î\, tant s'en faut, une règle absolue, les
— 483 —
lésions dites dynamiques des centres nerveux cèdent volontiers la place aux
lésions anatomiquement constatal)les.
Est-ce donc qu'il f.iut admettre que chez C.t, comme nous avons supposé
que cela devait être dans le cas deSob...re précédemment étudié, l'abasie relève
d'une lésion organique en foyer, intéressant par exemple, dans l'écorce
cérébrale, le groupe cellulaire organisé pour mettre en jeu le mécanisme de
la marche ? J'avoue que je ne me sens pas suffisamment préparé, cette fois
encore, pour répondre à la question d'une façon catégorique. Il ne serait
certainement pas difficile d'imaginer, pour les besoins de la cause, l'existence
d'un foyer produit en conséquence d'un processus d'artério- sclérose. En pareille
matière, les hypothèses ne coûtent pas grand'chose ; mais il faudrait alors
reconnaître, pour le moins, que la localisation hypothétique devrait être bien
étroitement^ hi(m précisément limitée à la région physiologiquement spécifiée;
car, ainsi que nous l'avons expressément signalé, dans l'exposé de l'obsorva-
tion, on ne rencontre chez le sujet, en dehors de l'incoordination abasique,
aucun des troubles de l'intelligence, de la sensibilité ou du mouvement qui
devraient, ne fût-ce qu'au plus léger degré, coexister avec elle, s'il s'agis-
sait vraiment comme on le supposait tout à l'heure d'une lésion encéphalique,
en foyer, à peu près nécessairement toujours un peu diffuse. Aussi, messieurs,
jusqu'à plus ample informé, et pour ainsi dire à titre provisoire, vous pro-
poserai-je d'admettre que ce brave homme est, sans le savoir et sans le paraître,
un névropathe, sujet comme tel à l'action des auto-suggestions, et c'est à ce
point de vue que nous essaierons tout d'abord de le traiter (1).
1. Le malade en question, Ci'.. t., a voulu quitter le service à la fin du mois d'août dernier.
Aucun ch-angcment dans son état ne s'était produit à cette époque. Dans les derniers temps de
son séjour à l'hôpital, il a à plusieurs reprises présenté les phénomènes suivants: Tout à coup
le malade éprouve une sensation de malaise difficile à définir. Il lui semble que « quelque
chose » lui monte du ventre vers la gorge et produit un sentiment desulTocation. Bientôt après,
surviennent une rougeur intense de la face, des battements dans les tempes, une obnubilation
de la conscience et finalement le malade tombe à terre. Quelques mouvements convulsifs des
membres se manifestent alors. Des pleurs et des sanglots terminent la crise. Ces faits n'ont pas
besoin de commentaires. Évidemment c'est bien, comme on Ta supposé, l'hystérie qui est en
jeu dans ce cas, bien qu'il s'agisse d'un vieillard de 75 ans.
<ro. dein Sac. dcTyp. ■ 74oiikt' , 8, r. Campagne -Premier*, l'an».
Policlinique du Mardi 28 Juin 1889
VINGT ET UNIÈME LEÇON
«>
1^^ et 2^ Malades. — Cas de syringomyélie gliomateuse.
3*^ Malade. - • Simulation hystérique de la syringomyélie.
Messieurs,
Je me propose de vous présenter aujourd'hui, pour les étudier avec vous,
quelques exemples d'une maladie organique spinale nouvellement introduite
dans la clinique neuropathologique, où elle devra désormais occuper un rang
distingué ; car il ne s'agit pas là d'une affection beaucoup plus rare, sans
doute, que ne l'est, par exemple la sclérose latérale amyotrophique. J'ai nommé
la Syringomyélie (1).
Je viens de dire que l'introduction dans la clinique de la maladie en ques-
tion était de date toute récente : cela est parfaitement exact ; car, si depuis
longtemps on connaissait anatomiquement, d'une façon plus ou moins exacte,
certaines cavités qui peuvent se former dans les parties centrales de la moelle
épinière, on a ignoré jusque dans ces derniers temps les symptômes qui les
peuvent révéler pendant la vie. En somme, jusqu'à ce jour, la syringomyélie
passait pour une pure curiosité anatomo-pathologique ; en pratique elle ne
comptait point (2).
C'est à deux auteurs allemands, M. SchuUze, aujourd'hui professeur à Dor-
pat, et M. Kahler, professeur à Prague, qu'on doit d'avoir, à partir de 1882,
dans une série de travaux importants, appris à rattacher à la lésion syringo-
myélique un certain nombre de troubles fonctionnels ou organiques qui,
lorsqu'ils se présentent dans la clinique, permettent d'annoncer l'existence de
1. « Syi'ingoymélie : « cavité centrale dans la moelle épinière, » OlUvicr d'Angers. Paris 18ô7
de (yyptYYtoSïiç, creusé en forme de tuyau, et [xueXo; moelle.
2. Dans la première édition des leçons sur les maladies du système nerveux de M. Charcot
(1874) la syringoyniélie est signalée comme une des causes possibles de l'atrophie musculaire
spinale deutéropathique. (t. II, p. 216).
— 488 —
l'altération et de déterminer même les principales particularités relatives à
son siège, à son étendue, à sa localisation étroite. Plusieurs fois, d'ailleurs,
— deux fois par M. Schultze, une fois par M. Kahler — le diagnostic affirmé
pendant la vie, par nos confrères allemands, s'est trouvé pleinement justifié à
l'autopsie.
Malgré tout, ces messieurs sont loin de méconnaître que le diagnostic dans
les circonstances en question, pourra encore, parfois, rencontrer des diffi-
cultés sérieuses ; ils n'ignorent pas qu'à côté des types, faciles à détermi-
ner, il y a toujours à compter sur la présence possible des formes frustes,
dégradées, défigurées. Mais ils estiment, et c'est avec raison, je pense, que^ le
plus souvent, les difficultés pourront être surmontées, grâce à l'application —
ce sont les propres paroles de M. Schultze — de principes analogues à ceux
que nous avons établis à propos de la sclérose en plaques des centres ner-
veux.
Quoi qu'il en soit, en lui rendant, pour la pratique, un service signalé par
les travaux auxquels je viens de faire allusion, MM. Schultze et Kahler, cela
est incontestable, ont bien mérité de la neuropathologie. Car, messieurs, c'est
pour un médecin une grande chose, que de faire sortir du chaos une espèce
morbide auparavant ignorée et méconnue, de la montrer pour la première
fois douée d'attributs symptomatiques qui désormais la feront reconnaître de
tous, de communiquer enfin la vie clinique et nosographique à tout un groupe
de phénomènes qui, jusque-là, étaient restés lettre morte.
Parmi les auteurs qui, après MM. Kahler et Schultze, ont, en Allemagne, le
plus contribué au développement dé l'histoire de lasyringomyélie,ilfaut citer,
particulièrement, MM. Bernhardt, Remak, Oppenheim, Furstner et Zacher,
Freud, A. Baiimler, etc. ; en Russie, nous signalerons un excellent travail sur le
même sujetde M. A. Roth, publié dans les Archives de Neurologie ;en Amérique,
une;note intéressante deM.Starr.(l)Én France, c'est à mon collègue M.Debove,
quenousdevons d'avoir pour la première fois, sur un malade qui justement sera
placé sous vos yeux tout à l'heure, démontré dans une séance récente de la
Société médicale des hôpitaux (22 février 1889), les caractères cliniques, au-
jourd'hui devenus classiques, de la syringomyélie. Dans cette même séance,
M. Déjerine a fait connaître, à son tour, une importante observation qui se
rapporte au même ordre de faits.
i. Voir suHoui Schultze : Virchow's Archiv. t. 87 p. 535, 1885 — Zcitsch. fut Klin med.
t. XIII. 1888 p. 523 — Kahler : Prap^er med. Woch. 1882-no 42, 45 — Pra?. med. Woch.
1888. n* b, 8. — Remak. Oedem deli oherextremilàten auf spinaler Basis. Sf/nngomyelie. Ber-
lin, klin. Woch. n» 3, 1889. — Bernardth. Centralblatt.. fiir Nervenheilk. 15 janv. 1889 Syrin-
gomyélie und Skoliose. A. Baûlmer. Thèse, Zurich. 1881. — Allen Starr. Amer, journal
o( the Med. Sciences, May 1888. — Roth. Arch. de Neurologie, t. XV et XVI.
— 489
I
C'en est assez, je pense, sur ce qui a trait à l'historique. Actuellement avant
de procéder à l'examen des malades que je me propose d'étudier avec vous,
je crois utile, en manière de préliminaire, d'entrer dans quelques développe-
ments relatifs à l'anatomie pathologique, à la symptomatologie, et aux diverses
circonstances, en un mot, de l'histoire de la syringomyélie, telle qu'elle est
aujourd'hui constituée. Dans l'accomplissement de cette tâche, mon rôle se
bornera à suivre pas à pas les enseigjiements fournis par les auteurs cités plus
haut. Je n'ai, en réalité, rien de personnel à y ajouter : si ce n'est toutefois
sur un point et ce point est relatif au diagnostic.
On a beaucoup discuté, déjà, messieurs, la plupart des questions relatives
au diagnostic différentiel de la syringomyélie, et à propos des maladies orga-'
niques spinales qui par plusieurs traits lui ressemblent, on a relevé avec
soin certains caractères qui permettent d'éviter la confusion. Toutefois,
parmi les membres de la grande famille neuropathologique, il en est un
qui n'appartient pas au groupe des affections organiques, et qui peut, cepen-
dant — je saisirai bientôt l'occasion de vous le démontrer — simuler la syrin-
gomyélie, dans de certaines circonstances données, de la façon la plus
embarrassante. Ce que j'avance là, je pourrai le prouver, je le répète, par un
exemple frappant. Vous avez compris que ce membre de la famille auquel je
fais allusion, toujours un peu négligé et repoussé même parfois du foyer,
bien qu'il réclame cependant chaque jour, de plus en plus impérieusement et
légitimement du reste, sa place au soleil, n'est autre que la névrose hysté-
rique, cette grande simulatrice, comme je l'ai dit ailleurs, des maladies orga- '
niques des centres nerveux. Jamais le clinicien avisé ne devra un instant la
perdre de vue, car, en neuropathologie, elle est présente partout, semant
devant lui des écueils ; et à ce propos, je montrerai que peut-être — cela est
fort possible en somme, — un certain nombre d'observations produites par
lés auteurs sous le nom de syringomyélie, ne sont autres que des cas
d'hystérie.
J'en viens actuellement à l'exposé de quelques notions relatives à l'ana-
tomie pathologique ; je ne les toucherai que légèrement, et en tant seulement
qu'elles peuvent nous intéresser pour l'interprétation des symptômes; pour
les détails précis et circonstanciés vous voudrez bien vous reporter aux auteurs
spéciaux, que j'ai cités plus haut.
Je relèverai en pi'emier lieu, messieurs, que ce terme de syringomyélie s'est
appliqué autrefois, d'une façon générale et indistinctement, à désigner toute
lésion cavitaire occupant les parties centrales de la moelle: mais tout porte
à croire aujourd'hui, qu'il existe plusieurs espèces d'altérations foncièrement
— 490 -^
distinctes, pouvant aboutir à la formation d'une cavité dans la substance
grise spinale.
1° En premier il y a lieu de signaler, dès à présent, comme constituant un
groupe à part, les cavités formées en conséquence d'une malformation ou d'une
dilatation du canal central : à ces cas-là M"* Baiimler propose de réserver le
nom d'hydromyélie.
2° Viennent ensuite les formations cavitaires résultant de la fonte du tissu
de la substance grise spinale préalablement modifié par le fait d'un processus
d'inflammation chronique ; ce genre d'altération a été décrit en 1869, par
M. Hallopeau, alors interne à la Salpêtrière, sous le nom de sclérose péri-
épendymaire'et à la même époque, avec ma collaboration, par M. Joffroy, mon
interne d'alors qui, tout récemment, a consacré à cette forme anatomique qu'il
appelle myélite cavitaire, un travail important. Je sais bien qu'on a voulu,
dans ces derniers temps rayer, d'un trait de plume, cette dernière espèce du
cadre nosologique et l'absorber dans le groupe qui va suivre ; mais cela doit
être considéré, jusqu'à plus ample informé, comme une prétention purement
arbitraire. Les observateurs qui ont décrit la myélite cavitaire sont de ceux
qui ont contribué à établir les premiers fondements de l'anatomo-pathologie
spinale moderne, et il est au moins vraisemblable qu'ils ne sont pas gens à
méconnaître les caractères qui séparent la gliomatose d'un processus d'inflam-
mation chronique.
3° Une troisième espèce appartient bien et dûment, cette fois, à la catégorie
des productions gliomateuses. Il s'agit d'un néoplasme formé le plus souvent,
aux dépens de l'épendyme et de diverses régions de la substance grise spi-
nale, principalement celle des cornes postérieures. Il consiste essentiellement
dansl'hyperplasie des éléments de la nevroglie qui se présentent sous la forme
de volumineuses cellules à prolongements multiples ; celles-ci, tantôt sont
comme infiltrées parmi les éléments nerveux qui peu à peu tendent à dispa-
raître ; tantôt elles forment parleuragglomération dense une véritable tumeur,
se séparant plus ou moins nettement des parties ambiantes qu'elle comprime,
et pouvant parfois nettement s'énuclcer. C'est la fonte de ce tissu néoplasique
soit infiltré, soit ramassé en tumeur qui détermine la formation de la plupart
des lésions cavitaires dont nous avons à nous occuper. C'est en efl'et à cette
forme anatomo-pathologique que se rapportent jusqu'ici toutes les observa-
tions rattachées pendant la vie à la syringomyélie dans lesquelles le diagnos-
tic a été vérifié par l'autopsie. Ce n'est pas à dire pour cela que les autres
espèces de cavités spinales, l'hydromyélie, la myélite centrale cavitaire, ne
viendront pas, quelque jour, figurera leur tour, dans la clinique, llest même
fort vraisemblable qu'il en sera ainsi, et l'on peut prévoir qu'alors leur
symptoinalotogie ne s'éloignera pas considérablement de celle de la glioma-
tose : il y aura donc là pour le diagnostic une pierre d'achoppement.
Je n'insisterai pas longuement sur les détails anatomiqucs relatifs à la
— v.n —
syringomyélie gliomatouse ; j'indiquerai seulement ce qui est utile à connaî-
tre pour rinteliigence des troubles fonctionnels qui seront énumérés tout à
1 'heure.
La production gliomateuse occupe généralement la moelle dans toute sa
Fig. 1(3. — Moelle de ^yringomyélie par gliomalose nrn^dullaire. Région ccrvico-dorsale. Hos-
pice de la Salpôtrière. — Coupe faite par M. Marie.
i Zone de condensation avec apparence papLllomatcusc.
1' Région dans laquelle existe encore un peu d'épitbélium épendymaire normal.
2 Zone gliomateuse.
3 Substance grise.
4 Cavité syringomyélique.
5 Substance blanche; on remarquera que dans son étendue celle-ci pri sente dos
teintes différentes, les plus foncées correspondent aux régions dans les quelles la
névroglie a acquis le plus grand développement (1).
1. Lobservation à laquelle cette préparation est relative a été communiquée à la Société Clinique
de i'Hiis, dans la séance du 9 juillet 18S5, par M. Paul Berbez et publiée dans la France médi-
cale, n«97, 20 août 1885, p. 1162, sous ce titre significatif: Essai de diagnostic d'une affection
— 492 —
hauteur; que.quefois cependant elle reste limitée soit à la région lombaire,
soit à la région cervico-brachiale : ce dernier cas est de beaucoup le plus
fréquent, et si la lésion se traduit alors par des symptômes moteurs, on com-
prend que ce soit sous l'aspect de la paraplégie cervicale qu'elle se présente
dans la clinique. Elle peut aussi envahir le bulbe oii elle reste limitée tou-
jours, autant qu'on sache, au noyau d'origine de la 5^ paire.
Qu'il y ait ou non formation cavitaire, la partie centrale de la commissure
grise, en arrière du canal central qu'on trouve souvent parfaitement indemne,
est un lieu où le gliome se localise avec prédilection. De là il tend à s'étendre
d'abord vers les cornes postérieures, puis vers les cornes antérieures de sub-
stance grise, à titre de lésion consécutive, soit par infiltration néoplasique,soit
par le fait d'une simple compression. Les faisceaux latéraux, et la partie
antérieure des faisceaux postérieurs, peuvent être à leur tour envahis.
Les lésions que lagliomatose produit dans la moelle sont indélébiles, irré-
parables. Leur marche est lentement progressive ; mais, autant qu'on en peut
juger d'après la clinique qui fait constater dans l'évolution du mal des hauts
et des bas, elles procèdent par poussées.
La formation des lésions cavitaires n'est pas nécessaire, cela est clair, à la
production des symptômes qui révéleront pendant la vie la gliomatose médul-
laire. La compression ou la destruction des éléments nerveux est seule la
condition indispensable. Parmi les lésions^ d'ailleurs, il en est qu'on peut dire
intrinsèques ; ce sont celles qui restentlimitées à la substance grise spinale,
siège classique de l'altération gliomateuse ;les autres, celles qui portent sur les
faisceaux blancs, sont, à proprement parler, des lésions de voisinage, produites
tantôt par l'envahissement néoplasique des tissus, tantôt et le plus souvent
par simple compression, s'exerçant de dedans en dehors, du centre gris spi-
nal vers la périphérie.
Peut-on, en se fondant sur nosconnaissancesactuelles en pathologie spinale^
prévoir quelle sera la symptomatologie des lésions de cet ordre, localisées de
de la moelle indépendante du Tabès avec arthropathie du coude gauche. Le fait est que
jusqu'au derniei' Icnne, Je diagnostic est resté oscillant. La connaissance des travaux concernant
la syringomyélio n'était pas encore répandue dans ce temps-là et il est facile de reconnaître, par
la lecture du cas, que l'étude des troubles de la sensibilité n'a pas été faite en connais-
sance de cause. Les détails de l'autopsie, pratiquée à la Salpêtrière, ont été communiqués à
la société anatomique dans la séance du 18 février 1887, 62* année, page 83, par M. Paul Blocq.
La communication est intitulée: Paraplégie spasmodique. — Arthropathie du coude. —
Néphrite supputée. — Cystite. — Perforation de la vessie. — Péritonite. — Mort. — Autopsie.
— Syringomyélie. En outre de la lésion spinale on signale particulièrement dans cette note,
l'artliropathie du coude gauche, marquée par des déformations considérables avec production
de nombreux corps étrangers articulaires, les uns libres, les autres pédiculisés et aussi la
perforation de la vessie produite au niveau de sa paroi postérieure. La muqueuse vésicale était
épaissie, fongueuse en certains points et présentait plusieurs ulcérations. C'est au niveau de»
l'une d'elles que s'est faite la perforation. ... .. •'.:j^
— 493 —
cette façon ? Oui, sans (loute^ jusqu'à un certain point, du moins. Veuillez
jeter les yeux sur cette figure schématique qui représente en quelque sorte,
ïépitome de la pathologie de la moelle épinière telle que Font faite les travaux
récents(/2^. 104). Nous savons que les lésions étendues et durables des faisceaux
Fig. 104. — A,A, cordons latéraux : — A' faisceaux de Tiirck. — B,B, zones radiculaires
postérieures. — C,C, cornes postérieures. — D,D, cornes antérieures. — F,
zones radiculaires antérieures. — E, cordons de Goll. Extrait du t. II des
Œuvres complètes de J . M. Charcot, p. 295.
spinaux postérieurs, celles surtout des zones radiculaires, B B, entraî-
nent avec elles la production des symptômes tabétiques, tandis que-
celles des faisceaux latéraux ou pyramidaux_, comme on les appelle encore,
se traduisent pendant la vie par des symptômes d'impuissance motrice
plus ou moins prononcée, avec exaltation des réflexes tendineux et tendant
au développement de phénomènes spasmodiques.
Pour ce qui est de la substance grise centrale_, nos connaissances, en ce qui
concerne les effets des lésions des cornes antérieures, paraissent à peu près
définitivement fixées. Il semble en efïet bien établi aujourd'hui, que ces
régions-là peuvent être lésées isolément, primitivement, ou au contraire
d'une façon secondaire et l'on sait que dans les deux cas, si l'altération intéresse
les grandes cellules motrices, il s'ensuit forcément la production d'une amyo-
trophie. Celle-ci se développe rapidement, si la lésion spinale évolue suivant
le mode aigu (paralysie spinale infantile), ou au contraire, d'une façon lente
et progressive (amyotrophie spinale protopathique, sclérose latérale amyo-
— 494 —
Irophique, etc.), si elle évolue suivant le mode chronique. Les cornes grises
antérieures (cellules nerveuses motrices,) et les zones radiculaires antérieures
(trajet intraspinal des racines antérieures), sont en somme les seules régions
de la moelle épinière qui intéressent directement la nutrition des muscles.
On sait encore très positivement, par l'histoire de la paralysie infantile d'un
côté et de l'autre par celle de Tatrophie musculaire progressive du type Aran-
Duchenne et de la scélérose latérale amyotrophique, que les lésions limitées
à la région des cornes antérieures de substance grise ne sont pas accom-
pagnées de troubles permanents de la sensibilité.
Relativement aux eflets des altérations des cornes grises postérieures (CC)
nous étions par contre, jusque dans ces derniers temps, restés dans le vague :
on savait seulement d'une façon très sommaire et sans qu'on eut spécifié quels
modes de la sensibilité peuvent être alors afTectés à l'exclusion des autres, que
les lésions de ces cornes quand elles sont profondes, déterminent une « anes-
thésie cutanée », plus ou moins prononcée et plus ou moins étendue, suivant
les cas, dans les parties du corps situées du même côté que l'altération spi-
nale. On pouvait supposer encore^ sans l'affirmer toutefois, en invoquant les
résultats de certaines expériences de Schiff", contestées d'ailleurs par quel-
ques auteurs et relatives seulement au chien, que la transmission des impres-
sions douloureuses se fait par la voie des cornes postérieures de substance
grise, tandis que celle des impressions tactiles chemine dans les faisceaux
postérieurs. Or, les nouvelles études anatomo-cliniques concernant la syrin-
gomyélie tendent justement, nous allons le voir, à préciser et à étendre singu-
lièrement nos connaissances à cet égard. Elles paraissent montrer, en effet,
conformément aux assertions de SchifT, que les conducteurs des impressions
tactiles appartiennent aux faisceaux postérieurs, tandis que les cornes grises
postérieures transmettent les impressions douloureuses : elles montrent en
outre que, dans cette même région des cornes postérieures, siègent encore
les conducteurs, quels qu'ils soient, de la sensibilité au froid et à la chaleur,
à l'exclusion de ceux qui concernent les notions dites du sens musculaire;
elles montreraient enfin, si l'on on croit certaines observations qui paraissent
parfaitement authentiques, que les éléments nerveux qui dans les cornes pos-
térieures servent à la transmission des divers modes de la sensibilité,, chaud,
froid, douleur, occupent dans ces régions-là des départements distincts ; car
chacun de ces modes de la sensibilité générale peut se montrer profondé-
ment affecté à l'exclusion des autres. Mais n'anticipons pas ; sur tous ces points,
nous aurons à revenir tout à l'heure.
On ne connaît pas encore les effets d'une lésion isolée des commissures.
Cependant quelques faits appartenant encore à l'histoire de la syringomyélie
semblent les désigner comme une région dont les altérations se traduiraient
par la production de ces affections cutanées, sous-cutanées et autres qu'on
désigne assez communément sous le nom de troubles trophiques.
— 495 -
Par tout ce qui précède, vous prévoyez que les symptômes relevant des
altérations syringomyéliques considérées dans leurs combinaisons diverses»
pourront être ramenés à deux grands groupes: 1° Symptômes intrinsèrjues, c'est-
à-dire relevant des lésions limitées aux diverses régions de la substance grise
centrale, et ici il y a lieu de distinguer : a. les symptômes poiwmyéliques anté-
rieurs, à savoir : amyotrophie musculaire à marche progressive, rappelant le
typeDuchenne-Aran ; b. les ?>^m\)i6m%?>j)oliornyéllquesposlérleurs: anesthésie
à la douleur, au chaud, au froid, sans participation de la sensibilité tactile
ou du sens musculaire; c. sy mplùmcs poliomyéiifjues médians^ groupe jusqu'ici
fort problématique encore : divers troubles trophiques autres que ceux qui
sont relatifs au système musculaire ; 2° Symplônies extrinsèques. Ils n'appar-
tiennent pas en propre à la symptomatologie de la syringomyélie glioma-
teuse, mais ils s'y associent fréquemment. Ils résultent tantôt, de l'envahis-
sement soit des faisceaux postérieurs, soit des faisceaux pyramidaux, soit
des deux systèmes à la fois, par la néoplasie ; tantôt, de la compression que
ces faisceaux subissent de la part de celle-ci. Il y a lieu d'établir ici une dis-
tinction entre «.les symptômes leucomyéliques latéraux: parésies ou paralysies
de genre spasmodique, et b. les symptômes leucomyéliques postér-ieurs : phé-
nomènes tabétiques divers, troubles de la sensibilité tactile, etc.
Nous allons voir maintenant, jusqu'à quel point les diverses propositions
qui viennent d'être émises, et qui à plusieurs égards reposent encore sur des
fondements hypothétiques, trouveront leur justilicationdans l'exposéclinique.
H
Le plus souvent, les symptômes d'atrophie musculaire progressive, débutant
parles éminences thénar et hypothénar, avec secousses librillaires et sans
exagération des réflexes tendineux, sont les premiers qui attirent l'aitention
du malade et des médecins. Ils n'ont, considérés en eux-mêmes, rien de
spécial à la syringomyélie, rien qui puisse sers'ir à la caractériser. Ils rap-
pellent plutôt en effet, envisagés isolément, l'espèce morbide antérieurement
connue sous le nom d'atrophie musculaire progressive du type Duchenne-
Aran : ils ne valent, en somme, que par leur association avec des troubles
sensitifs, vraiment particuliers cette fois, pour ainsi dire spécifiques, qui les
accompagnent ou qui les ont précédés peut-être, sans avoir été remarqués
cependant. Ceux-ci consistent, essentiellement, dans la perte plus ou moins com-
plète de lajsensibilité à la douleur, au chaud et au froid, — lasensibilité tactile, le
sens musculaire étant conservés, — etjustement c'est la connaissance de ce genre
si particulier, si original de dissociation des divers modes de la sensibilité,
ou autrement dit de paralysie seusitive partielle, appliquée au diagnostic
67
— 496 —
de la syringomyélie qui constitue la découverte de nos confrères alle-
mands. « Schultze »,ditM. Kahler son émule dans la poursuite de ces études,
« aie premier appelé Tattention sur la combinaison de l'atrophie musculaire,
« avec des troubles particuliers de la sensibilité dans les cas où l'investi-
« gation nécroscopique fait reconnaître dans la moelle l'existence de la
« syringomyélie ou du gliome central. Ce qu'il y a de spécial dans ces trou-
« blés de la sensibilité, c'est que, sur les parties de la peau qui en sont aflec-
« tées on trouve, au moins d'une façon prédominante, à la fois une perte de
« la sensibilité à la douleur et de la propriété d'apprécier les différences de
« température, tandis que la sensibilité au tact reste indemne. » C'est bien là
en effet la clef de la situation. Dans la syringomyélie les symptômes polio-
myéliques antérieurs n'ont, je le répète, aucune valeur diagnostique absolue.
Seuls les symptômes poliomyéliques postérieurs lui appartiennent en particu-
lier et lui impriment un cachetspécifique.
Ainsi, voilà un sujet qui se présente avec les apparences de l'amyotrophie
spinale progressive du type Duchenne-Aran, débutant suivant la règle par
les extrémités supérieures ; les eminences thénar et hypothénar sont déjà
plus ou moins considérablement atrophiées ; les déformations de la « main
de singe » sont déjà peut-être nettement accusées ; les secousses fibril-
laires sont très marquées, etc., etc. Mais, un examen plus attentif fait recon-
naître, chez lui, surtout dans les membres où siège l'atrophie musculaire,
l'existence concomitante de troubles très particuliers de la sensibilité. C'est
à savoir, que les notions relatives au tact et au sens musculaire étant par-
faitement conservées, les impressions produites dans des conditions physio-
logiques par la piqûre, le pincement de la peau, l'application sur elle d'un
corps chauffé à soixante ou quatre-vingts degrés, ou inversement celle de la
glace, sont au contraire obnubilées ou même supprimées et ne produisent
qu'une sensation uniforme de contact. Alors, quand ce concours singulier de
circonstances se trouve réuni, on peut affirmer, sauf toutefois quelques
réserves prudentes qu'il convient de ne point négliger et qui commandent
certaines vérifications dont il sera question par la suite, on peut affirmer,
dis-je, que le diagnostic est fait: c'est d'un cas de syringomyélie qu'il s'agit.
Ces troubles de la sensibilité, dont nous venons de mettre en relief les ca-
ractères fondamentaux, se distinguent encore par d'autres traits dont on ne
saurait méconnaître l'importance. Nous avons supposé l'analgésie et la ther-
mo-anesthésiesyringomyéliques limitées aux parties où se voit l'atrophie mus-
culaire : Ce cas, tant s'en faut, n'est point le plus commun, et l'on peut même
dire que dans la règle les troubles de la sensibilité dont il s'agit, se montrent
répandus sur des parties du corps plus ou moins étendues. Ainsi, il n'est point
très rare qu'ils occupent exactement toute une moitié du corps (forme hémia-
nalgésique) ou, à des degrés divers, le corps tout entier. Lorsque l'analgésie ou
la thermo-anesthésie restent plus étroitement localisées, elles se distinguent
— 407 —
encore par leur mode de distribution fort remarquable, sur lequel M.leD'Koth
a insisté avec raison (1). Cette distribution, ainsi qu'il le relève expressément,
n'est point conforme à celle des nerfs: elle se fait par segments de membres;
ainsi elle occupe soit la main seule, soiten outre une partie de l'avant-bras ou
même le membre supérieur tout entier, et toujours, en pareil cas, la délimita-
tion de la zone anesthésiée et des parties normalement sensibles, se fait par
une ligne circulaire, nettement tranchée, déterminant un plan perpendicu-
laire à Taxe du membre.
Il ne saurait vous échapper, messieurs, que les particularités qui viennent
d'être relevées, à propos du mode de répartition et de distribution des troubles
de la sensibilité syringomyéliques, rapprochent singulièrement ces derniers de
ceux qui appartiennent à l'hystérie: c'est un point sur lequel nous allons avoir
à revenir ; mais dès à présent, on peut faire ressortir à ce propos, comme une
circonstance remarquable et qui pourra contribuer puissamment à établir le
diagnostic, que jamais, jusqu'à ce jour du moins, on n'a vu, dans la syringo-
myélie, les troubles sensitifs accompagnés de ces troubles sensoriels, tels que ré-
trécissement du champ visuel, anosmie, agustie,etc., qui figurent, au contraire,
pour ainsi dire d'une façon banale dans la symptomatologie classique de l'hys-
térie.
Un troisième groupe de symptômes répond à une série de lésions cutanées
ou sous-cutanées, osseuses ou ligamenteuses, que l'on appelle vulgairement
du nom générique de troubles tj'ophiques, sans plus préciser, bien qu'en taisant
usage de cette dénomination Ton sous-entende à peu près toujours que les
lésions dont il s'agit relèvent plus ou moins directement d'une- affection de
certaines parties des centres nerveux ou des nerfs périphériques. Ces troubles
trophiques sont vulgaires dans l'histoire clinique de la syringomyélie ; ils
offrent, en particulier, pour le diagnostic, un vif intérêt, bien qu'ils n'appar-
tiennent pas cependant, essentiellement, à la constitution du type nosogra-
phique. Il y a, sous ce rapport, plusieurs catégories à'établir.
En premier lieu, viennent des éruptions huileuses siégeant principalement
sur certaines parties des mains et des avant-bras, laissant après elles des
ulcérations plus ou moins profondes du derme, remplacées finalement par
des cicatrices déprimées ou au contraire des chéloïdes.
Après cela on signalera des lésions sous-cutanées ; tels sont certaines boufis-
sures des œdèmes indolents, souvent accompagnés d'une teinte violacée ou
rougeâtre, plus ou moins foncée, du tégument externe qui présente en même
temps un abaissement relatif de la température. Ces œdèmes, signales dans
la syringomyélie par Remak (2), y ont été observés plusieurs fois par
1. W. Rolh. Coniribut. à Vétude symptomatique delà gliomaiose médullaire > Arch. de
Neurologie. 1887-88. — pp. QQ, 67, 71, du tirage à part.
2. Berlin, klin. Woch. n» 3, 1889.
— 49S —
Roth (1). Ils paraissent occuper le plus souvent le dos d'une des maius qui
alors est complètement atteinte d'analgésie et de thermo-anesthésie. Dans la
même classe rentrent le faux phlegmon, la peau-lisse (glossy skin) et certains
panaris qui, à Timage de ce qui se voit dans la lèpre anesthésique, peuvent
aboutir sans douleur, à la perte d'un ou de plusieurs des doigts de la main ;
enfin certaines tournioles, suivies parfois de la chute desongles, représentent
en quelque sorte une forme relativement bénigne du précédent processus.
Il convient de ne pas oublier que les parties analgésiées chez les
syringomyéliques sont souvent couvertes de cicatrices, résultant de brûlures
ou de plaies produites accidentellement chez les malades sans qu'ils en
aient été avertis par aucune douleur.
C'est une question fort discutée encore que celle de savoir si la maladie de
Morvan, de I^annilis, ou, autrement dit le Panaris analgésique doit rentrer,
de toutes pièces, dans le cadre de la syringomyélie ou au contraire occuper
une place à part. Cette question je la laisserai de côté pour le moment, afin
de ne pas compliquer la situation. Je me bornerai à relever seulement que
l'autopsie relatée par mon ami, M le D*" Gombault, dans la séance de la
Société médicale des hôpitaux du 8 mai 1889, paraît peu favorable à la doc-
trine unitaire (2).
2° Une troisième catégorie est celle des troubles trophiques articulaires et
osseux. Il faut citer ici les /mc^wes spontanées se reproduisant souvent plusieurs
fois aux dépens d'un même os ; et qui rappellent singulièrement celles qu'on
observe, assez fréquemment, dans l'ataxie locomotrice progressive ; des
arthrites d'une espèce particulière aboutissant rapidement à l'ankylosc;
enfin des arthopalhies végétantes tout àfaitcom-parables à celles qui se voient
dans la forme dite hypertrophique des lésions articulaires tabétiques (3).
J'ai observé pour mon compte, tout récemment, un cas de ce genre. Il faut
vraisemblablement rattacher à ce groupe la scoliose qui, dans la syringomyélie^
se montre fréquemment puis qu'on l'y observe, suivant M. Bernhardt, 18 fois
sur 70 cas, ou autrement dit, 25 fois 0/0 (4).
Une observation suivie d'autopsie, recueillie dans mon service, tendrait à
établir que la syringomyélie peut s'accompagner de lésions trophiques viscé-
rales. En efi'et le sujet en question a succombé inopinément à une péritonite,
survenue en conséquence d'une perforation de la vessie déterminée par
l'extension d'un « ulcère simple ».
Nous mentionnerons en dernier lieu, comme n'ayant pas trouvé place dans
i. Rolh. obs. II, V.
2. Voir aussi un nouveau travail de M. le D"" Morvan: De Vanesihéne sous ses divers modes
dans la paréso-anal(/ésie, publié dans la Gazette liebdomadaire. 1889. 35 et 36.
3. Wolff. Berlin. Klin. Woch. n» 6, Il février 1889.
4. M. I3,;rnhardt. Syringomyélie und S:olio50. 15 janvier 183.1.
— 409 —
les catégories précédentes des troubles vasomoteurs accompagnés ou non de
sueurs partielles (i). Ils s'observent assez fréquemment encore dans la syrin-
gomyélie.
On ne saurait dire quant à [)résent, nous l'avons fait remarquer déjà, dans
quelles régions de la substance grise siègent les lésions d'où dérivent les
troubles trophiques divers qui viennent d'être énumérés. D'après ce que nous
savons des ellets produits par les altérations qui occupent soit les cornes
antérieures, soit les cornes postérieures, il ne paraît pas qu'on doive les
y localiser. Il y a quelques raisons, au contraire, de penser avec M. A.
Starr (2), ne fût-ce que par la nécessité d'exclure les autres parties,
que c'est dans la région centrale, commissurale de la suljstance grise, qu'il
conviendra de chercher le point de départ des accidents ; il pourrait se faire
aussi que les régions dites colonnes intermédiaires de Glarke, où naîtraient sui-
vant M. le prof. Pierret, les filets vasomoteurs du grand sympathique, jouas-
sent ici un certain rôle (3).
Les divers groupes symptomatiques qui viennent d'être passés en revue
pourront être dits intrinsèques, en ce sens qu'ils représentent en quelque sorte
directement les troubles fonctionnels produits par la lésion gliomateuse des
diverses parties de la substance grise ; l'envahissement par celle-ci des
régions blanches, faisceaux pyramidaux et faisceaux postérieurs, ou leur
compression pure et simple aura pour effet de déterminer l'apparition de
symptômes qui pourront au contraire être appelés extrinsèques. En pareille
circonstance, nous l'avons signalé tout à l'heure, on verra suivant le cas, soit
des phénomènes tabétiques, soit des symptômes de parésie ou de paraplégie
spasmodique venir se surajouter en proportions diverses au tableau clinique
propre à la syringomyélie et embarrasser peut-être la diagnostic.
Pour en finir avec l'aperçu sommaire que j'ai tenu à vous présenter de
l'histoire nosographique et clinique de la syringomyélie, il me reste à vous
dire un mot concernant l'évolution de la maladie, son pronostic, son
étiologie et enfin le diagnostic.
Elle paraît être plus fréquente chez l'homme que chez la femme; c'est de
15 à 25 ans surtout qu'elle fait son apparition que certaines causes excep-
tionnelles semblent provoquer, à savoir : les traumatismes, le surmenage
physique, l'affaiblissement de l'organisme déterminé par diverses maladies
infectieuses, telles que la fièvre typhoïde, le rhumatisme articulaire aigu, la
1. Voir dans le « Montpellier médical » les leçons du P' Grasset sur le Syndrome bulbo-
rnédullaire, etc., etc. juillet 1889. n° 1 et suiv.
2. Syringomyelia, etc. American Journal, ofmed. Science, May, 1888.
3. E. Putnam. Troubles fonctionnels des nerfs vasomoteurs dans révolution du tabès sen-
sitif. Thèse de Paris, 1882.
— 500 —
syphilis, les fièvres intermittentes enfin. Vous comprenez qu'il reste
considérablement à faire relativement à ce chapitre de l'étiologie.
L'évolution du mal est remarquablement lente, il peut arriver qu'une fois
la maladie constituée, le sujet reste de longues années sans que survienne la
moindre aggravation dans son état; mais il faut compter sur la possibilité
d'empirements soudains, inopinés, comme aussi sur des amendements rapides,
inespérés.
« La guérison est-elle possible? » se demande M. Roth. « Nous avons vu,
dit-il, que de nombreux symptômes peuvent s'améliorer considérablement ; nous
avons vu également que le processus morbide peut ne pas progresser d'une
manière notable durant dix ans, par exemple. » En vue de tout cela, ajoute-t-
il « nous pouvons admettre la possibilité de Tarrêt de la maladie et de son
amélioration considérable et peut-être même la disparition des symptômes».
Sur ce dernier point, nous nous permettrons de rester sceptiques. Il n'est pas
impossible en efïet que les prétendus cas de syringomyélie terminés par la
guérison, correspondent peut-être à de certaines erreurs dans le diagnostic
sur lesquelles nous aurons à insister tout à l'heure. Toujours est-il, qu'en
raison même de la lenteur et des atermoiements qu'elle présente fréquem-
ment dans sa marche progressive, la syringomyélie est, à tout prendre, d'un
pronostic moins sombre que ne l'est celui de la plupart des afTections orga-
niques spinales dont elle peut être cliniquement rapprochée.
La mort a été quelquefois déterminée par l'extension aux régions bulbaires
du processus morbide; plus souvent elle s'est produite en conséquence de
quelque lésion accidentelle. C'est ainsi que la pyoémie a pu survenir à la
suite d'une inflammation phlegmoneuse relevant elle, toutefois, plus ou moins
directement de l'altération du centre gris. Dans un cas observé à la Salpô-
trière, dont il a été question déjà, une perforation de la vessie suivie de
péritonite suraiguë a occasionné la terminaison fatale.
L'atrophie musculaire progressive du type Duchenne-Aran, lasclérose laté-
rale amyotrophique, lapachyméningite cervicale hypertrophique, certaines
formes du tabeS;, telles sont, sans parler de la lèpre anesthésique, les diverses
afïections organiques du système nerveux que, dans la pratique,, on a cru,
le plus souvent avoir sous les yeux, alors que cependant, après vérificatioD
nécroscopique, c'était de la syringomyélie qu'il s'était agi. Il est vrai que ces
erreurs datent de l'époque où les caractères cliniques de celle-ci étaient
à peu près complètement ignorés, mais il ne faut pas oublier que ces temps-là
sont tout récents et aujourd'hui encore, très certainement, il reste quelque
chose à faire pour établir sur des bases solides les fondements du diagnostic
différentiel de la syringomyélie.
Il est clair que les principales difficultés qui peuvent se produire dans ce
domaine tiennent à ce que les principaux symptômes liés à la syringomyélie
— 501 —
gliomateuse, même les plus spéciaux d'entre eux, telle que l'est, par exemple, la
dissociation des divers modes de la sensibilité sur laquelle nous avons insisté,
ne sauraient lui appartenir en propre.
En somme, ces symptômes révèlent seulement la lésion plus ou moins pro-
fonde que subissent les éléments nerveux des cornes antérieures et posté-
rieures en présence des produits néoplasiques. Ils devront, par conséquent, on
doit le prévoir, se retrouver toujours, plus ou moins accentués, toutes les fois
que dans les lésions les plus diverses par leur nature, gliomateuses ou non
gliomateuses, de la substance grise centrale, les mêmes conditions anatomo-
pathologiques relatives aux éléments nerveux se trouveront reproduits. Cela
est évidemment dans la logique des choses.
Sur cette question du diagnostic de la syringomyélie,nous nous bornerons,
à propos des lésions organiques spinales qui peuvent la simuler, aux remar-
ques suivantes.il est très certain^ ainsi que l'a bien relevé M. Déjerine, que l'on
a fort souvent rapporté à l'atrophie musculaire du type Aran-Duchenne des
cas où seule la syrihgomyélie était en jeu. L'erreur, à n'en pas douter, a été
commise par Duchenne lui-même. Il admettait, vous ne l'ignorez pas, que
parfois, par exception, une anesthésie cutanée, plus ou moins prononcée, se
montrait combinée aux symptômes classiques de l'atrophie musculaire pro-
gressive. « Cette anesthésie ». écrit-il à la page 493 de la dernière édition de
son Electrisation localisée, « est quelquefois si grande que les malades ne per-
çoivent ni les excitations faradiques les plus fortes niV action du feu. J'en ai vu qui
s'étaient laissé brûler profondément les parties anesfhésiées parce qu'ils ii' avaient
pas perçu V action des corps incandescents et qu ils n'' avaient pas été prévenus par
la vue que ces parties se trouvaient en contact avec eux. » Nous reconnaissons
facilement dans ce passage l'analgésie et la thermo anesthésie qui, ainsi que
l'ont montré les travaux récents, appartiennent à la syringomyélie et peuvent
servira la distinguer vis-à-vis de la téphro-myélite antérieure chronique (1).
La présence de ces mômes troubles si particuliers de la sensibilité dans un
cas donné, permettrait également d'éliminer la sclérose latérale amyotro-
phique où on ne les voit point, et dont, d'un autre côté, l'évolution relative-
ment très rapide ne manquerait pas d'attirer l'attention du clinicien. Il ne
faut pas négliger cependant de remarquer que^ contrairement à une opinion
assez généralement répandue, quelques troubles de la sensibilité peuvent,
comme le font remarquer M. Erb et M. Schultze (2), se manifester dans cer-
tains cas parfaitement caractérisés de silérose latérale amyotrophique
mais il ne s'agit toujours là que de douleurs plus ou moins vives, constam-
1. M. Gharcot a l'éceinmenl montré à la clinique un nommé Sch\vei...e^, autrefois traité par
Duchenne de Boulog^ne comme atteint d'atrophie musculaire avec anesthésie. Un examen
attentif a montré que dans ce cas il s'ap:it bel et bien de syringomyélie.
2. Schultze. Zeitsch. f. klin Medic. Berlin 1888 13 Bd. p. 53.
— 502 —
ment transitoires, ou d'engourdissements, de fourmillements passagers. Jamais
on n'y observe de troubles permanents de la sensibilité comparables à ceux
qui sont» au contraire, l'apanage de la syringomyélie.
Des considérations du même ordre s'appliqueront au diagnostic du tabès,
et de la pachyméningite cervicale hypertrophique qui, ainsi qu'on l'a fait
remarquer tout à l'heure, ont pu être quelquefois simulés par la syringomyélie.
Ici encore la dissociation sensitive particulière à la syringomyélie, principa-
lement dans les cas où celle-ci s'est accompagnée, en outre, de l'atrophie mus-
culaire à marche lente, de divers troubles trophiques, tels que bulles, frac-
tures spontanées, arthropathies, etc., etc., servirait surtout de critérium.
D'ailleurs, on n'observe point dans la syringomyélie les troubles oculaires,
pupillaires ou autres^, propres aux tabétiques, non plus que les douleurs vives
occipitales, cervicales et frachiales qui marquent d'un cachet si particulier
la phase initiale de la pachyméningite cervicale hypertrophique.
Ce serait le lieu de considérer mainteaant le rapprochement qui, ainsi que
nous l'avons affirmé dès le commencement de cette leçon, doit être établi, au
point de vue du diagnostic, entre la syringomyélie, maladie organique du
centre spinal, et certains aspects de la névrose hystérique. Mais avant d'en
venir à ce point qui, pour être exposé convenablement, nécessite quelques dé-
veloppements, je crois utile de placer sous vos yeux, pour les soumettre à
l'analyse clinique deux malades chez lesquels vous trouverez présente toute
la symtomatologie classique de la syringomyélie.
III
Le premier de ces malades est justement celui que M. le D"" Debove a pré-
senté, il y a quelques semaines, à la Société médicale des hôpitaux. C'est un
nommé Bar my, âgé de 38 ans qui, tour à tour, a exercé la profession de
voyageur en liquides et celle d'employé aux écritures, professions qu'il a dû
abandonner Tune et l'autre il y a cinq ans, en raison des progrès de la maladie
dont il est atteint.
Il n'y a pas à signaler dans son histoire d'antécédents héréditaires et, dans
les antécédents personnels, nous relevons l'existence d'une fièvre typhoïde à
l'âge de 14 ans et demi, et à l'âge de 17 ans environ, l'apparition d'une
scoliose, aujourd'hui très prononcée, à convexité droite. Il y a eu autrefois
de l'alcoolisme.
Il y a cinq ans, en 1884, il commença à éprouver de la faiblesse dans les mou-
vements de la main droite où, peu après, se manifesta l'amaigrissement des émi-
nences Ihenar, puis la déformation en « griffe » (griffe interosseuse) (\oy.fig. 1U5).
Les secousses fibrillaires sç sont montrées très accentuées dès Porigine
503 —
La parésio et l'atrophie gagnèrent rapidement le membre supérieur droit
tout entier^ puis, en commençant par la main, le membre supérieur gauche
F'ig. 105. — La main droite de Bar my. Etat actuel.
OÙ actuellement elles sont beaucoup moins prononcées encore que du cùlé
droit (1).
L'examen direct vous fait connaître toutes les particularités que je viens
d'énoncer ; vous remarquerez en particulier l'intensité des secousses fibrillaires
qui se voient à droite comme à gauche, aux mains, sur les avant-bras, les
bras, les épaules et quelques muscles du tronc. Les réflexes tendineux, comme
vous pouvez le constater, ne sont pas exagérés aux membres supérieurs.
Les deux membres inférieurs ont commencé à s'affaiblir et à maigrir il y a
deux ans. Vous voyez que l'atrophie est surtout prononcée sur les muscles anté-
rieurs de la cuisse droite, où l'on voit se dessiner des secousses fibrillaires
très accusées. Peut-être le réflexe rotulien est-il un peu exagéré de ce côté
là : à gauche, au contraire, il est aboli ; par contreja cuisse est ici beaucoup
moins atrophiée et les secousses fibrillaires sont moins intenses.
L'examen électrique a donné les résultats suivants (2) : sur quelques mus-
1. Main droite: pression dynamométrique 15 k.
Main gauche : — — — 30 k.
2. Note sur les résultats de l'examen électrique fait par M. Vig-ouroux les 30 mars, 6 et 9 avril.
A. Réaction de dégénérescence: l» totale]: 3« interosseux palmaire gauche et exienseur com-
mun des orteils gauches; 2° partielle : ancôné gauche et droit; 4« interosseux gauche.
B. Muscles ne répondant pas aux excitations soit galvaniques soit faradique.s : muscles de
l'éminence hypothénar droite, long extenseur du pouce gauche : court péronier latéral gauche,
grand fessier gauche, longue portion du biceps crural droit.
C. Muscles répondant aux excitations faradiques mais non aux excitations galvaniques;
68
— 504 —
clés : éminences thénar et hypothénar de la main droite ; muscle grand-fessier
du côté droit, les réactions soit faradiques, soit galvaniques font absolument
Fig. 106
Sensibilité au tact.
Fig. 107
défaut. Les interosseux palmaires du côté gauche présentent la réaction de
dégénérescence ; partout ailleurs, il y a seulement dans les muscles atrophiés
Jumeaux externe et interne gauches. Le jumeau externe ne se contracte qu'excité par
un courant très foi t.
D. Les autres muscles explorés ne présentent pas de réactions électriques anormales. Il
faut noter seulement que quelques-uns, surtout du côté gauche, ne se contractent que par
raction d'un courant assez fort (dist. des bobines 20 à 25 mm.).
— 505
simple diminution parallèle de l'excitabilité tant faradique que galvanique.
Vous voyez, messieurs, que jusqu'ici, l'impression produite par l'examen
du malade est qu'il s'agit chez lui de l'atrophie musculaire progressive du
Fig. 108 Fig. 109
Sensibilité à la douleur.
Analgésie généralisée.
type Aran-Duchenne ; l'absence d'une exagération des réflexes tendineux soit
dans les membres atrophiés, soit dans ceux qui ne le sont encore qu'à un
faible degré — à part toutefois au membre inférieur droit qui à cet égard
fait exception ; — et aussi la non-apparition des phénomènes bulbaires cinq
ans après le début, permettent de rejeter la sclérose latérale amyotrophique.
Mais le point de vue se déplace complètement, lorsque, à la lumière des
- 506 —
notions nouvelles en matière de syringomyélie, on étudie méthodiquement,
comme l'a fait M. Debove à propos de ce cas, les troubles de la sensibilité qui
jusque-là étaient restés dans Tombre.
Voici en quoi consistent ces troubles sensitifs ; je vous engage, pendant l'ex-
Fig. 110 Vi'é. 111
Sensibilité à la chaleur (1).
posé que je vais en faire, à porter vos yeux sur les schémas que j'ai placés
devant vous, ils montrent bien la disposition qu'affectent à la surface du corps,
chez notre homme, les divers modes de l'anesthésie.
Je vous ferai remarquer tout d'abord que partout, sur toute l'étendue du
1. L'intensité de l'anesthésie dans ces figures et dans celles qui suivent est en raison directe
du degré de coloration.
— 507 —
corps, tête, tronc, membres, cxtrémit«'s,les impressions tactiles sont transmises
d'une façon absolument normale (fig. 106 et 107). Partout au contraire, par
un contraste frappant, dans les mêmes parties qui viennent d'être énumérées,
il y a obnuhilation ou perle compl«''te de la sensil)ilit6 aux impressions dou-
loureuses; partout en un mot les pincements et les piqûres sont perçues
seulement comme phénomène tactile ; ils ne provoquent point de douleur.
Seules les excitations fortes des membranes uréthrale et anale au-dessus du
sphincter sont douloureuses. Les cornées et les conjonctives, ainsi que la
membrane muqueuse buccale et celle de la langue peuvent par conlr^ être
pincées, tiraillées, piquées sans que la douleur s'ensuive (fig. 108 et 109).
Les titillations du pharynx provoquent des nausées.
Pour ce qui est de la sensibilité à la chaleur voici les résultats obtenus pai
l'exploration faite à l'aide d'un thermomètre de surface (1), dont la placiue
métallique, chaufïee progressivement à l'aide d'une lampe à alcool, peut être
à volonté portée à divers degrés de température (tig. 11:2). Sur toute
l'étendue des deux membres supérieurs, symétriquement, en avant
comme en arrière, depuis l'extrémité des doiglsde lamain, jusqu'auxattaches
des épaules, l'application de la plaque du thermomètre chaufTée jusqu'à 90"
ne produit pas autre chose qu'une sensation de contact ; il n'y a pas trace
d'une impressioîi soit de chaleur, soit de douleur. La même chose a lieu sur
toute l'étendue des jambes et des pieds et sur le quart inférieur des cuisses,
les genoux y compris. Sur toutes les autres parties du corps, la thermoanes-
thésie est seulement relative : ainsi, sur les parties supérieures des cuisses,
sur l'abdomen^ la partie inférieure de la poitrine, surtout à gauche, sur la
tête, le cou, )e malade éprouve un sentiment pénible de brûlure
lorsque la plaque du thermomètre a été portée à 100". Les tempéra-
tures plus basses sur ces parties-là ne sont en général pas perçues.
La seule région du corps où l'anesthésie à la chaleur fasse corn-
1. L'instrument à l'aide duquel nous avons mesure le degré de sensibilité ther-
mique de la peau chez nos malades, se compose ainsi que le montre la figure ci-
joinlc, d'un thermomèt'-e à ré-civoir plat, dont l'extrémité inférieure de la tige et
le réservoir sont compris dans deux cylindres métalliques à glissement doux. Le
cylindre externe s'enlève de façon à ce que l'on puisse constater si la cuvette
Ihermométrique est toujours en place et en hon état. Le cylindre interne est rempli
de limaille de cuivre destinée à fournir autour de la cuvette un manchon prolecteur
et à température fixe, pendant un certain temps tout au moins.
Une vis de pression, située à la partie supérieure des cylindres, permet de
maintenir le thermomètre en place et d'éviter les glissements de la tige.
Le cylindre métallique exleroo est chauflé à la flamme d'une lampe à alcool
lentement, doucement, de façon à ce que la température ne s'élève pas au-
dessus de 100% et ne s'accroisse pas d'une façon trop brusque. La graduation du
thermomètre va jusqu'à 115 degrés; mais il faut éviter à tout prix les élévations
brusques qui pourraient avoir pour effet de rompre le tube capillaire.
Fig. 112.
508 —
plètement défaut est représentée par une large plaque qui occupe toute l'éten-
due du tiers supérieur de la poitrine en avant (fig. 110).
Fig. 113
Fiff. 114
Sensibilité au froid (0').
Les fig. H 3, 114, montrent les régions où l'application sur la peau d'un bloc
de glace ne produit pas de sensations de froid et celles où les impressions de
froid sont seulement émoussées. On voit, en comparant les fig. 110, 111, 113
et 114 PiUre elles, (pie les zones insensibles ou peu sensibles à la chaleur, et
celles où la sensibilité au froid (àO") est soit éteinte,soit seulement obnubilée,
se superposent à peu près exactement,tandis que l'insensibilité cutanée à la
— 509 —
douleur occupe à peu près indistinctement toutes les parties du corps
(fig. 108 et lODj.
Le malade s'était depuis longtemps plusieurs fois aperçu à ses dépens de
cette insensibilité absolue de certaines régions de son corps aux impressions
thermiques. Ainsi, déjà en 1886, deux ans après l'apparition des premiers
symptômes amyotropliiques, un jour qu'il se chauffait devant une cheminée,
il laissa se produire sur Tune de ses jambes, une brûlure au premier degré.
Plus tard, alors qu'il était placé dans le service de M. Debove, une boule
d'eau chaude placée dans son lit lui a occasionné, sans qu'il en ait ressenti
la moindre douleur, une brûlure au 3* degré de la plante du pied droit, dont
la guérison a mis plusieurs mois à se parfaire.
Tels sont, dans toute leur originalité, les troubles sensitifs observés chez
notre malade. On voit qu'ils se rapportent de tous points au type syringo-
myélie. Les quelques détails complémentaires qui vont suivre serviront mieux
encore aies caractériser.
Les notions du sens musculaire sont partout conservées, aussi bien que les
impressions tactiles : Il n'existe aucune modification appréciable des sensibi-
lités spéciales. L'ouïe, l'odorat, la vision, le goût sont parfaitement conservés.
Si la membrane muqueuse linguale, comme celle de la cavité buccale, sont
analgésiques, le malade, par contre, perçoit parfaitement le goût des aliments
et il sait dire même s'ils sont chauds ou froids. Si les cornées comme les con-
jonctives sont insensibles à la douleur, elles perçoivent cependant les impres-
sions thermiques, et ainsi qu'on l'a dit la vision n'est nullement modifiée :
pas traces de lésions opthalmoscopiques, pas de rétrécissement du champ
visuel. Aux parties génitales seules, la muqueuse du gland et celle de Turèthre
sont douloureusement affectées par la piqûre et le pincement.
Une certaine rigidité dans l'articulation coxo-fémorale droite, une cystite
qui date de 1887, la scoliose enfin qui a été remarquée dès l'âge de 17 ans,
représentent ici la catégorie des troubles trophiques.
Il est impossible de déterminer exactement si les symptômes amyotrophi-
ques ont précédé les troubles sensitifs ; ni si c'est l'inverse qui a eu lieu.
L'évolution de la maladie a été jusqu'ici lentement progressive ; elle n'a été
marquée par aucun épisode répondant, soit à un temps d'arrêt, soit à une
marche précipitée des accidents.
Je passe au second cas qui, suivant moi, nous présente un nouvel exemple
de syringomyélie gliomateuse. 11 s'agit d'une nommée Marie F...ée, âgée de
48 ans, ayant exercé autrefois la profession de passementière. Chez elle la
maladie paraît avoir débuté en 1879, c'est-à-dire il y a 10 ans par des symp-
tômes amyotrophiques d'abord localisés aux mains. Depuis 5 ans, l'état reste
absolument stationnaire. Vous voyez (fig. 115) comment l'amyotrophie et les
Fig. 115.
' I il
— 511 —
troubles moteurs occupent exclusivement les deux membres supérieurs, qui
sont ailectés symétriquement, à peu près au même degré ; ils sont pendants
le long du corps: les épaules, les bras, les avant-bras et la main considérable-
ment amaigris présentent à, peu près partout des secousses fibrillaires très
accusées, presque incessantes.
Du côté droit, l'articulation scapulo-humérale est rigide, ankylosée, le
deltoïde très amaigri. L'avant-bras est en pronation forcée, et l'on perçoit des
craquements lorsque l'on meut l'articulation du coude. Les seuls mouvements
volontaires qui se produisent dans ce membre sont un certain degré d'exten-
sion en masse de la main, les mouvements particuliers des doigtsétant impos-
sibles. Par suite de la prédominance do l'atrophie musculaire dans la sphère
d'innervation des nerfs cubital et médian, les muscles innervés par le radial
restant relativement indemnes, la main offre l'attitude d'extension forcée,
familière aux « prédicateurs », décrite par M. Jofïroy et par moi à propos de
la pachyméningite cervicale hypertrophique (1). — Du côté droit, il y a éga-
lement un certain degré de rigidité dans l'articulation de l'épaule; le deltoïde
est de ce côté littéralement absent. Le grand pectoral, au contraire, paraît
respecté^ et l'on peut dire que, d'une façon générale, il en est de même de tous
les muscles du tronc. Il y a également ici pronation forcée de l'avant-bras ;
l'attitude de la main est analogue à ce que l'on voit du côté gauche, mais
l'extension est moins prononcée. Quelques mouvements volontaires d'extension
de l'index et du médius sont dans ce membre les seuls possibles.
L'examen électrique des muscles atrophiés des membres supérieurs a fait
trouver un peu partout la réaction de dégénération partielle.
Les membres inférieurs ne sont nullement affectés ; tous les mouvements
naturels y sont parfaitement libres; on n'y voit point d'atrophie. Les seules
anomalies qu'on y observe consistent en une légère exagération des réflexes
rotuliens, sans accompagnement de trépidation spinale.
Nous avons donc ici l'image parfaite de la « paraplégie cervicale » avec
amyotrophie. L'attitude particulière des mains avait pu faire songer un
instant à l'existence d'une pachyméningite cervicale hypertrophique comme
point de départ de tous les désordres, mais l'absence bien constatée de la
« période douloureuse » au début de la maladie avait bien vite fait repousser
cette hypothèse. On était plutôt enclin à penser qu'il s'agissait là soit d'une
forme anomale de l'atrophie musculaire progressive, du type Aran-Duchenne,
soit, mieux encore, d'une myélite partielle centrale, localisée dans les régions
qu'occupent habituellement les lésions spinales dans la pachyméningite cer-
vicale hypertrophique. Mais en somme, il faut bien le reconnaître, le diagnostic
est resté flottant jusqu'à l'époque, où éclairé paries travaux récents relatifs à
1. Gharcot. Leç. sur les mal. du sysl. nerveux, t. II, p. 275, 27(3, 1886.
G 9
— 512 —
la symptomatologie de la syringomyélie, on a procédé enfin à l'étude métho-
dique jusque-là négligée des troubles de la sensibilité.
Voici ce que cette étude a fait reconnaître (voir les figures). 1° Les sensa-
Fig. 117
Sensibilité au tact.
lions tactiles sont restées normales dans toute l'étendue du corps (fig. llGet 117)
2" L'analgésie (pincement et piqûre) est comj^lète en avant comme en arrière,
aux mains, aux avant-bras, sur toute fétenduc du tiers inférieur des bras.
Sur les épaules, la partie supérieure des bras, le cou, le devant de la poitrine,
la moitié supérieure du tronc en arrière, il y a seulement obnubilation de la sensi-
bilité à la douleur. L'exploration de ce mode de la sensibilité répétée à plusieurs
— 513 -
reprises, permet de constater qu'il y a d'un jour à r.'iutre quelques variations
dausTinLensiLé des phénomènes deranali<é<ie et dans leur mode de répartition
(fig. 118 et 110). 3° Dans une première exploration, l'application d'un morceau
Fig. 118
liy. iiy
Sensibilité à la douleur,
de glace sur la partie supérieure du dosetsurle devant de la poitrine ne produit
qu'une sensation de contact. Il en est de même sur toute l'étendue des épaules, des
bras, des avant-bras et de lamain. Dans d'autres explorations par la même
application, la sensation de froid est perçue à un certain degré sur la poitrine
en avant comme en arrière, tandis que toujours, dans toutes les explorations
514 —
des membres supérieurs sur toute leur étendue, les membres supérieurs sont
restés insensibles au froid (flg. 120 et 121). 4° Sur le dos et sur le devant de la
poitrine, l'application de la plaque du thermomètre ne donne la sensation de
Fig. 120
FiL'. 121
Sensibilité au froid.
brûlure que lorsqu'elle est chauffée à 50° et au-dessus. Sur les mains, les
avant-bras, et le tiers inférieur des bras, pour produire la sensation de chaud,
il faut que le thermomètre marque 63° et au-dessus. Nous n'avons pas observé,
en ce qui concerne la transmission des impressions de chaud, les variations
d'un jour à l'autre relevées à propos de la sensibilité au froid et à la douleur.
(Voy. les flg 122 et 123.)
u 1 u
— olo —
On voit, en comparant les divers schémas, que les champs de l'analgésie
et de la thcrmo-anesthésie se superposent à peu près exactement.
Le mode de répartition des troubles sensitifs, dans ce cas, rappelle la dispo-
l'ijf. 122
lit:. 12J
Sensibilité à la chaleur.
sition en «veste > signalée dans quelques-unes des observations de M. Rothfl\
Pas de troubles sensoriels.
Les troubles trophiques, en dehors des amyotrophies, sont représentés
1. Loc. cit. flg. 2 et 3.
— 516 —
ainsi qu'il suit : 1° Il existe des lésions articulaires ayant entraîné la rigidité
de la jointure aux deux épaules et dans le coude gauche. 2° On constate
l'existence d'une légère scoliose à convexité droite que la malade n'a point
remarquée. 3° Depuis 1884, il s'est produit à plusieurs reprises soit aux doigts
de la main, soit aux orteils, des panaris superficiels ou des tournioles qui
plusieurs fois ont entraîné la chute des ongles. Il n'existe pas de troubles vési-
caux.
Les quelques détails qui vont suivre permettront de compléter l'observation
de cette malade.
Il n'y a pas à signaler d'antécédents héréditaires; pas de maladies anté-
rieures au développement de celle qui nous occupe actuellement, si ce n'est
une série de bronchites vers l'âge de 24 ans, et une pleurésie à la même
époque. Pas d'hémoptysies.
L'affection d'auj ourd'hui aurait commencé en 1879. La malade aurait éprouvé
d'abord pendant près de six mois un sentiment habituel de courbature, de
faiblesse générale, avec quelques douleurs passagères à la nuque qui paraissent
avoir peu fixé son attention. Au bout de six mois, elle commença à remarquer
que ses mains s'affaiblissaient et maigrissaient ; les secousses fibrillaires y
ont été très accentuées dès l'origine. L'amaigrissement et les secousses se
sont produits sept ou huit mois plus tard, dans les avant-bras d'abord, puis
dans les bras et enfin dans les épaules.
Depuis 1882 l'évolution de la maladie semble arrêtée; l'atrophie musculaire
tout au moins n'a pas progressé depuis cette époque.
Nos deux observations peuvent se passer de commentaires.
ÏV
Il ne nous reste plus, pour remplir notre programme, qu'à insister sur les
ressemblances qui peuvent, ainsi que je vous l'ai annoncé dès le début exister
entre la syringomyélie et certaines formes d'hystérie de façon à tenir le
diagnostic en échec.
Je relèverai en premier lieu que la dissociation spéciale des divers modes
de la sensibilité à laquelle on a, à juste titre, fait jouer un rôle capital dans la
caractéristique clinique de la syringomyélie ne lui appartient cependant
pas en propre. Elle peut se rencontrer ailleurs, elle peut se montrer par
exemple douée de toutes les particularités que nous faisions ressortir tout à
l'heure, dans l'anesthésie des hyslériques ; et, en pareil cas , tantôt elle
— 517 —
existe naturellement chez le sujet, tantôt elle a pu être rhHerminée chez lui,
artificiellement, en conséquence d'une suggestion produite dans l'état hypno-
tique ; c'est ce que nous pouvons reconnaître chez les quelques sujets hysté-
riques avec hémianestliésie que j'ai fait placer sous vos yeux.
Dans la règle, comme vous le savez, l'hémianesthésie, qu'elle soit complète,
absolue ou qu'il s'agisse seulement d'hypoanesthésie, porte uniformément
chez les hystériques, sur tous les modes de la sensibilité, tact, douleur, sensi-
bilité au chaud et au froid. Eh bien, quelpies recherches ad hoc que je viens
de faire et qui ont trait à 17 hystériques hémianesthésiques, hommes ou
femmes pris au hasard dans mon service, montrent que cette règle est loin
d'être absolue. Si, en effet, sur ces 17 cas, il en est 11 qui oflrent le type
anesthésique vulgaire, il en est G où les divers modes de la sensibilité se
montrent dissociés. Sur ces G, il s'en trouve 2 qui ont conservé |la sensi-
bilité au tact et à la douleur, mais qui ont perdu la sensibilité thermique.^Ge
type a été parfaitement décrit par M. le professeur Pitres de Bordeaux, sous
le nom de thermo-anesthésie hystérique, dans ses intéressantes leçons sur les
anesthésies hystériques, publiées en 1887. Les malades, dit-il, perçoivent
alors les contacts, ils souffrent quand on les pince ; mais on peut les brûler
sans qu'ils aient la sensation thermique. « Voici, ajoute-t-il, un jeune
homme hystérique ; on peut plonger indifféremment son pied gauche dans
la glace ou dans l'eau très chaude, sans qu'il en soit impressionné. On peut
comme je le fais maintenant, promener le thermocautère rougi sur la peau de
la cuisse, sans qu'il en éprouve la moindre souffrance, et cependant il sent
les contacts et se plaint vivement, si onle pince ou si on le pique. » Dans
les quatre autres cas, la dissociation répond exactement, comme vous pouvez
en juger, au type syringomyélique ; c'est-à-dire que seule la sensibilité tac-
tile est préservée, les sensibilités à la douleur, au chaud et au froid étant
éteintes absolument ou seulement profondément obnubilées. Sur ces quatre
cas, deux fois la dissociation du type syringomyélique a été obtenue,
les sujets étant hypnotisables, par voie de suggestion. Chez les deux autres,
elle s'est présentée telle quelle, sans intervention d'aucun artifice.
Ainsi, cela est bien entendu, les troubles sensitifs particuliers qui distin-
guent la syringomyélie de la plupart des maladies spinales organiques
peuvent, par contre, se retrouver exactement reproduites dans l'hystérie ; et si
vous ajoutez à cela que les anesthésies syringomyéliques peuvent être, ainsi
que nous l'avons relevé expressément déjà, disposées à la surface du corps,
comme le sont les anesthésies hystériques, par zones géométriquement
limitées, par segments de membres, sous forme hémiplégique, etc., etc., vous
comprendrez aisément quelles difficultés, venant de ce coté, devront se
présenter parfois dans la pratique. Il est vrai que jamais, autant qu'on sache,
on n'observe dans la syringomyélie les troubles sensoriels qui dans
l'hystérie s'associent si fréquemment aux troubles sensitifs ; mais la règle
— 518 —
pour celle-ci n'étant pas absolue, la remarque restera malgré tout applicable
au moins à un certain nombre de cas.
Mais, direz-vous peut-être, Técueil très réel sans doute que vous venez de
signaler, sera aisément évité par ce seul fait que Ton ne rencontrera pas
dans l'hystérie, ces troubles trophiques musculaires ou autres qui sont unaccom -
pagnement pour ainsi dire nécessaire des troubles sensitifs, quand il s'agit de
la syringomyélie. Eh bien I si vous pouviez penser, messieurs, que les choses sont
réellement ainsi, je devrais essayer de vous détromper. Certaines formes d'atro-
phiemusculaire, en effet, relèvent directement de l'hystérie ainsi que nous l'avons
montré, M. Babinski et moi (1) en 18S6. Il y a, comme on sait, des troubles
vasomoteurs, des œdèmes hystériques (2) et j'ai fait voir depuis longtemps que
la contracture hystérique peut se compliquer de rétractions tendineuses et de
formations conjonctives périarticulaires (3). Je pourrais facilement multiplier
les exemples; mais c'en est assez pour montrer que les troubles trophiques
ne font pas défaut dans la névrose hystérique contrairement à une opinion
très généralement répandue, si je ne me trompe, jusque dans ces derniers
temps.
Ainsi, vous le voyez, je ne viens pas à plaisir dresser devant vous dfis
obstacles imaginaires pour me donner ensuite la vaine satisfaction de les
aplanir à grand renfort de dialectique; les difficultés que je signale sont
réelles et, s'il est vrai, comme le suppose M. Schulze (4), que plusieurs cas
rattachés à l'hystérie ont dû être plus, tard considérés comme des exemples de
syringomyélie, il est vrai également, je me crois autorisé à l'afTirmer après
m'être livré à la critique des observations, que parmi les cas signalés comme
appartenant à la syringomyélie, il en est un certain nombre qui relèvent de
l'hystérie.
Mais je ne veux pasm'arrêter à faire ici un procès de tendance. Je me crois
en mesure de vous démontrer séance tenante, à propos d'un exemple appro-
prié, que l'hystérie peut dans de certaines circonstances simuler la syringo-
myélie au point de rendre bien embarrassante la situation du clinicien.
P... evn., aujourd'hui âgé de 46 ans, a exercé la profession de marin
jusqu'en*^ 1876. Depuis cette époque, il travaille comme veilleur de nuit à
l'usine Eiffel. —C'est un homme vigoureux, solide. Jamais il n'avait été
atteint d'affection nerveuse jusqu'à il y a trois années; et on n'a pas relevé
1. Babinski. De Valrophie musculaire dans les parali/sies hystériques. — Arch. de
Neurolo^j'ie. niun('ro 34 et 35, 18SG.
2. Weir Mitchell. Unilatéral SivelUng of hysterical Jleir.iplegia. Am. Journ. of médic.
Scien. Juin 1884.
3. Voir Bull, médical, n° du 23 mars 1887.
4. Virchow's arcliiv. 1882 p. 537
— 519 —
chez lui d'antécédents héréditaires. La mort de sa femme qui a eu lieu il v a
cinq ans l'avait plongé dans un profond chagrin et avait «-branlé sa santé ;
celle d'un enfant qui, deux ans plus tard, succomba au croup, lui a comme il
le dit, « porté le dernier coup. »
Déjà en 1886, c'est-à-dire il y a trois ans, il commença à souffrir de vertiges
survenant soudainement et qui l'obligeaient, dans la crainte de tomber, à se
cramponner aux objets voisins et à s'accroupir; ces vertiges subvenaient par
moments jusqu'à cinq ou six fois par jour. Ils ont été remplacés il y a deux
ans, par des bouffées de chaleur revenant deux ou trois fois par semaine et
qu'il appelle des congestions. En même temps les nuits sont devenues agitées
par des rêves qui souvent le fontpleurer. Le premierdébut des accidents actuels
remonte à trois années; ils ont commencé à paraître deux ou trois mois
après la mort de son enfant.
Dans le but de rendre l'enseignement plus frappant, je pourrais m'appliquer
à vous démontrer tout d'abord, que le cas dont il s'agit est un exemple de
syringomyélie et probablement, à entendre l'exposé des arguments que je
pourrais vous présenter en face de cette opinion, vous accepteriez la solution
proposée; après cela, à l'aide d'arguments adverses, je viendrais combattre le
diagnostic accepté, renversant pièce par pièces l'échafaudage primitivement
construit, et établir enfin sur des fondements inébranlables le diagnostic :
hystérie. Il faut donc, pour que cela soit ainsi, qu'il y ait là une difficulté
sérieuse, qu'une étude attentive permettra seule de surmonter. Vous allez
du reste en juger.
Vous voyez comment à la main droite les mouvements chez notre homme
sont, au poignet comme aux doigts, paralysés aussi bien pour la flexion que
pour l'extension. — Vous remarquerez aussi la tuméfaction singulière que
présentent toutes les parties de cette main surtout sur la région dorsale; elle
est due à un œdème dur, ne recevant pas l'empreinte du doigt; la teinte des
téguments sur les parties tuméfiées est violacée et la température y est moins
élevée que sur les parties correspondantes de la main gauche (fig. 124). Sur
les parties ainsi paralysées et tuméfiées, la sensibilité présente les modiû-
cations suivantes : les impressions tactiles, même les plus délicates, sont
perçues normalement; par contre, les sensibilités à la douleur (piqûre,
pincement), à la chaleur (plaque du thermomètre à surface portée à 80°"!, et au
froid (application sur les parties d'un morceau de glace) sont complètement
abolies. Veuillez relever que ces troubles de la sensibilité sont uniformément
répandus sur les doigts, la main, le poignet et le cinquième inférieur de
Tavant-bras. De ce côté, ils se séparent des parties restées normales par une
ligne tranchée, horizontale, déterminant un plan circulaire à l'axe du
membre supérieur.
Ainsi, vous le voyez, nous trouvons ici, liée à une paralysie de l'extrémité
supérieure droite, cette dissociation si particulière des trois modes de la sen-
— 520 —
sibilité que les travaux de MM. Schultze et Kàhler ont bien mis en relief, et
en même temps l'œdème violacé du dos de la main qui, d'après les remarques
de MM. Remak et Roth, figure à titre d'accident fréquent parmi les troubles
trophiques syringomyeliques. N'en voila-t-il pas assez, en se fondant sur les
principes plus haut acceptés, pour supposer chez notre malade l'existence
d'un cas fruste de syringomyélie ?
Sans doute voilà, direz-vous, une hypothèse fort vraisemblable. Mais voici
que le chapitre des objections va s'ouvrir maintenant.
La syringomyélie est vous le savez, par excellence, une maladie lentement
Vi^. j24 — A. la main droite de P... eyn, aoestliésiée, tuméfiée, bleuâtre,
lî. la main gauche, saine.
progressive, susceptible, sans doute, nous l'avons relevé avec soin, de rémis-
sions, de temps d'arrêt; mais lesguérisons véritables, les guérisons brusques
par-dessus tout, y sont totalement inconnues. Eh bien vous allez voir une de
ces guérisons soudaines, inopinées, figurer dans l'histoire passée de notre
malade.
Cette histoire comporte deux périodes distinctes. La première a commencé
il y a trois ans par une paralysie de cette même main droite, dont il est de
nouveau question aujourd'hui, survenue tout à coup pendant le sommeil.
Dans ce temps-là, le malade avait le.- nuits tourmentées par des rêves pénibles
et il était devenu fréquemment sujet à dos attaques de vertiges. Cette fois la
sensibilité des parties paralysées du mouvement, main et poignet, était
absente dans tous les modes, tact, douleur, sensibilité au froid et au chaud.
La durée de cette paralysie a été de douze mois environ, durant lesquels il y
a eu des hauts et des bas, et c'est pendant une des exacerbations que s'est pro-
duit pour la première fois le gonflement violacé, avec abaissement de la tem-
pérature qui s'est manifesté dès l'origine, dans la crise actuelle. Eh bien, la
guérison de tout cela s'est faite un beau jour alors que tous les moyens en
apparence rationnels avaient été employés sans succès, et cela inopinément,
tout à coup, au moment où le malade, oubliant en quelque sorte un instant son
impuissance motrice,, voulait prendre un verre pour le porter à sa bouche.
« Si j'avais été à Lourdes, dit le sujet, en rappelant cet événement, j'aurais
cru à un miracle. »
Toutefois,si la disparition des troubles moteurs a été littéralement soudaine,
celle des troubles de la sensibilité, — ainsi que cela me paraît être la règle
dans les circonstances de ce genre, — ne s'est faite que successivement, pro-
gressivement, dans l'espace d'une huitaine de jours. 11 est vrai qu'au bout
de ce temps, le retour à l'état normal était complet sur toute la ligne.
La paralysie nouvelle qui s'ofïre aujourd'hui à notre étude s'est produite
elle aussi, tout à coup, il ya decelaenviron trois mois, et elle occupe exactement
les mêmes parties. Donc, en se réveillant, le malade a trouvé sa main droite de
nouveau paralysée, comme lors de la première attaque, mais cette fois, dès
l'origine elle était gonflée, violacée, cyanosée, telle en un mot que vous la voyez
encore aujourd'hui. De plus, dès l'origine il y a eu dissociation des divers modes
de la sensibilité suivant ce que j'appellerais volontiers le mode syrin^-o-
myélique à savoir : tact conservé, contrairement à ce qui a été observé la
première fois, sensibilité à la douleur,au chaud et au froid, totalement abolies,
notions du sens musculaire conservées.
Le début subit des accidents constaté à deux reprises, leur guérison sou-
daine observée une fois de plus, voilà des faits qui ne permettent pas de res-
pecter le diagnostic que je vous avais proposé d'accepter tout à l'heure; c'est
d'hystérie mâle, tout simplement, qu'il s'agit dans le cas et non de syringo-
myélie. La dissociation de la sensibilité observée chez notre homme non plus
que l'œdème, d'après ce que nous en avons dit plus haut, ne sont certainement
pas faits pour nous embarrasser dans i.otre nouveau diagnostic. Sans doute,
notre malade n'a point d'attaques, point d'attaques régulières, au moins, car
ses « accès de vertiges », comme il les appelle, pourraient être considérés à la
rigueur comme des « représentants d'attaques ». Mais, par contre, dans la
catégorie des stigmates, nous avons à signaler une perte très nette du goût sur
le côté droit de la langue, la sensibilité de la membrane muqueuse étant con-
servée,et c'est là encore un indice qui, ajouté à tout le reste, vient, si je ne me
trompe, compléter la démonstration.
— 522 —
Ici se termineront les leçons de cette année. Je les finis, messieurs, vous
l'aurez remarqué sans doute, comme je les ai commencées, c'est-à-dire en vous
parlant de l'hystérie masculine, dont il a été, d'ailleurs, bien souvent ques-
tion pendant toute la durée du cours. Il faut voir là un signe des temps. Sous
l'influence des études récentes, l'hystérie mâle a été définitivement réhabilitée
et l'on a appris à la reconnaître, là où on la méconnaissait autrefois. Or, par
un singulier revirement des choses, il se trouve que, tout compte fait, autre-
fois reléguée parmi les cas rares, elle devra désormais occuper dans la cli-
nique une large place; car, incontestablement, les statistiques du jour le
démontrent, elle est une des maladies les plus vulgaires parmi les travailleurs
manuels qui fréquentent les hôpitaux de Paris. Il faudra donc dorénavant
compter avec elle.
Nous, en particulier, qui, par profession, sommes voués à cultiver spécia-
lement le champ neuropathologique, nous ne devrons jamais oublier que les
types les plus divers d'affections organiques cérébrales ou spinales^ avec les-
quelles nous sommes aujourd'hui familiarisés, pourront à chaque instant,
dans la catégorie de l'hystérie^ rencontrer un pendant, un représentant, un
« sosie », pour mieux dire, qu'il nous faudra savoir démasquer.
A partir du 28 juin 1889, époque où le malade a été présenté à la leçon, les
accidents hystériques les plus significatifs se sont accumulés chez lui, au
point que le diagnostic proposé s'en trouve confirmé de la façon la plus écla-
tante.
Le 23 juillet,est survenue une attaque classique, précédée par l'aura vulgaire
et dans laquelle on a vu se succéder la phase épileptoïde, l'arc de cercle, les
grands mouvements, et enfin une phase de délire avec hallucinations. — Les
attaques de même caractère se sont reproduites depuis lors, tous les huit ou
dix jours, et leur apparition est déterminée sous l'influence des moindres émo-
tions. Quelquefois,rattaque reste à l'état rudimentaire et l'on peut reconnaître
aujourd'hui que les « anciens vertiges » n'étaient autre chose que des crises
convulsives avortées.
En même temps que les attaques ont paru, il s'est manifesté dans les deux
flancs, surtout à gauche, une zone ou plaque hystérogène. Le moindre frôle-
ment, la moindre pression exercés sur ces plaques font apparaître les prodro-
mes de l'attaque et parfois l'attaque elle-même.
— 523 —
Il existe un rétrécissement double du champ visuel à oO à droite, à 70 à
gauche.
Anosmie de la narine droite. La perte du goût sur la moiti»* droite de la
langue persiste et il y a une diminution très nette de l'ouïe dans l'oreille
droite.
La tuméfaction cyanosée de la main disparaît, puis réapparaît de temps à
autre rapidement, le plus généralement à la suite d'une attaque. Il en est de
même de laparalysie des mouvements. Mais jamais, depuis Ie28juin,ranesthé5ie
n'a disparu : elle présente toujours le caractère de dissociation sur lequel
nous avons insisté ; c'est-à-dire que l'analgésie et la thermo-anesthésie sont
absolues tandis que les notions du tact les plus délicates sont consers'ées. Les
notions du sens musculaire au contraire paraissent notablement obnubilées
dans les doigts de la main.
Il est remarquable que les troubles, ci-dessus signalés, de la sensibilité qui
autrefois ne remontaient pas au-dessus du tiers inférieur de l'avant-bras,
s'étendent aujourd'hui jusqu'au-dessus du coude où ils se terminent d'ail-
leurs par une ligne droite, perpendiculaire à l'axe du membre.
[Note du 10 novembre 1889.)
luip. d« U Soo. d« Typ. - Nokbttb, !i, r. C«mpaKna-ti«, Park-
APPENDICE
APPENDICIÎ N» 1
Hystérie et névrose traumatiqiie. Voir leçons 7 (2^ Malade,
p. 131); 12 ( 2% 3« et 4^ Malades, p. 25G); i3 (3* et
4« Malades, p. 283); 17 (3^ et 4^ Malades, p. 392).
Parmi les observations de Railwaij Spine publiées jusqu'à ce jour, il existe
nombre de cas si nets, si typiques soit de neurasthénie, soit d'hystérie pure,
que toute contestation à réi,s'ir(l de ces faits est devenue impossible. En pré-
sence des cas ind(jnial)les d'hystéro-traumatisine apportés par M. Charcot en
France. par M.Vl. 13ernhardt,Leyd€n et autres en Allemagne, il abien fallu recon-
naître que l'hystérie occupait la plus large place dans l'histoire du« Uailway
Spine ». Cette évolution des esprits en Allemagne vers la solution fran«;aise
s'est accentuée dans le mémoire de M. Striimpell, paru en 1888, et, dans son
dernier travail sur la matière (Die Iraumalische ISeurosen 1880) M. Oppenheim
semble vouloir réserver la dénomination de névrose traumatique au groupe
plus restreint des cas complexes dans lesquels la neurasthénie et l'hystérie
se trouvent associées. C'est donc autour des faits de cet ordre que parait
s'être cantonné le débat. L'observation recueillie dans le service de M. Charcot
qui va être rapportée, ressortit à cette catégorie de cas qui servent aujour-
d'hui de substratum principal cala prétendue névrose traumatique ; c'est un
bel exemple d'hystéro-neurasthénie développée chez un employé de la Com-
pagnie internationale des wagons-lits, à la suite d'une collision de trains, lors
de l'accident récemment survenu à Velars, près Dijon.
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06s. — Collision de trains (accident de Velars), Neurasthénie et hystérie consécu-
tives (névrose traumatique). - Claw... Louis, âgé de 42 ans, employé de la Compa-
gnie internationale des wagons-lits, est entré à la Salpêtrière, dans le service de
M. le professeur Charcot, le 3 juillet 1889.
Antécédents héréditaires. — Le malade ne peut donner aucune indication sur l'état
de santé de ses grands-parents. Cette réserve faite, on ne retrouve chez ses ascen-
dants, dans la ligne directe comme dans la ligne collatérale, aucun élément d'héré-
dité névropathique. Son père est mort à l'âge de 68 ans, il était « d'un tempérament
calme » et n'avait jamais commis d'excès d'aucune sorte. Trois oncles vivants et en
parfaite santé. Du côté maternel : Sa mère est morte subitement à 69 ans : elle n'était
pas nerveuse et n'avait jamais été malade. Un oncle vit encore, bien portant. Le
malade a eu onze frères ou sœurs : une sœur est morte en bas-âge; une autre sœur a
succombé à une maladie de poitrine à l'âge de 11 ans; un frère est mort de pneu-
monie à 32 ans. Tous les autres vivent en parfaite santé. Le malade affirme qu'il n'y
a dans sa famille, ni goutteux, ni rhumatisants, ni épileptiques, ni aliénés.
Antécédents personnels — Claw... est né en Alsace ; dans son enfance, il a vécu à la
campagne, travaillant aux champs. Il n'a pas été sujet à ces terreurs nocturnes, à
ces hallucinations hypnagogiques si fréquentes chez les jeunes enfants issus de
souche névropathique.
A l'âge de 18 ans, il fit une chute dans laquelle il se contusionna fortement
l'épaule droite.
En 1870, il reçut à Gravelotte un coup de feu au mollet gauche. La plaie qui était
superficielle se cicatrisa rapidement et après un mois de repos, il put reprendre son
service. Ces deux traumatismes, tout son passé pathologique, n'eurent aucune suite
fâcheuse et n'altérèrent en rien sa santé générale.
Il a toujours été un homme sobre, nullement porté aux excès alcooliques ou
autres, de mœurs simples et tranquilles. Marié, il a eu sept enfants; deux de ses
enfants sont morts du croup ; les autres sont bien portants.
Après la guerre, il vint habiter Paris. Il a été successivement garçon d'hôtel, valet
de chambre, et garde de propriété en Normandie.
Il y a un an, en juin 1888, il entra comme conducteur à la Compagnie des wagons^
lits. Ses fonctions consistaient à surveiller les voitures de la Compagnie dans les
trains en marche et à aider au service des voyageurs. Cette existence faite de
voyages incessants, de sommeils interrompus, de préoccupations continuelles, de
responsabilités sérieuses, contrastait singulièrement avec la vie calme et régulière
qu'il menait avant d'entrer au service de la Compagnie, alors qu'il était garde de
propriété en Normandie. Cependant, malgré les fatigues qu'il avait à subir dans
l'exercice de sa nouvelle profession, sa santé resta parfaite. 11 n'éprouvait aucun
malaise, aucun trouble nerveux notamment, lorsqu'il fut victime d'un accident de
chemin de fer dans les circonstances que voici :
Pendant la nuit du 4 au 5 septembre 1888, C... se trouvait dans un train rapide
venant de Genève et allant à Paris. Vers trois heures du matin, à Velars, près de
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Dijon, ce train dérailla, empiéta sur la voie collatérale et fut pris aussitôt enécharpe
par un train express lance à toute vitesse. Le malade raconte qu'il était debout dans
le couloir du wagon au moment où le choc se produisit. Il fut projeté contre la
paroi du compartiment et perdit immédiatement connaissance. Quand il revint à
lui, deux ou trois minutes après, il s'entendit appeler par les voyageurs; il se leva
rapidement et sans difficulté. L'obscurité était complète, les lampes s'étant éteintes
au moment de la collision; il chercha à tâtons un sac dans lequel il se souvenait
d'avoir mis une bougie ; puis ne le trouvant pas, il sortit du wagon en passant à tra-
vers les débris de toutes sortes qui l'environnaient. Arrivé sur le talus qui bordait
la voie, il examina s'il n'était point blessé et il s'aperçut qu'il avait des contusions
au côté gaucho de la poitrine, une plaie superficielle sur la face dorsale du poignet
droit et une longue éraflure à la jambe gauche. Ces blessures ne saignaient pas, ne
lui causaient aucune douleur; il avait conservé la liberté et l'énergie de tous ses
mouvements. Les voyageurs qui se trouvaient couchés dans sa voiture au moment
du choc étaient sains et saufs. Pendant deux heures environ, il travailla sans relâche
à secourir les blessés, à dégager les voyageurs emprisonnés sous les décombres-
C'est alors seulement qu'il commença à se sentir ému; à ce moment il éprouva un
malaise général; ses forces faiblirent, ses jambes se dérobaient sous lui. Il dut ces-
ser de travailler; et après avoir fait panser son poignet et sa jambe blessée, il alla
se coucher. Mais il était dans un tel état d'angoisse et d'agitation qu'il lui fut
impossible de dormir. Il resta ainsi toute la journée du o septembre sur le lieu de
l'accident, assistant au sauvetage et à l'enlèvement des victimes, sous le coup d'une
émotion grandissante qui le faisait parfois trembler de tous ses membres et qu'il ne
pouvait pas maîtriser. Il passa la nuit suivante couché dans un wagon-lit. Mais il
ne put fermer l'œil. Il avait, nous dit-il, la tête perdue, il lui semblait entendre les
cris des blessés, il revoyait tous les accidents du drame auquel il venait d'assister.
Le lendemain au soir quand il arriva à Paris il était encore tremblant et tout ému.
On dut l'aider à descendre du wagon.
Rentré chez lui, le malade s'alita jusqu'à la complète guérison de ses contusions
et de ses blessures, c'est-à-dire pendant une dizaine de jours. Durant cette période,
il se plaignait surtout de ne pouvoir pas dormir. Dans la journée il était assez calme;
mais tous les soirs vers 8 ou 9 heures, il entrait dans un état d'agitation violente
accompagnée de rêves, de cauchemars et parfois même d'hallucinations. Tantôt il
se croyait dans un train en marche, il parlait à haute voix, s'adressantaux voyageurs,
appelait un de ses camarades, etc., tantôt il assistait à certaines scènes de l'accident
de Velars. Parfois il avait des visions de chats ou de rats courant sur ses couver-
tures. Une nuit il se leva, saisit un seau d'eau et se mit à poursuivre des rats, vou-
lantjdis ait-il, les noyer. Pendant ces sortes de rêves en action, il appelait sa femme,
lui montrait avec insistance ces animaux imaginaires, l'invitait à les tuer, etc. Il
ne se calmait qu'aux approches du jour, vers 4 ou 5 heures du matin.
Dix jours après l'accident, les blessures étant guéries, il put se lever et faire
quelques promenades au dehors. Mais, dans la dernière semaine de septembre, il
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commença à éprouver un mal de tête consistant en une sensation continuelle de
serrements ou de poids pesant sur tout le crâne.
Cette céphalée était particulièrement intense dans la région occipitale. En outre,
il se plaignait d'une gêne douloureuse siégeant à la partie inférieure du dos sur la
ligne médiane, un peu au-dessus du sacrum. Cela lui faisait mal lorsqu'il passait
de la station assise à la station debout, ou bien quand il se baissait pour ramasser
un objet. Il n'avait plus d'appétit; ses digestions étaient pénibles; il se plaignait
d'avoir l'estomac gonflé ; après les repas il était pris d'un besoin de sommeil irré-
sistible. 11 attribua tous ces troubles à la vie sédentaire qu'il menait depuis son
accident et il se décida à reprendre ses fonctions de conducteur.
Au commencement du mois d'octobre, un mois après Taccident, il fit un voyage
à Vienne. Pendant le trajet il remarqua en délivrant un reçu à un voyageur que sa
main droite tremblait ; ce tremblement fut assez prononcé pour l'empêcher d'écrire,
mais il s'atténua quelques heures après. De retour à Paris, quand il remit son carnet
au contrôleur de la Compagnie, celui-ci lui lit observer, que ses écritures étaient
en désordre et que ses comptes étaient faux. Il s'excusa en disant « que depuis l'ac-
cident qui lui était arrivé, il n'avait plus sa tête à lui, que sa mémoire était em-
brouillée >?.
Après quelques jours de repos, il partit pour un second voyage. Il devait allor
jusqu'à Madrid. Mais, à Bordeaux, il fut obligé de s'arrêter. Le tremblement de la
main droite s'était accentué, de même que la céphalée constrictive ; il sentait que
sa jambe et son bras droit devenaient faibles ; il obtint un congé et rentra chez lui.
Pendant une huitaine de jours, il garda la chambre. Il était triste, maussade, tout
l'agaçait. Il se mettait tout à coup à pleurer sans trop savoir pourquoi. Constamment
préoccupé de son état de santé, il disait souvent à sa femme « quHl avait peur d'être
paralysé ». Le tremblement du membre supérieur droit était devenu incessant; la
jambe droite commençait aussi à trembler. Les troubles dyspeptiques, la céphalée
constrictive, le point douloureux lombaire, persistaient. Parfois il était pris de
vertiges. Tel était l'état du malade, lorsque dans les premiers jours de novembre, il
eut ce qu'il appelle sa première « attaque de nerfs ».
Un jour, vers 6 heures du soir, étant dans sa chambre, il éprouva tout à coup
« comme des secousses électriques dans les membres, puis il sentit quelque chose lui
monter à la gorge ; il étouffait ». Ses tempes battaient, il entendait des bourdon-
nements dans les oreilles ; au même instant sa vue se troubla et il tomba sans con-
naissance. Quand il revint à lui, au bout de dix minuies environ, sa femme, qui
était présente, lui raconta ce qui s'était passé : elle lui dit qu'ils'était débattu, qu'il
s'était roulé sur le parquet en criant et en cherchant à déchirer ses habits et elle
ajouta: « Tu as eu une crise de nerfs comme la voisine ». Or, renseignements pris,
la voisine est une hystérique qui a de temps en temps de grandes attaques, et qui
« lorsqu'elle sent qu'elle va avoir sa crise », appelle auprès d'elle la femme du malade.
Au sortir de cette première attaque, Glaw... remarqua que sa jambe et son brns
droit" (remblaient ;)lus fort, que ces membres étaient devenus beaucoup plus faibles.
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Deux jours apros, il eut encore vers 7 lieui es du soir, une seconde attaque sem-
blable à la prcmiôre et précédée commeelle des mêmes sensations de serrement à
la gorge, d'étouffement, de battements dans les tempes, etc. Depuis cette époque
les crises allèrent se répétant à des intervalles variables. Au mois de janvier 1889,
il alla consulter à l'hôpital Necker et sous l'influence du traitement hydrothérapique
qui lui fut prescrit par M, le D' Rendu, ces crises devinrent un moment moins fré-
quentes. Depuis lors tous les troubles que présentait le malade lors de sa première
attaque ont persisté sans se modifier le moins du monde, en dépit des thérapeuti-
ques diverses auxquelles il a été soumis.
Voici quel est l'état du malade le 3 juillet 1889, jour de son entrée à la Salpê-
trière.
Etat actuel (3 juillet 1889). C'est un homme de taille moyenne, bien musclé et d'as-
pect assez robuste. Il est in^,elligent ; il répond avec précision aux questions <{u'on
lui pose, mais d'une voix cassée et qui tremble par instants.
Motilité. — Les traits du visage sont symétriques et réguliers. Il n'y a aucune
apparence de spasme ni de paralysie. La langue est tirée droite et se meut dans
tous les sens sans difficulté.
Le malade se plaint d'avoir perdu ses forces ; à peine a-t-il fait quelques pas qu'il
se sent fatigué. Indépendamment de cet affaiblissement général, il existe chez lui
une parésie très prononcée des membres du côté droit.
Le membre supérieur droit est un peu moins affaibli que la jambe. Le malade peut
exécuter avec son bras droit tous les mouvements qu'on lui commande, mais à la
condition que ces mouvements ne nécessitent pas d'effort.
Au dynamomètre i ^^^^ ^'^'^' = ^^ kilogrammes.
•' i — gauche = 36 —
La main droite est animée d'un tremblement continu assez rapide, qui s'atténue
légèrement quand le malade laisse reposer sa main sur ses genoux, et qui s'accroît
un peu quand il saisit un objet. Les oscillations sont assez fortes pour que le
malade ne puisse pas porter un verre d'eau à sa bouche sans répandre une partie
du liquide. Ce tremblement cesse pendant le sommeil, il s'accroît sous l'influence
des émotions, des efforts; cependant deux ou trois jours après chaque attaque, il
acquiert une intensité telle que le malade est incapable de se servir de sa main
droite pour manger ou bien pour boutonner sa veste par exemple.
Le membre inférieur droit tremble aussi, mais beaucoup moins que le bras. Par
contre, il est relativement plus affaibli. Le malade ne peut pas se tenir debout sur
le pied droit; il marche lentement, en s'aidant d'une canne; il boite et traîne un
peu le pied par moments. Les réflexes tendineux sont conservés et d'intensité nor-
male.
Sensibilité. — On constate une anesthésie absolue dans toute la moitié droite du
corps pour la sensibilité à la douleur, lasensibilitéthermique et le sens musculaire.
Par contre la sensibilité tactile n'est que diminuée. La conjonctive de l'œil droit, la
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muqueuse nasale du côté droit, la moitié droite du pharynx sont complètement
insensibles.
On peut comprimer fortement le testicule droit sans provoquer aucune douleur.
Sens. — L'ouïe et l'odorat sont affaiblis notablement du côté droit.
Le goût est complètement aboli sur toute la moitié droite de la langue.
Pas de troubles oculaires.
Zone hystérogène. — Lorsqu'on exerce une pression un peu énergique au niveau de
la partie droite de l'hypogastre immédiatement au-dessus du pli de l'aine, le malade
accuse d'abord une vive douleur, puis il sent comme une boule qui lui monte du
ventre à la gorge; sa respiration devient anxieuse, et si on l'interroge sur ce qu'il
éprouve, il se plaint d'avoir des bourdonnements dans les oreilles; des battements
dans les tempes; puis sa vue se brouille et il menace de tomber, les choses s'arrêtent
là, et l'aura ainsi provoquée n'est pas suivie d'attaque.
État mental. — Depuis l'accident dont il a été victime, le malade est triste, apa-
thique; il cause peu; parfois il pleure sans motif. Il n'a plus la vivacité d'esprit,
l'entrain, qu'il avait autrefois, mais son intelligence paraît intacte. Par contre sa
mémoire est affaiblie; il le sait et il s'en plaint. « Il y a des jours, dit-il, où j'oublie
tout ce que je viens de faire et d'autres jours je me rappelle très bien. » Cependant
il nous a raconté l'histoire de sa maladie, à plusieurs reprises, sans trop d'hésita-
tion et sans trop varier dans ses assertions.
Enfin le malade accuse toujours cette céphalée gravative incessante et prédomi-
nant dans la région occipitale qui est apparue dès la seconde semaine après la col-
lision. Dès qu'il se met à lire, son mal de tête s'accroît. Il a souvent des vertiges.
L'appétit est médiocre, les digestions sont pénibles, il étouffe et il a le sang à la
tête après le repas.
Le 6 juillet le malade demande sa sortie. Nous l'avons revu et examiné à nouveau
le 25 juillet, puis le 4 et le 26 août. Il n'y a rien de changé dans son état. Il présente
exactement les mômes symptômes que nous avions constatés pendant son séjour
dans le service de la Clinique. Il a toujours des attaques, une ou deux par semaine
en moyenne. Mais il existe chez lui actuellement, de la diplopie monoculaire et un
rétrécissement concentrique et permanent du champ visuel (examen du 20 août),
signes qui faisaient encore défaut à l'époque où le malade a quitté l'hôpital.
Il est difficile, en vérité, de ne pas reconnaître dans l'histoire clinique du cas de
railway-spine qui précède, l'association d'un état neurasthénique des plus nets à
l'hystérie. Si, actuellement, les symptômes de l'une et l'autre névrose se trouvent
réunis chez ce malade de façon à constituer un complcxus en apparence autonome,
il n'en a pas toujours été ainsi. Les signes delà neurasthénie ont ai)paru chez Claw,..
trois semaines environ après l'accident dont il a été victime. TJne céphalée constric-
tive, tenace, généralisée, mais prédominante à l'occiput, une zone médiocrement
douloureuse, située à la partie inférieure de la colonne lombaire, l'appétit nul, des
digestions pénibles, un affaiblissement général, de la tristesse, la mémoire amoin-
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drie, voilà quels sont les troubles qu'il a tout d'abord accusés. En quoi cet état
diffère-t-il du tableau symptoinatique de la n<^vrose de fieard ? Or, ce n'est qu'un
mois plus tard que ce sont montrées les premières manifestations hystériques,
telles que la parésie, le tremblement des membres du côté droit et les attaques. Le
sujet a donc été pendant un certain tomps seulement neurasthénique. Après quoi,
conformément à une évolution sur laquelle M. Charcot a plusieurs fois appelé l'at-
tention, l'hystérie est venue s'ajouter à la neurasthénie déjà existante. Celle-ci a
précédé un moment celle-là. La dissociation clinique des deux névroses lorsqu'elles
se combinent ainsi chez le mrme individu, est donc parfaitement légitime, elle
répond à la réalité des faits; elle n'est pas seulement une vue de l'esprit, puisque
l'hystérie et la neurasthénie peuvent apparaître successivement chez le même
malade, comme elles peuvent se montrer isolément sur des sujets différenls.
La présence de l'hystérie chez notre patient, ne saurait, je pense, faire l'ombre
d'un doute. Une hemianesthésie droite totale absolue pour le toucher, la douleur,
la sensibilité thermique et le sens musculaire, un rétrécissement concentrique du
champ visuel des deux yeux, l'abolition du goût dans toute la moitié droite de la
langue, un affaiblissement très appréciable de l'ouïe et de l'odorat du même côté,
une zone hystérogène, des attaques caractérisques, que faut-il de plus? Je ne vois
vraiment pas par quels artifices de dialectique on pourrait arriver à démontrer que
cet assemblage de symptômes et de stigmates hystériques n'est pas, purement et
simplement, de nature hystérique.
Il est vrai que MM. Oppenheim et Thomsen ont cru trouver dans la ténacité des
anesthésies chez les traumatisés un caractère qui permettrait de les différencier des
anesthésies vraiment hystériques. L'anesthésie des traumatisés, disent-ils, est tou-
jours tenace ; elle ne présente pas cette mobilité, ces changements capricieux qui
caractérisent les anesthésies hystériques. Mais cet argument ne vaut pas. Il est né,
M. Charcot (l)ra parfaitement dit, « de l'idée relativement fausse que l'on se fait
en général du tableau clinique de l'hystérie chez la femme. Chez le mâle, en effet,
la maladie, quelle qu'en soit la cause, se présente souvent comme une affection
remarquable par la permanence et la ténacité des symptômes qui la caractérisent.
Chez la femme au contraire, — et c'est là ce qui semble faire la différence capitale
entre les deux sexes, pour qui ne connaît pas à fond la maladie chez la femme, —
ce que l'on croit être le trait caractéristique de l'hystérie, c'est l'instabilité, la
mobilité des symptômes »... Or cette mobilité, cette fugacité n'est pas, tant s'en
faut, notre maître l'a montré par de nombreux exemples, un caractère univoque de
la maladie hystérique, même chez la femme. Chez elle, il y a des hystéries aux stig-
mates permanents, d'une stabilité inéluctable, résistant pendant des années entières
voire même des dixaines d'années, aux interventions les mieux conduites.
Un autre argument invoqué à l'appui de leur thèse, par les mêmes auteurs, c'est
que V état psychique des traumatisés n'est pas celui des hystériques. Ces derniers sont,
1. Leçons sur les maiadie§ du système nerv., t. 111, p. 252.
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dit-on, d'humeur fantasque, changeante, le plus souvent indifférents ou gais. Les
traumatisés sont au contraire toujours tristes, mélanmonttouli,sco srque par des-
rêves effrayants, des hallucinations hypnagogiques ; leur mémoire présente de nom
breuses lacunes ; leurs facultés intellectuelles sont amoindries. Tous ces désordres
dans l'état mental constitueraient, si l'on en croit MM. Oppenheim et Thomsen,
une psychose spéciale appartenant en propre aux traumatisés et complètement
étrangère à l'hystérie proprement dite.
Cependant, si l'on examine un à un les divers éléments qui, par leur assemblage,
forment cette prétendue psychose, on n'en découvre véritablement aucun qui ne
soit connu déjà comme appartenant au tableau clinique, soit de la neurasthénie,
soit de l'hystérie.
La tristesse, la mélancolie, l'apathie intellectuelle ? Mais M. Charcot à déjà
montré que chez le mâle en particulier, la dépression et la tendance mélancolique
s'observent le plus communément dans les cas d'hystérie les plus accusés, indépen-
dants de tout traumatisme, les moins contestables. Et puis les changements d'hu-
meur, les caprices n'existent pas toujours nécessairement dans l'hystérie de la
femme. Ces troubles ne sont donc pas caractéristiques de l'hystérie. Tout cela n'a
rien d'absolu. Il y a des hystériques mâles qui sont gais, et l'on peut rencontrer des
femmes hystériques d'humeur toujours mélancolique, tristes, déprimées, à la
manière des traumatisés, alors même que le traumatisme n'est pas à l'origine de
leur névrose. .
Les rêves effrayants auxquels l'accident dont les malades ont été victimes sert
très souvent de thème, les visions d'animaux, les hallucinations... etc., mais tout
cela c'est la monnaie courante de l'hystérie.
Il y a encore l'affaiblissement de la mémoire, la torpeur intellectuelle. Est-ce
qu'il n'est pas banal de rencontrer de purs neurasthéniques que leur état d'apathie
leur dépression mentale, leur mémoire troublée rendent incapables de se livrer à
leurs occupations habituelles ? Qu'ont donc de spécial les troubles psychiques des
traumatisés ? En réalité, ils ressortissent les uns à la neurasthénie, les autres à
l'hystérie. Leur association chez un même individu ne légitime pas plus la création
d'une psychose nouvelle, que la combinaison de l'hystérie et de la neurasthénie ne
constitue une névrose particulière, qui serait la névrose traumatique.
Il est certain que cette superposition des. symptômes de la neurasthénie aux stig-
mates hystériques s'observe plus habituellement chez les traumatisés. Mais il ne
faut pas oublier que le traumatisme n'a nullement le privilège de déterminer l'ap-
parition de cet état complexe dans lequel l'hystérie et la neurasthénie se dévelop-
pent côte à côte.
Souvent le choc physlcjne a fait défaut ou n'a pas atteint le malade ; celui-ci n'a
été ni contusionné, ni commotionné le moins du monde. Il a seulement éprouvé au
moment où l'accident s'est produit, une frayeur plus ou moins vive, une émotion
soudaine. On dit alors qu'il y a eu shoch nerveux. Cotte expression fait image ; mais
elle ne saurait évidemment signifier autre chose, dans l'espèce que: émotion subite.
— 535 —
Il faut se garder de la prendre trop à la lettre et ne pas s'imaginer, sous prétexte
que dans « shock nerveux » il y a « shock », qu'an sujet qui devient hystcro-
neurasthéniquc, par exemple, pour avoir />r//// être tamj)onrié en traversant la voie
ferrée, est malade au môme titre que tel autre voyageur qui asuiiit les effets maté-
riels et psychiques d'une collision. Le premier de ces malades n'appartient plus â la
série traumatique. Son cas doit être rangé dans la catégorie des hystéries provo-
quées par une émotion quelconque. Si l'on veut faire passer les faits de cet ordre à
l'actif du railway-spine ou de la névrose traumatique, nous demanderons en quoi le
shock nerveux éprouvé par un individu qui voit avec terreur une locomotive arriver
sur lui, mais qui peut se sauver à temps sans être atteint, diffère du shock nerveux
de tel autre individu qui apprend tout à coup qu'il a perdu sa fortune ou qui voit
périr son fils de mort violente (1). Dans tout cela, où est le traumatisme, et, par-
tant, que devient la névrose traumatique (2) ? »
APPENDICE N° 2
Rétractions fibro-tendineuses dans les paralysies spasniodiques
par lésions organiques spinales, dans les paralysies alcoo-
tiques et dans la contracture spasmodique hystérique.
(Pied bot hystérique (3). Voir la Leçon 17 (2° Malade,
pp. 381, 384).
« Considéré en soi, le premier sujet sur lequel je vais appeler votre attention
n'offre plus guère actuellement qu'un intérêt purement rétrospectif. La maladedont
i. Voir la leçon 13, p. 292, et le tableau p. ^98.
2. Extrait d'un travail publié par M. Dutil, inlenie du service de la clinique à la Salpê-
trjère. dans la GazeLleMédicale du samedi 23 novembre 1889.
3. Leçon de M. Charcot recueillie par M. Babinski, chef de clinique et publiée par le Bul-
letin médical ; mars 1887, p 109.
Le sujet dont il est traité dans cette leçon a été développé avec un imposant concours
d'arguments d'ordre chirurgical dans une importante communication faite à la Société de chi-
rurgie par M. le D' Terrillon, chirurgien do Thospico de la Salpètrière.
72
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il s'agit, est en effet complètement guérie depuis trois ans de l'affection dont elle a
souffert et qui l'a immobilisée au lit pendant une période de plus de vingt-quatre
mois. Mais je pense que son histoire, que je vais rappeler dans un instant, pourra
nous aider tout à l'heure dans l'interprétation d'un deuxième cas qui doit être
l'objet principal de la leçon d'aujourd'hui. Je tiens à vous prévenir tout d'abord,
messieurs, que les deux sujets que nous rapprocherons l'un de l'autre appartiennent
à des groupes nosographiques fort éloignés, puisque, dans l'un il s'est agi d'une
affection organique par excellence, la pachyméningite cervicale hypertrophique,
tandis que dans l'autre il s'agit, au contraire, d'une affection purement dynamique,
sans lésions matérielles appréciables ; je veux parler de la contracture spasmo-
dique hystérique. Mais voici le point commun qui me paraît motiver le rap-
prochement que nous allons établir entre les deux cas : dans le premier, une
intervention chirurgicale a été nécessaire pour compléter la guérison, et cette
même intervention chirurgicale, ou du moins une intervention du même ordre, me
paraît actuellement nécessaire pour compléter la guérison dans le deuxième cas.
D'ailleurs nous finirons peut-être par reconnaître, chemin faisant, que bien qu'ils
appartiennent à deux catégories absolument distinctes, ces deux cas présentent
cependant, à certains égards, des traits communs plus nombreux qu'on ne le pour-
rait supposer tout d'abord.
Nous commencerons par le cas de la pachyméningite cervicale hypertrophique. Il
s agit d'abord de démontrer que le sujet présent qui, depuis trois ans, a retrouvé
complètement l'usage de tous ses membres, a été atteint de pachyméningite cer-
vicale hypertrophique. Cela étant fait, nous n'aurons pas à nous étonner outre me-
sure que le malade ait guéri, car on possède aujourd'hui un certain nombre de cas
de guérison dans cette affection, qui ont été récemment réunis par M. EdgardHirtz,
dans un mémoire publié en juin 4886, dans les « Archives de médecine >. Mais le
fait intéressant, ainsi que je le relevais tout à l'heure, c'est que la guérison dans
ce cas, commencée et poussée assez loin par les moyens médicaux, n'a pu devenir
complète que par l'intervention chirurgicale, et c'est sur cette intervention dans
un cas de paralysie spasmodique d'origine spinale que je veux particulièrement
insister.
Notre malade est aujourd'hui âgée de 62 ans ; elle a eu cinq enfants, a souffert
autrefois de douleurs rhumatoïdes. Elle a habité pendant vingt-quatre ans dans une
boutique humide, couchant dans l'arrière-boutique. Il y a six ans de cela, elle a été
prise de douleurs névralgiques dans les membres supérieurs, dans le cou, le dos et
la poitrine. Il y a donc eu peut-être une participation dorsale. Cette période dou-
loureuse a duré six mois ; puis s'est développée une paralysie avec amyotrophie des
membres supérieurs qui présentaient la griffe radiale (mains de prédicateur) ; plus
tard encore est apparue une paraplégie lombaire spasmodique avec exagération
des réflexes tendineux et trépidation épileptoïde.
On lui appliqua pendant ce temps des pointes de feu le long de la colonne verté-
brale et on lui fit prendre de l'iodure de potassium. Il y a de cela trois ans, Tamé-
— 537 —
lioration comraença à apparaître ; la contracture des membres inférieurs s'atténua,
les réflexes tendineux diminueront d'intensité, la trépidation disparut ; l'améliora-
tion du côté des membres supérieurs marchait du m^^me pas et même plus rapide-
ment, car bientôt la griffe radiale cessa d'exister, l'amyolrophie diminua et il y eut
récupération des divers mouvement!?. Mais ce qui nous intéresse particulièrement,
c'est ce qui s'est passé du côté des membres inférieurs.
La paralysie spasmodique s'atténua de plus en plus, et même à un moment donné
il était devenu évident que la rigidité spasmodique des muscles n'existait plus et
que, par conséquent, l'afTection spinale n'était plus en jeu. Cependant une flexion
à angle droit des jambes sur les cuisses et non plus à angle aigu comme autrefois
persistait encore. Quelle était donc la cause de l'obstacle à la flexion et surtout à
l'extension qui existait encore ?
L'examen attentif rendit probable qu'il s'agissait là : 1° d'un raccourcissement des
tendons des muscles fléchisseurs de la cuisse, et 2'' de la rétraction du tissu cel-
lulo-fibreux formé autour de la jointure, surtout en arrière dans le creux
poplité.
Ce qui rendait cette opinion déjà vraisemblable, pour ne pas dire plus, c'était :
1° la disparition de l'exagération des réflexes rotuliens et de la trépidation spinale;
2° la sensation produite par les tentatives de flexion ou d'extension du genou.
Dans le cas de contracture spasmodique, les muscles d'action contraire, vous le
savez, sont simultanément en jeu ; la contracture occupe, en efl'et, à peu près au
même degré, les fléchisseurs et les extenseurs, par exemple ; seulement, les fléchis-
seurs et les extenseurs prédominent suivant les cas, et dans l'observation présente
c'étaient les fléchisseurs. Tant que la contracture persiste, la résistance est à
peu près aussi grande du côté de la flexion que de celui de l'extension
et quand on cherche à imprimer au membre un mouvement passif, on
éprouve la sensation d'une résistance progressive et élastique, en quelque sorte, les
parties tendant à reprendre d'elles-mêmes la position dont on les éloigne. Or
chez notre malade, ce n'était plus cela qu'on observait ; Texlcnsion pouvait se faire
facilement dans une certaine mesure, mais à un moment donné, brusquement, elle
se trouvait limitée par un obstacle mécanique ne donnant pas la sensation de ré-
sistance élastique et absolument invincible. D'ailleurs le chloroforme devait ré-
soudre la question ; toute contracture spasmodique se résout absolument sous
l'influence du sommeil chloroformique poussé suffisamment loin ; or ici, même
dans le sommeil profond, l'obstacle persistait. C'est alors que nous priâmes M. Ter-
rillon d'intervenir.
L'examen du genou fit voir en avant un certain degré d'immobilité de la rotule,
et dans le creux poplité la rigidité des fléchisseurs de la jambe sur la cuisse, et de
plus cet examen lit éprouver dans cette région une sensation montrant que celui-ci
était rempli de tissu fibreux rétracté.
Les opérations qui suivirent vinrent confirmer l'opinion qu'on s'était faite de
l'état des tissus.
— 538 —
Une première opération consista dans la section des tendons fléchisseurs, qui
n'amena qu'un redressement incomplet ; quinze jours après, une deuxième tenta-
tive consistant à provoquer sous Faction du chloroforme l'extension forcée, suivie
d'immobilisation, avait démontré, en outre de la réfraction tendineuse, l'existence
du tissu fibreux rétracté que d'ailleurs on entendait se déchirer en produisant des
craquements pendant les manœuvres d'extension : une troisième tentative du même
genre fut nécessaire pour amener l'extension complète. A la suite de cette opéra-
tion en trois fois, il s'est passé encore deux mois avant que la malade pût marcher.
Sous l'influence du repos prolongé, les muscles des membres s'étaient émaciés ;
l'électrisation fut mise en jeu pour les ramener aux conditions normales. Enfin,
depuis trois ans, la malade est guérie ; elle ne souffre plus, fait de longues courses
à pied, ne présente pas la moindre trace de paralysie spasmodique, et comme
vestige de l'afTeclion dont elle a souffert, il ne reste plus qu'une difficulté à se met-
tre à genoux et un peu de raideur dans le cou ; mais c'est en somme bien peu de
chose, et l'on peut dire que la guérison est complète, absolue.
Puisque j'en suis à vous parler des guérisons de la pachyméningite, je puis
vous montrer un autre cas du même genre. Ici, l'affection a été moins grave, la
paralysie spasmodique n'a jamais été qu'ébauchée, c'est-à-dire que les accidents de
la troisième période ne se sont pas complètement accusés ; mais, par contre, l'évo-
lution rétrograde s'est arrêtée en chemin et nous ne pensons pas qu'on puisse es-
pérer le retour à Fétat normal. Gela tient peut-être d'ailleurs aux habitudes du
sujet. C'est une femme de 34 ans, cuisinière, qui a habité pendant deux
ans un rez-de-chaussée humide. L'affection a débuté il y a quatre ans. Après une
période douloureuse classique de six mois, il s'est développé une paraplégie cer-
vicale atrophique, et enfin la troisième période n'a été qu'esquissée et a été carac-
térisée par une parésie des membres inférieurs, avec exagération des réflexes tendi-
neux. Aujourd'hui, il n'y a que des vestiges de la paralysie lombaire marquée seu-
lement par des réflexes rotuliens exagérés ; mais, au membre supérieur, il y a une
amyotrophie avec réaction de dégénérescence, surtout dans les muscles de la main,
sans espoir de guérison ; c'est pourquoi il paraît inutile d'essayer de modifier
chirurgicalement la griffe qui existe et dans laquelle les doigts sont maintenus en
crochets par le raccourcissement des tendons fléchisseurs et la production de
brides fibreuses.
Messieurs, j'insiste comme vous le voyez, sur la production possible de ces brides
fibreuses, de ces raccourcissements de tendons qui maintiennent les déformations
dans certains cas de paraplégie spasmodique curables ou déjà guéris. Je dis : dans
certains cas, parce que cette comi)lication ne se voit pas dans tous les cas appar-
tenant à un même groupe ; ainsi je pourrais citer au moins un cas de pachymé-
ningite cervicale hypertrophique ayant produit une paraplégie spasmodique avec
flexion des membres dans lequel la paralysie a guéri au bout de deux ans, sans
— 539 —
qu'on piH constater autour de l'articulation, de celle du genou en particulier, la
moindre trace de rétraction fibreuse périarticulaire. Ce que je viens de dire de la
paraplégie spasmodique, delà pachyméninf:ite hypcrlrophique, je puis le répéter
(i propos de la paraplégie par mal de Pott. Vous savez que souvent, cette paraplé-
gie dépend d'une pachyméningite caséeuse, oLque c'est dans ce cas une paraplégie
par compression. Cette paraplégie, comme l'a depuis longtemps indiqué Leudet,
et comme je l'ai fait voir à mon tour, est quelquefois curable. Il faut ajouter que
dans ces paraplégies par compression, la flexion des cuisses sur le bassin et des'
jambes sur les cuisses est en général très prononcée (caractère commun, du reste, à
toutes les paraplégies par compression). Eh bien, dans la plupart des cas de ce
genre que j'ai observés, la résolution des contractures et la guérison se sont faites
absolument sans intervention chirurgicale, tandis que dans d'autres cas, de beau-
coup les moins nombreux, en raison de l'existence de productions fibreuses périar-
ticulaircs et du raccourcissement des tendons, l'intervention chirurgicale a été,
comme dans notre cas, nécessaire pour faire disparaître la déformation. Et ici,
vous le voyez, se pose un problème intéressant de pathologie.
Pourquoi, tout étant égal d'ailleurs, du moins en apparence, la complication
tcndino-fibreuse se produit-elle dans certains cas, et non dans d'autres? Qu'ont
donc de particulier les sujets chez lesquels elle se produit? S'agit-il là d'une
influence diathésique, d'un élément rhumatismal, arthritique que présenteraient
ces sujets? On sait que certaines rétractions fibreuses, indépendantes de toute
paralysie, comme la rétraction de l'aponévrose palmaire, relèvent, au moins sou-
vent, d'un élément arthritique.
C'est là un point qu'il serait intéressant d'éclaircir et sur lequel malheureuse-
ment je ne suis pas en mesur^}, quant à présent, de vous donner des renseigne^
ments précis.
Nous devons donc nous borner, pour le moment, à enregistrer le fait et à en
tirer parti, pour le plus grand bien des malades, le cas échéant.
Maisje ne dois pas vous laisser ignorer que celte complication, que je signale à votre
attention, n'est pas exclusivement propre aux paraplégies spasmodiques; elle peut
se montrer encore dans des paralysies où la déformation ne dépend par d'une con-
tracture des muscles; tel est le cas de la paralysie alcoolique, dont je vous pré-
sente un exemple.
llyadans ces cas-là, en conséquence d'une névrite qui semble primitivement
périphérique, une atrophie des muscles extenseurs, suivie d'une chute du pied,
analogue à la chute du poignet qu'on observe dans la paralysie saturnine; rien ne
retient la flexion du pied — qui est flottant, ballottant — que l'influence de la
pesanteur.
Dans d'autres cas, cependant, la prédominence des fléchisseurs moins atrophiés
oppose une légère résistance bientôt vaincue ; là même, il ne s'agit pas d'une dévia-
tion spasmodique, mais d'une déviation paralytique; la tonicité des muscles non
altérés est seule en jeu.
~ 540 —
Mais il est enfin un troisième ordre de faits, qui dans l'espèce me paraît assez
fréquent, et dans lequel, cette fois, Téquinisme ainsi produit est maintenu désor-
mais par le fait de la rétraction du tendon d'Achille, combinée avec la production
du tissu fibreux périarticulaire.
J'ai observé deux cas de ce genre dans lesquels, après guérison, l'intervenLion
chirurgicale a été nécessaire, et a réussi une fois de plus entre les mains de M. Ter-
rillon.
L'opération, dans ce cas, a dû être faite, comme dans le cas de la pachyménin-
gite, en plusieurs temps.
La section du tendon d'Achille n'a pas suffi pour obtenir le redressement ; il a
fallu, à deux ou trois reprises, en produire l'extension forcée, déchirer les brides
fibreuses périarticulaires ; les malades ont parfaitement guéri.
On ne s'étonnera pas de voir fréquemment des brides fibreuses périarticulaires
et des raccourcissements de tendons se produire dans la paralysie alcoolique, si
l'on remarque, ainsi que M. Lancereaux et moi nous l'avons fait ressortir, que les
troubles trophiques sont chose vulgaire dans les membres inférieurs chez les
sujets atteints de paralysie alcoolique, et c'est là une circonstance qui pouvait être
prévue dans un cas où le point de départ de la paralysie est une lésion infiamma-
toire des nerfs périphériques. De fait, les troubles vasomoteurs, l'œdème, l'empâ-
tement, les lésions des ongles, la peau lisse sont fréquents dans les parties où
siège la paralysie alcoolique. Mais je ne veux pas m'étendre plus longtemps sur ce
sujet qui mériterait bien une étude approfondie et que je me borne à signaler à
votre attention. Cette complication de rétractions fibreuses qui peut survenir dans
divers cas de paralysie spasmodique ou non spasmodique peut nécessiter l'inter-
vention chirurgicale.
Il est temps d'en venir maintenant au cas que j'ai eu pour objectif pendant toute
la durée de cette leçon.
Il s'agit, je vous l'ai annoncé déjà en commençant, d'une déformation produite
par la contracture spasmodique hystérique. C'est dire que s'il est vrai, comme il
faut l'admettre, que le point de départ de TafTection doit être cherché dans la
moelle, celle-ci, cependant, n'a jamais présenté aucune altération appréciable.
Actuellement, ainsi que je vous le démontrais tout à l'heure, la contracture spas-
modique n'existe plus, et à ce point de vue on peut dire que la malade est guérie,
malgré les apparences contraires qui sont dues à ce que la difformité persiste.
Eh bien, messieurs, je prétends que la cause de la persistance de cette défor-
mation doit être cherchée, comme dans le cas de paralysie organique que je vous
citais tout à l'heure, dans la production de tissu fibreux périarticulaire et dans le
raccourcissement qu'a subi le tendon d'Achille. De sorte qu'ici encore la guérison ne
pourra être complétée que par une intervention chirurgicale du même genre que
celles dont il a été question, et dont mon collègue, M. Terrillon, voudra encore bien
se charger.
— 541 —
Mais jusqu'ici, je n'ai procédé que par assertions; il me faut actuellement procé-
der par démonstration.
J'ai à établir les points suivants :
1» La déformation en pied bot équin varus, que nous avons sous les yeux, a bien
pourpoint de départ une contracture spasmoJique d'origine hystérique;
2° Aujourd'hui l'élément spasmodique a complètement disparu, et la déformation
— autrefois tout entière de cause musculaire — est maintenue désormais seule-
nent par les rétractions tendineuses et fibreuses, qui se sont produites consécuti-
vement à titre de complication.
Si nous parvenons à bien montrer tout cela, nous aurons rendu manifeste du
même coup que l'intervention chirurgicale est opportune, nécessaire, et que cette
entreprise a toutes les chances d'être couronnée d'un plein succès.
Il nous sera facile de démontrer que la malade est bien hystérique et que le
double pied bot qu'elle présente a pour origine une contracture hystérique. Il nous
suffira pour cela d'indiquer les principaux traits de l'histoire de cette malade.
Elle a un père aliéné mort à l'asile de Clermont ; elle a 25 ans ; de 20 à 24 ans,
elle a beaucoup souffert moralement; sous cette influence sont survenus des vomis-
sements fréquents se produisant sans effort et sans douleur et évidemment de nature
névropathique, des accidents qu'elle appelle des syncopes et qui paraissent bien
avoir été des crises hystériques, une paralysie transitoire du membre supérieur
gauche avec anesthésie et perte du sens musculaire qui, manifestement, doit être
rattachée à l'hystérie.
Enfin, il y a deux ans, tout à coup, un matin, sans prodromes, s'est produite la
déformation des pieds en varus équin qui a atteint immédiatement son plus haut
degré, et dont vous retrouverez aujourd'hui les vestiges. li y avait un an à peu près
que cela durait quand la malade est entrée à la Salpétrière. Nous avons pu cons-
tater alors que l'articulation du genou était aussi rigide, que les tentatives de
redressement du pied donnaient la sensation de résistance élastique qui est propre
aux contractures spasmodiques. Nous avons reconnu enfin l'absence, à cette époque,
de tout stigmate hystérique sensitif ou sensoriel et nous avons constaté qu'il était
impossible de produire aux membres supérieurs la contracture artificielle; enfin,
les attaques avaient complètement cessé. On pouvait donc espérer que la diathèse
hystérique était épuisée et que Ton viendrait sans doute bientôt à bout de la con-
tracture spasmodique du pied. Les tentatives d'hypnotisme étaient restées sans
résultat; nous ne pouvions compter sur une disparition des accidents par voie de
suggestion. Les moyens employés ont été l'électrisation et le massage ; ce dernier
mode de traitement, mis en œuvre pendant un mois, parait avoir produit une très
notable amélioration. La flexion du genou est devenue possible ; quelques mouve-
ments ont reparu dans l'articulation tibio-tarsienne, et la malade a pu alors se
tenir debout sur la pointe des pieds, comme vous le voyez aujourd'hui. Vous pou-
— 542 —
vez observer comment la malade peut marcher sans appui en faisant reposer les
pieds sur l'extrémité des deux ou trois derniers métatarsiens.
Mais, au bout d'un certain temps, il est devenu clair qu'il ne se faisait plus de
progrès, et nous nous sommes demandé si la contracture spasmodique n'avait pas
disparu, et si la déformation n'était pas entretenue seulement par des productions
fibro-tendineuses. Les productions de ce genre sont rares, à la vérité, dans les con-
tractures hystériques, alors même qu'elles ont duré de longues années ; la dispari-
tion de la contracture spasmodique peut se faire progressivement ou même subite-
ment sans laisser après elle aucune trace de rigidité articulaire, alors même que
la rigidité par contraction a duré plusieurs mois, voire plusieurs années ; mais il
faut reconnaître que le fait n'est pas absolument général ; et il faut savoir que les
rétractions fibreuses peuvent compliquer les contractur^,s hystériques, comme elles
compliquent les paralysies organiques. Je pourrais même citer trois exemples de'
ce genre dont deux, par une singulière coïncidence, chez des dames russes.
Mais pouvons-nous démontrer que la contracture spasmodique n'existe plus ? Oui,
je le crois.
Vous voyez que la malade peut, dans une certaine mesure, mouvoir son pied
librement en dedans, en dehorâ, en avant, en arrière, ce qui n'arrive jamais au
même degré dans les contractures hystériques où les choses sont poussées toujours
à l'extrême, si bien qu'en général le. malade ne peut imprimer aucun mouvement
aux parties contracturées. Déplus, quand on imprime des mouvements passifs à la
jointure, en dedans ou en dehors, le mouvement est à peu près complet ; le mou-
vement de flexion plantaire et aussi assez étendu, et on ne sent nulle part cette
résistance élastique, qui donne la sensation d'un ressort tendu, qui appartient à la
contracture spasmodique.
Au contraire, quand on veut produire la flexion dorsale du pied, on est bientôt
arrêté brusquement par un obstacle purement mécanique qui paraît être surtou
le tendon d'Achille raccourci, mais qui pourrait bien avoir aussi sa cause, d'après
ce que nous savons, dans la production de tissu fibreux périarticulaire. S'il vous
reste encore après cela un doute dans l'esprit, je pourrais vous fournir enfin un
argument absolument décisif en faveur de la thèse (pic je soutiens : la malade a été
soumise à la chloroformisation et, pendant le sommeil profond, la déformation
ne s'est en rien modifiée, elle est restée telle quelle, sans que nous ayons pu
rien gagner. Il est donc évident par là que le spasme musculaire n'est plus ici
pour rien, et toute la déformation doit être mise sur le compte des rétractions
fibro -tendineuses. La chirurgie seule a donc ^désormais le pouvoir de rendre au
membre l'intégralité de ses mouvements.
Mais l'opération est-elle opportune? oui, incontestablement. Tant que persiste
rélémcnt myospasmodique, je repousse toute tentative de redressement à Laide
d'appareils, car j'ai constaté toujours les plus fâcheux effets de ce mode de traite-
ments, et je prêche en pareil cas, avec conviction, la doctrine de l'expectalion.
Mais ici nous ne sommes plus dans ces conditions-là : d'un côté, il n'existe plus
— 543 —
actuellement aucune manifeslation de l'hystérie, et, de l'autre, l'élément myos-
^smodique a complètement disparu. Nous sommes donc dans les conditions les
plus favorables au succès de l'entreprise, et il n'y a pas à hésiter. Ce soir même la
malade sera confiée aux soins de M. Terrillon, et j'espère dans quelques semaines
vous la présenter de nouveau, cette fois complètement guérie et libre de tous ses
mouvements (1).
APPENDICE N° 3
Hystérie provoquée che% V homme par la peur de la foudre (2)
Voir la Leçon 19, pp. 435, 461.
L'observation qu'on va lire offre un bel exemple d'hystérie développée chez
l'homme par suite du saisissement ressenti au moment où la foudre tombait
sur un lieu éloigné. Le « schock nerveux » produit par l'éclair, le bruit de la
foudre sont ici seuls en cause ; le choc électrique n'y est pour rien.
Le nommé H... Augustin, employé, âgé de 51 ans, se présenta à l'hôpital Necker.
le 8 août 1887. Cet homme se plaignait d'être paralysé du côté gauche et il ajoutait
aussitôt que cette paralysie lui était venue « à la suite d'un coup de foudre >. Il
fut admis salle Saint-Luc, lit n<* 13, dans le service de M. le professeur Peter suppléé
par M. Ballet.
1. L'opération a été en efTel pratiquée par M. Terrillon quelques jours après la leron. La
malade est sortie de Ihôpital deux mois après complèteinent guérie. S'oir d'ailleurs la fin de
histoire de cette malade dans la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, t. I, 1888, p. 93.
De V intervention chirurgicale dans certains cas de réfactions jnusculaires £uccci!c nt à la
contracture spastnodigue'^dLT Terrillon, chiinirgien de la Salpêtrière.
2. Cette observation a été recueillie par M. Dutil, alors interne dans le service de M. Ballet,
suppléant M. le Prof. Peter.
73
— oU —
Antécédents héréditaires. — Les renseignements donnés par le malade sur l'état de
santé de ses parents sont fort incomplets. Il n'a pas connu son père, il ne sai
rien de sa mère qui mourut pendant qu'il était encore en bas âge. Il n'a jamais ouï
dire qu'aucun de ses parents dans la ligne collatérale fût atteint d'une maladie
nerveuse quelconque. Il a quatre enfants qui jouissent d'une excellente
santé.
Antécédents personnels. — Par contre les antécédents personnels de cet homme pré-
sentent quelques particularités dignes d'être notées.
Bien qu'il n'ait jamais eu ni crise de nerfs, ni syncopes, H... n'en est pas moins,
comme il le dit lui-même, « très nerveux, » très impressionnable; parfois il s'émeut
d'un incident futile, comme il pourrait le faire d'un événement grave, et qui aurait
pour lui les plus fâcheuses conséquences. Une surprise, une émotion quelconque,
le font trembler des quatre membres. Le fond de son caractère est la mélancolie.
Il n'est ni syphilitique, ni alcoolique. Une blennorrhagie qu'il eut à l'âge de 18 ans
constitue tout son passé morbide.
H. raconte que dans sa jeunesse (vers l'âge de 12 ans), un jour qu'il mar-
chait sur une grande routes par un temps d'orage, la foud'c vint à tomber près de
lui, dans le fossé même qui bordait le chemin. Il vit l'étincelle frapper le sol en
même temps qu'un violent coup de tonnerre éclatait sur sa tête. Saisi d'une terreur
folle, il se mit à courir jusqu'à son domicile. Cet accident fit sur lui une impression
si profonde qu'elle ne s'est jamais complètement effacée. Depuis cette époque il a
toujours craint l'orage; non pas qu'il aitpewr da la foudre comme au temps de son
enfance; mais le tonnerre, la vue des éclairs lui causent une émotion, une an-
goisse qu'il ne peut pas toujours surmonter. Un jour qu'il travaillait dans une prai-
rie, l'apparition d'un éclair l'impressionna si vivement qu'il devint tout pâle et fut
obligé de s'asseoir pour ne pas tomber.
Voici maintenant dans quelles circonstances il a été frappé d'hémiplégie.
Le 30 juillet dernier, cet homme travaillait rue Vavin, dans un atelier couvert en
vitrage, lorsqu'un violent orage vint à éclater. Versquatre heures et demie, un coup
de tonnerre formidable ébranle la toiture de l'atelier en même temps qu'un éclair
jetait une très vive lueur. H... en fut tout saisi; il crut que la foudre était tombée
sur le trottoir qui borde la maison. En réalité, le tonnerre était tombé au loin, dans
un quartier voisin, il n'avait d'ailleurs ressenti aucune secousse, aucune commo-
tion électrique.
Dans la soirée, en rentrant chez lui, il éprouva u des frémissements >, des pico-
tements dans le bras gauche, « comme si on l'avait électrisé >; puis il se sentit
pris d'une faiblesse générale. Quelques instants après, rafTaiblisscment s'accen-
tuait dans les membres du côté gauche. Il se coucha inquiet, agité, sentant qu'il
perdait ses forces. Il dormit peu durant la nuit. Le lendemain, quand il voulut se
lever, il était paralysé du bras et de la jambe gauche ; il était incapable de mouvoir
ces membres qui étaient comme morts et complètement insensibles.
04) —
Durant les deux jours qui suivirenf, la paralysie s'améliora surtout au membre
inférieur; le malade put se lever et marcher, sans trop boiter, sans traîner la jambe
malade. Celle-ci néanmoins restait très affaiblie; et le malade aurait été incapable
de se tenir longtemps debout et de faire une course un pou longue. Au membre
supérieur, dont la paralysie était complète, absolue le premier jour (30 juillet), il
ne recouvra que quelques très légers mouvements des doigts et de la main.
Quanti la face, au dire du malade, elle n'a pas été touchéee par la paralysie ; à
aucun moment sa bouche ne s'est déviée dans un sens ni dans l'autre.
Le 8 août, voyant que son état restait stacionnaire, le malade se décida à entrer à
l'hôpital. Voici ce que l'on constatait:
Etat actuel. — A la face, quelque attentif que fût l'examen, on ne découvrait pas
trace de paralysie ni de contracture. Au repos, les traits étaient bien symétriques;
et quand la physionomie entrait en jeu, comme par exemple, dans l'acte de rire,
grincer des dents, souffler, etc., on ne découvrait aucun trouble de la mobilité de
telle ou telle partie du visage. Les mouvements des paupières aussi bien que ceux
des globes oculaires s'exécutaient librement.
La langue était tirée droite, elle ne prosentait aucune déformation, aucun pli,
indice d'une contracture partielle.
Les mouvements de la tôte et du cou étaient parfaitement libres.
Le membre supérieur pend inerte le long du tronc. La paralysie du membre supé-
rieur gauche est totale, et à peu près absolue. Quelques légers mouvements de
flexion des doigts et d'extension de la main, voilà, tout ce que le malade peut faire.
Le membre paralysé est llasque; on peut le déplacer, Uéchir et étendre ses divers
segments sans éprouver la moindre résistance.
L'exploration dynamométrique donne les résultats que voici :
Main droite = 38 k.
— gauche ^ 3 k.
Membre inférieur. — Le membre inférieur gauche est très incomplètement paralysé.
Le malade peut exécuter à peu près tous les mouvements qu'on lui commande,
mais ces mouvements sont lents et comme inhabiles. Le malade ne peut se tenir
debout sur la jambe gauche; dès qu'il soulève le pied droit pour porter le poids du
corps tout entier sur le membre inférieur gauche, celui-ci lléchit aussitôt.
Dans la marche, la jambe gauche est plus lente à exécuter les divers temps du
pas, elle est un peu en retard sur l'autre, mais il n'y a ni balancement du tronc, ni
frottement de la pointe du pied sur le parquet.
Les mouvements de flexion, d'extension, d'inclinaison latérale, etc., du tronc sont
normaux. Il s'agit donc en somme non d'une hémiplégie, mais de monoplégies
associées du membre supérieur et du membre inférieur.
— 546 —
Sensibilitâ. — La sensibilité de la peau au contact, à la piqûre et à la température
(froid) est abolie complètement dans la moitié gauche de la tête et du cou, et dans
tout le membre supérieur du même côté. Cette anesthésie s'interrompt brusque-
Fig. 425.
ment sur la ligne médiane à la tête et au cou, mais à la partie supérieure du
thorax, elle s'étale un peu tout autour de l'épaule et si l'on en délimite les contours
à ce niveau, on voit que la ligne de démarcation partant de la ligne médiane
antérieure du cou descend en décrivant un arc de cercle à convexité inférieure au
devant des côtes, et,coupant la ligne axillaire très près du creux de Taisselle, remonte
— 547 —
ensuite derrière l'épaule vers l'épine dorsale qu'elle atteint à la hauteur de la
deuxième dorsale.
La peau du meml^re inférieur est également insensible au contact, à la piqûre et
au froid, mais l'anesthésie n'est pas aussi complète qu'au membre supérieur et à
la face. La zone anesthésique dépasse la ligne d'attaches de la cuisse ; sa limite
remonte même un peu au-dessus de la fesse et de l'épine iliaque supérieure en ar-
rière; en avant elle descend obliquement dans le pli inguinal scrotal.
La peau du tronc a conservé toute sa sensibilité dans la zone intermédiaire qui
sépare la nappe anesthésique péri-scapulaire de celle qui circonscrit la partie supé-
rieure de la cuisse.
L'anesthésie des membres est profonde. On peut tordre les doigts, les tirailler
sans que le malade accuse la moindre douleur.
Le sens musculaire est très compromis. Le malade ne peut, les yeux fermés ,
porter l'index gauche à son nez; de même il tâtonne pour saisir avec sa main
droite son poignet gauche, etc.
Le testicule gauche, sans être complètement insensible, supporte une pression
beaucoup plus forte que celui du côté droit.
Le réflexe rotulien est sensiblement diminué à gauche.
Le réflexe crémastérien est nul à gauche, très prononcé à droite.
Anesthésie pharyngienne.
Organes des sens. — Vue. — Il existe un rétrécissement concentrique du champ
visuel de l'œil gauche.
Pas de dyschromatopsie. Micropsie.
Oiiie. — L'acuité auditive est très diminuée du côté gauche; le tic tac d'une mon-
tre est perçu à une distance de 25 cent, par l'oreille droite; dès qu'on éloigne la
montre de 5 cent, de l'oreille gauche, le malade cesse de l'entendre.
Le goût est également diminué à gauche (sulfate de quinine, sucre en poudre).
Uodorat ne semble pas être intéressé; le malade reconnaît l'eau de Cologne, le
benjoin. Par contre, la sensibilité générale de la muqueuse de la fosse nasale gau-
che est complètement abolie. Le malade flaire, sans être nullement incommodé, un
flacon d'ammoniaque.
Le 9 août au matin, s'adressant aux élèves de la clinique, M. Ballet déclare en
présence du malade, de façon à être bien entendu de lui, que cette paralysie va dis-
paraître, à coup sûr, sous Tintluence d'une pilule fulminante. Eu égard à l'activité
grande de cette préparation pharmaceutique, on recommande au malade de la
prendre en deux fois, de s'abstenir d'en ingérer la seconde moitié au cas où la pre-
mière produirait des effets trop énergiques... etc.
Le 10 août, le malade nous dit que la pilule « Ta violemment travaillé, qu'il va
beaucoup mieux, que la peau est redevenue sensible». Nous constatons en effet,
qu'il n'existe plus trace d'anesthésie du côté gauche; il n'y a plus de rétrécissement
— 548 —
du champ visuel ; le goût est normal, mais il y a encore une diminution assez mar-
quée de Tacuité auditive à gauche ; le pharynx a recouvré sa sensibilité.
La paralysie motrice s'est également amendée, mais à un moindre degré. L'explo-
ration dynamométrique donne les résultats suivants:
Main droite = 50 k.
— gauche = 15 k.
on prescrit au malade deux nouvelles pilules fulminantes.
Le 11 août, à la visite du matin, H... nous déclare qu'il n'avait pris qu'une des
pilules parce que la première avait suffi à le bouleverser complètement. Nous
constations en même temps que l'ouïe avait repris son acuité normale et que la
force musculaire s'était de nouveau accrue dans les membres paralysés.
Main droite = 50 k.
— gauche = 25 k.
Le 12 août, le malade se trouve complètement guéri ; il affirme qu'il a entière-
ment repris ses forces.
Main droite = 51 k.
— gauche = 35 k.
La sensibilité tant générale que sensorielle est partout normale.
Durant les quelques jours que le malade passa encore à l'hôpital, en attendant la
disparition d'une poussée d'eczéma aigu au cuir chevelu, la guérison s'est mainte-
nue complète et tout porte à croire qu'elle est définitive.
On remarquera que dans ce cas la paralysie très certaineme^it n'a pas été produit
par le thoc électrique : elle ne s'est pas manifestée immédiatement, au moment
môme où la foudre est tombée, mais seulementlelendemain.il y a eu là, ainsi qu'on
l'a fait remarquer plusieurs fois dans des circonstances analogues, une sorte d'in-
cubation.
Une observation de même caractère que la précédente, avec cette différence toute-
fois que le shock nerveux a déterminé immédiatement une attaque d'hystérie suivie
de mutisme, a été publiée par M. le docteur Bettencourt Rodrigues {accidentes hyste-
riformes determinados pela acçâo d'um raio a distancia in Revista di Nevrologia
Psychiatria ; 1889, nM, t.I", 2"série, Lisboa). L'observation est relativeàun homme
de 30 ans, ancien militaire.
iMl'. ^01ZE•nt, 8, KUli CAMl'AUMi-l'Ui;MIi;Ut:, PAHIS.
TABLE
DES TABLEAUX, FIGURES ET FAC-SIMILE
CONTENUS DANS CE VOLUME
A. — TABLEAUX
Pages.
Tableau généalogique (Sciatique, Neurasthénie et Hystérie) ... 35
— — (Ghoréc aiguë grave) M 7
— — (Chorée de Sydenham ) 131
— — (Paralysie infantile) lii
— — — 145
Tableau synoptique des symptômes oculaires dans le Tabès, la
Sclérose en plaques et ITIystérie 163
Tableau généalogique (Hystéro-neurasthénie) 261
— — — 286
— — — 296
Tableau synoptique des antécédents et des symptômes chez quatre
hommes hystéro-neurasthéniques 298,299
Tableau synoptique d'accès d'Automatisme ambulatoire 308
Tableau généalogique (Abasie trépidante) 372
— — (Epilepsie, Hystérie et Morphinomanie.)
B. _ FIGURES, FAC-SIMILE ET TRACÉS.
Fig. 1, 2, 3, 4, 5, — Bâillement hystérique. Tracés de la respi-
ration 4, o
Fig. 6. — Bâillement hystérique (Sensibilité) 8
Fig. 7. — — (Champ visuel) • 9
7't
- 550 —
Pages.
Fig. 8. — Dyspnée hystérique (Tracé respiratoire) 12
¥i^. 9, 10. — Sciati(|ue (Déformation du tronc dans la) ... 20, 21
Fig. 11 — (Points douloureux) 26
Fig. 11 — et hystérie (Sensibilité) 33
Fig. 12 — — (Champ visuel) 31
Fig. 13. — Hémiplégie hystérique (Sensibilité) 47
Fig. 14 — — ((Uiamp visuel) 49
Fig. 15. — Syndrome de Brown-Séquard (Etat de la moelle) ... 54
Fig. 16 — — (Sensibilité) 59
Fig. 17 — — id 60
Fig. 18,19. — Amyotrophie de cause articulaire (Attitude) . . , 73
Fig. 20,21 — — (Atrophie) ... 74
Fig. 22. — Alcoolisme, paralysie infantile, hystérie (Sensibilité) . 97
Fig. 23 — — (Champ visuel) 98
Fig. 24. — Chorée aiguë grave (Tracé de la température) 107
Fig. 25,26. — Epilepsie (Rétrécissement du champ visuel) . . . 120
Fig. 27. — Hystérie chez un saturnin (Sensibilité) 122
Fig. 28 — — (Champ visuel) 124
Fig. 29. — Chorée aiguë grave (Lésions cardiaques) 128
Fig. 30,31. — Hystéro-neurasthénie (Champ visuel) 137
Fig. 32. — Paralysie infantile (Lésions médullaires, région lombaire) 141
Fig. 33 — — du membre supérieur (Lésions médul-
laires) 146
Fig. 34. — Ataxie et hystérie ("hamp visuel) 159
Fig. 35 — — (Sensibilité) 160
Fig. 36. — Sclérose en plaques et hystérie (Sensibilité) . . . . 167
Fig. 37, 38 — — — (Champ visuel) . . . 168
Fig. 39. — Pachyméningite caéseuse dans le mal de Pott . . . 181
Fig. 40, y. — Mal de Pott et hystérie (Sensibilité) . , 185
Fig. 42 — — (Champ visuel) 187
Fig. 43, 4i. — Simulation hystéri(|u<' du mal de Pott (Sensibililé) 193
Fig. 45 — ' — — (Cihanip visuel) 196
Fig. 46. — Sus[)enbion dans le tabès. Appareil suspenseur . . . . 205
Fig. 47. — Appareil en place pour la tôto 206
Fig, 48. — Suspension du malade 20
551 —
Fig. 49, ?)0. — Tremblemont morcuriol (Tracés) 233
Fig. 51. — Tremblement (le la maladie de Hasedosv (Tracés) . . . 2Xi
Fig. 1)2. — Attaque hystéri([iie. Attarjue de contrature 2'.V.\
Fig. 53 — — Arc de cercle 253
Fig. 54, 55. — ilystéro-iieurasthéiiie (Sensibilité) 2G3
Fig. 56,57 — — (Champ visuel) 2(ii-
Fig. 5S, 59 — — (Sensibilité) 207
Fig. 60 — — (Champ visuel) 268
Fig. 61. — Attaque de sommeil (Champ visuel) 272
Fig. 62,63. — Tabès et hystérie (Sensibilité) 280
Fig. 64,65. — llystéro-neurasthénie (Champ visuel) 290
Fig. 66,67 — — (Sensibilité) 291
Fig. 68 — -— (Champ visuel 294
Fig. 69, 70 — — (Sensibilité) 295
Fig. 71.-- Hystérie mâle (Contracture) 350
Fig. 72, 73. —Paralysie hystérique (Sensibilité) 351
Fig. 74, 75. — Paraplégie alcoolique (Sensibilité) 387
Fig. 76, 77. — Hystérie mâle (Sensibilité) 396
Fig. 78 — (Champ visuel 397
Fig. 79, 80 -- (Sensibilité) 401
Fig. 81 — (Champ visuel) 402
Fig. 82, 83. — Hystérie, épilepsie et morphinisme (Sensibilité) . . 422
Fig. 84 — — (Champ visuel) . 423
Fig. 85, 86 — Hystérie mâle. Phases de Tattaque 426
Fig. 87 — — — 427
Fig. 88, 89 — — — 428
Fig. 90, 91 — — — 429
Fig. 92. — Morphinisme. Tremblement 431
Fig. 93,94 — — 432
Fig. 95. — Foudre globulaire 439
Fig. 96,97. — Paralysie de foudroyés et hystérie (Sensibilité) . . 454
Fig. 98. — — (Champ visuel) i55
Fig. 99. — Tic convulsif et chorée chronique ^Tracé des mouvements) 466
Fig. 100. — Abasie trépidante (Champ visuel) 477
Fig. 101,102 — (Sensibilité 178
— 552 ^
s.
Fig. 103. — Syringomyélie (Lisions médullaires) 49I
Fig. 104. — Coupe de la moelle normale 493
Fig. 105. — Syringomyélie. Main en griffe 503
Fig. 106, 107 — Sensibilité au tact 504
Fig. 108,109 — Sensibilité à la douleur 505
Fig. 110, 111 — -— àlachaleur 506
Fig. 112. — Thermomètre de surface 507
Fig. 113,114. — Syringomyélie (Sensibilité au froid) 508
Fig. 115. — Syringomyélie 510
Fig. 116,117 — Sensibilité au tact 512
Fig. 118, 119 — — à la douleur 513
Fig. 120, 121 ~ —au froid 514
Fig. 122.123 — — à la chaleur 515
Fig, 124. — Simulation hystérique de la syringomyélie 520
Fig. 125, 126. — Hystérie provoquée par la foudre (Sensibilité). . . 546
TABLE DES MATIÈRES
PUEMIKltl'] Li:ÇON
Pages
1" et 2\ Bâillement hystérique (l)âillenioiit luituiel et l)ùil-
lenient suggéré) \
3°. Dyspnée ou mieux tachypnée hystérique 11
4°. Grand tic convulsif ; coprohilie ; troubles psychiques
concomittants , 13
DEUXIEME LEÇON
1" malade. — Sur un même sujet : sciatique avec défor-
mation spéciale du tronc; à la suite d'un coup reçu sur
le front, neurasthénie et hystérie 19
T malade. — Chorée paralytique chez un enfant de 8 ans;
hérédité arthritique et névropathique 37
TROISIÈME LEÇON
1" malade. — Intoxication par le sulfure de carbone. ... 43
2' malade. — Hémiparaplégie spinale croisée (syndrome de
Brown- Séquard) par lésion traumatique de la moelle
épinière dans sa moitié latérah^ 53
— 554 —
QUATRIÈME LEÇON
Pages.
r. Attaque de sommeil hystérique 63
2°. Amyotrophie par lésion articulaire 72
3°. Deux cas de paralysie faciale périphérique avec
hérédité nerveuse.
Cas n° 1 : père aliéné, grand-père irrégulier, etc.
Cas n° 2 : plusieurs cas de bégaiement et un épileptique
dans la famille 78
4°. Vertige de Ménière : forme chronique et vertige par
accès 80
CINQUIÈME LEÇON
T' malade. — Cas complexe: paralysie spinale infantile, para-
plégie alcoolique, attaques hystéro-épileptiques ... 84
2% S*" et 4° malades. — Paralysie faciale périphérique ... 100
SIXIÈME LEÇON
1\ Choréc aiguë grave chez un jeune homme de 18 ans. Anté-
cédents nerveux héréditaires très accentués. Rhuma-
tisme articulaire aigu dans les antécédents personnels 103
2". « Secousses » servant de prodromes aux accès chez une
jeune épileptique de 15 ans. Rétrécissement du champ
visuel après les accès 117
3°. Hystérie chez un saturnin Agé de 28 ans 121
SEPTrr.ME LRÇiJN
1". Relation (le l'autopsie du sujet atteint de chorée présenté
dans la dernière leçon 127
2". Cas de chorée vulgaire chez une jeune fille àgéede 12 ans.
Hérédité nerveuse et antécédents personnels névropa-
thiques très chargés 130
3°. Cas d'hystéro- neurasthénie survenue à la suite d'une
collision de trains chez un employé de chemin de fer
âgé de 56 ans 131
4". Deux cas de paralysie infantile spinale présentant quel-
ques anomalies 140
HUITIÈME LEÇON
1"" malade. — Cas complexe. Ataxie locomotrice et hystérie loi
2^ malade. — Cas complexe. Hystérie et scléroseen plaques.
A propos de ces deux cas on fait ressortir l'importance
pour le diagnostic de l'étude des troubles oculaires. . . 162
3° malade. — Chorée molle chez un enfant de 12 ans. Héré-
dité nerveuse 171
NEUVIÈME LEÇON
1" malade. — Femme de 47 ans. Autrefois paraplégie par
mal de Pott; la guérison date de vingtans. A l'époque de
la ménopause, apparition d'accidents hystériques, simulant
un retour du mal vertébral et de paraplégie 175
2" malade. — Simulation hystérique du mal de Pott chez un
garçon âgé de 2i ans 1^9
— 556 -
DIXIÈME LEÇON
Pages.
Du traitement de l'ataxie locomotrice par la suspension, sui-
vant la méthode du D' Motchoutkowsky 199
Appendice 218
ONZIÈME LEÇON
T' cas. — Goutte articulaire, puis otite goutteuse; invasion
du \erii^e aôaitrelœsa : diplopie,paralysiefaciale soudaine
transitoire. Le vertige s'établit à l'état permanent. Trai-
tement par le sulfate de quinine à hautes doses long-
temps prolongées 223
2% 3% 4% 5' et 6 cas . — Exemples de maladies de
Basedow présentant certaines particularités intéres-
santes : tremblement, fièvre, paraplégie spéciale dans
la maladie de Basedow. Combinaison de la maladie avec
l'hystérie, l'ataxie locomotrice progressive : 231
DOUZIÈME LEÇON
1" cas . — Accidents hystériques graves survenus chez une
femme à la suite d'hypnotisations pratiquées par un
magnétiseur dans une baraque de fête publique 247
2', 3' et 4' cas . — Un cas de neurasthénie et deux casd'hys-
téro-neurasthénie chez l'homme 256
— 557 —
TREIZIÈME LEÇON
i" malade. — Encore une dormeuse. Réveil produit par la
compression exercée sur la région ovarienne 271
2° malade. — Contraction hystéro-traumatique chez une tabé-
tique 277
3" et 4' malades. — Deux cas d'hystéro-neurasthénie chez
l'homme^ faisant suite aux cas S'' et 4^ de la précédente
leçon. A cepropoSjConsidérationsgénérales sur l'hystéro-
neurasthénie développée chez les individus de la classe
ouvrière 283
QUATORZIÈME LEÇON
Cas d'automatisme comitial ambulatoire • . 303
QUINZIÈME LEÇON
1'' cas. — Crises gastriques tabétiques avec vomissements
noirs 331
2° cas. — Chez un Israélite : paralysie et contractures hysté-
riques développées à la suite d'un repos (sommeil) de
plusieurs heures sur la terre humide 347
SEIZIÈME LEÇON
Un cas d'abasie trépidante survenue à la suite d'une intoxi-
cation par la vapeur de charbon 355
75
— 558 —
DIX-SEPTIÈME LEÇON
Pages.
T' malade. — Nouvel examen du malade atteint d'abasie tré-
pidante présenté dans la dernière leçon 379
2^^ malade. — Chez une femme : paraplégie alcoolique avec
rétractions fîbro-tendineuses 381
3^ et 4^^ malades. — Hystérie et dégénérescence chez l'homme 392
DIX-HUITIÈME LEÇON
r. Amyotrophie spinale progressive survenue à Tâge
de 34 ans chez un homme qui^ à l'âge de 2 ans, avait
été atteint de paralysie spinale infantile 407
"^^ Chez un homme de 24 ans : épilepsie; hystérie majeure et
morphinomanie combinées 419
DIX-NEUYIÈME LEÇON
Accidents nerveux provoqués par la foudre 435
VINGTIÈME LEÇON
l"et 2° malades. — Deux malades étudiées comparativement:
1° Tics généralisés simulant la chorée chronique ; 2°Cho-
rée chronique dite d'Huntington. On insiste sur les
difficultés du diagnostic 463
3% 4° et 5^ malades. — Cas d'abasie : 1° Abasie paralytique
chez un homme de 44 ans; 2° Abasie trépidante chez un
homme de 49 ans; 3° Même forme chez un vieillard de
75 ans 409
550
VINGT ET UNJKMR LEÇON pages
1'' et ^Mnulades. — Casde syringomyélie glioiïialcusc . . . . i87
3' malade. — Simulation hystérique de la syringomyélie . . 51 fi
APPENDICE
/Appendice n" 1. — Hystérie et névrose traumatique 527
Appendice n''2. — Rétractions fibro-tendineuses dans les para-
lysies spasmodiquesparlésionsorganiques spinales dans
les paralysies alcooliques et dans la contracture spas-
modique hystérique (Pied bot hystérique) 535
Appendice n° 3. — Hystérieprovoquéechezl'hommeparlapeur
de la foudre 543
TABLE DES TABLEAUX FIGURES ET FAC-SIMILE
CONTENUS DANS CE VOLUME
A. Tableaux 549
B. Figures, fac-similé et tracés 549
TABLE DES MATIERES 553
INDEX ANALYTIQUE 561
INDEX ANALYTIQUE
Abasie, (Voy. aiif^si Abai^ie-Astasie.) —
(Autosuggestion dans 1'), — choréi-
forme, 365. — Début, 374. — (Des
différents mouvements dans l'), 356,
358, 360. — Diagnostic, 366. — (Ecri-
ture dans Y), 359. — et chorée vul-
gaire, 366. — et hystérie, 366, 375.
— Etiologie,3G6. — ot tabès (diag.),
366.— (Hérédité dans F), 371, 372.—
indépendante de lastasie, 363. —
Mécanisme, 361, 367. — Mécanisme
psychique, 374. — (Mouvements des
membres supérieurs dans 1'), 359. —
paralytique, 470. — Pronostic, 376. —
Variétés, 469.
Abasie trépidante, 356,365, 481. —
Mécanisme, 357,481. — Traitement,
380.
Abasie-Astasie. {Voy. aussi Abasie.) — 360,
471 , ataxique, 366. — Dérobement des
jambes, 364. — Durée, 482. — et hé-
miplégie capsulaire, 477, 479. — et
hystérie, 474, 477, 479, 483. — et
incoordination cérébelleuse, 474. —
Etiologie, 483. — Hérédité, 476. —
Intégrité des autres modes de pro-
gression,473. — Intégrité des autres
mouvements, 472, 445. ~ Mécanisme
de l'astasie, 472. — paralytique, 364.
— Sensibilité, 363. — Spécialisation
à la marche vulgaire, 481. — Va-
riétés, 364, 365, 366.
Absinthisme, 96.
Accès epileptioces incomplets, 2S9. {Voy.
Epilepsie, etc.)
Achard, 71 .
Achromatopsik. — et hystt'iie, 159. 165,
109. — et sclérose en plaques, 165. —
et tabes, 158, 165.
Age dans la ciiorée, 109, HO.
Agrapiiie et abasie, 359.
Alcoolique (Paraplégie). (Voy. Paralysie
alcoolique.) — Tremblement, 232.
Alcoolisme, 84. — Diflicultés de le déceler
chez les femmes, 388. — et concep-
tion, 93. — et épilepsie, 95. — et
hystérie, 35, 99, 288. — et maladies
nerveuses, 93. — Hallucinations,
390. — Rêves, 288, 389.
Aliénés voyageurs, 327.
Amaurose. — de la sclérose en plaques,
164. — hystérique, 164. — tabéti-
que, 158, 164.
Ambul.\toire (Automatisme). ( Voy. .1m-
tomalisme). — Déterminisme, 327.
Amnésie. — dans rcmpoisonnement par
l'oxyde de carbone, 369. — dans la
paralysie alcooliiiue — et choc ner-
veux, 133.
Amnésie traumatique, 317. — et automa-
tisme ambulatoire, 317, — et épilep-
sie, 322.
Amorphinisme (^Périodes d'), 431.
— 562 —
Amyotrophie. {Voy. Atrophie musculaire,
Myopathie.)
Amyotrophie de cause articulaire, ~5, —
Réaction de dégénération, 77. —
Tliéorie, 77,
Amyotrophie spinale progressive de la
paralysie infantile, H4. {Voy. Atro-
phie musculaire.)
Amyotrophique (Paralysie), 70.
Analgésie syringomyélique, 495, 496.
Andrée, 425.
Aphasie (Formes de 1'), 250. — et mutisme
hystérique, 247, 249, 250.
Apoplectiques (Bâillement chez les), 5.
Apoplexie hystérique, 71.
Appareil suspenseur pour le tabès, 204,
sq.
Arago, 443.
Aran, 412.
Argyll Robertson (Signe d') 158, 164,
166 etpassim.
Arithmomanie, 468.
Arsenic, 84.
Arthrites et amyotrophies, 76.
Arthropathies des ataxiques,333. — syrin-
gomyéliques, 498. — tabétiques et
crises gastriques, 336.
Articulaire (Amyotrophie de cause), 75.
{Voy. Amyotrophie.)
Assommoir (L') 88.
AsTAsiE. {Voy. Abasie.)
Atàxie hystérique, 362. {Voy. Abasie.)
AiAxiE locomotrice progressive. {Voy.
Tabès.)
Ataxie sulfo-carbonée, 52.
Ataxie par défaut de coordination au-
tomatique. {Voy. Abasie.)
Atrophie musculaire. — dans Thystérie, 403.
— dans la paralysie alcoolique, 85,
86. — de cause articulaire, 75. —
dans la syringomyélie, 495, 496. —
Diagnostic de l'atrophie syringo-
myélique, 501.
Atrophies musculaires progressives. —
classification, 412.
Atrophies musculaires spinales
progressives. — deutéropathiques,
413. — Symptômes, 414, 415.
Atrophie musculaire progressive et
myopathie, 413. — Diagnostic, 414.
At.r. musc. sp. prog. dans la pa-
ralysie infantile, 91, 144, U"^, 149,
407,416. — Mécanisme pathologique,
418. — Pathogénie, 409, 410. —
Réactions électriques, 411. — Ré-
flexes, 411. — Rôle des cellules des
cornes antérieures, 418. — Sensibi-
lité, 411. — Symptômes, 410. — Va-
leur réciproque des deux éléments
morbides, 417, 418.
Atroph. musc. sp. prog. — Pronos-
tic 419. — Protopathiques, 412, 415.
— Sans lésions médullaires, 413.
Attaques de sommeil. {Voy. aussi Hystd-
rie, Hystérique {sommeil), etc., etc.),
67, 272, 273. — (Alimentation
dans V), 273, 274. — Attitudes pas-
sionnelles, 275. — Début, 67. —
1 Effet de la pression ovarienne, 275.
— 2 EfTel des excitations extérieures,
275. — et attaques, 06, 67. — et ca-
talepsie, 70. — (Grands mouvements
dans 1'), 274, 275. — (Mouvements de
salutation dans le), 67. — Nutrition,
273, 274. — Poids du corps, 273. —
Réveil, 276. — Urines, 273. — Vi-
bration des paupières, 273, 274.
Attaques hystkriques, 7. — (AnUigonismc
entre les) et les accidents locaux, 7.
— transformées, 13. {Voy. HysténCy
Hystériques, etc., etc.)
AUDRY, 194.
Aura é])ileptiquo, 118. — hystéri(iuo, 34.
Automatisme ambulatoire. — Etat men-
tal, 319. — Comitial ambulatoire,
— 503 —
303 sq. — Comitial ambulatoire et
traumatisme, 323. — et amnésie
trauniatique, 317. — hystérique, 32.*).
— et somnambulisiue, 324, — et
somnambulisme provoqué, 32j. —
hystérique (Catalepsie), 326.
Automatisme (Petit), 321.
Automatisme physiologique, 316.
AuTOsuG'iESTiON. — (lans l'abasie, 37o. —
dans les phénomènes hystériques, 375.
AzAM, 133, 326.
B
Babinski, 23, 27, 199, 283, 403, 518, o3o.
Bâillement, 2. — chez les apoplectiques,
5. — chez les morphinomanes, 5. —
(Contagion du), 2, 9. — dans la
grossesse, 5. — épileptique, 5. —
et fièvre puerpérale, o. — hystéri-
que, 2, 7. — imité, 10. — (Méca-
nisme du), 4. — pathologique, o. —
physiologique, 4. — rhythmé, 2. —
(Séméiologie du), 5.
Bacon, 204.
Ballet, 243, 284, 392, 417, 54~.
Barrié, 243.
Barth, 332.
Basedow (Maladie de). — Crises diar-
rhéiques, 233, 236, 240, 241, 335. —
Etat de mal, 239. — Emotions mo-
rales, 234, 236, 239. — et hystérie,
^40. — et tabès, 243. — Examens des
urines, 238. — Exophlhalmie, 233,
234, 236, 239, 241. — (Fièvre dans
la), 237, 238. — Formes frustes, 233,
234. — Goitre, 233, 234, 235, 236, 239,
241. — Hérédité, 236, 239, 241. —
Paraplégie 235, 239, 240, 242. —
Phénomènes oculaires, 235. — Symp-
tômes généraux, 235, 236,240. 241.
— Tachycardie, 233, 234, 235, 236,
239, 241. —Thermophobie, 235,236,
237, 239, 241. — Traitement élec-
trique 239, 240. — Tremblement,
231, 232, 234, 236, 239, 241.
Baumler, 488, 490.
Beard, 259.
Bégaiement (Hérédité dans le), 79.
Berbez (Paul), 401.
Béribéri, 84. —et paralysie alcoolique, 388,
Bernhabdt, 475, 488, 498, 527.
Bertoye, 238.
Bettencourt IIodrigues, 548.
BiOT, 444.
Blépharospasme, 262.
Blocq, 217, 339, 340, 360, 362, 366, 367,
492.
Bonnet, 44.
bouchereau, 369.
Boudin, 435, 443.
Bourdon, 369.
Bourneville, 64, 80.
Briand, 369, 381, 390.
Briquet, 362.
Brissaud, 178, 369, 386.
Brodie, 194.
Bromure de potassium dans l'épilepsie
et l'hystérie, 117, 118.
Brouardel, 84.
Brown-Séquard, 55, 143.
Brown-Séquard (Syndrome de), 56, 61,
62.
Bruit de pointe, 84.
Bruit de talon, 84.
Brunon, 473.
Burlureaux, 118.
BuzzARD, 336, 341. ^
— 564 —
Cancer (Vomissements noirs du), diag-
nostic avec Tabcs, 331.
Canaux semt-circulairks et mouvements
des yeux, 227.
Carpenter, 316.
Carrion, 475.
Cartaz. 345.
Casque neurasthénique, 29.
Catalepsie. — et grand hypnotisme, 70.
— et Sommeil hystérique, 70.
Cathelineau, 69, 238, 273, 275, 421, 428.
cécité verbale, 250.
Centres physiologiques., 359, 360.
CÉPHALÉE NEURASTHÉNIQUE, 136. {Voy. NeU-
raslhénie, Eystéro-Neur asthénie,)
CÉRÉBRAUX (Troubles) dans l'empoisonne-
ment par Toxyde de carbone, 370.
Cervelet (Maladies du) et Abasie, As-
tasie, 474.
Champ visuel (Rétrécissement du), 138. —
dans la Sclérose en plaques, 165,
166. — dans l'Epilepsie et l'Hys-
térie, 423. — dans l'Epilepsie, 31,
119, 423. — (Uétrécissement perma-
nent du champ), 31, 32, 50. Rétré-
cissement temporaire du champ),
32. — dans l'Hystérie, 165 etpa.«s2m.
— dans le Tabès, 159, 165.
Charcot, 35, 54, 179, 277, 362, 418, 487,
501, 527, 533, 534.
Choc NERVEUX. {Voy. Shock.)
Chorée (Gh. vulgaire, Ch. de Sydenham)
{Voy. aussi Chorée chronique, Tic),
7, 14,37, 130.— (Délire dans la),
106. — Diagnostic avec Abasie, 366,
— Emotionnelles, 111. — et dégéné-
ration physique, 131. — et gros-
sesse, 110, — et Rhuniutisme arti-
culaire, 104, 113, 114, 130. - et Tic
convulsif, 44, 464. — Etat de mal,
113, 239. — (Etat mental dans la),
405, 444, 430. — Fièvre, 106, sq.
Chorée grave, 103. — Autopsie, 128.
— (Causes de la mort dans la), 112.
— Complications dans la), 108. — Etat
mental dans la, 111. — et Etat de
mal épileptique, 113. — Fièvre dans
la, 106, sq. — Hérédité dans la, 111.
Intensité des mouvements, 111. —
Mort dans la, 127. — Fréquence de
la mort dans la, 109. — Phénomènes
généraux, 108. — Pronostic dans la
108. — Soubresauts des tendons
dans la, 108, 111.
Chorée . — gravide, 110. — Hérédi té
dans la, 40, 111, 114, 115, 131, 172.
— Idées de persécution dans la, 405.
— (Langue dans la), 38.
Chorée molle, 38, 108. — Parole,
171. — Réflexes, 171. — Termi-
naison. 39.
Chorée. — (Mort dans la), 103. —
Mouvements, 104.— (Mouvements in-
tentionnels dans la), 130. — (Mouve-
ments volontaires dans la), 105. —
(Pronostic dans la), 103. — Suivant
les âges, 109, 110. — Paralytique ou
molle, 38, 171. —(Troubles de la
parole dans la), 38, 104.
Chorée chronique, 109. — et Chorée de
Sydenham, 467.
Chorée chroni(iue et Tic convul-
sif. — Coordination des mouve-
ments, 467.— Début, 468. — Mou-
vements, 465. — Séméiologie des
mouvements, 466. — Pronostic, 469.
Chorée d'huntington. {Voy. Chorée chro-
nique).
CnoRÉK RHYTHMÉE. — Démarchc, 357. —
Rhythme et cadence dans la, 5.
Classe ouvrière (Pronostic des maladies
nerveuses dans In), 261.
Clinique (de la Méthode), 25.
COMBEMALE, 94.
Commissures de la moelle (Rôle). 494, 499.
— 505 --
Commotions prémonitoires de TEpilepsie,
H8.
CoNCEPTroN (Etat mental pendant la), 03.
CoNTRAnTURE. — (Attaqucs de), 2')\, 2.j2.
— Hystérique, ^MO, ;i40 sq. — Hysté-
rique et rétractions tendineuses,
o40, sq. — Hystérique et rétractions
filjro-tcndineuscs (Opportunité de
l'intervention chirurgicale), o42. —
(Opporlunité de), 178. Spasmodiques
et contractures retractilcs, 537. {Voy.
ausfii HyUérle, etc.)
CoPROLALiE, 15, 408. - et Echolalie, io.
CORDIER, 146.
Cornes postériecres (Rôle des), 494.
COTLGNO, 24.
Crises gastriques du tares {Voy. aussi
Tabcs), i:;0, 331, 333, 346. — Ana-
tomie pathologique, 33G. — Avec
vomissements noirs, 342, 343, 344.
— Chimie des vomissements dans
les crises gastriques, 334. — Crises
gastriques de longue durée, 340. —
(Diagnostic), 339. — et arthropa-
thie, 336. — et crises laryngées,
336, 345. — et douleurs fulgurantes,
333, 334. — et suspension, 202. —
Périodicité, 335,341. — Phénomènes
généraux, 335. — (Pronostic), 344.
— (Symptomathologie), 334. — (Ter-
minaison), 336.
Cruveiliiier, 412.
Cubital (Douleurs du nerf), 155, 278.
Cyon, 227.
Damaschino, 90.
de beau vais, 369.
Debove, 71, 121, 337, 338, 410, 488, 502,
506, 509.
[)EGH ambre, 446, 449.
Dégénération physique et Chorée, 131.
DÉGÉNÉRÉS 93, 392. — Stigmates psy-
ctiiques, 10.
DÉGÉNÉRESCENCE et Hyslérie, 392, 393, 399.
DÉJERiNE, 101, 144, 445,414, 416, 488, 501.
Delasiauve, 64, 313.
Deleau, 22 .
DÉLIRE dans la Chorée, 106. — dos fou-
droyés, 449.
Delpech, 43, 44, 45, 49, 51, 52.
Démange, 336.
DÉMARCHE. — dans le Vertige de Méniére,
228. — dans les paralysies toxiques,
84. — du Stoppeur, 83. — et Sus-
pension, 210,211, 212,213, 214, 216.
— rabétique,84, 157, — Tabétiqueet
Suspension, 201.
DÉROBEMENTDES JAMBES daus lo Tabcs, 157.
Deséquilibrés, 16, 93, 349,
déterminisme amrulatoire, 327.
Diarrhée. — dans la maladie de Basedow,
233, 236, 240, 241, 335. — dans la
morphinomanie, 432.
DÉTERMINISME cu pathologle, 152.
DiCKINSON, 109, 110.
DiiT.opiE. — de la Sclérose en plaques, 164,
100. — de l'Hystérie, 104, 200. — du
Tabès, 104. — et Vertige de Méniére,
220. — Monoculaire, 32.
Dissociation de la sensibilité, 495, 490,
Dormeuses. — {Voy. attaques de sommeil),
03.
Double personnalité. 327.
Douleurs. — dans la paralysie alcoolique,
87. — en ceinture, 153. — Fulgu-
rantes et crises gastriques, 333, 334.
Douleurs fulgurantes, 154. — Fulgu-
rantes et suspension, 211, 213, 210.
Douleurs goutteuses, 224.
Dreschfeld, 475.
— 566 —
Dubois (Paul), 336.
Dubois, 156.
DUCHENNE DE BOULOGNE, 43, 412, 47o, oOl.
DUPONCHEL, 327.
DuTiL, 339, 410, 417, 419, 466, 535, 543.
DYNA.MOMÉTRIQUE (Éxamen) dans la Neu-
rasthénie, 29.
Dyspepsie neurasthénique, 136.
Dyspnée hystérique, 11.
ECHEVERRIA, 324.
ECHOKINÉSIE, 468.
ECHOLALIE, 15, 468.
Ecriture dans l'abasie, 359.
Edwards, 68.
Effondrement des jambes, 157.
Electriques (Réactions). — dans la para-
lysie alcoolique, 86, 383. — dans la
paralysie infantile, 143. — (Traite-
ment) de la maladie de Basedow,
239, 240.
Electro-pronostic et paralysie faciale,
101.
Enfants du siège, 116.
Epilepsie. — Accès, 421. — Alcoolique, 95.
— A secousses interparoxysmales,
117. — Aura, 118, — Automatisme
ambulatoire, 303 sq. 310, 320 sq.—
(Bâillement dans 1'), 5. — (Champ
visuel dans 1'), 31, 119, 423. — Etat
de mal, 113, 239. — Etat mental,
321. — Composition de Turine après
l'attaque, 421. — et Amnésie trau-
matique, 322. — et Alcoolisme, 95.
— et Rétrécissement du champ vi-
suel, 3i.
Epilepsie et Hystérie.— Différence
des attaques, 424. — (Indépendance
del'). 424.
Epilepsie. — et traumatisme, 322.
— Hystérie et bromure de potas-
sium, 117, sq. Epilepsie, hystérie et
morphinomanie, 420, sq. — Par
cellaire, 118. — Petit automatisme
321. — Petit mal 314. — Secousses
interparoxysmales, 117. — (Secous-
ses prémonitoires des accès dans 1'),
118. —Tardive, 309.
Epileptique. — Automatisme ambulatoire .
— et traumatisme, 323. — Délire post
convulsif, 320. —Etat de mal, 113,
239. — Vertige, 34.
Epileptiques. — (Accès) incomplets, 289.
— (Actes de violence des), 312. -
(Délits commis par les), 321. —
(Etat mental des), 321.
Erb 101, 102, 225, 414, 501.
Erb (Point d'), 14.
Erichsen, 288.
Erlenmeyer, 362.
Espèces morbides (Association des), 152.
— (Fixité des), 151.
Etat de mal. — choréique, 113, 239. — de
la maladie de Basedow,239.
Etat de mal épilçptique,113,239. —
(Mort dans 1'), 113. — et chorée
grave, 113.
Etat de mal hystérique, 68.
Etat mental. {Voy. Mental [Etat.)
EULENROURG, 164, 166.
Euphorie (Périodes d'), 431.
Extenseurs (Paralysies des), 84.
Facial (Trajet du nerf), 225.
Faciale. — Paralysie (Voy. Paralysie fa-
ciale).
Falret, 321, 323.
Faisceaux postérieurs (Rôle des), 494.
Feltstrom, 449.
- 567 —
Feré, :;, 179, 277, :{20.
FiiJuiLLAiREs (Secousses) et paralysie fa-
ciale, 101.
Fièvre. — Dans la chorée, 100 sq. —
Dans la maladie de Basedow, 237,
238. — RhumPctismalc et chorée. 114.
FiNKELSTEIN, 110.
Foudre. (Foy. fulguration). — (Accidents
déterminés par la), 435. — agent pro-
vocateur de riiystérie, 4o8, o43, sq.
— en zig-zag, 444. — globulaire, 445.
Foudroyés (Délire des), 449.
FouRNiER, 333,339, 340,
Fraenkel, 234.
Freud, 488.
Frey, 143.
Friedreigh (Maladie de). — et suspension,
217, 220, 221. — Nystagmus, 164.
Froid. — et paralysie faciale, 100.
Fulguration. — (Amnésie dans la), 444. —
(Etat mental à la suite de la), 448. —
et hystérie, '143, o4V). — Hystérie et
neurasthénie, 457. — (Lésions pro-
duites parla), 4^6, 447.
Fulguration. — (Paralysies par),
436,441,446, 448, 449. — à distance.
451. — Début,450.— Durée, 452. —ex-
périmentale, 450. — Formes, 451. —
Siège, 451. — Symptomatologie, 450,
451.
Fulguration partielle, 444.
Furstner, 488.
Gabard, 444.
Galien, 57.
Galli (Ignazio), 445, 446, 447, 448.
Galton, 260.
Gastillier, 451. •
GA-5inAi.'.ini;ts (Crises). Vw/. Crises fj'i--
triijues.
Gkllé, 170, 227.
Gknu recl'rvatlm, 73.
Gmjier de Savigny, 459.
Gilles delà Tourktte, 15, IC. 65,69, 201,
238, 27.3, 275, 421, 428.
GdJARD, 360.
GiVI.NG WAY OF THE LEGS, 157.
GlIOMATOSE MÉDULLAIRE, 490.
Gnauck, 16i, 166.
Goitre Exophthalmique. — Voy. Basedow
(Mal. de).
Gombault, 498.
Goutte. — Douleurs, 224. — Otite, 224.
GowERS, 182, 321.
Grasset, 363, 365, 499.
Graves, 336.
Grossesse et bclillement, 5. — et chorée,
110.
G LINON, 16, 37, 110, 161, 287, 460.
H
Hack Tuke, 324.
Hallopeau, 490.
Hamlet, 5.
IIansen, 255.
Heinemann, 119.
Hémiparaplégie spinale avec hémianes-
thésib ci'oisée (syndrome de Brown-
Séquard), 56, 59.
HÉMIPLÉGIE. — (Facial inférieur dans 1').
48. — llémianesthésio dans F), 47.
HÉMIPLÉGIE CAPSULAIRE et abasicastasie.
477, 479.
HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUB, 262. — {Voif. HyS-
ttU'ir.)
568 .—
HÉMISPASME GLOSSO-LABIÉ, 49.
HÉRÉDITÉ. — alcoolique, 88.— dans TAba-
sù,371, 372. — dans l'Abasie trépi-
dante, 476. — dans la chorée, 40,
111, 114, 115, 131, 172. — dans la
chorée grave, 111. — dans le bégaie-
ment, 79. — dans l'hystérie, 6, 3.'j,
541. — dans Thystéro neurasthénie,
261, 286, 296, 297, o28. —dans la
maladie de Basedow, 236, 239, 241.
— dans la neurasthénie, 35. — dans
la paralysie faciale, 78, 101, 225 —
dans la paralysie infantile, 144,146,
408. --dans la syringomyélie, 502.
— nerveuse, 6, 92, 420. — nerveuse
des juifs, 11.
Herpin, 118, 289.
HiRTZ, 536.
Hoffmann (.1), 334.
Hoquet, 6.
hughlings jackson, 226, 321.
Hughes, 109.
HuNTiNGTON (Chorée d'). (Voy. Chorée
chronique).
HUTINEL, 45.
Hydromyélie, 490.
HyPEREXCITABILITÉ NEURO -MUSCULAIRE, 70.
Hyperesthesie, dans la paralysie alcoo-
lique 86, 87.
Hypnotisme, 52, — Contagion, 254. —
(Dangers de T), 247. — et Hystérie
mâle, 100, 380. — Période de léthar-
gie, 70. — (Restriction de V),
255. — Somnambulisme provoqué,
et automatisme ambulatoire. 325
Hypnotisme (Grand). — Bâillement imité
dans le grand, 10. — et Catalepsie,
71. — (Etat psychique), 10. — (Le
moi dans le), 10. — Phénomènes so-
matiques, 10. — Pouvoir d'inhi-
bition, 10. — (Simulation et illusion,
dans P), 10.
Hysteria Major, 32.
Hystérie. {Voy. aussi, Attaques de som-
meil, hystérie mâle, hystéro-neur as-
thénie. Champ visuel, Contractures,
rêves, etc., etc. Hérédité}. — Achro-
matopsie, 158, 165, 169. (Agent pro-
vocateurs de 1'), 48, 121, 197. — Amau-
rose,amblyopie, 164. — (Antagonisme
entre les attaques et les accidents
locaux), 7. — Atrophie musculaire,
403. — (Attaques), 7, 195. {Voy.
aussi Attaques). — Attaques de con-
tractures, 252. (Voy. Contracture). —
Mlei^ques de sommeil. {Voy .Attaques) .
— Attaques transformées, 13. — Au-
tomatisme ambulatoire, 325. — (Bro-
mure de potassium dans 1'), 118. —
(Bruits laryngés dans 1'), 4, 6. —
(Cadence des accidents), 5. —
Champ visuel, 31, 159, 165, 423. —
Chez les misérables, 285. — Compres-
sion ovarienne, 275, 276. — Conta-
gion des accidents hystériques, 11.
Hystérie. — Contracture avec ré-
tractions tendineuses, 540 sq. — Con-
tracture avec rétractions fibro-tendi-
ncuses, opportunité de l'interven-
tion chirurgicale, 542. — Contrac-
ture chez une tabétique, 278, 279.
Hystérie. — Crises d', 161. — Dans
l'armée allemande, 425, — Dans
l'empoisonnement par l'oxyde de
carbone, 370. — (Déterminisme dans
Y), 272. — Diplopie, 164, 266. —
Dormeuses, 63.
Hystérie. — etabasie, 366,375. —
et Abasie, astasie,474, 477, 479, 483.
et abasie trépidante, 474, 477, 479,
483.
Hystérie et alcoolisme, 35, 99, 288.
— Rêves, 389.
Hystérie. — épilepsie et morphino-
manie, 420, sq. — et Choc nerveux,
132. — et Dégénérescence, 392, 393,
395, 399, 400. — et Epilepsie (diiïé-
rence des attaques), 424. — et épi-
— 569 —
lepsie (Influence du bromure do
Pot.), 322.
Hystérie et mal de Pott, i80, 180,
sq., 194. — Douleurslornbîiiros, 100.
— Sensibilité du rachis à la pression,
192. — Stigiimtcs, 186, sq., i02.
Hystérie. — et mal. de Hasodow,
240. — et saturnisjiK;, 121, sq., —
et sclérose on plaques, 162.
Hystérie et syringomyélie. — (Dia-
gnostic), 480. —Sensibilité, .ïl6, 517.
— Trouble? sensitifs, 407. — Troubles
trophi(iues, ;vl8, 510.
Hystérie et Tabès, 161, 277, sq.,
281. — Rénexes, 282. — Stigmates,
281,282.
Hystérie. — et tics, 15, — et trau-
matisme, 30. — et Utérus, 37. — (Etat
mental, dans 1') 188, 533.— Etourdis-
sements, 280. — Fugues, 325. —
Grande hystérie. — 06. — (Hérédité
dans l'), 6, 35, 541. — (Influence du
sommeil sur les accidents), 4, 12. —
La misère cause de l'hystérie, 403.
— Locale, 6. — Monosymptomatique,
6,13.— (Multiplicité de l',) 107. —
Neurasthénie et fulguration, 457.
Hystérie provoquée par la foudre,
457, 543 sq. — Paralysies dans
l'hystérie par fulguration 453, sq.
456, 457, 450,460.
Hystérie.— phases de l'attaque, 166.
— Phénomènes laryngés, 7. — Po-
lyopie monoculaire, 166. — Pres-
sion ovarienne, 275, 276. — Pro-
nostic, 0. — (Uachialgie dans T),
153. — lléves, 202, 204, 380. —
Rhythme dans les accidents, 5. —
sénile, 162. — Spasme glosso labié,
40. — Stigmates, 8, 13, 31, 32, 36,
07, 123, 166, 106, 273, 350, 351, 421
sq. — Symptômes oculaires, 163. —
Thermo-anesthésie, 517, 510. —
Traitement des contractures, 282. —
Transfert, 283. — Tremblement, 471,
472. — Troubles trophiques, 510. — •
(Unité de T), 36, 121. — Variâtes des
formes, 470 ^'\. — Vomissements
272, 273.
Hystéhie MALE, .36, 48, 100, 419 sq. 458,
450, 522, 533. — Attaques, 425. —
Hlépharospasme, 262. — dans la
classe ouvrière, 50. — Diplopie,
266. — (Etat mental) 50. — et
Hypnotisme, 100, 380. — Eliolo-
gie, 284. — Hémiplégie, 266. —
(Pronostic de l' , 52. — Stigmates,
263, 267, 268. — Héves, 51, 265, 268,
352. Spasme glosso-labié, 262. —
Stigmates, 263.
HvsTÉRiouK. — Apoplcxie,71. — Aura, 34.
— (Automatisme ambulatoire) et
catalepsie, 326. — Autosuggestion
dans les phénomènes, 375. — Bâille-
ment, 2, 7. (Voy. aussi Bâillement).
— Contracture, 349, 540 sq. —
Dyspnée, 11, — Etat de mal, 68,
— Hémiplégie. 262. — Mutisme,
247, 248. — (Mutisme) et aphasie,
247, 240, 250. — Nutrition dans l'at-
taque de sommeil, 60. — Paralysie,
521. — Paraplégie (diagnostic avec
l'abasie , 366. — (Périodes de la
grande attaque), 33. — (Signe de
Todd dans l'hémiplégie). 268. — -
Sommeil (Vo/y. .\ttat/iies île sommeil).
(Sommeil) et catalepsie, 70. — (Som-
meil) et léthargie, 70. — (Sommeil)
et points hystérogènes, 66. — (Som-
meil) et sommeil naturel, 65, 69, 70.
— Sommeil (mouvements de salu-
tation), 67. — (Somnambulisme) et
somnambulisme spontané, 326, —
Tachypnée, 12. — Toux, 4, 7. —
— Tremblement, 471, 472.
Hystéro-ej-ilepsie;, 32. — A crises sépa-
rées, 424. — (Signification du
terme), 425.
Hystérogènes. — (Points) dans le som-
meil hystérique, 66. — Zones, 33.
Hystéro-neurasthéme {Voy. aussi hys-
t>rii\ hystà'ie mâle, hystiiiqur. Ufii-
570 —
rasthénic), 31, 35, 51, 269, 283. —
Attaques, 294, 205, 530. — Carac-
tères, 36. — Casque, 291, 293. —
Causes psychiques, 292, — Céphalée,
530, 532. — et névrose traumatique,
298. — et traumatisme, 36. — Etat
mental, 532. — Etiologie, 284, 292,
296, 297, 529. — Hémiplégie, 293,
294. — Hérédité, 261, 286, 296, 297,
528. — Ordre d'apparition des deux
névroses, 293. — Profession, 284.
— Rêves, 288, 529, 534. — Sexe,
284. — Spasme glosso-labié, 293. —
Stigmates, 289, 294, 531, 532. — Ta-
bleau synoptique, 293, 299. — Trem-
blement, 530, 531.
Hystéro-traumatique. — Paralysie, 352. -
Mécanisme, 62, 352,
I
Ictus laryngé, 346.
Impuissance. — neurasthénique et sus-
pension, 217. — non tabétique et
suspension, 203. — tabétique. (\^o//.
Siispenfiion.)
iNmBiTioN . — (Faculté d'),10. — (Pouvoir d')
dans le grand hypnotisme, 10.
Intellectuel (Surmenage). — et maladies
nerveuses, 03.
Ischias arthritica, 25, 27.
isghlvs nervosa, 24.
Ischias nervosa antica, 25.
Ischias nervosa postiga, 25, 27.
Ivresse (Etat mental dans 1'), 50,
Jaccoud, 110, 361.
Jean, 336.
JoFFROY, 54, 243, 490. 511.
Jouet, 432.
Juifs. — (Hérédité nerveuse chez les), 11
Névropathie des, 348.
Kaempfen, 319.
Kahler, 182, 487, 488, 496, 520.
Kelsch, 339, 340.
Kennedy, 143.
Kerauno paralysies, 436,
Keser, m.
Kirghner, 230.
Klippel, 77.
Knoblauch, 425.
Kragenh\ff, 449.
Lachèze (de), 37.
Lancereaux, 369, 386, 540,
Landouzy, 25, 414, 416.
Langage (Matériel de la faculté du), 250.
Langue dans la chorée, 38.
Lannelongue, 180, 182, 191.
Lannois, 334.
Laryngés (Bruits), — chez le liqueur, 15.
— dans l'hystérie, 4, 6.
Laryngées (Crises) tabétiques, 345, 346. —
et crises gastriques, 336.
Laryngés (Phénomènes), hystériques, 7.
— et attaques, 7.
Lasègue, 24, 25.
Lear (le roi), 93.
Legrand duSai'LE, 64.
LÉO, 227.
LÉPiNE, 334,421, 428.
Léthargie. — et sommeil hystérique, 70. —
(hypercxcitabili té neuro-musculaire
dans la), 70.
Leucomyklic»ues (Symptômes), 495.
Leudet, 108, 369.
— 571 —
Leyden, 337, 338, 527,
LlNSLEY, 449.
LiTTEN, 370.
Lorrain, 176.
LucAE, 230.
LuYs, 89.
M
Magnan, 10, 9y, 06.
Mairet, 94, 421, 428.
Mal coMiTiAL (Voy. Epilepsie).
Manie hypnotisante active, 254.
Marche (Voy. aussi Démarche). — (Méca-
nisme de la), 3o8.
Marche trépidante (Mécanisme), 357.
Marc Stella, 449.
Marey, 12.
Marie, 45, 46, 50, 68, 84, 232, 233, 285,
393, 491.
Maroc (Hérédité chez les Juifs au), 11.
Marquez Y, 392.
Marshall (John), 200.
Mathieu, 139.
MÉHU, 443.
Mémoires partielles, 360.
Ménière (Vertige de) (Voy. Vertige deMi^-
nière) .
Mental (Etat) (Voy. aussi Psychique). —
dans l'automatisme ambulatoire, 319.
— Dans la chorée, 105,114,130. —
Dans la chorée grave, 111. — dans
la fulguration, 448. — Dans l'hys-
téro-neurasthénie, 532. — Dans
l'ivresse, 50. — Des épileptiques, 321.
— Des hystériques, 188. — Des hys-
tériques mâles, 50.
Mercati, 255.
Mercuriel (Tremblement), 232.
Mes.net, 326.
MicnAUD, 179, 180, 182.
.Miction et suspension, 210, 212, 213,
214,216.
MlERZEEVVSKI, H 9.
Mili.jtti, 64, 68, 3G2.
MisKHE et liystérie inàle, 285.
MoBns, 235.
Moelle épinière. — Compression, 179,182.
— (Hémisection de la),o4.— Localisa-
tions pathologiques, 493. — (Piqûres
de la), 55. — (Traumatismes de la), 53.
Moi (le) dans le grand hypnotisme, 10.
MoRAx, 257.
Morbides (Espèces) (Voy. Espèces).
MoRPHiNOMANiE. — Descdption, 430, sq. —
Diarrhée, 432. — Hystérie, epilepsie,
420 ^sq. — Importance des périodes
au point de vue diagnostic, 433. —
Périodes d'amorphinisme, 431. —
Périodes d'euphorie, 431, — Sueurs,
432. — Traitement, 433. — Tremble-
ment, 431.
Morphinomanes (Bâillements chez les), 5.
Mort. — dans la chorée, 103, 108.— Dans
la chorée grave, 109, 112, 127.— Dans
l'état de mal épileptique, 113.
MORVAN, 408.
Morvan (Maladie de), 498.
MoTCHOUTKOWSKY, 199, 200, 201, 202.203,
204, 216, 217.
Motet, 320, :322,323.
Mouvements. — Dans la chorée, 104. —
Dans la chorée chronique, 465, 466.
— Intentionnels dans la chorée, 130.
— Mécanisme dos, 367. — (Mémoire
organique des) 367.— (Mémoire psy-
chologique des), 367. — Volontaires
dans la chorée, 105.
Mouvements automatiques physiologiques
chez les tiqueurs, 14.
572
MûLLER, 54, 59, 60.
Musculaire (Atropnie) ae cause articu-
laire, 75.
Mutisme hystérique, 247, 248,249,250.
Myélite cavitaire, 490. — Diffuse chro-
nique et suspension, 204. — Trans-
versedu MaldePott, 182.
M.Yo?A.THïEs{Voy. aussi atrophie musculaire
progressive). — et Atrophie luusculaire
progressive 413. — Diagnostic, 414.
Myopathies primitives, 414. — Etiolo-
gie, 414. — Réactions électriques,
415. — Symptômes, 415. — Type sca-
pulo-huméral, 414.
Myosis. — Dans la sclérose en plaques,
164.
N
Nacrée (Papille du tabès), 164.
Nerveuses (Maladies). — et rhumatisme,
114. — et Traumatisme, 30.
Neumann, 78, 79, 101, 224, 225.
Neurasthénie, 29 {Voy. aussi hystéro-neu-
rasthénie). — Cérébro-spinale, 438. —
Dans la classe ouvrière, 256. — et choc
nerveux, 132, 139,260. — ethystérie,
31. — et hystérie (Hérédité) 261. —
et surmenage, 29. — et surmenage
intellectuel, 260. — et traumatisme,
30.
Neurasthénie. — • Etiologie, 29,
136.— Examen dynamométrique, 29.
— Fonctions génitales, 137. — Force
dynamométrique. 137. — Hérédité,
35. — Hystérie et fulguration, 457.
— Pronostic, 261. — (Symptômes- de
la), 136,258.— (Traumatismes et), 288.
NeurasthÉiNique. — Casque, 29.— Cépha-
lée, 136. — Dyspepsie, 136. — (Im-
puissance) et suspension, 217.
Nkuropallie, 37.
Névralgie (Caractères différentiels des),
24.
névrite optique, 164, 165, 166.
Névrites Périphériques, 85, 384.
NÉVRO.SE sulfo-carbonée, 44.
Névrose traumatique, 36, ^1, 527, sq. — et
hystéro-neurasthénie mâle, 298,
Nicoladoni, 22.
Nothnagel, 450, 458, 475.
Nu (de l'étude du) en pathologie, 20.
Nutrition pendant l'attaque du sommeil,
69.
Nyst.vgmus, 164, 170.
Ogolaire (Mouvements du globe). — et
canaux 1/2 circulaires, 227.
Oculaires (Symptômes). — du tabès et sus-
pension, 201, 202, 211, ".^12. — (Symp-
tômes) dans riiystérie, 163. — Dans
la maladie de Rasedow, 235. — Dans
la sclérose en plaques, 163. — Dans
le tabès, 163.
Ollive (D"- g.), 39.
Ollivier p'angers, 487.
Onanoff, 200, 204.
Onimus, 460.
Ophthalmologie en pathologie nerveuse,
152.
Oppenheim, 119, 288, 336, 423, 488,527,
533, 534.
Optique (névrite), 164, 165, 166,
Optiques (atrophie des nerfs) dans le ta-
bès, 158.
Otite goutteuse, 2?.4. — cl Paralysie fa-
ciale, 225. -- Pathogénie, 225.
Ovarienne (Effet de la pression), sur les
phénomènes hystériques, 275, 276.
— 573 —
Oxyde de carbone (Accidents provofjués
par V), 31)5. — (Amii/^sie dans l'c^ni-
poisonnement par rj,360. — (Anes-
thésie dans Tempoisonnoment par
T), 369. — (Coma dans l'onipoison-
nement par V), .160. — (Hystérie
causée par 1'), 370. — (Paralysie
dans rompoisounernent par 1'), 370.
— (lUimollisscment cérébral dans
rempoisonnement par 1'), 370. —
(Troubles cérébraux dans l'empoi-
sonnement par 1'), 370. — (Troubles
trophiques dans Tempoisonnement
par T), 370.
PaCHYMENINGITE cervicale HYPERTROPHIOfE,
536. — et syringomyélie, 511. —
et syringomyélie (diagnostic). 502. —
Pathogénie, 536. — Uétractions ten-
dineuses, 537, 538. — Traitement
des rétractions tendineuses, 538
PaghymÉxNingite par Mal de Pott (lésions),
182.
Page, 30, 288.
Paget, 194.
Panaris analgésique (Mal. de Morvan),
498.
Paimlle tabétique, 164.
Paralysie agitante. ( V^o//. P^rA'wson (ma-
ladie do).
Paralysie alcoolkjuk. — (Amnésies dans
la), 380. — Diagnostic, 388. — Dou-
leurs, 87. — et névrite périphérique,
385. — et rétractions libreuses, 385.
— et tabès, ;{88. — llypcresthésie,
386. — (Lacunes dans la mémoire
dans la), 380. — Pied tombant, 382.
— Pronostic, 301. — Réaclions élec-
triques, 383. — Réflexes, 86. — Re-
tard dans les sensations, 388. —
Rétractions tendineuses, 382, 530. —
(Rêves dans la), 380. — (Sensibilité
dans la), 386. — Troubles bulbaires,
301. — Troubles thermiques, 85. —
Troubles trophiques, 383, 384, .386,
540. — Troubles vasomoteurs, 8Ô.
Paralysie amyotrophique, 16.
Paralysie choréiql'e, 38.
Paralysie faciale, 78, 100. — Electro-
pronostic, 101. — et otite, 225. — et
vertige de Ménière, 226. — (Froid
dans la), 225. — (Hérédité dans la),
78, 79, 80, 101, 225. — Périphérique,
102, 225. — (P.r-onostic de la), 79,
101.
Paralysie générale. — et paralysie infan-
tile, 144, 145. — Tremblement, 232.
Paralysie hystérique. — Paraplégie, etc*
( Voy. hystérie, hystérique^ hystéro-neu-
rasthénie, efr., etc.
Paralysie infantile. — 38,91, 140. (Amyo-
trophic de la),144, (Foy.rtwssi atrophie
musculaire).— (Début), 147, 149. — et
amyotrophie spinale progressive
{Voy. aussi atrophie musculaire), iOl.
— et paralysie générale, 144, 145.
— (Electro-pronostic), 143. — Frac-
tures pontanées 409. — Hérédité,
144, 146, 408.— (Infirmités résul-
tant de la), 143. — (Lésions de la)
141, 142, 408.— Période de répa-
ration, 143. — Réactions électri-
ques, 143. — Symptômes, 142. —
Troubles Irophiciues, 143, 144, 409.
Paralysie par fulguration et hvstérie
453 sq. 456. 457, 459, 460.
Paralysie sensitive partielle, 295.
Paralysies des extenseurs, 84.
Paralysies des foudroyés, 463. ( Voy. aussi
Fulguration).
Paralysies et productions cellulo-fi blou-
ses, 384, 385.
Paralysies psychiques, 281. — sensibilité,
281. •
574 —
Paralysies toxiques, 84, 344, 376.
Paralytique.— Abasie.470.— (Abasie) et
trépidante, 364. — Ghorée, 38, 171.
Paraplégie.— alcoolique, 85. (Voij. aussi
paralysie alcoolique.) — Dans la
maladie de Basedow, 235, 239, 240,
242. — du Mal de Pott. {Voy. Pott.)
Paraplégie spasmodique. — Dé-
marche,356— Diagnostic avec abasie,
366. — Rétractions tendineuses, 538.
— (Suspension dans la), 204, 220.
Parinaud, 98, 158, 159, 164, 257, 423.
Parkinson (Maladie de). — et suspension,
220,221.
Parole. — dans la chorée, 38, 104. —
dans la chorée molle, 171.
Peacook, 110.
Peltier, 446.
Persécution (Idées de) dans la chorée,
105.
Période préataxique du tabès, 333.
Personnalité (double), 327.
Petit mal épileptique, 314.
Physiologie pathologique, 359.
PiCK, 182.
PiDOUX, 176.
Pied tombant, 85, 382.
PlERRET, 336, 499.
PlORRY, 37.
Pitres, 7, 15, 283, 326, 340, 517.
Planté (Gaston), 445, 447.
Pline, 443, 444.
Pneumonie des viellards, 112.
Pointd'Erb, 14.
Policlinique (lîut de la), 1.
Poliomyeliques (Symptômes), 495.
PoLYOPiE monoculaire, 32, 166.
Pott (Mal de). — (antécédents dans le),
190. — Compression de la moelle, 179,
182. — Difficulté du diagnostic au
début, 189,191.
Pott (Mal de) et hystérie. — Dou-
leurs lombaires, 190. — Sensibilité
du rachis à la pression, 192.— Stig-
mates, 186, sq., 192.
Pott (Mal de). — Rétractions ten-
dineuses, 539. — (Lésions de la pa-
chyméningite par mal de), 182. —
Myélite transverse du, 182.
Pott. — (Paraplégie par mal de),
175,176.— Guérison, 177. — Réflexes,
178. — Trépidation spinale, 178. —
Pathogénie de), 179. — (Symptômes
de), 183.
Pott (Mal de). — Simulation hys-
térique 189 sq., 194. — Symptômes,
176. — Symptômes pseudo-névral-
giques, 181. — Symptômes radiculai-
res, 182. — Traitement, 177.
POWELL, 110,
Préataxique (Période) du tabès, 156.
Prévost, 141.
Progression (Variétés de mécanisme des
mouvements de), 356, 358, 359.
Psychique (Etat). — {Voy. aussi Mental
{Etat). — dans le grand hypno-
tisme, 10. — des tiqueurs, 13, 15, 17,
464.
Psychique. — (Mécanisme) de
TAbasie, 374.
Psychiques. — (Causes) do Thystéro-neu-
rasthénie. — (Modifications) dans le
tic convulsif, 464. — Paralysies, 28 1 .
— (Stigmates) dans le tic, 16. —
(Troubles) chez le liqueur, 13, 15 17;
— dansla chorée grave, 111 ; —dans
la fulguration, 448.
Puerpérale (fièvre). — et bâillement, 5.
Pupillaire Inégalité dans le tabès, 158.
Putnam, 499.
Quatrefages (de), 452.
;>7.j
HACiiiAtj;!!;, lo3.
Hachis (Mol)ilité du), 101.
]{\iL\v\v lut AIN, 30, 1:M, 139.
Hailway spine, 30, 131, 288, 207, :i27.
Ramollissement céiiébral dans l'empoi-
sonnemcnt par Toxyde de carbone,
370.
Uavmoni) lOii, 200, 203, 418.
Raynaud, 332.
RÉFLEXES, — dans la chorée molle, 171. —
Dans laparaIysiealcoolique,86. — Dans
le tabès, io7. — Dans les paraplégies
toxiques, S'.i. — et suspension, 202,
216.
Regnard, 64.
Remak, 488, 497, 520.
RÉMOND, 338, 410.
Renault, 238.
Rendu, 369, 531.
Rétractions tendineuses. — dans la pachy-
méningite cervicale hypertrophique,
536, 537.
Rêves. — chez les nerveux, 372. — dans
l'alcoolisme, 588, 389. — dans la
paralysie alcoolique, 389. — dans
l'hystérie, 292, 294. — dans Thystérie
mâle, 51, 265, 268, 352. — dans
Thystéro-ncurasthénie, 288, 529,
534. — Apparition des images du
côté anesthésié, 288, 294. — Dans
l'hystérie et l'alcoolisme, 288, 389.
Reynolds, 117, 118, 119, 376.
Rhumatisme ARTICULAIRE. — et chorée, 104,
113, 114, 130. — et maladies nerveu-
ses, 114.
Rhythme. — dans le bâillement, 2. — dans
les accidents hystériques, 15. — dans
les tics, 15.
RiHOT, 9i, 32 i.
RiCHER, 22, 252, 253, 288, 289, .361.
RiCHET, 55.
RiLLiET et Barthez, i 1 1.
RiSSLER, 418.
robertson, 226.
Roche, 225.
Rœderer, 5.
RoMi'.ERG (Signe de) ; — dans le Tabès, 1 5'
— et suspension, 201.
KoMEi, 362.
Roques, 93.
rosenthal, 61.
RoTH, 488, 497, 498, 500, 520.
Rouillard, 317,319, 320.
Sahli, 334.
Salmon, 54.
Sapelier, 44.
Sattler, 417.
Saturnisme, 84. — et hystérie, 121 sq.
— et maladies nerveuses, 93.
Sayre ^Corset de), 200, 204, 209.
SCHIFF, 494.
ScHULTZE, 487, 488,496, 501, 518,520.
Schvalbach, 226.
SçiATiQUE. — Bénigne, 25. — (Déforma-
tion du tronc dans la), 19, 22, 27. —
(Douleur dans la), 25. — Formes,
25. — Historique, 24. — Maligne, 25.
(Points douloureux dans la), 24, 25.
(Station assise dans la), 23. — (Sta-
tion debout dans la), 23. — (Trou-
bles trophiques dans la), 24, 25. —
(Zona dans la), 25.
Sciatique névralgie et Soiatique névrite,
25.
— 576 —
SCIATIQUE NÉVRITE, 34.
Sclérose en plaques. — Achromatopsie,
165, 169. — Amaurose, 164. — Champ
visuel, 165, 167. — Démarche, 170.
— Diplopie, 164, 160. — et hystérie,
162. ~ et suspension, 204, 217, 220,
221. Myosis, 164. — Nystagmus, 164,
170. — (Rémissions dans la), 170, —
Symptômes oculaires, 163. — Trem-
blement, 170.
Sclérose LATÉRALE amyotrophique. — Pro-
nostic, 419.
Scoliose et syringomyélie, 498.
ScoTOME scintillant, 289,
Secousses. — Interparoxysmales épilep-
tiques. 117, — Prémonitoires des
accès épileptiques, 118.
Secousses fibrillaires — Valeur diagnos-
tique, 414.
Seeligmûller, 147.
SÉGLAS, 248.
Sensibilité. — dans la paraplégie alcoo-
lique, 85. — Dans les paralysies toxi-
ques, 85.
Sestier, 443, 445, 446, 447, 448, 449, 450,
452, 460.
Sexuelles (Fonctions) et suspension,
201, 202, 204, 212, 213, 214, 216.
Shakespeare, 5, 53, 93, 197.
Shock nerveux, 131 sq. 136,138,534, 543.
— et amnésie, 133. — et neurasthé-
nie, 132, 139, 260. —Voy. aussi Neu-
rasthénie.
Simon, 370.
Simonin, 334.
Skey, 194.
Skoda, 101.
Sommeil (Attaques de). — Voy. Attaques.
Sommeil. — dans le tic convulsif, 14. —
(Intluence du) sur les accidents hys-
tériques. 4, 12.
Sommeil natcrel et sommeil hystérique,
05, 69, 70.
Somnambulisme. — et automatisme ambu-
latoire, 324. — hypnotique et spon-
tané, 226. — naturel, 324. — provo-
qué, 325. — spontané et hystérique,
326. — spontané pathologique, 325.
SouzA leite, 68.
Spasme glosso-labié, 262.
Spasmks fonctionnels (Diagnostic avec
abasie), 366.
Starr, 488,499.
Steppage, 83, 84.
Steppeur, 83. {Voy. Démarche).
Stigmates. — Hystériques, 13. — (Voy.
Hystérie).
Str.\us, 343.
StrOmpell, 182, 527.
Stuart mill (John), 316.
Sturges, 108, 109, 110.
Sulfate de quinine (dans le vertige de
Ménière), 229.
Sulfure de carbone. — (accidents dus
au), 43. — (Industrie du), 43.
Sulfo-carbonée. — Ataxie, 52. — (Exa-
men dynamométrique dans l'hémi-
plégie par intoxication), 46. — Hé-
miplégie dans l'intoxication, 45.
Surdité vebbale, 250.
Surmenage. — (des adultes), 29. — Des
enfants, 29. — et neurasthénie, 29.—
Intellectuel, 260.
Suspension. — Accidents de la, 220. —
Contre indications, 203, dans la
myélite diffuse chronique, 204. —
dans la paraplégie spasmodique,
204, 220. — Dans la sclérose en pla-
ques, 204, 217,220,221 —Dans l'im-
puissance neurasthénique, 217. —
Dans le tabès, 199, sq, -- et Démar-
— 577 —
che tabétiiiue, 201, 202. — Douleurs
fulgurantes, 201, 202, 210, 21 i, 212,
2i:{, 2li, 210.— Durée, 203, 209. —
Effets physiologiques, 203, 204, —
et maladie de Friedreich, 217, 220,
221. — Inelllcacité de la, 215. —
Manuel opératoire, 203, 204 sq. —
Miction, 202, 210, 212, 213, 214, 210.
— Réflexes, 201, 202, 210. — Statis-
tique, 218 sq. — Signe de Romberg,
201. — Symptômes oculaires, 201,
202, 211, 212.— (Théorie de la), 203.
Sydenham [Chorée de). Voy. Ghorée.
Syndrome bulbo-médullaire, 499.
Stringomyelie. 487. — Anat. pathologique,
489. — Arthropathies, 498. Atrophie
musculaire, 495. — Causes, 499. —
Cicatrices, 498. — Diagnostic, 500.
— Diagnostic avec l'atrophie mus-
culaire, 501, — Eruptions hui-
leuses, 497.
Syringomyélie. — et hystérie. —
(diagnostic), 489. — Sensibilité, 497,
517, 519. — Troubles trophiques,518,
519.
Syringomyélie. — ot maladie de
Morvan, 498. — et lésions trophiques
viscérales, 498. — ctpachyméningite
cervicale hypertrophique. (Diagnos-
tic), 502 — et paraplégie cervicale
hyp., 541. — et scoliose, 498. — et
tabès (diagnostic), 502.
Syringomyélie. — Evolution, 499.
— Faux phlegmon, 408. — Fractures
spontanées, 498. — Gliomateuse, 490,
491. — Glossy skin, 498. — Griffe
interosseuse, 502. — Hérédité, 502.
— Importance pour les localisations
médullaires, 494. — Lésions, 491,
492. — Localisation, 491, 492. —
Œdèmes, 497. — Peau lisse, 498. —
Processus anatomique,490. — Pro-
nostic, 500. — Siège anatomique
des troubles trophiques, 499. — Si-
gnification du terme, 487, 489. —
Symptômes, 495. — Symptômes
extrinsèques, 495, 499. — Symp-
tômes intrinsèques, 495, 409. —
Symptômes leucomyéliques, 495. —
Symptômes poliomyéliques, 495, —
Symptômes i)oliomyéliques anté-
rieurs (valeur), 496. — Symptômes
poliomyéliques postérieurs (valeur),
496. — Terminaisons, 500. — Ther-
moanesthésie, 495, 406, 507, 513. —
Troubles sensitifs, 495, 500, 512. —
Troubles sensitifs (distribution), 496.
— Troubles trophiques, 497. —
Troubles vasomoteurs, 499.
Tabaraud, 392.
Tabès. — Achromatopsie, 158, 165. —
Amaurose, 164. — Arthropathies et
crises gastriques, 333, ;<36. — Atro-
phie des nerfs optiques, 158. — Champ
visuel, 159, 105. — Crises gastriques,
{Voy. crises gastriques). — Crises
laryngées, 346. — Crises laryngées
et crises gastriques, 336. — Crises
rectales, 333. — Crises vésicales,
333. — Démarche, 346. ~ Déro-
bement des jambes, 157, 277, 278,
279. — Diagnostic avec abasie, 366.
— Diplopie, 155, 164, 278. — Dou-
leurs cul)itales, 155, 278. — Dou-
leurs fulgurantes, 154,201, 277, 278,
279. — Champ visuel, 165.
Tabès et hystérie. — 161,277, sq,
281.— Stigmates, 281, 282. —Ré-
flexes, 282.
Tabès. — ot maladie de Basedow,
243. — et nystagmus, 164. — et
parai, alcoolique, 388. — et syringo-
myélie (Diagnostic), 502. — (Formes
bénignes du), 109. — (Impuissance)
et suspension, 217. — Incoordina-
tion motrice 157. — Inégalité pupil-
laire, 158. — Parésie vésicale, 155,
157.— Période préataxique, 333. --
— 578 —
(Rachialgie dansle), 153. — Réflexes,
Jo7. — Réflexes exagérés, 278, —
Sensitif (tabès) 499. — Signe d'Argyll
Robertson, 158, 164. — Signe de
Romberg, 157. — (Suspension dans
le), 199,200. — Symptômes oculaires,
163. — Symptômes oculaires et sus-
pension, 201, 202, 211, 212. — Trai-
tement du), 199. — Troubles de la
miction, 278. — Vomissements, 166.
— Vomissements noirs, 331, 334.
Tabétique. — Démarche, 84, 157. — In-
fluence de la suspension sur la dé-
marche, 201. — Papille, 164.
Tabétiques. Pronostic des phénomènes,
344.
TaciiyPxS'Ée hystérique, 12.
Tarassis. 37.
Tardieu, 322, 323.
TÉPHRO-MYÉLiTEs antérieures, 416.
Terrillon, 385, 535, 537, 540, 543.
Tessier, 243.
Testaz, 101.
Thermiques (Troubles) dans la paralysie
alcoolique), 85.
Thermoanesthésie syringomyélique, 495,
496.
Thermomètre à surface, 507.
Thermophobie dans la Mal. de Basedow,
235.
Thomas, 417.
Thomsen, 119, 533, 534.
Tic coNVULsiF, 13, 464. — - Arithmomanie,
Arrêt des mouvements, 464. —
(Bruits laryngés dans le), 15. —
(Goprolalie dans le), 15, 408. —
Echokinésie, 468. — Echolalio, 468.
Tic convulsif et cliorée, l 'i-, 464.
Tic convulsif et chorée chronique.
— Coordination des mouvements,
467. — Début, 468. — Mouvements,
465. — Pronostic, 469. — Séméiologie
des mouvements, 466.
Tic convulsif. — Etat psychique,
13,15, 16. 17,464. — (Exagération de
mouvements physiologiques dans
le), 464 — Mouvements^ 463, 468. —
(Reproduction de mouvements phy-
siologiques dans le) 14. — (Sommeil
dans le), 14. — Stigmates psychi-
ques, 16. — Systématisation des
mouvements, 14. — Variétés, 464.
Tic CONVULSIF VULGAIRE, l3.
Tic d'idées, 16.
Tic DOULOUREUX. — ct sciatiquc, 24.
névralgie brachiale, 24.
et
Tic MOTEUR, 16.
Tics et Hystérie, 15.
Tics ET Rhythme, 15.
Tillaux, 225.
TiLMANN, 225. •
TissiÉ, 327.
ToDD, 46.
ToDD (Signe de), 268.
TOPINARD, 332.
TouRDEs, 446, 450.
Toux hystérique, 4. 7.
Toxiques (Paralysies), 84, 344.
Transfert, 283.
Traumatique (Névrose), -36, 51, 527, sq.
{Voy. neurasthénie, hystéro -neurasthé-
nie, Shock, etc., etc).
Tralimatisme. — et automatisme ambula-
toire épileptique, 323, — et épilopsic,
322 — et liystérie, 30 — et mala-
dies nerveuses, 30. — ct neuras-
thénie, 30.
TuAUMATisMEs dc la moelle, 53.
Tremblement. — alcoolique, 232 — dans la
morphinomanie, 431, dans Thystéro
— 579 —
nourasthénie, l'/.iO, '.V.W . — de la
maliidio do Basedow, 231, 232, 234,
23(), 239, 241 — d<! la paralysie gr-
iiéralc, 232 — hystôriquo, 471, 472,
530, 531. — mcrcuriol, 232.
Tremblements (Diagnostic des), 431.
Tristram Shandy, 03.
Troltsch, 225.
Troostvvygk, 449.
Trousseau, 313, 321.
u
Urines (Examen des). —■ dans l'attaque
de sommeil hystérique, 273. — dans
la mal. de Basedow, 238. — dans
l'épilepsie, 421.
Utérus et hystérie, 37.
Valleix, 24.
Vasomoteurs (Troubles) dans la paralysie
alcoolique, 86.
Vertige de ménière, 80, 225, 226. — à
crises distinctes, 228, 230. Démarche
228. — Diplopie, 220. — et paralysie
faciale, 22(3, — permanent, 228, 230.
— Traitement, 82. — Traitement
par le sulfate de quinine, 229.
Vertige. — Epileptique, 34. — Comitial et
étourdissements hystériques, 280.
Verti(;m AB AJ.RK (.y<\. Vov. Vrrfii/^ 'le.
VÉsi(jAUx( Troubles) du labes, 157.
Vibert, 287.
ViGouROUX, 58, 230, 383, 503.
ViGUÈs, 54.
ViRCHOw, 234.
Visuel (Rétrécissement du champ). —
{Voy. Champ visuel).
VoisLN (Jules), 04, 70, 325.
VOLKMANN, 202.
Vomissements. — dans le tabos, 156.-- noirs
du tabès, 331,334. — noirs et crises
gastriques, 334, 342, 343, 344. —
Diagnostic avec le cancer, 331.
Vomissements hystériques, 272,
273.
VuLPiAN, 77, 101, 334, 336, 340, 343, 416.
w
Westphal (Signe de), 178.
Weir Mitchell, 362, 518.
Wilde, 225.
WlSING, 418.
WOLFF, 498.
Zacuer, 488.
Zola, 88.
Zona dans la sciatique, 25.
Inip. de la Soc. de Typ.— NoizEïrE,8, r. Campagne-l'-e, Paru
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